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L’HOMME DE LA CAVE -°

23 Nov

Je voulais voir cet Homme dans la cave pour me moquer de son délire et de sa mauvaise foi, j’en suis sorti triste – à la fois blasé d’une telle sur-confirmation miteuse et satisfait de trouver une démonstration de cet extrémisme devenu visible depuis mars 2020 : l’extrême-mou, ou la radicalisation des mous dont le logiciel idéologique demeure vide ou contingent et superficiel (car les mous, se sachant peu polarisés par rapport aux conflits politiques classiques et visibles, ou peu autonomes par rapport au consensus, se croient incapables d’erreurs fatales et donc sont d’autant plus tranquilles quand ils ‘dérapent’). Ce film dégage une chose délicieuse mais dure à juger : une sensation d’évidence. Dans son cas ça ne fait pas une œuvre percutante ; peut-être une œuvre pauvrement remarquable (c’est tellement le brûlot des mous que vous pouvez le consommer dans la léthargie la plus complète). Car cette évidence est celle de la nullité – la nullité devenue oxygène et foi aveugle.

Naturellement on y parle peu du judaïsme et à peine des camps d’extermination ; on vise les déviants – et de la même façon qu’un démagogue va filer droit sur les thèmes faciles imposant l’acceptation (ou un progressiste s’appuyer sur les minorités pour vernir son désir de tyranniser au moins la majorité), ce film se saisit du thème qui en France met tout le monde d’accord, ou plutôt les yeux au sol, l’âme engourdie et le cerveau en miettes, car il y a une gêne collective constituant finalement la seule preuve d’un ‘couple franco-allemand’ : la honte d’un épisode de collaboration, dont il faut bien faire quelqu’un responsable – c’est la forme de déni autorisée, le déni pur et simple de l’épisode étant justement impossible pour les faux victorieux vraiment honteux. Difficile pour un peuple si gavé de prétentions universalistes de se savoir au moins aussi rampant et lâche que les autres. C’est le seul point où ce film a raison : le potentiel de collaboration avec le pire ne disparaît jamais, nous sommes tous ses ouailles en sommeil ; là où ce film ne peut qu’avoir tort, c’est en soustrayant sa petite population de l’équation – ce déni prend des proportions dramatiques.

Tout en étant parfaitement terne et bête ce film n’est pas de ceux qu’on jette à la poubelle en les oubliant déjà car leur partisanerie est transparente et l’exécution ordinaire ; il reste un goût étrange, celui d’un message qui viendrait démolir ses fondations au moment où pourtant il se prétend plus urgent que jamais. L’homme de la cave donne une impression de parodie qui se dégonflerait à force de sérieux (et de prétendre exister pour le salut commun). Il pratique un curieux renversement au point que si on voulait alerter sur ces anti-fascistes devenus fascistes pourchassant les bêtes immondes, on reprendrait ce film à l’état de squelette en rendant les choses plus expressives. Car la bande-annonce annonçait une mascarade, mais la séance entière est plusieurs tons en-dessous ; seuls les clichés viennent en renfort, jamais la fièvre militante. C’est d’ailleurs le point qui rend le film définitivement nul : tout ce qu’ont à sauver les ennemis de Fonzic est moche et doucement démoralisant ; pendant qu’ils n’ont rien à conquérir, sinon toujours plus de paix et de mise au pas. Les pires tracts BLM aujourd’hui, staliniens hier, nazillards de tous temps, appellent à une mobilisation enthousiaste, au pire à une joie destructrice ; L’homme de la cave en appelle au désir de chacun d’hiberner avec une meute docile. À l’image des mous politiques il est habité par ce conservatisme si absolu qu’il ne défend même pas de nobles acquis, mais seulement l’inertie – cette attitude de gardien d’un temple qui doit demeurer vide, mais le temple doit recouvrir tout l’espace possible et imaginable. Il y a de l’agressivité, de la culpabilisation, des remontrances ; mais pas d’émotion ou de détermination vraie, rien de fort, rien de vif – que du stress, de la suffisance et de la confusion. Il y a bien de la violence (« l’arme de ceux qui ont tort » estime Fonzic, décidément pas un pragmatique) mais c’est celle à reculons des bons petits soldats poussés à bout – les mous n’ont pas besoin de sentiments religieux pour devenir sectaires : c’est toujours les déviants du monde qui sont ineptes et méchants, eux n’aspirent qu’à partager le paradis ! Effrayés par la contamination qu’exercerait un individu pourtant isolé et contraint à se cacher, nos crypto-fascistes anti-nazis, qui doivent surtout rester incompatibles avec les nazillons et toutes les étrangetés malsaines qui peuvent éclore sur ce monde, font face à un antagoniste digne d’un film d’horreur de la belle époque (les années slasher – les allées-et-venues dans les couloirs semblent un pastiche des Halloween ou Vendredi 13). C’est d’ailleurs l’effort de mise en scène qui aurait pu rendre L’homme de la cave pertinent comme spectacle (et qui le rendait attractif a-priori, certes à son détriment ou avec ironie, mais un film idiot et abusif peut être formellement ‘édifiant’, l’essentiel à l’écran n’étant pas le discours mais la cohérence et le style) ; mais il n’y a qu’à proximité de la cave et notamment la séquence d’initiation de la gamine (si ce n’est ça elle est absurde) pour faire vaguement décoller le thriller horrifique ; tandis que la performance d’acteur est plus picturale que dynamique, puisque le rat d’égoût n’est là que pour prendre des coups et doit rester sous contrôle.

À plusieurs reprises Fonzic s’exprime comme un possédé, un mix entre un xénomorphe, un charmeur de poules et un dandy d’extrême-droite contraint à l’exil (éventuellement dans son propre pays) ; il a ce regard et ce débit d’hypnotisé détraqué par la folie qu’il tente de propager ; ce n’est plus un être humain, même pas un abîmé, ou s’il en est un c’était avant – sa rigidité n’est pas celle d’un type théâtral mais d’un raisonneur fanatique. D’ailleurs un raisonneur peut-il être autre chose que dangereux ? Impossible selon ce film, à moins qu’il soit habilité. La stricte légalité est la seule saveur qu’un esprit sain doit reconnaître ! La soumission à l’autorité est telle qu’il faut des avocats (ou un policier) pour montrer une capacité à objectiver – absente ou réduite aux faits bruts (enrobés par un script moisi) le reste du temps. Heureusement l’autorité condamne fermement le méchant – c’est ce qu’on lui demande (c’est tout ce qu’on a le droit et le devoir d’oser) ; mais elle n’en fait pas assez (c’est exactement la caricature des ‘populistes’ mais comme ici nous avons à faire à celui des gentils, soyons indulgents et ne relevons pas). Néanmoins l’avocate (après avoir commis l’inénarrable amalgame des extrême-droite et gauche) évoque les droits pour s’exclamer qu’heureusement ils sont là même s’ils profitent aux salauds ; cette idée persistante nourrit justement le cœur de l’idéologie spontanée des mous. Les non-mous ne méritent pas notre légendaire tolérance – ils jouent avec nos généreuses règles, bâties pour les humains dignes, éclairés et insérés – alors qu’eux sont hors-circuit, ténébreux, au mieux ils sont le pire de ce que peut être un humain. Voilà ce qui se raconte dans l’âme sordide des mous, dans laquelle plonge ce film écoeurant, débile et sûr de sa petite morale – ce film est parfaitement raccord et donc confus avec sa plèbe stupide, proprette et méchante. C’est peut-être car cette plèbe minable est incapable d’avoir des préjugés sans passer au préjudice qu’elle croit que tout ‘préjugé’ est nocif ?

Face à cette symphonie de petites ordures moyennes et bien sous tout rapport, il peut être difficile de ne pas éprouver de sympathie au moins théorique pour cet ambassadeur des asociaux non-gauchistes. Répand-il littéralement sa merde aux alentours avec rage ou insouciance ? Les inconnues à son sujet sont la seule matière à suspense. Ce qui est certain c’est que Fanzic est un homme calme mais inflexible, capable de sacrifices au nom de ce qu’il sent juste ou simplement de ce qui le passionne (et pas de ces sacrifices de misérables mammifères en besoin de se faire assimiler), capable d’endurer l’ostracisation et des conditions de vie minimalistes ; capable de renoncer aux vanités, sauf à cet orgueil de savoir ou d’essayer de savoir (ou du moins le prétendre mais c’est la même chose car il est sincère dans sa démarche) quand les autres « se contentent de la vérité officielle ». Le dernier des woke avec un tel refus de plier susciterait en moi un semblant de respect, une inévitable petite admiration pour un caractère aussi affirmé, capable de violer ce que la société a fait de la réalité (à condition de savoir articuler sa conviction folle et pas d’être un animal à grosses convictions, comme le sont les bourrins ‘de terrain’ ou les poivrots réacs sur petit écran) ; et peut-être que les mous et extrêmes-mous constatent aussi cette force et en sont impressionnés – mais verrouillés face à l’étrange ils ne peuvent pas laisser passer le début d’un raisonnement ou d’une sensation qui ne condamnerait pas fermement ce monstre absolu nommé Fonzic.

