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HABEMUS PAPAM –

28 Août

À travers cette papauté en déconfiture on sent l’expression d’un blues démocratique. C’est comme si cette volonté de désacralisation s’auto-invalidait fatalement, que la volonté de s’en prendre à l’autorité était devenue aussi sénile et débile que sa cible. La présentation de ces hommes d’Église et même de l’héritier de Saint-Pierre comme des papys routiniers, faibles ou simplets, instille un climat un peu absurde et lénifiant. C’est censé être une comédie piquante et compassionnelle, on assiste à une démonstration engourdie et pataude ; hormis le fantasme de progressiste étroit ou d’anticlérical vieillissant, il est difficile d’y trouver une quelconque motivation – sinon la revendication bizarre d’une joie piteuse à l’égard d’un pouvoir évanoui et de l’horizontalisation des rapports humains.

Mais le fond est trop mesquin. Qu’un pape soit une petite personne avec des envies enfouies et de la fatigue est recevable, mais qu’il soit présent exclusivement à la médiocrité, à l’ordinaire, ou à ses souvenirs et ses rhumatismes, tandis que sa religion et son esprit sont à ce point absents, est dans tous les cas délirant. À l’égard de ces hommes et de leur incarnation d’une institution fantomatique, le film semble avoir pour seul cap clair de ridiculiser, ou simplement tenter l’humour – avec cette ‘vibe’ à la fois agressive, obtuse et insipide propre aux gesticulations de Moretti, toujours prompt à accuser en jouant à celui qui doit partir et n’a donc pas le temps d’étayer. Nous sommes aux antipodes du Young Pope de Sorrentino, encore plus brutalement sceptique concernant la santé et l’intégrité du Vatican, mais qui, par fascination esthétique et par inclusion pragmatique [ou simplement considération des impératifs, opportunités et privilèges d’élites d’une cité-état par exemple], donne à voir une décadence catholique autrement pertinente – et tout simplement, malgré le mélange de déviance et de complaisance, réaliste.

Toute cette platitude servait mieux Mia Madre avec sa réalisatrice en plein réveil, mais aussi parce que le ressentiment et la vanité y étaient davantage mis à distance ; ou bien j’ai encore essayé de me convaincre de l’honnêteté de ce que produit Moretti et il ne m’aura pas trop ennuyé (La chambre du fils) ni lassé qu’avec ce film-là, ou son documentaire sur l’élection interne du Parti communiste italien en 1989 (La Cosa).

Note globale 28

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Suggestions…

Les-

  • La méchanceté débile sous les apparences de la bonhomie relativiste.
  • Plat, laid, triste.
  • Paradoxalement plus improbable que Young Pope.

THE INTRUDER ***

20 Mai

Film politique donc atypique de la part du bisseux Corman, en tant que réalisateur (alors attelé à la confection de l’improbable Créature de la mer hantée et surtout à son cycle Poe avec L’enterré vivant). Nous sommes quelques années avant les rafales massives (avec en tête Dans la chaleur de la nuit en 1967) mais il y a encore peu de films sur la ségrégation (The defiant ones aka La chaîne en 1958). Celui-ci est un film de blanc, pas charlie-charlie, pas débile, même largement lucide, pas paternaliste à l’égard de ceux qu’il défend (mais ne donnant aux noirs qu’une faible part d’exposition et d’expression) ; simplement candide, manquant de perspective historique sérieuse, enchaîné à une conscience raciale médiocre qui ne permet pas de voir au-delà des disharmonies présentes et de vouloir aplanir la table.

Néanmoins c’est prenant et sur le plan humain assez génial. Malgré un certain grotesque pour les anonymes voire pour les principaux, les personnages sont multidimensionnels, représentés au-delà de la morale, embarrassants pour la cause propre du film (comme dans le réjouissant échec Scandale/Bombshell). L’orientation politique et l’idéal sont flagrants, mais ne servent pas une chape abrutissante, ne deviennent pas un outil punitif ou simplement écrasant. Les caractères se révèlent sans devenir aberrants : comme dans les meilleurs moments dramatiques, ils s’affinent brutalement, redeviennent entiers et sincères sous la pression. Notre salaud est une pieuvre narcissique mouton VRP d’abord, tribun ensuite, loup perdu au fond. Il y a chez ce type une déraison vivifiante, ou simplement séduisante ; son respect des codes et sa politesse s’évanouissent pour laisser place à une individualité affirmant ‘tout haut ce que chacun pense -ou ressent- tout bas’. Il pousse à la faute celles et ceux qui n’en peuvent plus de se contenir et d’honorer le consensus ; ceux qui respectent leurs serments et la loi mais en crèvent doucement.

