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CLEOPATRA (Gaskill 1912) =-

8 Oct

Helen Gardner connaissait la gloire au théâtre lorsqu’elle a fondée (en 1912) sa société de production, la Helen Gardner Picture Players (c’est probablement la première actrice à agir de la sorte). Elle y a tourné une dizaine de films en confiant la réalisation à Charles L.Gaskill ; parmi ceux-là se distingue Cleopatra, adaptation d’une pièce du français Victorien Sardou (dont Lubitsch tirera son Uncertain feeling/Illusions perdues).

Très long pour l’époque (87 minutes, ce qui l’inscrit parmi les records en 1912), Cleopatra est un pion ambitieux dans la course au péplum. C’est l’un des premiers au bénéfice des américains, alors que les italiens commencent à présenter des superproductions adoptant ce genre (Quo vadis, puis bientôt Les derniers jours de Pompéi et Cabiria), après des moyens-métrages prestigieux comme Agrippine ou La chute de Troie (1911). Malheureusement Cleopatra est encore moins concluant que l’essai de Sidney Olcott, le trop gourmand Ben-Hur (1907).

Le film respecte le cadre théâtral, le développement se fait par paliers, d’où une séance très lente voire figée. Les tableaux contiennent des éléments nécessaires à l’illusion (palmiers, pyrotechnie & co) mais les scènes d’action sont rares, il n’y a pas d’anecdotes édifiantes ni de ‘fétiches’ sortant du lot. Les interprètes sont expressifs mais au service de coquilles vides, voulues pimpantes. Les simagrées de la reine jouée par Gardner occupent une place exagérées, le traitement superficiel des enjeux leur enlève toute chance d’être porteuses de sens, amplifie mais aussi équilibre la lourdeur.

Les contrastes noir-blanc sont forts, peut-être à cause des retouches suivant la Cleopatra de 1917 avec Theda Bara, la ‘vamp’ et concurrente de Gardner. En terme d’informations le film est sans intérêt ; Astérix et Cléopâtre ne respectera pas moins les réalités historiques – il aura trop à faire et à donner avec ses fantaisies. De nombreux autres films sur la dernière pharaonne viendront, comme l’opus de 1963 avec Taylor dans le rôle-titre.

Note globale 38

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FRANKENSTEIN =-

20 Avr

2sur5 La première adaptation du roman Frankenstein ou le Prométhée Moderne de Mary Shelley (1818) est produite en 1910 (deux ans après Henderson fera celle du Jekyll de Stevenson). J.Searle Dawley la tourne en trois jours dans les studios Edison. L’heure est encore aux ‘courts-métrages’ et ce Frankenstein-là ne dure que 13 minutes. Il va donc chercher le plus fort et reprend principalement deux séquences : celle de l’engendrement et la rencontre de l’aveugle (où il termine chassé à cause de l’arrivée de sa famille). La création du monstre s’accompagne d’effets spéciaux diversement réussis, grand-guignols et surpassant le plus morbide de chez Méliès (Le diable au couvent, Dislocation mystérieuse).

Un parallèle est dressé avec la sorcellerie, conformément aux écrits de Mary Shelley, mais sans pouvoir étendre tous les remords de Frankenstein. L’agressivité du monstre reste injustifiée et théâtrale. Son allure est assez éloquente, mais plus proche du clochard sous substances que d’une image de sur-puissance. La version de James Whale (qui ouvrira une franchise via La Fiancée, complétée par Le Fils en 1960) avec Boris Karloff donnera une représentation en ce sens, avec un grand corps froid et massif, tout en soulignant l’humanité maladroite et réprimée de la créature. Frankenstein connaîtra de nombreuses autres adaptations, dès 1915 (le long-métrage Life Without Soul), notamment celle de Brannagh avec DeNiro (1995). Ces adaptations précoces de classiques littéraires sont rarement des réussites (Alice in Wonderland d’Hepworth en 1903, ou le Ben-Hur de 1907), Frankenstein se fond tranquillement dans la masse.

Note globale 52

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VICTORY **

20 Juil

3sur5 Film américain du français Maurice Tourneur, nommé Le secret du bonheur pour l’exploitation en France, Victory est une adaptation de Joseph Conrad (auteur de Heart of the Darkness, support pour Apocalypse Now). Sa nouvelle Victory (1915) sera portée à l’écran à nouveau en 1996, avec Jean Yanne et Willem Dafoe. Victory de 1919 oscille entre aventure et thriller. Il fait partie d’un courant littéraire et cinématographique prenant pour toile de fond ‘the South seas’, promettant de l’émotion et du ‘spectacle’, comme les chase films britanniques ou d’autres catégories de divertissement pur et simple – et comme la plupart des chase films, en s’adressant aux adultes et évitant la niaiserie.