Fonzic est un négationniste et pour ça il va être compliqué de l’aimer ou d’être complaisant. Par contre ce qui en lui suscite la profonde angoisse (pas seulement l’alerte morale ou consciente) est bien trop estimable, tandis que l’essentiel des urbains qui l’entoure est si petit… que je ne peux m’empêcher de voir en ce film un lapsus. Ce qui devrait constituer une ambiguïté mais semble jamais perçu par les gens engagés dans ce projet se retrouve dans les propos de Cluzet en interview, où il blâme ce ‘pauvre type’ avec ses histoires d’indiens d’Amérique ! Rien d’aberrant pourtant là-dedans et les véritables bonnes âmes généreuses, les ‘bien-pensants’ logiquement devraient s’émouvoir de cet épisode historique et en tirer une leçon. Mais on ne doit rien voir ; le vrai, le faux peu importe : ce qui compte c’est d’éviter le trouble et aucun prix ne sera excessif. C’est à la fois la preuve qu’il y a un malaise qui n’est que révélé et projeté dans ce monstre qu’est Fonzic ; et la preuve que les gens qui peuvent concevoir et adhérer à un tel programme sont prêts à se conduire en persécuteurs persécutés, alors même qu’ils ne sont pas persécutés. Car le ‘based on a true story’ ne suffit qu’aux imbéciles ou aux consentants.

L’entourage de Rénier (culpabilisé constamment car il fait si facilement confiance alors que le monde est plein de prolos, de gens bizarres et même, mauvaise pioche, de fachos !) prétend régulièrement qu’on ne condamne ou attaque pas les gens sur leurs idées ou discours. Or si, en France comme quasiment partout. Et le film se fonde sur cet obstacle artificiel pour dérouler son appel à la dératisation ; on fait comme si la France était les États-Unis dans leur pureté (mais beaucoup de causes pleurnichardes agressives aiment cette lecture insensée), or s’il est vrai que cet immeuble devrait souffrir d’une présence malveillante pendant que le procès dure, il est faut de prétendre qu’il y ait en France des obstacles, de l’incompréhension ou de la légèreté face à un type qui répandrait des propos négationnistes. C’est pourquoi il ne faut pas bêler avec les moutons blancs méchants et les naïfs vrais ou feints aptes à recevoir l’immonde prêche de ce film ; il faut admettre que s’il ne tire pas sur une cible déjà cuite, il en vise d’autres et n’a pas peur de faire le pire des rapprochements (car il n’y a en France rien de plus infamant -et concrètement menaçant- que d’être accusé de partager les ‘ismes’ de Fonzic).

Et à quoi aspirent des persécuteurs ? À ce qu’on leur fournisse un motif pour passer à l’offensive avec bonne conscience ; que la communauté, le climat ambiant, les institutions de légitimation, les adoubent et donc portent avec eux la responsabilité des méfaits, des abus, des humiliations (et finalement peut-être des crimes) qu’ils s’apprêtent à commettre. Refuser l’accès aux soins, refuser la satisfaction des besoins élémentaires afin que la cible patauge le plus physiquement possible dans la honte et l’impuissance, que la vie lui devienne odieuse et construire soit pénible ; refuser le confort dont nous jouissons ; voilà ce qui fait bander cette population (et cette France) qui ne saurait trouver aucun autre plaisir ‘positif’, elle qui n’a que le repli pleurnichard et le mépris gratuit pour abri au quotidien quand se présente autre chose que le crétin moyen qui lui paraît le produit final de l’Humanité.

Note globale 14

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Suggestions…

Écriture 3, Formelle 3, Intensité 3 ; Pertinence 2, Style 2, Sympathie 1.

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TRILOGIE DU PARADIS (Seidl) +

16 Juil

PARADIS : AMOUR +

4sur5 Normalement le voyeurisme est répréhensible, ou s’assume comme un vice. Or il faut bien le pratiquer, car on a beau louer le réconfort, l’important reste de se soulager ou simplement de s’égayer : voir ‘autre chose’ ou bien trouver le réel puant rattrapé par le collet. Celui qui se déchaîne sous les yeux de tous, mais n’est nommé que de façon lâche et jamais désigné par la collectivité humaine. Comme il faut se dominer ou rester civilisé, ou garder sa dignité pour les plus faibles et aliénés, nous avons à disposition de nombreux moyens pour purger ce voyeurisme de manière propre : le cinéma en est un, probablement le plus gratuit et aseptisé.

Coutumier de la comédie grasse et sinistre, Ulrich Seidl (autrichien, auteur de Dog Days et Import/Export) a renfloué bien à fond le secteur avec sa trilogie du Paradis. Le premier opus, Paradis: Amour (suivi de Foi et Espoir), fait partie de ces choses où le voyeurisme se fait sec, l’absence de commentaire écrasante. Il suit une dame autrichienne, la cinquantaine bedonnante, en pleine séance de tourisme sexuel – son oxygène, son îlot (un mois de congés en français technique) de bonheur et de délassement au milieu d’une année de crétinisme appliqué. Pas un gramme de fantaisie au programme ; nous voilà plutôt dans le minable et le vraisemblable ; bien encadré, par la culture de base (germanique) et par le contexte où Peggy-Teresa évolue (station balnéaire avec gigolos couleur d’ébène pour blanches fanées mais affamées).

Toutes les étiquettes habituelles pour couvrir l’abjection tranquillement dégobillée seront hors-d’usage ici. Paradis amour exprime bien un jugement : un mépris absolu de la fille et de ses congénères, sans flatter de prétendues victimes par ailleurs. En face il y a bien la misère, les situations odieuses des locaux, mais la mise en scène oublie la commisération la plupart du temps – puis très vite, la rend inenvisageable elle aussi, non que les autochtones soient vilipendés, simplement ce serait décalé, au bord de la surenchère hypocrite. Surtout que le plus embarrassant est affiché : chacun trouve son compte dans ce marché. Les jeunes hommes essaient de tirer leur épingle, harcèlent volontiers, avec leurs manières obtuses et décontractées ; ils sont parfois dans cet au-delà de la fausseté (souvent imité) des gens rompus à ‘jouer le jeu’ ou mentir et simuler avec méthode. Nous sommes à l’opposé de l’esthétisation et du romantisme, ou carrément de l’empathie sélective d’un Plein sud.

Teresa n’est pas une beauté vénéneuse, ne traîne pas la délicieuse odeur de souffre dont se repaissent des transgresseurs sûrs d’eux et de leur fait, elle est plutôt écrasée par ses souffrances dérisoires et le ridicule de ses tentatives. Ses grands espoirs sont autant de petits secrets honteux. Elle n’est pas assez vertueuse, égarée ou légitimement tourmentée pour compenser. Qu’elle travaille auprès d’handicapés permet d’enfoncer dans le sarcasme et cautionne une ouverture grotesque (les auto-tamponneuses) – ce n’est qu’à la marge que cela en fait un individu plus sympathique – quoiqu’on puisse dire, Teresa a au moins un certain courage, un sens du dévouement, même si pour se défendre elle se fait infecte, comme toutes ces connasses ricanantes vite débordées car très ignorantes et basses d’esprit. Face à ses prétendants ou serviteurs, elle glousse horriblement, se moque comme une idiote se sentant dans son bon droit – comme si avait acheté carte pour la supériorité. Ses élans de générosité sont intéressés ou générés par l’autre ; pourtant elle les emplie de sa bienveillance et de sa bonne foi, prête à se donner – avide de se faire prendre et aimer. Elle finira bien par avoir conscience qu’elle se fait exploiter en retour. Ils ont toujours un ou des problèmes, des besoins à surgir. Ses amertumes se précisent.

