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PETER VON KANT –

6 Avr

À aucun moment cette comédie de boulevard frappée de parisianisme ne donne une vue favorable de Fassbinder. Nécessairement ses contributeurs n’aiment et respectent pas le réalisateur de L’année des treize lunes (pas digéré Querelle ?), dont ils font une folle de salon et un nanti ressemblant à des homos flasques fameux, alors qu’il apparaissait plutôt comme un crapaud et créateur mêlant ‘mauvais goût’ et lucidité cruelle (spécialement dans Tous les autres s’appellent Ali). Il se laisse mener par un type limé par tout le ‘milieu artistique’ pour parvenir ; il s’amourache comme une gamine ennuyeuse et ne sait que pleurnicher sans parvenir à culpabiliser qui que ce soit.

En admettant que Fassbinder ait été ce type ridicule et infantile, ce despote impuissant ; si on doit faire revivre quelqu’un de ridicule que par hasard ou à cause de merveilleux à-côtés on trouve remarquable, au moins vient l’envie de donner de bonnes répliques, de l’esprit, des richesses de caractère ou d’attitude… quand bien même on aurait décidé de laisser au placard son œuvre, pour laquelle il est connu. Au lieu de ça nous trouvons de l’Almodovar bon marché et un torrent de banalités, notamment lors des premiers échanges. On passe près de l’usine à mèmes grâce à une poignée de pétages de plombs et de crises savoureuses (« Mais je souffre !! »), où là encore le film est faible et donne une image minable de son personnage ; quand vient l’heure du suicide social et des injures à l’entourage, il ne sait que vomir des « grosse conne »… Enfin c’est drôle et l’enthousiasme monte un peu, conforté par le revirement du larbin autrement brutal que celui de Marlene dans Les larmes amères (dans les deux cas le maso n’attendait pas simplement que son maître soit au fond [Peter et Petra le côtoie dès le départ] mais qu’il s’abaisse à lui montrer du respect, alors que son emprise manifeste sur les autres s’estompe)… sauf que c’est fini.

Mais qu’attendre de plus d’un film où tout est si générique, avec encore de ces personnages incapables de rapports équilibrés, confondant leurs foucades et la plongée dans des états subjectifs hystériques avec de la sincérité. Il ne manque que l’évanouissement avec un « Ciel ! » et un gloussement de Ruquier pour compléter le tableau. Vous avez choisi un abonné des rôles de sociopathe pour interpréter un Besnehard en goguette=> couturier des Prédateurs de la nuit en goguette ; assumez votre envie de rire facile et régressif, laissez donc Jean-Marie Poiré prendre les choses en mains ! Et de meilleurs auteurs glisser des punchline qui manquent cruellement dans ce film où le sommet de l’ébullition consiste à introduire de lourdes références au Droit du plus fort… en répétant le titre. À un crachat près, Peter d’Ozon n’aura présenté aucune action différente de son modèle. Par contre il a su rendre l’ensemble des échanges plus laides et bêtes ; tout de même il y a un gain viril car le film de Fassbinder était lent et assez plombant alors que celui-ci tient du plaisir coupable. Malheureusement hors de la dégradation et de la bouffonnerie de la forme il n’apporte rien, même l’anecdote du gros toy black était là en 1972 !

Écriture 2, Formel 4, Intensité 5 ; Pertinence 2, Style 3, Sympathie 4.

Note globale 32

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Suggestions…

LES LEÇONS DU POUVOIR (François Hollande) –

12 Jan

Rassurez-vous, il n’a rien appris – et c’est pour ça qu’on l’aime ! Car comment ne pas apprécier ce fossoyeur du PS et de la gauche de gouvernement, ouvrant la voie aux deux droites de gauche désespérantes que sont le FN de Marine Le Pen et LREM ? Peut-être en se rappelant qu’il personnifiait l’égarement d’un pays fatigué et confus face à de multiples submersions (la mélasse de l’UE, la mondialisation qui le fait se sentir dindon, les migrations sans frein et l’islamisation dont le nid est déjà installé, la ringardisation et l’effritement de la grande et vertueuse vocation française). Face au terrorisme et aux restes des troubles, Hollande a fait de belles cérémonies et s’est bien tenu ; « président normal », il a porté une bonne parole publique, très appropriée et sobre ! Il en est content – pourquoi n’être pas ravi avec lui ?!

