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LA PLATEFORME ***

1 Août

3sur5  Thriller rude et fable pessimiste, où l’apprentissage de la survie dans un système impitoyable mène à diverses formes de résignation, soumission ou corruption – autant de petites damnations permettant de réaliser que toute société est une prison se maintenant sur la merde de ses otages/habitants.

Comme c’est d’abord une métaphore, le film laisse se cultiver des inconsistances et des incongruences mineures ou a-priori tolérables ; jusqu’à cette dernière partie mettant en relief l’aberration de sa construction. Tout ce que notre Don Quichotte et son acolyte y tentent devrait avoir été expérimenté depuis longtemps – ne serait-ce que d’un point de vue primaire ou de survie : pourquoi les gens ne recevant rien n’ont pas tenté de descendre jusqu’au-bout, puis de remonter sur la table ? Avaient-ils simplement peur de la sanction ? De la nouveauté ?

Puis j’ai été déçu par le petit tour de passe-passe final que je qualifierais de banal et pleutre si on appuyait pas au même moment sur l’épouvantable levier ‘Le truc.. c’est qu’il est mort [peut-être – mais peut-être pas – cho’cun son ‘terprétation]’. Il faut être honnête même si on a aimé le film : ceux qui l’ont conçu (spécialement ceux qui l’ont écrit – avec malice et superficialité, faisant du scénario le point négatif) ignoraient comment le boucler ou le justifier. Heureusement la partie technique est plus astucieuse (pour camoufler les faibles ressources et décors) et la partie sonore est délicieusement stressante (certains instants m’ont évoqué Alice Madness Returns). Le portrait de l’Humanité est plus accompli – et sombre, voire stérile.

Ainsi la logique du film ne mène qu’à un mix de démobilisation et au choix, de nihilisme ou de vaine moralisation ; les optimistes apprécieront la planification des vertueuses niaiseries par lesquelles les refaiseurs de monde se réchauffent (‘la prochaine génération porte notre espoir’) ; tout le monde verra que la bienveillance et l’empathie deviennent un luxe dans un univers carcéral, arbitraire et hiérarchique [à moins qu’il en existe des hédonistes – pour ça il faudra des coopérations ou des révolutions] – et que si on s’obstine [dans la voie de la justice sociale], il faut en passer par l’autoritarisme sans la moindre garantie de réussite, avec pour seules certitudes des sacrifices [humains] et de la gesticulation présomptueuse.

Note globale 68

Page IMDB   + Zogarok La plateforme sur Sens Critique

Suggestions… Parasite + Viral + Snowpiercer + Cube + Annihilation + Malveillance + Killer Joe

Les+

  • deux premiers partenaires de cellule géniaux
  • intense, viscéral
  • bon rythme, des dialogues succulents, humour
  • bande-son assez brillante
  • mise en scène efficace, violente à l’occasion…

Les-

  • scénario médiocrement bâti, le ‘concept’ assure l’essentiel
  • vingt dernières minutes douteuses
  • inconsistances puis invraisemblances majeures
  • regard stérile et ambiguïté absurde entre l’aspiration au sursaut et la résignation totale
  • … un peu grossière ou ‘récupératrice’ aussi

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HITCHER +

22 Avr

hitcher

Hitcher est un thriller (tendant vers l’horreur) respecté, dont le nom est connu de la plupart des cinéphiles mais demeurant peu regardé et attirant peu de louanges. Cette destinée bizarre est probablement due à l’absence de saga autour de ce film, dont le concept ne saurait être décliné à l’infini ; de plus, le réalisateur Robert Harmon est très peu cité. Christine par exemple, si brillant soit ce divertissement, aurait peut-être connu le même sort s’il n’était pas signé Carpenter : toujours présent dans l’esprit des cinéphiles mais étrangement contourné, isolé.

Hitcher mérite davantage que son statut d’idole mineure. Dans la galaxie de l’Horreur et du thriller violent, il incarne ce mélange de subtilité et d’intempérance propre aux productions les plus corsées et impressionnantes, celles où la virtuosité technique et une inspiration maline sont mises au service du dépaysement (comme Haute Tension, The Incident). Le film s’ouvre sur la prise d’un auto-stoppeur par un jeune homme en route vers la Californie. Nous sommes dans le désert et le passager s’avère être un psychopathe. Jim réussit à s’en débarrasser, mais John Ryder le porusuit.