Cette candeur générale infestée par la désillusion et saccagée par l’aigreur rend Teresa plus intensément pathétique, plus largement et généreusement aussi. Elle se voie elle-même et commence à entrevoir les réalités avec nous. La conscience de soi qu’elle a fuit l’a rattrapée ; décidément le repos n’est pas possible, il n’y a ni Eden ni jardin secret. Et puis cette ‘sugar mamma’ n’est pas un boudin catégorique et pourrait même être réellement au goût des ‘beach boys’ (moins entravés par les exigences et les critères occidentaux) – c’est plutôt que sa chair est triste, à tous degrés ; ses efforts sont infructueux et ses sacrifices le seront aussi. Nous sommes alors gagnés par la peine ; comme on serait triste pour un cher (et saoulant) animal de compagnie atteint d’une violente gastro, ou d’un salaud rattrapé par son plus grand chagrin. Teresa se fait rouler, tellement que ça va devenir l’axe dramatique d’un film qui n’en a pas besoin – l’essentiel là-dedans n’est pas raconter, encore moins une ou des histoires : c’est de présenter, avec sérieux, sans urgence, sans égards pour le malaise évident – pas de dettes ni d’attachement (ni de merveilles d’écriture).

Cette séance est très négative. C’est comme du Houellebecq acide, qui n’aurait que cette perspective d’engagement face à son sujet, l’embrasserait en dilettante. Elle peut se muer en une sorte de torture par procuration, notamment lors de l’anniversaire, où la balade se fait plus drôle et plus répugnante que jamais – avec ce jeune black assigné aux services ciblés. On oscille entre l’embarrassant et le pleinement dégueulasse ; voilà un cauchemar trivial, affligeant pour tous, assassin pour elle (pauvre quinqua en besoin de tendresse et de reconnaissance sensuelle), désespérant pour lui. Séance immonde donc, mais platement alors elle se laisse prendre, fournit un amusement sans joie autre que mesquine ; ne salira pas nécessairement le spectateur ou l’Humanité, mais ne ménagera rien de ses bons sentiments, de ses vœux pieux envoyés à l’universel. Elle détruit les baratins d’occidentaux bienveillants pour la forme, ou même investis dans leur tiers-mondisme : ce commerce est assimilé là-bas, ne choque pas fondamentalement – il inspire une indifférence bien pratique, ni ordre moral ni pudeurs ‘égalitaires’ ne s’étalent là-dessus.

Note globale 78

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Suggestions… Eastern Boys

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (4), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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PARADIS FOI =+

3sur5 Entre l’Amour (Liebe) et l’Espoir (Hoffnung), Ulrich Seidl s’est laissé aller à une quête plus grande et forte encore : celle de la Foi (Glaube). Cet opus intermédiaire n’est pas ‘fendard’ comme les deux autres. L’aspect documentaire est plus prégnant, pour des raisons négatives : il est du même niveau en terme d’approche ‘rigoureuse’ et détachée, mais l’absence de bouffonnerie laisse le terrain libre au regard sec, comptable, lequel se fracasse devant un tableau aussi désespérant, si profondément incurable. Les doutes, les tensions, sont révolues et l’avancement dans l’âge enfonce encore le clou.

De plus Seidl ne sort pas la protagoniste de son milieu naturel, ni d’elle-même (ce que nous voyons, c’est sa volonté prenant ses aises pendant les vacances) – sans aller pour autant pratiquer son introspection : on reste toujours strictement observateurs, fait avec ce que les dehors nous abandonnent. L’intensité de cette femme se suppose, par indices, déduction, ou à cause de nos propres croyances. Ses actes et surtout ses engagements sont trop forts, rendant les paroles et même le discours dispensables, même s’ils auraient pu être utiles pour plonger ‘vraiment’. Anna Maria (Maria Hofstatter) pourfend la lubricité de ses prochains devant le saint-père ; se flagelle nue face à un Christ en bois, implorant le pardon pour nos piteuses âmes.

Ce Christ est devenu objet d’amour – un amour complet. La ‘vieille fille’ jette sa libido sur une religion dévoyée. Elle qui voit des torses nus toute la journée (à l’hôpital en sa vertu de radiologue) a eu le temps de se dégoûter ou s’ennuyer des choses de la chair – si ce démon-là pouvait encore la travailler, ce serait par réflexe, voire commodité ; un besoin si laid et si loin de son quotidien, mais pas forcément de son conscient, qu’elle ne le voit plus lorsqu’il est là, tapis dans ses activités, prêt à torpiller sa charité, humilier sa bonne volonté. Tout comme elle ne réalise plus, ou alors très en sourdine, le pathétique et le grotesque des situations (que la mise en scène se complaît à marteler – longue séquence avec un rebut en slip à déblatérer sur la pratique du Notre père). Ce besoin précis, certainement dégradant en tout cas tel qu’il pourrait s’offrir ici, est la conclusion qui aurait tout grignoté des rapports humains.

Anna Maria aide et sert son prochain, mais elle n’a pas ou plus de chaleur, d’élan pur, peut-être d’amour envers lui ; en même temps elle est capable du plus grand sacrifice, en se mêlant à la boue – une compromission seulement en apparence, propre à tous les vrais chrétiens prêts à tendre la main aux cas difficiles, aux déchets ; prêts donc aux vraies missions, plutôt qu’à un culte de confort ou à la ré-assurance égoïste. La prêche de son ancien amant (de retour après deux ans) est opposée : lui se fout d’éthique, de morale, d’élévation ; il retient les parties les plus ‘concrètes’ des religions, les avantages masculins. Il se rappelle les coutumes du pays, ou pratique ici ce qui lui était là-bas interdit – dans tous les cas il cultive l’exploitation. Il n’en a pas tellement les moyens, mais il a la légitimité des victimes objectives et reconnaissables à pourrir l’autre et se vautrer dans le caprice. Pour Anna Maria, Nabil est une épreuve de plus ; voilà probablement sa dernière fonction positive. Ce sous-ogre stupide est encore un abruti qu’elle a repêché – et avec lequel elle s’est encanaillée. Ce ne se sont là que deux hypothèses, ce qui est sûr, c’est qu’elle a fait la complète autour d’elle, s’est agrégée une ribambelle éclectique de parasites. Avec ça elle est certaine de suffoquer.

Quand elle n’est pas attelée à se mortifier dehors, elle se mortifie dedans. Seule à la maison, elle s’opprime et récite, chapelet en mains. Son appartement est vaste, le mobilier loin de la désuétude, ce n’est pas une pauvre, elle doit venir d’assez haut si c’est une déclassée ; elle n’est pas objectivement ni explicitement aliénée dans son milieu, dans sa vie. Anna Maria doit être plus près des égarés, des plus ou moins ‘fous’ : son décalage ‘actif’ couvre davantage qu’un jardin secret pour bourgeoise gâtée par l’ennui. Elle s’enfonce, c’est la marque de son engagement. D’où ces combats avec des déchets ou infirmes, la fréquentation de réseaux de perdus, souvent des déviants, alcoolos – veulent-ils être sauvés ? Les pratiquants qu’elle accueille dans une pièce dédiée ne forment qu’un groupe pour exulter platement et officialiser son recueillement.

Malgré ces réalités, ce n’est pas un film glauque, pas le truc sombre et torturé venu racoler le consommateur de sensations fortes et toxiques – domaine d’un Butgereitt ou d’un Miike/Siono. Paradis : Foi apparaît comme une comédie qui ne peut éclore – accablée, désolée pour elle peut-être, pour cette aventure plus encore. Le regard est indifférent, l’indignation ou la compassion absentes, pourtant l’attention demeure. Ni distraction ni émotion, comme on exécute un devoir, ‘fait ce qui faut’ sans le moindre état d’âme, en prenant des lunettes d’entomologiste sans avoir de pression ou de compte-rendu à terme. Cette méthode est la bonne car ainsi le sujet est plus facile à approcher, mesurer, restituer. Le résultat est cependant moins probant qu’avec les deux autres Paradis, très expressifs et volubiles, même indirectement. Ce bad trip là est triste, mais sans épaisseur, il se constate et ne se ressent pas – sans doute fallait-il se préserver de l’horreur et des chatouilles des arrières-mondes.

Note globale 68

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Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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PARADIS : ESPOIR +

4sur5 Dernier de la trilogie (sortie en 2012-2013) d’Ulrich Seidl, Paradis : Espoir verse le plus clairement dans la comédie (avec les confidences, leurs joies et rapports d’expérience de jeunes filles obèses, ivres de rêves et de désirs en éveil) , même s’il la tient à distance comme toute intention trop vive. Après un opus particulièrement sinistre (Foi), ce Paradis est celui du relâchement. Il n’y a plus la gravité d’Amour à cause de son côté borderline, de son contexte sentant le soufre. Espoir partage sa mesquinerie exacerbée, sans les compensations positives – pas de compassion ou de tristesse devant la détresse, pas de prise de conscience venant de la laide protagoniste pour réparer un peu cette horreur.