On doit saluer chez Hollande une sorte d’intégrité voire de transparence car on le reconnaît dans cet essai dont il ne ressort pas grandi (c’est simplement moins croustillant qu’Un président ne devrait pas dire ça mais le protagoniste est le même – ou alors, la doublure a une grande conscience professionnelle). C’est à la fois facile à lire (immédiatement pénétrable) et assommant (souvent futile ou trop généraliste, digne d’un commentaire journalistique partisan de ses initiatives). Il exprime la pudeur, la politesse de celui qui souhaite éviter le trouble, mais aussi une amertume face à l’absence de considération pour les bienfaits de ses mesures, voire l’absence de conscience de leur existence ; ce n’est pas de l’aigreur, plutôt une tristesse face à ces barrières à la consommation tranquille du contentement de soi. Et bien sûr il a raison ; les agitateurs d’opinion et les énervés professionnels sont par vocation (ou médiocrité) incapables d’être justes ; et Mimolette n’était pas assez fringant ou impressionnant pour susciter davantage qu’une bienveillance théorique de la part des observateurs et des prescripteurs dont il est pourtant le représentant naturel.

Pour justifier son existence dans la carrière politique Hollande déroule son identification de turbo social-démocrate (ou moyen² dans le contexte français) et fait résonner son mantra du « dialogue social » ; qu’attendre de mieux d’un dirigeant raisonnable en démocratie repue, stratifiée et sans intensité ? Bien sûr il faut être pragmatique etc alors le même personnage condamne cette opposition venue de son camp qui l’a contraint à recourir au 49.3 (à la manière d’un bon père de famille qui n’aurait pas le choix de sévir). Et il ne ment pas : il déteste passer en force ! En bon gardien il tient à préserver les apparences et éviter le désordre. Mais aussi il a foi dans ce sentiment d’unanimisme (« une bonne réforme, c’est d’abord celle qui survit aux alternances ») qui n’existe que dans les écritures saintes, scolaires ou de médias publics.

Avec lui le récit progressiste prend une teinte mollasse et consensuelle, ponctuellement nuancée par ce pincement hautain de ceux qui se sentent moralement irréprochables mais se retiennent de l’étaler trop ouvertement car malgré leur conviction ils devinent que la moindre vague hostile les claqueraient au sol. Pourtant Hollande n’est que très peu moraliste et n’utilise la culpabilisation que pour gronder ses dissidents inconséquents. Il reste avant tout un opportuniste (dans un sens neutre – le sens sale est plutôt pour Montebourg, le sens bipolaire pour Macron), laissant les hystériques et les passionnés de son camp modeler un soupçon de sensiblerie censé humaniser son profil : d’où cette allégeance ridicule au wokisme franchouille (même pas drôle tant c’est emprunté et souverainement benêt comme le reste), où le Président de la République française ressert la soupe des tâches hommes/femmes assortie d’une petite flatulence-repentance à propos de ce mâle non-éclairé qu’il était, de « la culture judéo-chrétienne » et ses « préjugés ». Heureusement Hollande se remet de toutes ses confessions douloureuses – pas un tourment ne le minera ; cette incarnation du ‘dernier des hommes’ nietzschéen fait aussi partie d’une minorité d’hommes dont un certain ‘vide’ fait une force immense.

Car ce qui marque le livre et le style Hollande, qui est tout sauf un offensif ou un narcisse, c’est une auto-satisfaction qui lui donne, malgré l’aura de chamallow humain, un aplomb et une résilience rares – et éventuellement une perte de réalisme. Cette capacité de sombrer dans le manque de jugement invraisemblable culmine avec une séquence où Hollande estime avoir rabattu le caquet de Poutine ! On en mourrait de honte pour lui afin de ré-équilibrer – ou bien on aimerait rire ou se prétendre surpris quand il n’y a qu’à soupirer. Les propos d’Hollande sont souvent lucides et défendables mais jamais profonds ou originaux et assortis d’un maigre lot de plans ou principes à accomplir. Dans les pires moments et spécialement au début du livre, il y a de quoi se demander si ce type a assez de hauteur de vue pour garder les clés de la cantine ou faire un garde-champêtre honorable. À d’autres on part dans des états seconds pour un peu qu’on soit venu fatigué et au retour, on se demande comment ces lignes médiocres de rentier journaliste ont pu atterrir entre nos mains.