Malheureusement ces vertus contradictoires ne suppriment pas les défauts de fabrication : le cadre reste limité sur tous les plans, tout se passe ou semble se passer en une poignée de jours et la situation change drastiquement en un clin-d’œil à plusieurs reprises. Le sacrifice probable de l’incendie d’Église et la mort du prêtre, quelquefois évoqués et laconiquement montrés sur la copie distribuée par Carlotta (diffusée sur arte), n’aident pas [à garantir l’irréprochabilité de la seule narration ; mais la démonstration n’en est pas gênée, au contraire elle s’épargne un excès] – effet d’une censure, des petits moyens (responsables de cette conclusion sous la balançoire ?) ou bien cette séquence a simplement été bâclée en raison des ambiguïtés du tournage dans une ambiance sudiste authentique ?

Et surtout l’alchimie repose sur un mélange de cheap et d’intelligence, des considérations générales toutes en distanciation mais un lot généreux d’amalgames des ‘mauvaises’ orientations. Finalement l’incapacité à entrevoir la vérité du camp honni l’emporte comme dans n’importe quelle pensée ou production militante commune ; en contrepartie pour tenir cet angle mort à sa place, The Intruder compte sur la déresponsabilisation des gueux et un beau transgresseur pour diable. Comme toute bonne œuvre progressiste ou complotiste, elle prétend que les succès d’un ou de l’autre ‘camp’ ne peuvent être dues qu’à des arnaques ou des accidents mais pas des formes inférieures d’humanité (ou d’une infériorité essentiellement ‘éthique’ ou de surface, culturelle à la rigueur) ; l’évitement de ce biais courant atteste d’une générosité humaniste.

Note globale 66

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Suggestions… Naked Kiss/Police Spéciale + Mississippi Burning + Naissance d’une Nation + Blackkklansman + Body Snatchers

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LE DEJEUNER SUR L’HERBE =+

22 Fév

Le retour de la Nature, le rappel des douces passions et besoins, la confrontation au bon sens populaire ou traditionaliste des provençaux et les manipulations de la fin, sont un peu lourdingues – même si le premier participe aux qualités picturales remarquables, ressemble à une fuite de Blanche-Neige apaisée ou revigorante après la tempête. Ce qui m’a davantage intéressé est le portrait d’Étienne Alexis et son entourage : un establishment progressiste et européen, de scientistes cherchant à améliorer la race, une élite planant loin au-dessus des considérations vulgaires ou de celles de la chair, quoiqu’elle rappelle de bons souvenirs et de joyeuses transgressions sous couvert de religion. Vu le programme et l’identité politique de ces visionnaires, ce Déjeuner sur l’herbe serait intéressant à ressortir aujourd’hui. Entendu, il causerait des petits malaises et des dissonances cognitives – et comme Pasolini ou Orwell a-posteriori, il pourrait être récupéré par les réacs plus ou moins romantiques, plus ou moins honnêtes.

Dommage que le film soit sur-écrit, ce qui contredit sa posture (mais l’enrichit massivement), dommage aussi que certains interprètes semblent des transfuges de Bresson – ou plutôt sembleraient car il n’y a ici que de la vie corsetée, la gouaille et le contenu n’ont pas été vidés. Comme farce il m’a davantage interpellé par son style et ses manières – j’étais peu sensible à son efficacité comique. Au final je ne suis pas un adepte de la sensibilité portée par le film ni de sa réponse ‘humaniste’ et ‘pro-sentiments’ au scientisme et à ‘l’empire’, sauf dans sa valorisation de l’élan vital dont il saisit la permanence ‘révolutionnaire’ ou du moins la force libertaire ; mais sa critique d’un paternalisme technophile est estimable et il identifie les meilleurs vecteurs de la suppression de la vie privée, de l’autonomie des corps et des esprits (les défenseurs de l’âme ont même un temps de parole). J’apprécie également ses efforts de réalisme dans la représentation du contrôle social et de ses agents politiques et technocratiques. Et Renoir arrive à montrer la confiance idiote du peuple sans le rabaisser, en comprenant les enthousiasmes, les naïvetés, les espérances – peut-être parce que lui-même, ou du moins son œuvre, a la faiblesse de croire en l’adoucissement de l’adversaire et à l’inéluctable triomphe de ses préférences.

Note globale 68

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Suggestions… Paradis pour tous + Mille milliards de dollars + Le fantôme de la liberté 

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SISSI =-

20 Sep

Les jeunes années d’une reine révélait aux européens Romy Schneider (issue des ‘heimatfilm’, des productions folkloriques allemandes), la trilogie Sissi va la conforter dans son rôle d’aristocrate taillée pour les jeunes filles, les ménagères rêveuses et les ravis de la crèche. Les ingrédients et références sont identiques : leçons pour [futures] femmes respectables, luxe et tapisseries, identité masquée des deux tourtereaux royaux, les grandes affaires de l’Histoire sous filtre ‘intime’ et rose bonbon, le tout sous la houlette de Marischka. Comble du décalque, des acteurs communs campent des personnages équivalents. Le premier opus de Sissi s’avère simplement moins confiné, son prédécesseur et les deux suivants se déroulent davantage au sein des palais.