Il ne va pas le tuer tout de suite : il préfère rendre Jim coupable de ses crimes aux yeux de la poursuite, celui-ci étant alors doublement poursuivi, dans un univers hostile et aride où il n’a qu’une seule alliée. L’obsession de Ryder pour ce jeune homme cultive quelques ambiguïtés Les faux-semblants qu’il insinue rendent le film extrêmement tendu et intense, entraînant une cascade de rebondissements : les faits importent moins que la position dans l’environnement. C’est une descente aux enfers jubilatoire pour le spectateur.

La mise en scène est admirable et évoque le meilleur de Carpenter. Les plans d’ensemble ou de demi-ensemble sont somptueux et la course est dopée par un sens visuel percutant et raffiné. Hitcher ressemble souvent à un drame prenant les habits d’un conte sans embrasser ses illusions, flirtant au passage avec l’épique dans un cadre inattendu. Harmon et son équipe semblent plus mal à l’aise dans les espaces confinés, comme au tout début dans la voiture, leur talent s’épanouissant pleinement dès que les personnages deviennent les acteurs de tableaux somptueux.

Note globale 78

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Suggestions… Hitcher (2007) + Le peuple des ténèbres + Duel + Kalifornia + Point limite zéro

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CLASS 1984 **

1 Avr

class 1984

3sur5  Basiquement, c’est un drame en milieu scolaire ; pourtant Class of 1984 est souvent classé en science-fiction. Cette catégorisation hasardeuse va dans le sens dans son idéologie. Ajoutée à son issue extrême, celle-ci fit scandale et attira les foudres de la critique. Class of 1984 est très engagé : contre la délinquance juvénile, le laxisme dans l’éducation – personnelle et à l’école. C’est aussi un thriller redoutable et assez novateur à sa sortie (1982), démarrant très cheap, gagnant en puissance à mesure qu’il déploie les facettes de son logiciel. À la croisée du vigilante movie (dont le phare est Un justicier dans la ville avec Bronson) et du cinéma de violence urbaine décrivant un présent maudit (Les Guerriers de la nuit, L’ange de la vengeance), il met en lumière la dégradation de l’enseignement et la menace représentée par des tribus de jeunes sans foi ni loi. Il anticipe l’introduction des détecteurs de métaux sur les campus américains et se fait pionnier d’une vague de films sur le délitement et la violence scolaires (dont 187 code meurtre est un extrait fameux mais tardif). Pour les qualités visionnaires qui lui sont parfois prêtées depuis, pour son état d’esprit alarmiste et enfin pour sa synthèse des genres (et la présence de plusieurs références à des films impliquant une violence fatale – comme l’écho à Carrie et son bal ensanglanté), il est devenu un film culte.

Le profil d’Andy Norris est intéressant. Le spectateur débarque à Lyncoln puis traverse les épreuves avec lui. Le point de vue adopté se confond avec le sien, la seule marge étant dans sa réticence à accepter l’inéluctable ; sinon, son acharnement est salué en toutes circonstances. Ce nouveau prof est un  »idéaliste » et surtout un novice (dans ce genre de bahuts). C’est un bon bourgeois, bienveillant et confiant jusqu’ici, passant à la réalité la plus poisseuse et restant solide face à l’adversité. En d’autres termes, Andy Norris est le potentiel  »bobo bien-pensant » mûri par sa confrontation honnête et virile avec la violence, atteint par elle dans son idéal, dans son mode de vie et dans sa chair. Andy Norris est un intello doublé d’un organisateur (son action est aussi positive, comme en atteste l’orchestre) et c’est le prof idéal, celui que des chantres de l’ordre et de la répression accueilleront avec jubilation. C’est le bon gauchiste du droitiste, apte à requinquer les réactionnaires esseulés. Il a la vocation quand les autres sont usés ou complaisants. Démissionnaires, ils surveillent (car ils sont présents, après tout) et ne font rien. On ne s’étonne plus dans les rangs : les adultes savent que la loi couvre les jeunes, le flic est abattu, le proviseur stoïque (au plus fort il accepte encore tranquillement la situation : « le vandalisme n’a rien de nouveau monsieur Norris »).