Le mieux, c’est quand Hollande s’épanche personnellement. Même avec ses poussées d’hypocrisie et ses demi-vérités il est alors moins creux. Comme sa faculté d’ignorer et minimiser les problèmes est colossale, il faut des sujets ou partenaires directement conflictuels, non des ennemis lointains ou communs mais bien ceux arrivés près de sa peau ; ainsi il se montre passif-agressif à l’évocation des individus (par exemple Pierre Gattaz) ou de leurs prétentions (les ‘Frondeurs’ du PS anti-centriste). C’est tout ce qu’il s’autorise – et il se l’autorise constamment ! Il tacle Montebourg, ce clown vaniteux dont on a pu déjà oublier qu’il était ministre du ‘Redressement productif’ (similaire aux ‘75%’ : quand on a pas les moyens ou l’envie de sa politique de ‘ré-enchantement’, rien ne vaut une fuite en avant symbolique et du stalinisme en verbe !) et qu’aux primaires du PS en 2012 il a soutenu Hollande au second tour, contre Aubry qui semble naturellement plus proche. Quant à cet amour et cette admiration dont Hollande se sent entouré, qui ne manqueront pas d’amuser les briseurs de rêves d’enfants, elles évoquent les grandes tirades de Trierweiller dans Merci pour ce moment – il n’y a pas de plus grand contraste que celui entre l’émotion brûlante de madame et celle douce et éteinte de monsieur.

Ce caractère qui lui permet d’encaisser et avancer imperturbable est aussi celui qui le fait se noyer. En-dehors du noyau dur de hollandistes atteints au premier degré la principale motivation pour les lecteurs sera le rapport du président doublé par celui qui « sait ce qu’il [lui] doit » ; c’est assez court et plat dans l’absolu mais explosif dans le contexte du livre. Hollande a conscience d’avoir été un des derniers humains à réaliser le sale coup de son présumé dauphin, mais c’est encore la faute de son caractère ; Hollande n’est pas un idiot et même pas un aveugle. Il a simplement une tolérance et un attentisme défiant l’entendement – il est difficile de se figurer quelqu’un préférant rester innocent le plus longtemps possible néanmoins au sommet d’une quelconque direction, pourtant Hollande existe. Un autre aurait insisté sur la capacité de Macron à duper le monde pour justifier sa propre faiblesse, Hollande se focalise plutôt sur l’ambition dévorante du petit ministre des Finances. Il essaie de tourner l’affaire à l’avantage de tous en nous annonçant une sacrée histoire digne des meilleurs épisodes de la Ve ! Naturellement le Flamby romanesque s’est déjà évaporé la ligne suivante et nous aurons droit à un défilé de mensonges ‘blancs’ d’un Macron fuyant quand il n’est pas flamboyant. Mais que voulez-vous, ce garçon est si charmant ; il a cet « entregent » ! Et on sait qu’Hollande, comme tant d’autres ensorcelés, s’est reconnu en Macron ; d’ailleurs il dit de lui qu’il a « toujours cette façon de nier l’évidence avec un sourire » ; or Mr.Dolande jouait un rôle similaire face à ses camarades de jeu. Une vidéo précédant la campagne de 2012, où Mélenchon dénonce un accord non-respecté relatif à un vote interne lors d’un congrès du PS, était emblématique de cette roublardise. (Mélenchon n’est pas à pleurer, il s’agissait de se répartir les suffrages !).