En somme cette peine est la plus méritée ; elle est banale et médiocre comme sa protagoniste, bouffonne héroïque d’une sous-tragédie sans la moindre beauté. Pourtant on ne saurait accabler cette petite créature, car son cas a beau être désespéré, il n’est pas désespérant – alors à quoi bon la méchanceté ? Sans hargne ni haine, avec tout au plus une commisération fataliste et narquoise, Paradis : Espoir relate ce gâchis garanti pour Mélanie et ses amies du centre d’amaigrissement où elles ont été collées pour l’été. Ce sont des enfants pourris esseulés, déjà des beaufs à bière, sans pression. Il n’ont pas d’autre destin, leurs parents irresponsables ont d’autres intérêts ou non-préoccupations. S’ils doivent dévier, il faudra des luttes intenses ou des miracles, les deux semblant hors-de-portée en vertu de leurs caractères – sans ressorts ni attraits, hormis pour des pervers amateurs de viande molle, à tous degrés.

C’est le cas de cet homme mûr sur lequel Mélanie fait une fixette : un médecin, personnage tendancieux, genre vicieux méthodique avec face ‘proprette’. La vie ne doit pas sourire à Mélanie et la voilà déjà en train de se créer des souvenirs lamentables, en coulant vers la domestication pathétique qui doit être celle d’une pauvre âme chétive et demandeuse dans son genre. L’ado fantasme sur un vrai pourri, sans rien de romantique. Il n’est même pas spécialement intelligent. Il s’est simplement arrangé pour devenir une sorte d’autorité afin d’assouvir ses besoins et se divertir avec un maximum de confort ; voilà l’aventurier mou déguisé en sage compétent, profitant d’un système et de la crédulité de ses otages. Il peut éprouver des doutes et de la culpabilité, mais ils ne vont ni le blanchir ni rendre sa relation plus charitable ou excitante pour la captive. Voilà une véritable leçon de vie pour Mélanie, qui a les honneurs de se faire chatouiller par le vigile en chef.

Toutefois elle et ses camarades ne sont pas présentées comme des victimes – ou alors, ce sont tellement des victimes intrinsèques qu’il n’est plus question de s’en soucier. Nous sommes dans la normalité, la leur et d’ailleurs ces jeunes ados l’ont intégré puisqu’ils sont peu affectés. Comme ses prédécesseurs Paradis Espoir ressemble à un documentaire, d’où on aurait retiré l’information et les annotations, pour s’atteler à humilier les ‘puissances’ d’une femme qui n’en a que dans ses rêves, en opposant une froideur totale à leurs prétentions et justifications. La plus jeune s’en tire le mieux car elle est un objet de farce et sa naïveté reste une défense légitime ; sa tante est la plus honorable car la plus combative et idéaliste, la seule dans le dépassement de soi, mais c’est aussi la plus triste et effrayante – elle a le tort d’avoir une énergie à perdre, quand les autres n’ont que des sentiments primaires et des kilos à liquider.

Note globale 76

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Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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LE PAYS DU SILENCE ET DE L’OBSCURITÉ +

2 Fév

Ce peuple ‘du silence et de l’obscurité’ vit ce qu’éprouve l'(anti)héroïne de Chronique d’un scandale – sauf qu’elle n’a pas la maladie (l’infirmité réelle) pour l’excuser et la ravager, l’abattre complètement (ou pour trente ans comme ce fut le cas de Fini Straubinger, rencontrée par Herzog pendant le tournage de son précédent documentaire, Behinderte Zukunft/Handicapped Future – 1971). Ils sont sourds ou aveugles, les deux pour la plupart, par accident, dégénérescence ou de naissance. Ils vivent l’exclusion véritable et entière, irrécupérable (sauf peut-être via Hollywood) ; contrairement à l’exclusion sociale, la leur gardera une emprise définitive et manifeste, quand bien même il y aurait réparation, amélioration, soutien – d’ailleurs ce dernier est là, pour les cas qui nous occupent et ne fait que les retenir aux bords de la normalité.

Herzog observe avec attention mais sans émotion [perceptible] des situations sociales et démonstrations pathétiques propres à ces individus. S’il y a une sensibilité vibrante, alors c’est une empathie froide, de l’empathie volontaire, active en esprit et qui s’accepte impuissante – à résorber et à ‘entrer dans’, comprendre ; une empathie n’apportant rien par elle-même, sinon [à] voir avec bienveillance, recomposer, emprunter des détours pour simuler une proximité. Techniquement cela implique caméra à l’épaule, intérêt pour les objets et les données concrètes, à la façon d’un explorateur enthousiaste malgré ses limites. Nous restons différenciés, tout en considérant leurs moyens de se relier au monde extérieur – ou simplement leur façon d’y être. La mise en scène n’essaie pas de nous immiscer en eux, les laissent seuls à développer sur leurs ressentis ou à présenter leurs expériences – à l’exception d’un artifice (l’ouverture ‘introspective’) et de quelques superpositions orientées (de courts extraits de Bach et Vivaldi). En revanche, le rapport à la société et le regard qu’elle pourrait jeter sont absolument évacués (l’homme politique reste un représentant lointain, un commissionnaire passant un instant sans rien venir prendre ni donner, sans que des mondes se croisent et échangent).

L’équipe du tournage et les spectateurs traversent ces arrières-mondes terrestres avec pour guide Fini Straubinger. Sourde et aveugle depuis l’adolescence, elle s’exprime avec facilité et reçoit les informations [portées par les autres] grâce à des signes dans les paumes. Elle est en charge d’un groupe de sourds-aveugles de Bavière depuis quatre ans, mobilisé en début de séance à l’occasion de son 56e anniversaire. Les groupes d’handicapés réunis autour d’elle forment une communauté paradoxale jusqu’à l’absurde, puisque tous sont radicalement insulaires par leur condition physique – pourtant ils sont davantage soudés qu’on ne le serait entre des hommes liés par l’affection ou les idéaux, car c’est une lecture du monde sur-encadrée qui les réunit. Lors du premier rassemblement, celui de l’anniversaire, leur réunion trouble à peine le silence, la solitude et la désolation dans lesquels ils sont enfermés ; l’excitation de deviner ses prochains à proximité suffirait presque, s’il n’y avait la place démesurée du toucher, sens décuplé et parfois dernier espace de contact avec l’extérieur – car la parole se perd ou se gâte, voire est privée chez les enfants mal-nés.

Dans la seconde moitié, après deux enfants diminués, nous en découvrons un autre à la périphérie de l’humanité. C’est en fait un jeune homme de 22 ans (Vladimir Kokol), sourd-muet de naissance, gamin délaissé, échoué comme un animal fébrile n’ayant profité d’aucun dressage. Il a faciès de mongolien, aucune maîtrise psychologique, ne sait saisir ni soi ni l’environnement ; étranger à tout, il est proche de l’objet animé mais sans esprit, s’envoie un ballon dans la figure, se répand en bruits de bouche. C’est comme un chien qui se serait pris un coup de tonnerre, puis aurait par miracle eu le droit de poursuivre en miettes. Il est trop tard pour l’amener à la raison et probablement même à l’intelligible, mais Fini Straubinger lui apporte deux béquilles aux bénéfices immédiats : la conscience qu’il existe, est relié et pris en compte, le réconfort et l’ouverture par la musique. L’étendard du syndicat des handicapés prononce la phrase de fermeture : « Si une guerre mondiale éclatais, je ne m’en rendrais pas compte ». Comme on peut le constater sur Julie malgré l’effroi que son regard et son timbre de voix inspirent, le martyr a aussi, à l’usure, ses vertus.

Note globale 77

Page IMDB  + Zogarok Le pays du silence et de l’obscurité sur Sens Critique

Suggestions… Mary & Max + Martyrs/Laugier + Incidents de parcours/Romero

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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MINI CRITIQUES MUBI 7 (2020-1/2)

7 Avr

Les films Mubi vus pendant le premier trimestre de cette année 2020. Des demi-réjouissances inattendues, plus de mauvais que de tièdes-médiocres et davantage de baudruches vaniteuses qui m’ont fixé sur ce que je pouvais attendre de ce site ; en parallèle, quelques choses remarquables ou d’auteurs excellents que j’avais déjà vues.