Dans Victory, une femme amène ses ennuis ans un ‘paradis’ sauvage, arrachant Axel Heyst à sa torpeur chérie. Ce type insulaire (par Jack Holt) aurait pu être intéressant, mais l’accent est mis sur l’extinction du tempérament avant qu’il soit impliqué dans les événements. L’apathique de conviction se transforme en jouet plus vigoureux qu’il le souhaiterait ; un défenseur flegmatique mais dévoué et efficace. La relation entre Axel et Alma (Seena Owen) est gentille et prévisible, sur un fond pourtant spécial. Les bases du scénario, le poste ou la grande préoccupation des gens, sont pas trop typiques au départ, mais mis au service d’un dessein trivial.

Pour le reste c’est une jolie réussite, avec pour appâter le cinéphile la présence de Lon Chaney – dans le rôle d’un des chasseurs au service d’un Nosferatu aux lunettes noires. Le climat est un peu sombre, pas du tout moite, la Nature et ses émanations restent domptés. Le film fonctionne au suspense et reste prudent dans les sentiments, privilégie les caractères aux traits forts, laisse de côté la psychologie. Le spectateur au regard plus technique pourra relever le soin de la photo et de la mise en scène, l’attention aux détails, la fluidité (avec quelques surlignages, mais pas plus démonstratif qu’un film parlant au final). Maurice Tourneur connaîtra encore le succès aux États-Unis jusqu’aux alentours de 1926, puis reviendra en France où il tournera ses films parlants, comme Le Patriote ou La Main du Diable.

Note globale 62

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Suggestions… Éruption volcanique à la Martinique (Méliès)

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (2), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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NAISSANCE D’UNE NATION =+

2 Déc

Dans les vingt premières années, le cinéma est surtout un art européen, bien qu’il doive beaucoup à Thomas Edison. Les premières super-productions sortent vers 1912 et sont généralement des péplums italiens. Cabiria est le plus illustre. La première guerre mondiale amplifie le tassement de l’industrie française, alors que les suédois (comme Sjostrom) et les américains croissent rapidement. En 1915 les États-Unis d’Amérique mettent au point une première super-production, en battant un record de longueur (hors-serial ou feuilletons type Les Vampires, projeté plus tard la même année). Le représentant de cet exploit est Birth of Nation.

Pour beaucoup de commentateurs même très avisés, l’Histoire du cinéma commence (ou commence ‘véritablement’) ici. Birth of Nation est techniquement prodigieux pour son temps, mais il est massif plutôt que novateur. C’est un point culminant des origines, rassemblant et perfectionnant les procédés et les ressources déjà explorées. Nous ne sommes déjà plus au temps de l’invention pure ou de la conceptualisation ‘zéro’, y compris concernant le montage parallèle ou le montage alterné : Griffith en a fait sa marque de fabrique depuis Les Spéculateurs (1909). Avec ce second long-métrage (La conscience vengeresse fut un coup-d’essai plus modeste, en 1914) Griffith pousse à son paroxysme tous les éléments de langage visuel fondateurs pour le cinéma mondial, de divertissement et de propagande en particulier – c’est-à-dire l’essentiel du cinéma.

Ce qui frappe à la vue de Naissance d’une Nation c’est d’abord le perfectionnisme des compositions, de l’organisation. Les séquences de bataille, réduites à un passage laconique dans le livre (de Thomas Dixon) pris comme base, sont les exemples les plus bruyants ; les scènes de drames en famille sont tout aussi éloquentes. La boussole est épique, un fond de lyrisme est tapis même dans les scènes du quotidien. Le premier souci concerne les aspects spectaculaires, les façons de représenter au détriment de l’approfondissement. Les émotions individuelles ou du petit groupe sont reliées à la marche de l’Histoire. Le film est toujours en mouvement, ne laisse rien passer entre les lignes ; c’est un mastodonte creux et raffiné, étalant beaucoup les idées et situations (fortes ou au moins saturées de symboles et d’assertions), toujours avec une grande énergie ou au bord d’éclats.

Cette grandiloquence accomplie aurait suffit à conforter Birth of a Nation dans son statut de ‘chef-d’œuvre’ séminal, où il pourrait se fossiliser tranquillement mais en relief, contrairement au Vol du grand rapide et à l’instar du Voyage dans la Lune (avant sa restauration de 2011). Mais le film a toujours une vie intense et suscite encore des passions, au point d’être un catalyseur de rejets ‘a-priori’ poseurs. C’est même un champion dans cette catégorie, bien malgré lui (et plus encore que Le Triomphe de la Volonté, qui n’a pas son importance historique, ni sa source aux USA et donc pas sa notoriété). Sa valorisation du Ku Klux Klan (comme sauveur des Blancs du Sud), qu’il a d’ailleurs permis de remettre au goût du jour, est la principale responsable de cette hantise. Le racisme du film est indéniable et, comme le reste, peu étayé mais exprimé par des démonstrations ardentes.