En somme le livre donne la meilleure version du mandat d’Hollande : ennuyeuse et aveugle aux bouleversements en cours, hormis les secousses économiques. Hollande assimile social-démocratie et socialisme, la première étant même sa formule de base ; pourtant dès qu’il cesse de reluire les reliques son langage est centriste et acquis à l’orthodoxie sociale-libérale, aux perceptions a-priori fondées et équitables du type ‘Il faut créer de la richesse pour pouvoir en partager’. L’ensemble des non-socialistes et des gens préférant le marché à la dictature d’entreprise peuvent sinon se mettre d’accord au moins endurer ce qu’il avance ; mais qui sera motivé par ces propositions par défaut ? Il rejette les primaires avec des arguments solides, mais c’est un signe de ‘progrès’ potentiel dont il se prouve ; en matière sociale, culturelle, économique, s’il se démarque c’est au détail et aux yeux des experts. Quasiment rien ne peut réjouir le camp du progrès ou apaiser une gauche franche ; rien dans son action ne peut amadouer les droites ou les libéraux. Il revendique des programmes fiscaux, minimas sociaux, emplois artificiels ; autant de protections complexes et couches contractuelles supplémentaires cherchant à contenter toutes les partis ou donner le sentiment d’une prise en compte. Il cite et revendique la ‘flexisécurité’, chantier poursuivi par Macron, plus cosmétique que concluant, habille le statut quo et prépare une réforme du travail et des retraites à laquelle seuls les vieux et les gens de gauche ne sont pas encore acclimatés. Finalement sa seule fierté un peu épique, c’est le Mali – et peut-être le « talent oratoire » de cette Taubira qui est simplement théâtrale, figée et assertive, mais que la gauche et le centre ‘politiquement correct’ adulent faute de figure plus brillante.

En mettant de côté tout ce qui lui est extérieur, en s’alignant sur le focus d’Hollande, on doit conclure que son mandat est plutôt un échec car passé le ‘Mariage pour tous’, il n’a que marginalement contribué à cette grande aventure du ‘progrès’. Il revendique la filiation à une grande mission mais parle de chantiers technocratiques ou administratifs, propose des réformes de gestion en guise de grandes avancées inéluctables de la marche de l’Histoire. C’est que le changement dans un monde cuit est compliqué et puis, si le progrès nous a effectivement arraché des ténèbres, vient un temps où on tape au fond du panier. Au moins ce mandat d’accompagnement n’a été, sur le moment, qu’une déception ou une stagnation confortable et un peu déplorable, comme l’était pour le second de Chirac ; il n’est pas celui de la souillure et de l’accélération qu’ont été ceux des félons Sarkozy et Macron. Se contenter du poison le plus inerte ou de la trahison active : les français, veaux avisés, savent se garder les meilleures options !

Note globale 32

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Meilleurs morceaux :

 « Najat […] cherchait à lutter contre les stéréotypes qui encombrent encore nos mentalités et induisent des comportements dont le harcèlement est le symptôme le plus évident. » (p.237)

  « Il dispose d’un capital de confiance auprès du patronat qui a déjà ouvert les hostilités avec le gouvernement. Enjoué, tactile, il a le tutoiement facile et une tendance à embrasser ses visiteurs comme du bon pain, y compris Pierre Gattaz qui n’en demandait pas tant, ce qui ne laisse pas à chaque fois de me surprendre. Son énergie et son dynamisme lui valent quelques inimitiés chez certains de ses collègues de l’Élysée. Mais son sourire et son entregent apaisent bien des tensions. Il marche déjà plus vite que les autres. » (p.324)

  « La perspective de voir se répéter le duel de 2012 Sarkozy-Hollande suscitait un rejet massif […] il n’était question que du refus du système, du discrédit des partis et, donc, du renouveau attendu qui « dégagerait » les occupants successifs du pouvoir. Là aussi, je me gardais de céder à l’humeur. Je la sentais mauvaise et vindicative. Mais je connais les Français. Ils veulent toujours du neuf mais ne choisissent la nouveauté que par défaut. » (p.348)

  « Les libéraux ont réussi à insuffler peu à peu l’idée que moins de protections faisaient plus d’emplois […] et même, que la richesse quand elle dégouline pouvait désaltérer tout un pays. » (p.377)

Version Sens Critique

NO (Larrain) –

15 Nov

Le seul crédit accordable à ce produit bâclé (sauf pour jouer la confusion en mode docu-fiction) de méduses atrophiées à l’adresse des gogos et des bouffons, c’est de montrer à quel point l’alternance de dictatures ‘iron fist capitalist’ et socialistes/populistes peut saboter les consciences artistiques – et spécialement le cinéma d’Amérique du Sud, le plus rempli de pensum politisés étriqués. Les archives et pubs ou pastilles télé où Papy Nochet s’adresse à nous sont à la fois le plus intéressant du film et des bouffées d’oxygène : ces moments-là sont assez grotesques et paradoxalement francs, bizarrement en assumant de vouloir la dominer ils sont davantage reliés à la réalité – et puis une tentative de manipulation trop flagrante et déjà mise en échec est forcément moins irritante.