Le pays des sourds ** (France 1992) : Un documentaire valide avec ses moments d’inepties, spécialement avec les enfants où les débordements d’emphase molle et d’abandon du montage causent des torts. Quand le film évite cette déchéance, la mise en scène est de bonne facture voire recommandable dans le domaine ; les interview face-à-face, dans un cadre apparemment informel, donnent une bonne impression et des scènes propres, pudiques et synthétiques. À l’occasion on apercevra les profs de souche humanitaire et devinera tout ce qu’ils ont de répugnant, à la fois mielleux et sentencieux, comme ces curés minables et ces gardiennes pathétiques dont ils ont volé la fonction. Je recommande plutôt Le pays du silence et de l’obscurité signé Herzog. (56)

Flesh Memory ** (2018) : Moyen-métrage ou quasi long puisqu’il est proche en secondes du seuil des 60 minutes. Des lourdeurs maniéristes, qui blasent a-priori et paient à l’heure de clore. Ce documentaire a les qualités du voyeurisme dans un contexte où celui-ci n’a rien de tabou – la fille se livre sans problèmes, indifférente. En même temps l’exercice est carrément gratuit et stérile, les apports trop personnels pour ‘dire’ quoique ce soit de la profession ou des activités. Une série d’aperçus chez des cas différents aurait été plus bénéfique (de toutes manières la tentative de portrait même indirect doit être vaine avec des individus dans le style de cette femme, qui n’a rien à ‘lâcher’, ce qui fait justement son talent). Projeté dans un festival bordelais et crédité comme français, mais issu d’un réalisateur français qui tourne toujours à l’étranger (cette fois au Texas). (48)

Seuls sont les indomptés ** (USA 196) : La qualité et la sensibilité sont indéniables, mais ce film est tout sauf un modèle. Il voit les individus, un peu leur rencontre, mais n’est que sentimental et vaguement idéologique face aux tendances en cours. L’angélisme du gars est la première stigmate de cet idéalisme et sa bagarre contre le manchot le summum du regrettable ; quelle brave personne aux belles valeurs qui ne mènent qu’à l’échec. Pourquoi en est-on là, pourquoi ce type patauge-t-il dans l’irresponsabilité ? Le film ne saurait y répondre car il ne voit pas comme est son protagoniste. Il préfère le romantisme et au travers de cet homme vaillant mais auto-destructeur, portraite une sorte d’humanisme en train de se gripper. La révolution individuelle est la plus belle mais elle est, pas vaine, peut-être pas carrément impossible, mais improbable en tout cas aujourd’hui. Une jolie séance pleine de sentiments contraires et d’élans contrariés, représentative des erreurs fondamentales de jugement des gens de ‘bonne’ volonté en son temps. (62)

Mort d’un commis voyageur *** (USA 1985) : Adaptation de la célèbre pièce, confiée à Volker Schlondorff. Fort émotionnellement et original dans la forme, bien que l’écriture laisse des trous noirs ou des approximations (probablement de ces malheureuses ‘ouvertures’ à discussions et projections – concernant le passé commun, les liens sales entre ces membres de la famille, le véritable nœud du mal) et surtout que le démarrage incite à la prudence. J’aime beaucoup le réalisateur pour Le Faussaire et Le Tambour, mais sa mise en scène est rarement ‘grand angle’ et avec un tel legs elle l’est d’autant moins – soignée mais claustrée et artificielle. Cette fois elle l’est ouvertement avec les nombreux fonds voyants, mais aussi les interprétations appuyées, affectées ou carrément satiriques – à l’occasion des écarts digne de Guy Maddin. L’approche fonctionne dans l’ensemble mais l’impuissance à se dépatouiller des affres de sa débile existence concerne le film et pas seulement ses sujets – même si tout le monde s’en tire avec des performances flamboyantes ou qui ont le mérite d’attirer la curiosité, ou un dépit froid mais ‘soutenu’. Le personnage de Malkovich ou du moins sa façon de jouer sont ‘too much’ mais d’une façon doucereuse qui contrairement à celle de Dustin Hoffman, hystérique, est loin de remplir l’espace ou de savoir convaincre à l’usure ; par contre ce type de personnage est intéressant par rapport à d’autres qu’il a joué plus tard, comme celui du sombre roublard dans Portrait de femme, un ‘prodigue dépressif’ mieux planqué. (64)

Suggestions : Le coup de grâce, Le jour du fléau, Les raisins de la colère, Rain Man, Rencontre avec Joe Black.

Silvia Prieto * (Argentine 1999) : Du Funny Ha Ha visant benoîtement le niveau Jarmusch avec une pointe des frères Dardenne pour tirer la révérence. Décidément c’était l’époque voire l’année où il était bon de souligner à quel point personne n’est un flocon de neige unique, tout en resté scotché sur le cas par sympathie ou présumée identification – et dans le cas présent, tout en se piquant mollement du petit sort de gens ordinaires, des femmes de préférence. Les déambulations et expectatives de cette fille et de son entourage n’ont aucun intérêt et elle n’est pas seulement avare de mots, son sac comme son contenu sont pauvres, comme ses situations mi-cafardeuses mi-ronronnantes. Les auteurs de cette chose ont peut-être l’impression de mettre en avant la précarité des ‘gens’ triviaux mais n’importe quelle telenovela même sensationnaliste ou pour grabataires en montrerait davantage (et serait plus amusante). Quand on s’égare dans un concert, on se prend à douter sur ce qui semblait la médiocrité de 9 songs. C’est donc encore une de ces pourritures minimalistes sauf pour s’étaler et filmer leurs interprètes sous toutes les coutures (avec en bonus local une espèce d’humour châtré). Le cinéma latino-américain est un gros fournisseur de trucs misérables (et régulièrement prétentieux) dans ce registre, ce n’est pas étonnant qu’il n’ait de réputation un minimum solide que chez les profs et les écumeurs ‘d’art & essai’. Cette fois fut tout de même particulièrement gratiné et la nullité est si proche qu’on ne peut même pas reprocher au film des fautes ou des excès. (18)

Journal d’un curé de campagne *** (France 1951) : Une certaine idée de l’intimisme glacial, où la parole et la dette à la littérature sont importantes sans écraser le matériau ‘cinéma’. Ce curé encore enfantin, victime perpétuelle, témoigne de l’intuition de certains individus religieux à l’égard du cœur humain, ainsi que de la faillibilité de leur vocation et de leur aptitude à réparer. Encore près de la source (nous sommes 15 ans avant Au hasard Balthazar), le style Bresson est pertinent et pas encore trop jaloux de ses différences ; on peut croire voir un ‘film normal’. L’absence d’ambiance sociale guindée rend même les personnages parfaitement accessibles, familiers, contrairement aux Dames du bois de Boulogne (dont la diction de l’héroïne est devenu ‘culte’ pour ma part, sans que cela ait nuit au crédit ou à la qualité du film). C’est ma 18e découverte de l’année et en atteignant le 7/10, la meilleure – un démarrage bien tiède. (68)

La moindre des choses *** (France 1996) : Comme souvent avec ce genre de documentaire sans voix-off, aspirant à l’observation la moins dénaturée (au voyeurisme ?), on écope de séquences inutilement longues à contempler les personnes. Dans le cas présent, souvent à les écouter reprendre les mêmes termes ou discuter d’élocution. Heureusement ce n’est pas avec le filmage plat et sordide du commun des documentaires. Celui-ci s’adapte aux situations et aux cibles. Dommage que cette infiltration chez les fous soit si sage et chorale, inapte à approcher les individus en-dehors de scènes partagées, de face-à-face triviaux, ou de déambulations grotesques. Le réalisateur [Philibert] comme les encadrants sont trop soucieux d’harmonie, d’inclusion douce, de convaincre les présents comme le public que tout va bien, tout est sain – et en plus joyeux (voire poétique à l’occasion). Toute cette bienveillance ne change rien à la gratuité du tournage ; dans ce zoo on est sans doute censé voir des sortes d’enfants ou d’handicapés ; j’ai surtout eu l’impression de voir des gens qui n’en ‘faisaient qu’à leur tête’, en laissant des animaux plus sociaux essayer vainement de les domestiquer gentiment. (64)

Structure de cristal *** (Pologne 1969) : Premier film de Zanussi, dont j’ai apprécié Maximilian Kolbe mais pas pour sa mise en scène. Choix ou pseudo-choix de vie confrontés – sans éclats (même de voix). Dommage que le film s’obstine à ne pas décoller ni commettre d’écarts. (64)