Il offre une vue typique mais spécifiquement féminine du traditionalisme naturalisant (et romantisant) l’ordre social durement établi pour mieux le justifier. Tout est déjà écrit et installé – mais tout de même il faut placer Sissi, en général et dans sa rencontre avec le prince, en posture ‘spontanée’ ; comme si leur position et leur relation n’était pas due aux convenances, mais pré-déterminée. Les légitimités naturelle et sentimentale sont mises en avant pour omettre et donc ne pas trop questionner celles sociale et politique. En bons conservateurs accomplis et non ouvertement fanatisés, on chérit de petites ‘permissivités’ et ‘outrances’ : pour les membres de la noblesse, cela signifie s’abaisser à ‘mettre la main à la pâte’ – quasiment à travailler – au fil de son envie seulement, tout de même pas en endossant le ‘devoir’ qui revient aux autres classes. Ainsi Sissi sert les chevaux, papa cultive ses affinités avec la forêt.

La platitude excessive ne gêne pas la projection et les sentiments niaiseux, mais pour un public éloigné dans le temps, pragmatique ou masculin, la séance risque d’être rude. D’autant que la tension est nulle, alimentée par un scénario sans complexité, conflits ou contradictions – hormis cette maldonne autour de Sissi et Hélène ainsi que les timides états d’âme de la première. Les concurrents contemporains en costume sont creux aussi mais savent généralement mieux doper les aventures, voire resserrer l’écriture – comme le ‘très moyen’ Prisonnier de Zenda. Le film marque des points grâce aux excellents décors [naturels] et à son aspect ‘chiffons’ haut-de-gamme. Le renforcement par la technique Agfacolor est particulièrement manifeste lors d’une scène où des femmes en robes verte, bleu nuit et rouge discutent cote-à-cote.

Note globale 42

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Suggestions… 50 nuances de grey

Les+

  • décors et costumes
  • Schneider et certaines interprètes

Les-

  • plat et laborieux
  • dégueulis de niaiseries

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IT’S A FREE WORLD =

5 Jan

2sur5 Le point de vue est volontiers niais et abusif : elle refuse d’embaucher un iranien car sans-papiers, c’est forcément à sa charge, une preuve de son évolution vers le monde sombre. Elle a à peine commencé avec son nouveau ‘statut’ que son fils cogne à l’école : braves gens, le capitalisme libéral détruit aussi les familles ! Si le gamin a mal agi, c’est car sa mère s’éloigne – et si elle s’éloigne c’est à cause de ce maudit système et de la société, où la réussite et l’argent comptent davantage. Blabla.

Le grand problème avec la gauche, c’est que la corruption viendra dès qu’on sort du rang ; elle est passée dans le camp des exploiteurs : s’émanciper de la catégorie des exploités n’a pas d’autre nom. Avec ce film c’est spécialement gratiné puisque de la dénonciation des fausses libertés du monde libéral [de la compétition économique] on arrive à la dénonciation des présumées fausses libertés tout court et donc à un programme plus que réactionnaire, en fait parfaitement concentrationnaire, où tout ce qui échappe à une mobilisation souveraine n’est que souffrance et malveillance – bref, s’il énonce des vérités, ce film le fait pour le compte d’un éventuel régime marxiste autoritaire, suggérant aux petits patrons/entrepreneurs, indépendants, de lâcher l’affaire pour le bien de tous.

Mais Ken Loach sait soutenir son propos, avec habileté en plus de la lourdeur. Il pointe les rénovations illusoires de la domination – qu’une femme gueule les ordres ne les rend pas plus doux, qu’un péquenaud soit de bonne volonté et joue le jeu sans égards pour la saleté ne le rend pas plus légitime face aux mafias ni plus en position de défendre sa ‘classe’ d’origine. Quand le larbin agité montre à la protagoniste l’article de presse sur un grand patron à la sanction dérisoire – elle en déduit qu’eux, à leur niveau et moins gourmands, ne seront pas pris ; ce qu’elle oublie, c’est qu’elle n’est pas comme eux hors de portée. Cet élément, parmi d’autres, souligne une bêtise d’humains, toujours persuadés d’être plus malins que le voisin ou concurrent. Le film social se double donc d’un drame sombre et trivial, presque un thriller pathétique – sa part efficace, malgré la surenchère et le cheap (les propos d’Ange lors des recrutements, les circonstances de l’enlèvement sont tachés de grotesque involontaire).

Note globale 52

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Suggestions…  Moi Daniel Blake, Kes, Family Life, Ladybird

Scénario/Écriture (5), Casting/Personnages (6), Dialogues (5), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (5), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (3), Ambition (7), Audace (6), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (6), Pertinence/Cohérence (5)

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