Tourné avec une vieille caméra respectant le format télé des saines années 1980, avec un générique à la main (très littéralement), No joue la carte de l’authenticité et de la frontalité mais s’invalide en permanence, en laissant supposer que c’est la faute du marché – et en étant simplement d’une pauvreté injustifiable venant d’une équipe de non-amateurs. La branlette écœurante gagne la partie d’entrée de jeu, nos alliés de la liberté viennent offrir la fête et la musique à la jeunesse ; soyons rebelles – mais respectueux et socialo-politiquement consciencieux hihihi. Ces dialogues pour enfants de 8 ans auxquels on apprend les rouages de la politique sont démoralisants (mais peut-être pas indignes de la réalité de cette campagne vu la survenue du symbole de l’arc-en-ciel). Je me suis régulièrement demandé si le personnage de Garcia était réellement un crétin ; c’est embêtant quand il semble qu’on veuille en faire un héros détaché auscultant froidement son environnement.

L’univers des gens de ce film est des plus méprisables et actuellement toxiques : des bourgeois de la communication, professionnels du sauvetage du peuple via leur acuité médiatique (ils savent faire passer le message, ils connaissent la propagande, c’est donc la clé vers la lumière généralisée voyez-vous !?). Je hais cordialement tout ce qui travaille à leurrer la déprolétarisation ‘possible’ et ce film tape en plein dedans ; que lui et ses agents soient de bonne et gauchiste volonté n’absout en rien. Qu’il y ait une once de cynisme concernant les moyens est un pauvre minimum compensatoire. De plus, en tout cas dans le film, ces représentants de la coalition opposée à Pinochet (ils gagneront le référendum) sont très faibles en tant que force de proposition ; ils parlent de « pub coca cola » et c’est bien ça. Quand ils prétendent prendre le large ils ne font qu’apporter des couleurs plus fraîches et pimpantes au mal présumé : la mise au pas des masses au bénéfice d’un pouvoir [plus ‘copain’ qu’avant mais encore] un brin ‘parental’.

Politiquement et très concrètement c’est finalement embarrassant ; on ne parle plus des souffrances et des disparus, on ne parle plus de politique, il faut sourire aux spectateurs. À l’occasion d’une intervention des puristes et d’activistes sérieux on peut s’en rendre compte, mais en laissant passer cette ambiguïté le film semble se sentir acquitté de sa tâche, avoir préservé son intégrité ; là encore, toute la moisissure de la ‘gauchiasserie’ faisandée (donc plutôt fausse – on peut le considérer comme un élément à charge si on sent sa sensibilité usurpée, être plus ‘rassuré’ par cette superficialité sinon) des insiders non-socialement conservateurs. Serait-ce un racolage de vieux libertaire ou socialiste en quête d’acceptation par les forces du milieu décomplexé ? Seule chose garantie : sur les apparences et l’inflation presque mystique dans lesquelles on se réfugie, Pablo Larrain a livré une représentation plus propre et sensée avec Jackie.

Note globale 32

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Suggestions… La bataille de Solférino

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THE GREAT ECSTASY OF ROBERT CARMICHAEL *

5 Nov

1sur5 Complètement con mais sait appâter et retenir l’attention, fût-ce à ses dépens. Soutient une vision bien clichée, apocalyptique et paresseuse de la société : voyez cette jeunesse désœuvrée, voyez ces médias (télévision, même les jeux vidéos qui absorbent leur attention !), voyez la drogue, la vulgarité. Il faut montrer les déterminismes, les familles prolétaires. Et bien sûr la propagande et la sévérité politique sont partout – la télé crache du Bush contre l’Iraq.

Par ses façons, le film veut commenter et accuser le monde entier. Mais absorbé par son style et des certitudes floues, il tire aussi brutalement qu’en vain. C’est un essai glauque de nouvel auteur soucieux de cogner, avec une marque certaine quoique voyante plutôt que neuve. Son style est un genre de glaciation à la Haneke (ou certains Chabrol comme La cérémonie) fusionnant avec Larry Clark, ou du Lanthimos (Canine) vivant et engagé, mais aussi simpliste.