Si le propos était plus large et analytique, par exemple pour expliquer en quoi les conditions des Noirs sous l’esclavage leur étaient préférables tout comme ce régime l’était aux exploiteurs (il y a ici les germes des réflexions menées dans Manderlay), il aurait donné plus de prise à ses laudateurs comme à ses pourfendeurs. Le film se veut une expérience affublée de lunettes subjectives, veut parler au cœur ou à la foi, aux enthousiasmes, plutôt que convaincre et disserter ; il fait voir un moment de l’Histoire par un groupe social donné, de colons blancs établis, puis introduit dans leurs fantasmes redoutés, avec une déférence qui fait connivence, mais ne jure pas par la raison. La deuxième moitié, « Reconstruction », donne une vision très partiale de cette période (1865-1877) de suspension de l’esclavage (suivant la guerre de Sécession et précédant la ‘Rédemption’), marquée effectivement par l’intégration des noirs à la vie publique. À l’écran cela se traduit par une démocratie hédoniste contrôlée par les noirs, à la gestion despotique et irresponsable.

Les conflits internes chez les noirs, généralement puérils voire pas plus valables que ceux de bêtes avinées, sont mis en exergue. La scène au Parlement est la plus grotesque, celles des danseurs est au choix bon enfant, violemment mesquine ou d’une extrême mauvaise volonté. Les noirs eux-mêmes ne sont pas conviés à la représentation de leur Histoire, au contraire d’autres fractions elles aussi mais moindrement défaites. Figurants mis à part, tous les personnages noirs sont joués par des acteurs blancs maquillés. En son temps le film provoque de vifs débats sur la liberté d’expression. De nombreuses séances sont annulées et la NAACP (défenseuse des ‘Colored People’) mène la fronde sur le plan juridique. Les protestations embarrassent Griffith qui par la suite présentera Intolerance, aux intentions humanistes, pour tordre le cou aux malentendus – ou aux vues unilatérales à son sujet, omettant la part pédagogue, compassionnelle puis carrément opportuniste (au sens vertueux cultivé chez le créateur – Cœur d’apache) de sa sensibilité.

Note globale 68

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Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (5), Audace (4), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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MAUDITE SOIT LA GUERRE =+

27 Nov

Maudite soit la guerre sort en mai 1914, deux mois avant le lancement de la première guerre mondiale (fin juillet). Il est centré sur un tandem de pilotes, amis devenant officiellement ennemis à cause d’une guerre (imaginaire) impliquant leurs pays (non-cités). Une femme, sœur de l’un et amante de l’autre, s’ajoute à cette relation et les relie encore après leurs morts. Le film met en évidences les ravages de la guerre au mépris des exigences présumées de l’Histoire. Il ne réfute pas les arguments des camps : il ignore carrément une telle notion. Maudite soit la guerre est donc pleinement pacifiste, évoque des disparus et des vie brisées, pas des héros.

Il entre en contradiction avec les propagandes d’état et les mythes militaristes, ce qui ne l’a pas empêché de connaître un certain succès en son temps et de réunir des capitaux importants (avant de devenir peu recevable à cause des circonstances de plus en plus sombres – ‘la fleur au fusil’ propre à la Belle Époque, dont l’enthousiasme caractéristique se voit ici, notamment face aux progrès techniques). L’armée belge a fourni l’essentiel de ces gros moyens. Le film utilise des ballons dirigeables et planeurs lors de scènes pyrotechniques, exhibe des outils de combats qui serviront quelques semaines plus tard. La mise en scène est très ‘moderne’ et atteste du talent d’Alfred Machin, un des premiers ‘patrons’ du cinéma belge (qui était à son apogée en 1913-14, avec La fille de Delft, Au ravissement des dames ou encore Le diamant noir – autant de longs-métrages d’environ une heure).

Quelques points techniques distinguent le film, comme la simulation de vue à bord d’un appareil ou, plus commun, un split screen (raffiné, pas établi ‘bloc contre bloc’). L’image colorisée (en majorité) à la main est l’atout le plus immédiat. Il reste le plus éloquent quand le film est décontextualisé, vu cent ans après ou simplement vu après Peckinpah (Alfredo Garcia, Pat Garrett). Car la violence dans Maudite soit la guerre reste invisible en ce qu’elle a d’humaine. Les dégâts humains physiques sont également hors-champ. La violence concerne les engins sophistiqués. Le siège du moulin montre un maximum d’égratignures et c’est pour le moins timoré. Le message saura donc prêcher les convaincus, le penchant mélodramatique pourra atteindre quelques cœur ou esprits ouverts. En revanche sur le plan viscéral ou même sur celui de la raison, l’exercice est plutôt stérile.

Ce film a toutefois une qualité réaliste et sensible digne d’un Rossellini (Rome ville ouverte, Allemagne année zéro, Europe 51) ‘light’ et pudibond, décuplée lorsque la femme jouée par Suzanne Berni est sortie de son quotidien. Sa conversion finale rapproche de l’expressivité cinglante du Moulin maudit (1909), où Machin figurait l’ampleur de la folie du protagoniste. Vers 2013 le film profite d’une restauration par la Cinémathèque royale de Belgique et est promu comme visionnaire, comme s’il avait ‘anticipé’ le conflit et son déroulement, ce qui est une fadaise. Maudite soit la guerre (War is Hell pour les anglo-saxons) est aussi le nom d’un court de Feuillade (1910), l’auteur des serial comme Fantômas et Les Vampires.

Note globale 66

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Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (5), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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