Qui sait ? * (France 1996) : Documentaire de Philibert. Intrusion pas inintéressante dans une troupe de théâtre avec des ébats curieux et des discussions sempiternelles. Remises en question constante, voire pathologique, de toute habitude ou norme établie, assortie d’une adhésion critique et d’une compulsion vers le groupe : heureusement il n’est pas question de projet politique. Les sympathies exprimées et les prétentions expérimentales peuvent faire sourire – spécialement le personnage de gitane. Malheureusement tous ces flottements, ces écarts et ces ouvertures mènent à des béances gonflantes ; c’est deux fois trop long et ça devient simplement ennuyeux au bout d’une heure. À force d’être atone et non-interventionniste le film ne fait au mieux qu’accompagner des gens dans la stérilité – avec les aliénés en asile (dans La moindre des choses) l’inanité sans onanisme avait meilleur goût. (42)

Les deux anglaises et le continent * (France 1971) : Photo haut-de-gamme, inspiration revendiquée auprès de Renoir, pour une saveur esthétique à laquelle je goûte peu. Truffaut a réalisé d’autres bricolages pédants avec un sens des décors pour le moins ‘détendu’, mais il en tirait parti, que ce soit avec les jouets géants de Fahrenheit 451 ou en laissant l’accès à la confection du film dans La nuit américaine. Mais cette fois on semble être dans la quête de sublimation d’un film érotique, à la fois bon marché et bien situé, avec de savants effets de montages et des ‘médaillons’ bientôt affreusement ringards (plus à leur place au générique de La croisière s’amuse). Plein grâce à ses dialogues et ses sous-entendus, mais baveux et froid à cause de ses postures ; truc de bourgeois libertaires impuissants ayant l’infini pour finasser, habités par de grands sentiments mais désertés par l’émotion voire par toute sorte d’instinct et de vitalité. Peut-être que la seule différence sérieuse avec Jules & Jim, première adaptation par Truffaut de Roché, c’est cette absence d’élan, même si déjà c’était un film ‘affecté’. (36)

Sugarland Express ** (USA 1974) : Un des premiers films de Spielberg, après Duel et avant Les dents de la mer. Ses qualités sont déjà flagrantes, c’est limpide et rythmé, c’est riche en prises de vues impliquantes, en images jolies voire saisissantes. Pourtant à mes yeux c’est ennuyeux. L’approche se veut chaude et le rendu est glacial. Puis ces gens sont trop cons, les vieux avec leur morale comme les jeunes avec leur agitation puérile. On voit de telles personnes dans la réalité, les premières sont croulantes éternelles, les secondes des cas irrécupérables trop pauvres sur tous les plans pour qu’il y ait à s’en lamenter. Ils n’ont rien de digne ni de romantique, ni d’intense sauf leurs turbulences ; au mieux leur vocation est de figurer dans les best-off ‘white trash’ d’un reality show attardé. Spielberg sublime cette misère en nous faisant voir et entendre du pays, davantage qu’en relayant cette fameuse histoire de course-poursuite.

Cette époque pleine de films formidables et transgressifs a aussi ses faiblesses et sa face lourdingue : une candeur exubérante et ironiquement crispée, un goût de la rébellion compulsif, l’amour du démolissage des codes et de l’opposition aux ‘normes sociales’ plus fort que celui de leur remplacement. Une période ‘crise d’ado’ pour le cinéma comme pour de nombreux arts. C’est pourquoi de nombreux classiques mineurs proches du Nouvel Hollywood, du road-movie, ou leur appartenant, me laissent sceptique – voire désolé sur le fond. Sauf qu’en déboulant sur ce terrain, Spielberg ne manifeste rien du sentimentalisme pour lequel on le connaîtra si bien par la suite (que ce soit pour ET ou par ses prises de positions anti-racistes) ; on a donc un de ces road-movie avec une jeunesse désespérée mais sans la charge subversive ni la ferveur, même sale ou naine, qu’on y trouver souvent chez les concurrents. (46)

Suggestions… La balade sauvage, Tueurs nés, Monster, Christine, La tête haute, Massacre à la tronçonneuse, Les Incorruptibles, Blow Out.

Stark fear ** (USA 1962) : Intrigant et de bonne facture, soit incroyablement respectable pour un « by NWR » (les films restaurés sous l’impulsion de Winding Refn). À la fois drame sentimental adulte et film noir bon marché. Tension sexuelle permanente entre l’héroïne et les principaux hommes autour, avec toujours le poids de la hiérarchie reflétant l’ampleur ou la qualité du lien affectif. Sous influence de Psychose et Suspicion d’Hitchcock. (62)

Boarding Gate *** (France 2007) : Réalisation captivante pour un contenu assez commun et parfois proche d’un porno féminin et plus généralement d’une production spontanée (un pseudo ‘work in progress’). Sur la vie dangereuse avec ses recrues à succès (ou simplement liées au commerce), ses pourries et ses fantômes, ou les trois mêlés, tous portés par des motivations obscures ou évanouies. Mondialisation mafieuse et demi-heureuse. Asia Argento géniale en post-junkie épuisée en constante fuite en avant – instable jusque dans ses relations, elle peut dominer ou se faire embobiner sur la même lancée. L’écriture est pour le moins aérée, sauf au niveau des dialogues ; les gens (femmes) sont souvent à la fois pompeux, pressés et détendus, d’une façon sonnant un peu grossière mais restant vraisemblable. Tout de même trop d’explications, spécialement dans la première moitié pleine de psychologie en friche. Comme un écho sobre et clair au cinéma d’Abel Ferrara, de plus en plus accablé par la drogue à cette époque (celle de Go Go Tales). Ce film pourrait être encore plus plat que Demonlover avec une autre protagoniste, mais il garderait sa radicalité formelle – à côté de laquelle on peut tranquillement passer ; simplement pour ma part c’est la meilleure expérience avec le cinéma d’Assayas, ce monde-là et surtout ce rapport-là pèsent davantage à mes yeux que ceux d’Irma Vep – et Demonlover avait cette manie de préférer la proximité au polar à celle de ses personnages, donc à créer des obstacles sans intérêt. La VF donne un effet grotesque et rapproche définitivement du feuilleton estival accompagnant les comateux du matin. (64)

Suggestions… The Canyons, Le deuxième souffle, Black Coal, Only God Forgives, La reine Margot.

Dazed and Confused/ Génération rebelle ** (USA 1993) : Mise en scène alléchante pour un contenu ennuyeux – moins si on est adepte de Tarantino, qui lui-même adule ce film paraît-il. Sait se tenir malgré son sujet mais n’a pas la richesse émotionnelle ni la saveur ‘authentique’ de Breakfast Club. Une des images principales du site Mubi est puisée ici (Matthew Conaughey avec trois autres mecs pendant qu’il joue au vigile). (58)

Imitation of Life / Images de la vie ** (USA 1934) : Bien aimable et assurément précoce, mais assez douteux malgré son volontarisme ‘inclusif’. La noire reste une benête, s’avère incapable de défendre son intérêt et d’élever par elle-même son standing alors que le meilleur est à sa portée, pour ne pas dire offert – au moins elle est l’outil de ce succès ! Donc l’écrasant regard caméra accusateur est des plus inconvenants, puisque ce film entretient aussi le matériel de la discrimination. Nous sommes dans du paternalisme progressiste, acquis aux valeurs de la libre-entreprise, du capitalisme bien compris et bien sous tous rapports. Nous sommes dans un film de l’ère ‘du code’ et dans l’inconscience généralisée, même quand les sujets sont graves – d’ailleurs sur la honte de la fille blanche d’une femme noire, il n’y a aucun progrès, même pas lors de la scène d’enterrement. Un film bien statique y compris face à de grands changements, d’où les événements sont absents ou pour le moins aseptisés et survolés. Le remake de Douglas Sirk est supérieur sur tous les plans parce qu’il normalise la situation, sans sermonner, simplement en admettant que cette union puisse être normale et saine, avec une individualité noire et pas une brave femme à demi grotesque. Le miel de Mirage de la vie apporte plus de dignité et de crédibilité à cette affaire. Enfin ce film de racistes anti-racisme (de style et d’orientation ‘libérale’) présente de belles qualités, se regarde et attire facilement la sympathie, a une certaine hauteur de vue malgré tout. (56)

Retour en Normandie ** (France 2007) : Retour sur les lieux et auprès des acteurs de Moi Pierre Rivière dont Philibert fut assistant réalisateur (sa première fois). Ce que disent les gens n’est pas nécessairement intéressant et encore moins structuré ou dégrossi, mais l’intrusion vaut le coup ; on a pas l’habitude de voir de telles réalités sur pellicules, largement plus ordinaires et pourtant encore plus rares que celles des patients psychiatriques (sujets de La moindre des choses). (62)

Ice Storm *** (USA 1997) : Ang Lee à la tête d’un casting colossal et disparate (où Sigourney Weaver joue une pouffe amère et égoïste mais résolument adaptée, quitte à professer du catéchisme). Sur la tristesse de la reproduction des mœurs et les murs intimes que se prend la petite-bourgeoisie américaine – à l’époque d’une révolution sexuelle déjà liquéfiée en nouveau conformisme décevant. Peut-être un peu trop banal effectivement. Le coup final, excessif et inutile, tire le film vers une espèce de passion de dépression et de compassion génératrice de peu de bénéfices. Produit typique des années 1990 (jusqu’aux costumes) censé se produire dans les seventies. (66)

Suggestions… De beaux lendemains, Smoke.