En même temps il faut sonner dénonciateur lucide et pas simplement militant borné – ce serait basique ! Alors Great Ecstasy s’applique à esthétiser sans participer, mais quand même en laissant le point de vue des coupables être alimenté, sans soutenir celui éventuel des autres (antagonistes ou voisins). Air connu : réhabilitez ces coupables qui sont des victimes ; les victimes, elles, sont des cyniques qui ont réussi (ou alors mettons tout le monde à égalité sous le règne de la fatalité, surtout si ça essuie les crasses des turbulents) ! Les vingt dernières minutes de violence avec la maison assiégée ne font que traduire et valider en sourdine le ressentiment envers les riches blaireaux de ces petits crétins. On sent bien ces motifs d’agacement (mais l’envie, l’ignominie et la méchanceté sont massivement plus développées) que peuvent inspirer cet environnement ou la starlette en particulier – son discours d’optimiste de l’épanouissement, en mode rêve américain petit format en un contexte [et à une époque] où c’est ouvertement aberrant, mérite probablement une méchante fessée pour le réveiller ; la sanction qu’il récolte en fin de parcours reste délirante en plus de laisser le malaise se proliférer. On nous suggère de trouver des raisons à des crasses dont les cibles n’ont pour tort que d’être plus élégantes jusque dans leurs vices équivalents (égoïsme et mauvaise foi).

Naturellement on s’attarde sur le viol [pardonnez, j’ai spoilé le ‘grand moment’ utile à ‘tout remettre en perspective’] en musique (classique) – en bon héritier de Kubrick. Puis on enchaîne avec des images de guerre en archives – car chaque bêtise trouve sa source dans le Mal et la société, les responsabilités n’existent que du côté des plus grands ou des poseurs de limites, ne l’oublions jamais (les autres vivent aussi dans cet espace de semi-décrépitude mais peu importe, apprécions la complexité par le petit bout exclusif brandi par notre malin génie). Ou alors, Loach est rendu à un étage inaccessible, alors tant qu’à faire les auteurs de cette chose se sont fixés pour objectif un reboot d’Orange mécanique – il vaut mieux se crasher de très haut, ça produit davantage de dégâts et comme la digestion est plus lourde, par perplexité ou sur un malentendu on pourrait crier au chef-d’œuvre.

Note globale 32

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Suggestions… Paranoid Park, The Bunny Game, Tenemos la carne, Happy End/Haneke, Le Corbeau, Le Triomphe de la Volonté, It’s a free world, Mise à mort du cerf sacré, Seul contre tous 

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (6), Esthétique/Mise en scène (5), Visuel/Photo-technique (6), Originalité (3), Ambition (8), Audace (7), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (5), Pertinence/Cohérence (2)

Les +

  • une certaine recherche et des bonnes pistes côté son
  • fabrique une grosse mécanique cohérente et efficace même si c’est de la merde surfaite, puérile et fausse(ment compliquée)
  • sait disséminer des bouts de réflexion ou plutôt des terreaux, qui font rester en espérant assister à un décollage, une progression, un engagement plus fin ou sérieux

Les –

  • énième baudruche taillée pour choquer et paraître grande à travers ce choc
  • débile, crétin au mieux
  • personnages et écriture misérables, délaissés, instrumentaux au summum de leur usage
  • originalité résiduelle, seuls les jeunes/novices pourront être leurrés
  • et en plus la matière à choquer est rachitique (une fois dégagées les graisses) et médiocre !

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THE HUNT *

1 Sep

1sur5 Farce horrifique à l’état d’esprit lamentablement confus derrière son opportunisme fracassant. Lorsque la source de ce jeu est exposée, un sentiment authentique en guise de lecture politique se dessine : les conspis sont en train d’écrire la réalité, tout en poussant au crime et ouvrant la voie à la réalisation de leurs fantasmes (autrement dit, quand les gueux sont tondus, c’est qu’ils ont soufflé l’idée au berger – sans quoi lui se serait contenté de textoter, se conformer, réussir et vider des bières sans gluten avec ses collègues). Si ce n’est ces fous, au moins ce sont les « déplorables » qui sont en train de nous dicter l’agenda !