Pire, le système se retourne contre celui qui remue le statut quo (c’est-à-dire la décadence) : un jeune s’abîme lui-même pour le faire accuser et l’administration menace Norris. Dans ces conditions, les profs ne peuvent que s’effacer ou suivre la politique de l’autruche. Pas de zèle : sans trop laisser-aller, il faut maintenir à flots, suivre l’exemple du proviseur qui se contente de tasser toute secousse et pense à sa future affectation. Et lorsqu’ils ne tiennent plus, leur pétage de plomb légitime se retourne forcément contre eux. La riposte d’Andy marque donc un sursaut de morale et de bon sens : un élan héroïque à son échelle, où l’individu droit s’avoue l’échec de son monde et du système dominant pour s’engager comme un éclaireur ; sa vendetta a des vertus sociales, c’est la réaction de l’homme sain cessant de louvoyer et purgeant ses tensions comme celles d’un monde en déliquescence. Andy réplique en jouant hors-piste lui aussi : on ne traite pas les voyous en prenant des gants, quand eux utilisent le système contre vous et alors que tout le monde prend leur parti, par résignation, cécité volontaire ou parce qu’on est un autre maillon de leur démence. Toutefois, même si le film prend son parti, il suggère les drames engendrés par ce climat de déchéance morale et sociale. D’ailleurs le leader de la bande de punks révèle son génie au piano ; c’est déjà trop tard, il est perdu. On laisse apercevoir les complexes de certains d’entre eux, leur dimension pathétique ; l’urgence et la brutalité des situations rendent la compassion inappropriée. Pas de rémission pour ces anarchistes dévoyés. Class 1984 montre l’impossibilité de raccommoder et ignore sciemment toute  »excuse » potentielle.

Les intentions du film sont toujours explicites et ses méthodes outrancières. Si l’aspect pataud heurte à l’ouverture, la charge générale et la puissance logée dans les caricatures changent vite la donne. Alliée à la démarche cathartique, cela peut rendre le spectacle jubilatoire, en tout cas lui conférer un charme supplémentaire, une densité dans sa texture vintage. Visuellement, c’est pas somptueux, la mise en scène manque d’intuitions sophistiquées mais pas de panache, la photographie est standard et sans grâce ; c’est bien ce volontarisme et cette colère qui rendent la séance si efficace, mais aussi un brio narratif. Mark L.Lester (auteur trois ans plus tard de Commando avec Schwarzenegger – un autre genre de kitsch ahurissant) laisse dans l’incertitude et met sous pression : le discours est tranché mais rien n’est acquis d’avance dans le récit. À moins d’être braqué la séance coule sans entraves, parle aux tripes et met au défi la raison face à des arguments obscènes : c’est Eden Lake avant l’heure, corrigé par une hystérie solennelle. Certains spectateurs marqués idéologiquement seront nécessairement outrés, même en y allant avec bonne volonté.

Note globale 63

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Suggestions… Harry Brown + New York 1997 + Orange mécanique + L’aventure du Poséidon + Dredd + Cobra + Inspecteur Harry + Mad Max + Le droit de tuer ? + L’Emmurée vivante + Hitcher/1986 + Légitime Violence 

Caractérologie de Le Senne : Le film lui-même est, sinon exécuté par des Passionnés (conservateurs) très émotif, en tout cas imprégné d’un tel caractère. Andy Norris est un passionné (à la limite, Sentimental parapassionné se confondant avec les actifs) ; le directeur, un Flegmatique ; le leader des jeunes, un Colérique pré-actif, avec une Primarité modérée par rapport à ses camarades.

Scénario & Ecriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (5), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (2)

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LÉGITIME VIOLENCE =+

21 Fév

rolling eyes 1

Basé sur un scénario de Paul Schrader un an après sa contribution à Taxi Driver, Légitime violence subit souvent la comparaison à ce dernier. Il est forcément perdant puisque le rapport au personnage principal est toujours externe et qu’il ne montre aucune sensibilité. Légitime Violence est également moins complexe et les antagonistes de son héros n’ont pas de véritable présence. Enfin le scénario de Schrader a été légèrement retouché par Heywood Gould, amenant Schrader à calomnier le résultat, où son emprunte se ressent toujours fortement.