Clockers ** (USA 1995) : Du Spike Lee routinier avec Harvey Keitel en blanc aidant de service. Musique cool mais le contrepoint et le random à ce point deviennent ennuyeux passé une demi-heure. Théâtral et pauvre, insignifiant à terme malgré la force du style. (54)

Wolf and Sheep ** (Afghanistan 2016) : L’idéalisation de cet état de vie ‘modérément’ primitif et les saines communautés allant avec se prend un démenti. Le capitalisme et la corruption des médias sont loin mais leurs mesquineries et effets pervers supposés pourtant sont présents – les enfants sont impitoyables, un bœuf vaut réparation pour un fils éborgné. Documentaire semi-dramatisé (par exemple pour matérialiser la louve kashmirie déguisée en fée verte à taille humaine) sans intérêt solide pour le reste. Présenté sur Mubi sous le label « La quinzaine des réalisateurs ». La réalisatrice est afghane mais les crédits partiellement danois. (46)

The Spoilers / Les écumeurs * (USA 1942) : Western de salo(o)n où le casting tire des trognes grotesques et pompeuses pendant près d’une heure trente. Effet Dietrich ? Heureusement hors du couple de tête et des phénomènes de foire l’interprétation est posée. Le film est décemment dialogué mais l’histoire insipide et le trait toujours ultra-lourd (ce qui choquera avec la servante noire dont même le ‘black face’ n’altère pas la bonne humeur). Heureusement une grosse scène de mêlée vient remettre à niveau cette ‘aventure’ (mais forcément Wayne en sort à demi-vainqueur avec une dégaine encore plus fausse et ennuyeuse). (38)

Nénette ** (France 2010) : Quasiment un moyen-métrage. Travail sur la bande-son, avec la succession d’intervenants spéciaux, de visiteurs ou passants et quelques musiques (inhabituel chez Philibert – celles en générique sont crispantes). Pas de visages humains (mais des laïus diversement comiques), seulement les orangs-outangs dans leur espace, généralement derrière la vitre. On apprend que les orangs-outangs sont placides, pas du tout vocaux contrairement aux chimpanzés et on les voit sourire ou tirer des bouilles irrésistibles. (62)

No * (Chili 2012) : voir la critique. (32)

Maggie * (Corée du Sud 2018) : Original mais pas explosif en-dehors de sa bande-son. Les auteurs sont probablement dans les grandes ‘largesses’ au point d’oublier des pistes narratives, pourtant il n’y avait pas de quoi se sentir engloutis ou emmêlés. Un film plus à sec qu’absurde ou juste concernant les relations humaines. Comme d’habitude l’expectative soignée l’emporte sur la poésie mais cet essai-là semble à peu près aussi sincère que possible. Le cœur de cible est probablement les filles bien ou normalement éduquées et formatées qui se trouvent bizarres. (42)

Pillow Talk / Confidences sur l’oreiller *** (USA 1959) : Je n’attendais rien de ce film, après cette rafale de médiocres et de mauvais sur MUBI et étant tiède envers ces comédies guillerettes des années 1940-60. Cette bonne comédie romantique, certainement au-dessus de la moyenne de tout le secteur et en toutes époques, doit beaucoup à son couple. Sans Rock Hudson et Doris Day, acteurs charmants dont les personnages le sont presque autant, ce ne serait peut-être qu’un film amusant et bien écrit, sans construction ni tours spécialement brillants – clairement le suspense n’est pas sa qualité. À quelques clichés doucement datés (sur les rôles sexués, encore que le film soit dans l’ensemble équilibré, ni archaïque ni révolutionnaire, propre mais pas prude) leur rencontre fonctionne impeccablement. (68)

Agantuk / Le visiteur ** (Inde 1991) : Dernier film d’un fameux auteur indien multiformes, centré sur un vieux vagabond philosophe de retour auprès de sa famille où il diffuse une morale teintée de cosmopolitisme tiers-mondiste apaisé. Scénario minimaliste, logorrhées ‘intellectuelles’ raisonnables, discours transparent. (58)

One shocking moment * (USA 1965) : Rien à retenir hormis une scène de lacérations domestiques d’une quasi-lesbienne intégriste sur un brave gaillard au mariage poussif. Il y a de la tension chez les personnages et les acteurs sont bons pour la rendre, tout le reste est proche du niveau zéro, spécialement la narration. Scènes à deux de tension et seins nus s’accumulent en tâchant de titiller le conventionnalisme de l’époque ; vu un demi-siècle plus tard, reste de l’agitation lubrique et des turbulences vaines, dans un contexte de sous-bourgeoisie un peu moisi. (28)

Panique au village *** (Belgique 2009) : Hystérique, usant ou grisant ; une succession de grands moments d’absurdités et de débilités. Vu des bouts du film ou de la série à l’époque. Comme je découvrais et que ça relève d’un genre qui vous ‘passe’ dessus – ou devant, je n’ai pas gardé de souvenirs clairs. Je recommande fortement mais avec avertissement : ça peut fonctionner merveilleusement si vous appréciez les cartoons, les cris, à la limite la ‘folie’ légère et expansive ; sinon ça peut être une torture et vous laisser dubitatif concernant tous ces spectateurs et critiques si complaisants pour une création ouvertement idiote. Malgré un moment difficile j’ai trop ri pour tomber ailleurs que dans la première catégorie. Je suis fan du débit du paysan (Poelvoorde) et du personnage Cheval. (72)

Missing – Porté disparu *** (USA 1982) : L’aspect surréel d’une dictature et d’événements violents, leur toxicité si radicale qu’elle en devient non banale mais ‘normale’ ; avec la sublime musique de Vangelis cette situation éprouvante, avec sa faculté à tout remettre en question ou ‘à plat’, en devient presque magique. Le tandem d’opposés est des plus judicieux : deux idéalistes sans idéal ou inversement, reliés par le disparu. Costa-Gavras est connu et reconnu en tant que cinéaste politique qui s’est attelé à de vraies affaires, mais c’est en passant au-delà des seuls dossiers, en osant l’émotion, qu’il livre le meilleur. (68) 

Kaili Blues * (Chine 2015) : Film sophistiqué et vaporeux à deux de tension comme ce coin en produit en abondance et comme Mubi aime les relayer. J’ai pensé notamment à Postcards from the zoo et à divers titres des cinémas thais et indonésiens. Celui-là a eu la chance ou le génie d’être acclamé dans les festivals et lancé internationalement. C’est sa seule spécificité éclatante à mes yeux, hormis en terme de proportions : l’influence bouddhiste et les paysages sont particulièrement obèses ce coup-ci. Cette séance est une perte de temps avec de longues déambulations nébuleuses et des moments de vie traversés significativement par aucune autre force que l’inertie. J’ai apprécié les moments où la caméra semble s’émanciper mais ne suis pas client des expériences d’hypnose, surtout s’il s’agit de miroiter l’onirisme alors qu’on est simplement invités à planer ; de la même façon on doit oublier pour se mettre en position de convoquer des souvenirs hypothétiques ou être totalement réceptifs au présent, or on est simplement en train de faire table rase de toute obligation ou volonté humaine, spirituelle ou même naturelle un peu vive ou divergente. C’est normal : s’il en remontait, on sentirait obligatoirement l’inanité de l’expérience et la dimension parodique du genre d’extase et de libération qu’elle postule. (32)

Les diamants de la nuit * (Tchécoslovaquie 1964) : Typique voire caricatural dans le genre indé total, centré sur des prisonniers pendant la seconde guerre mondiale. Fausseté malaisante à les voir déambuler dans les bois, jouer les hagards et les affamés, supposément souffrir. Une scène autrement éloquente : celle à la fin, lorsque les victimes ont été capturées, dans une grande salle où les gars de la troupe mangent bruyamment (le film est plein de sons hypertrophiés), puis s’enjaillent sur un petit air d’accordéon (?). Des moments de divagations, où l’esprit d’un des deux fuyards esquive l’horreur présente ; à son meilleur, c’est un ancêtre laconique de ces choses sophistiquées, creuses et lourdingues comme It comes at night. (38)