Vision à la fois passe-partout et modérément délirante, bon marche-pied pour le maintien de l’ordre social et du récit dominant ; vision que le film n’étaye que lâchement, comme il ne sait agir que sur ce mode. Car The Hunt fuit toute explication solide (c’est d’ailleurs ce qui lui permet de maintenir l’attention et de garder une certaine vivacité). On ne saura jamais [formellement] où se situe ce film joueur par rapport à ce qu’il énonce ; jusqu’au-bout c’est un sous-Red State. Un élément à la fin confirme l’imbécilité, la moralité laborieuse et la subversion en carton du programme : nous gardons au moins une forte suspicion que Crystal n’est pas la bonne personne [la bonne chassée]. Donc le problème n’est pas tant cette succession de meurtres à l’encontre d’électeurs populistes, droitistes, de complotistes ou de péquenauds ? C’est qu’on se soit trompé de cible ? Faut-il en conclure que The Hunt est un Ultime souper premier degré pour prétentieux jouasses se croyant plus valeureux que leurs camarades évolués ?

La représentation des ‘liberal elites’ semble mieux maîtrisée que celle (pourtant plus drôle, peut-être car ils sont inoffensifs) des vermisseaux réactionnaires. Dans le premier cas, la satire est claire, dans le second, elle est molle et désuète au mieux ; dans les deux le point de vue est à hauteur d’un grand enfant ou petit adolescent rageant sur Twitter, étalant avec insouciance sa satisfaction d’avoir tout compris. Forcément ces tueurs vertueux sont humanitaristes, chassent les généralisations et les appropriations culturelles ; autant de marqueurs gauchistes davantage que des codes d’une véritable élite. Mais ce film ne met pas son curseur au-delà des clivages reconnus par les crétins des réseaux sociaux de masse, donc pas au-delà de la théorie du fer à cheval ou d’autres représentations simplistes et souvent, même quand elles s’en défendent, à une dimension. Bien sûr il y a toujours la troisième voie, celle des malins, des ‘au-dessus-de-tout-ça’ et des centristes bigarrés ; les concepteurs de The Hunt sans doute estiment que leur public le plus attentif est dans cet état d’esprit, ou espèrent qu’il y viendra faute de meilleure position et comme les deux supposés ‘camps’ à l’écran se rejoignent dans l’irrationnel. Bien sûr le film se pose comme indépendant et souligne abondamment les contradictions du camp de la vertu ; mais ce qu’il fait de mieux à ce niveau, c’est plutôt montrer l’insignifiance de ces engagements et la persistance de la vulgarité. Dans le bunker, les hommes sont vantards, ricanent du titre Les larmes du soleil probablement trop précieux à leur goût ; voilà la petite bande de mâles imbéciles, médiocre d’esprit et satisfaite. On pourrait regretter que cette vulgarité persistante soit circonscrite aux hommes, mais ce serait rater la parfaite cohérence du film sur ce plan : les femmes, de tous côtés (sauf si ce sont des potiches ‘yoga’ et pas des femmes fortes), sont remarquables de lucidité et de self-control. Ce modèle taillé pour les dégénérés et les foules éméchées a au moins le mérite de tenir une logique.

Comme divertissement c’est potable, avec des turbulences fortes, un rythme général efficace et quelques tunnels d’ennui. On comprend à la deuxième mort qu’il s’agit d’une comédie ; on pressent en même temps que cette séance se voudra ‘incorrecte’. En sacrifiant immédiatement les deux plus beaux membres du groupe (dont Emma Roberts), appelés à s’unir au fil de terribles épreuves, on nous arrache d’office à la blasitude, pour nous conduire vers une autre, plus contemporaine, plus spécifique (comme elle est fraîche, les auteurs et producteurs supposent, probablement à raison, que l’enthousiasme couvrira encore la frustration de se retrouver dans des schémas fermés et lourdement connotés). On va déjouer nos clichés à nous aussi, spectateurs engourdis par des divertissements polis – ou pire, spectateurs appréciant voire légitimant ces clichés qui sont autant de signatures d’esprits doucement retardés, sinon carrément bigots. En avant pour la destruction des canons et des illusions conservatrices ou patriarcales (celles du vieux Disney avec ses princesses ambassadrices de la féminisation éhontée des femmes, celle des films d’aventure où évidemment les explorateurs et autres mécanos itinérants sont des hommes) ! Venez admirez notre Jackie Chan féminine aux déductions brillantes et aux ressources insoupçonnées – vous avez marché, vous avez cru qu’elle était fragile et démunie lorsqu’elle est apparue ?! Dans la mesure où l’ensemble des hommes l’entourant sont des abrutis étroits, des rednecks ; dans la mesure où son adversaire féminine est aussi le cerveau de la tribu, associée à des gars lâches et impulsifs incapables de contrôler leurs réactions ; les retardataires et mal-comprenants auront l’occasion d’imprimer.