Rolling Thunder n’est pas un film tout à fait brillant, mais intense et très proche du cinéma de Peckinpah. C’est également un très bon représentant des 70s en tant que décennie des films indépendants brûlants et cyniques. Il est convaincant dans son approche de la condition psychologique des anciens vétérans du Viet-Nam et plus largement des individus ayant subi la torture. La fausse romance avec Linda ajoute au décalage du film et de l’univers du Major Charles Rane.

Le spectateur n’a pas de véritable repère ni exutoire et la froideur parfaite étreignant Rane agit comme une matrice invisible. Tout a un goût amer et cruel à la surface, toute satisfaction semble inutile, tout désir semble impossible. William Devane et son physique original sont parfaits pour interpréter ce sous-vivant, faisant du meurtre de ses agresseurs à son retour aux Etats-Unis la catharsis pour l’ensemble de ses souffrances.

La réalisation est assez nerveuse, les espaces bien choisis, malgré un cachet relativement modeste. John Flynn est efficace même s’il a moins d’idées que ses auteurs et moins d’impact que ses interprètes (Linda Haynes excellente en fausse femme parfaite, fausse « groupie » et vraie dure). Il réalisera dix ans plus tard Haute sécurité et Justice sauvage, films d’action avec en vedette Stallone et Seagal, appréciés par les nanardeux férus de dialogues badass. Enfin en dépit de sa présence parmi les films cultes de Tarantino, Rolling Thunder demeure largement ignoré.

Note globale 69

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Suggestions… Driller Killer + Ces garçons qui venaient du Brésil 

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PAT GARRETT ET BILLY LE KID ****

15 Déc

pat garrett peckinpah

4sur5  Peckinpah a commencé à remuer le western dès 1962 avec ses Coups de feu dans la Sierra assez décalés. Il va ensuite réformer le genre et amener la domination du western crépusculaire dans les années 1970, après celle du western spaghetti dans les années 1960, laquelle balayait déjà les westerns classiques et optimistes de l’ancien Hollywood. Par sa violence omniprésente et sa noirceure sans nuances, La Horde Sauvage (1969) marque l’embaumement de tout un genre en même temps que celui d’un monde. Patt Garrett et Billy le Kid s’inscrit dans la même mouvance sans être si sombre.

Dans La Horde sauvage, il n’y a plus de cadre de référence, tout s’effondre ; c’est tout le contraire dans Pat Garrett, également loin de l’horreur de Chiens de paille (1971). Il y a un équilibre, parfois cruel mais harmonieux ; cet équilibre tellement fort et saillant commence à s’effriter. Les cycles traditionnels s’érodent et Pat Garrett comme Billy le Kid leur appartiennent. Ils ne s’effacent pas, mais sont mis en concurrence avec un progrès galopant. Pour autant la violence demeure, avec sa présence naturelle, fatale : pas de haine ni de rage chez les protagonistes de ce film. Leur violence est inéluctable, indépassable, elle accompagne la vie et l’encadre.

L’absence de suspense quand à l’issue du duel reflète cette fatalité. En effet le film se base sur des personnages réels, bandits ou aventuriers déjà traités dans le cinéma, en 1930 par King Vidor (Billy the Kid) par exemple ou même quatre ans plus tôt par George Roy Hill (Butch Cassidy et le Kid). La conquête est toujours possible dans Pat Garrett, mais elle est sans illusions, sans surprises ou rêves démocratiques. Ce monde reflète ce qu’est une mélancolie sans tristesse ni chute de tension ; la mélancolie d’une vieille âme sans espoirs de renouveau mais néanmoins vive et fondamentalement satisfaite par l’état des choses.

Tonalité acide mais sereine ; et cette fois Peckinpah laisse passer des éclairs de beauté foudroyants. Il livre une balade cynique et par moments enchanteresses, appuyée par la BO de Bob Dylan, comprenant son fameux Knocking on Heaven’s door. C’est toujours un film rude, mais l’odeur de mort est secondaire et le contentement domine. La vie au Far West n’est jamais totalement sûre ni très morale, mais les avantages qu’elle offre valent le coup ; c’est presque une sinécure, sauf qu’on peut mourir à tout instant. Toutefois le progrès arrive pour imposer des compromis sans grâce et sa corruption, en ne laissant plus de place aux libertés naturelles, aux codes de l’honneur et à une certaine justice.

Note globale 79

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

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