The prowler / Le rôdeur ** (USA 1951) : Assez audacieux mais m’a semblé sous-développé. Malgré la gravité de l’ambiance, les situations restent faibles et le point de vue reste externe, presque tiède. (62)

Monika *** (Suède 1953) : Fin et implacable. Débuts entre le néo-réalisme italien et une hypothétique ‘Nouvelle Vague’ lisible et consistante. Mise en scène sobre, ponctuellement douce et ‘passionnée’, centrée sur une gourdasse moderne et son tout aussi jeune amant en train de brader sa vie. Hédonisme à courte-vue des cousins défaits de Jules & Jim et toute la clique des consuméristes bohèmes et des pré-soixantehuitards. Ils sont réellement dans l’évasion mais les impératifs du ‘réel’ sont encore là et ramènent finalement à ceux de la société. Même lorsqu’il finit par frapper le garçon reste le faible du couple (un couple d’ado-enfants dans un monde d’adultes), écrasé par l’intempérance de sa petite conjointe pulpeuse. (76)

Domicile conjugal * (France 1970) : Antoine Doinel de Truffaut avec Jean-Pierre Léaud. Pas d’avis, que de l’ennui mais strictement poli. C’est manifestement très auto-référentiel or j’ai ratés Baisers volés. De toute façon je suis allergique à ce genre de simagrées, cet existentialisme et cette loufoquerie de zombie des quartiers ‘typés’ parisiens. C’est indéniablement original, pas prévisible comme Les deux anglaises et le continent, mais le flot de réflexions creuses et d’outrances tièdes me semble simplement stérile (avec ou sans connotations culturelles) ; et cette façon de se frotter à l’exotisme ou l’inattendu m’apparaît comme des plus aliénées (on ramène l’imaginaire et le sens de l’aventure aux besognes, on peinturlure naïvement les choses de la vie avec des couleurs neuves peut-être, dévitalisées et laides certainement). Quand à cette façon de représenter et d’approcher les femmes, elle laisse dubitatif (même si à ce niveau de candeur et de doux crétinisme les féministes auraient tort de s’emballer) ; apparemment elle était courante à l’époque parmi les mâles châtrés mais pas moins affamés, tout pleins de ‘science infuse’ & de Nouvelle Vague. (34)

The Palm Beach story / Madame et ses flirts ** (USA 1942) : Pas puritain en esprit (on parle de sexe et d’argent) mais rien d’intime, de privé, de troublant ou d’ambigu. Et bien sûr rien de notable visuellement hormis les pitreries et les costumes soignés de chacun. Pour les amateurs de ces comédies loufoques ; pour les autres, rien à en attendre. (44)

El despertar de las hormigas / The awakening of the ants ** (Costa Rica 2019) : Si vous cherchez du cinéma entièrement féminin, ceci est pour vous. Le focus sur les ‘petites choses’ et le contact avec la réalité, l’appropriation hédoniste et sereine de son environnement, l’insurrection contre l’enfermement dans un destin social et sexuel, peut avoir son charme, susciter la complicité, ou radicalement mais poliment ennuyer. Pour le peu qui en dépasse ce n’est que simplisme : le mari fait du foot et du bricolage, elle, son ménage, elle est seule et dévouée, la vie domestique est un peu pénible, la baise pour elle est éprouvante voire gentiment morbide. En général dans ces films consacrés à la condition féminine, le ton est compassionnel ou agressif, parfois les deux, cette fois c’est la première exclusivement ; on est assez proche de Jeanne Dielman avec l’évasion au lieu de la violence. Que les enfants soit deux garçons et non deux fillettes aurait été intéressant ; comme dans Les conquérantes, on aurait sans doute vu ces germes corrompus du patriarcat en train de l’asservir jusque dans l’intimité de sa cuisine ! Mais ils l’auraient été en toute innocence – car tout le monde est bien bête et innocent là-dedans. Heureusement l’optimisme prévaut ce qui permet de passer les coups de durs et les sensations de solitude ; aussi d’éviter la hargne débile et l’auto-destruction. (48)

Selfie * (Italie 2019) : De braves musiques ou joyeusetés sonores et des moments plus ‘poétiques’ mais aussi plus sérieux dans la seconde moitié ; ça reste une idiotie qui ne nous apprend rien sur la mafia et le climat social, si peu sur ces rues de Naples ou la vie dans cette Italie (des peccadilles sur la fatalité ou les déterminismes sociaux, les divertissements et fascinations bling-bling des jeunes). Prenez un reportage, un laïus sur Whats App, un filmage en mode automatique digne des spiritueux d’Asie du Sud-Est mais focus sur des rues dégueulasses et des cuisines filmées à mi-hauteur. Réduisez l’intérêt de chacun à néant : pas plus que les babioles, toujours en gardant les deux bonhommes dans les parages. Instillez la platitude et la prétention aveugle à la véracité du film humaniste expérimental de festival. Cela donne cet essai moche et futile. N’importe quelle compilation d’extraits vidéos merdiques sur YouTube apportera plus de sens et de perspective sur le sujet que vous voudrez – ou à peu près autant si comme le réalisateur de ce film vous n’osez pas trier. Les gens dans ce film ne sont pas antipathiques. Néanmoins quand je vois que ce film atteint 8,7/10 avec 2.170 votes sur Mubi se barrer n’est plus une option. (28)

Guilty Bystanders * (USA 1950) : Film noir charmant, soucieux de la tenue de ses rares personnages et de ses rares décors ; mais un film à la musique peu inspirée et envahissante, tourné à huis clos avec des moyens incertains, au développement laborieux, où tout est forcé et l’intrigue particulièrement bricolée, où l’interprète principal manque d’authenticité et de crédibilité. (42)

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Autres Mini-critiques :  13, 12, 11, 10, 9, 8, 7654321 + Mubi 6, 5, 4, 3, 21 + Courts 3, 2, 1 + Mubi courts 2, 1

THE LIGHTHOUSE ****

24 Déc

4sur5 Je suis probablement près du cœur de cible et comme The Witch ce film met sur la table une esthétique et des éléments significatifs, à défaut de l’être lui-même [simplement par ce qu’il jugerait ou raconterait]. Dans les deux cas les qualités ne sont pas simplement plastiques – elles sont viscérales au point de rendre des lenteurs objectives bizarrement réjouissantes. Cette fois, isolé sur notre phare, l’anxiété se passe de culpabilité, le plaisir y compris celui de l’amertume et de la fureur toute prête à s’épancher sont immédiats. Il faut passer la crainte d’un film arty éculé, ce dont il relève modérément (ne serait-ce que par le noir & blanc gratuit), spécialement au début où la photo en extérieur a typiquement le goût de ces productions amateures sous stéroïdes/festivalières.

Pour l’essentiel ce sera esthétiquement ravissant, limpide et ténébreux, capable d’écarts bénéfiques. Le vécu intime du duo est assez profond, les dialogues excellents – succulents lors des engueulades de la seconde moitié. On trouve un brin d’humour peut-être par prudence ou envie d’humilité pour compenser avec un emballage prétentieux vu de loin (et dégonfler les envolées des deux allumés). La fin est lâche donc décevante mais c’est naturel d’esquiver ainsi après avoir voulu porter loin dans la fantaisie ou les désirs enfouis. Même si le focus est sur l’envie prométhéenne ou simplement un égoïsme un peu romantique ou trop goulu pour un simple homme, ce qui est convoité aussi a de la valeur, pour nos yeux, nos oreilles et nos cervelles ; si c’est pour en rester sur le commentaire désolé face à l’impuissance et aux limites humaines, ça ne fait qu’ajouter la sienne et faire écho à des sermons et des œuvres dépressives qui ont déjà sublimé le message ou simplement saturé le secteur.

Ce serait ironique de sympathiser avec les transgresseurs pour décréter finalement qu’ils étaient sur une voie toxique – ou alors ne reste que la banalité et la souffrance stupide mais vivifiante, pour lesquelles on est condamnés mais aussi condamnés à ne pas trouver de valeur. Malgré cette absence d’aveux concrets, la facilité de la conclusion et donc une certaine vacuité dans laquelle beaucoup de projections pourront s’engouffrer, le film et même son scénario restent assez riches, avec des inspirations ou des illustrations au caractère pur, ‘évident’ et brillant – sur des thèmes humains comme la mythomanie, l’obstination ou le masochisme et plus encore dans le style via tout l’héritage expressionniste ou mythologique, ou la récupération des imaginaires liés à la mer et aux univers lovecraftiens.

Note globale 78

Page IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… Eraserhead + Dagon + Midsommar + L’Antre de la folie

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