Le malheur pour ce film c’est que dix tonnes de suspension d’incrédulité, d’envie de se faire manipuler le temps d’une séance, ne suffiront pas à se faire sincèrement embarquer. Ce programme est moins déterminé qu’il veut s’en donner l’air, mais il a bien une certaine audace, de l’énergie ; par contre son originalité est entièrement factice. Même ses jeux distanciés sont du déjà-vu. Une seule chose justifie sa connerie narrative : les complices sont partout, les issues sont toujours prévisibles, mais cela permet de multiplier et diversifier les aventures. Effectivement on en voit de toutes les couleurs et c’est assez bien agencé – mais jamais pour assurer une crédibilité ; et c’est toujours trop planqué pour engendrer soit un aperçu pertinent (on l’approche ponctuellement, on voit cette Amérique de blancs complètement égarée et dans des modalités d’affirmation collective de soi absolument pétées) soit un cartoon réjouissant. La satire n’aura servi qu’à enrober une pantalonnade mouillée et tronquer sa banalité ; l’aspect ludique du duel final des deux femmes doit être évident pour qui se tripote trop longuement sur Kill Bill ; la discussion avec le méchant accompagnée d’un air classique est certainement un détournement très-z’averti des clichés du genre et pas sa reproduction lourdingue (façon Miss Météo de Canal+, mais en remplaçant l’ironie par un homme à la présentation).

Quelque soit le degré on retrouve ici tout le maniérisme récurrent dans les films d’horreurs ou les bisseries fougueuses, cette même sophistication criarde, ces laïus (mais en largement pire – pour ça et les combats, que la lecture accélérée soit béatifiée ! canonisée !), ces sarcasmes, ces racolages peinturlurés par des postures grandiloquentes ; mais on ne trouve pas de quoi aimer, respecter, ou s’amuser sans ce côté pince-sans-rire de crétin hautain, comme nous le permettent des show tout aussi épais tel Wedding Nightmare, Crawl, ou n’importe quel survival, satirique ou non, acceptant son job sans chercher à nous faire valider sa prétendue neutralité. D’ailleurs si vous doutez de ce film, réveillez-vous, ne tombez pas du côté des ignorants ; on y cite quand même Orwell selon toute une gamme allant du nominal au subliminal ; même l’impitoyable Athena ne manque pas d’être étonnée qu’une de ces péquenaudes soit cultivée ! Ne restez pas sur le bas-côté à bouder les marques d’intelligence ; elles font le travail pour vous, travaillez un peu pour elles ! Ou peut-être ignorez-vous l’art post-moderne de la subtilité, peut-être n’avez-vous pas passé l’âge de la post-vérité pour atteindre celui de l’indifférence stationnaire hautement assimilée ?

Note globale 32

Page IMDB  + Zogarok The Hunt sur Sens Critique

Suggestions…  Swallow + God Bless America + Bacurau + Us/Peele

Les+

  • se suit sans ennui (sauf quelques exceptions accablantes)
  • ne sacrifie pas la tension à sa démonstration
  • des choses représentatives à récupérer (comme pour l’adrénaline ou le suspense, ce sont des éclairs)
  • dialogues parfois piquants

Les-

  • scénario pour le moins ‘mobile’
  • ne sait trop ce qu’il raconte ni ce qu’il compte en faire
  • ne veut pas savoir où il se positionne et en devient inepte
  • personnages vides ou carrément aberrants malgré un enrobage décent
  • tellement prévisible et bassement opportuniste qu’il en devient un cas ‘intéressant’

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