Tag Archives: viol.extrême

TITANE =+

17 Juil

3sur5  La notion d’expérience est un peu creuse et galvaudée (modestement par rapport à ‘cinéma de genre’) mais parfaitement appropriée dans le cas de Titane. Ce n’est pas nécessairement un bon film or pour l’attaquer comme pour le soutenir la tâche est difficile. C’est par contre à voir impérativement pour tous ceux qui cherchent l’originalité, l’outrance et l’intensité, spécialement en explorant les cinémas de la marge et du bis (et la confirmation après Grave que Ducournau est à suivre, car même si elle ne devait pas convaincre elle saura probablement impressionner).

Prolongeant les premiers retours et la presse évoquant Cronenberg puis particulièrement Crash, les cinéphiles abondent en citations, se réfèrent naturellement à Christine de Carpenter, à Winding Refn pour les scènes de pulsions violacées ou à Tsukamoto (Tetsuo, Bullet Ballet) pour ceux plus alertes ou réceptifs aux tentations transhumanistes. Une autre référence s’est imposée à moi : Henenlotter et ses farces lubriques comme Elmer ou Sex Addict. J’ai vu en Titane une fantaisie horrifique brutale et imprévisible, jouant à plusieurs degrés pour livrer, selon l’envie du spectateur, une comédie acide, un film d’exploitation et de suspense dans un univers LGBT ou un drame pathétique d’un ton inhabituel ; dans tous les cas le grotesque règne.

Mais ce qui fait de Titane une expérience à vivre [avant d’être à évaluer comme (plutôt) une réussite], c’est la présence de Vincent Lindon (surtout avec la connaissance de l’aura de l’homme et acteur, moins dans l’absolu). Quand il débarque dans ces lieux de sauvage étrangeté, c’est encore dans sa peau d’abîmé au grand cœur – les stéroïdes n’y changent rien, le tirent plutôt vers Patrick Sébastien. Le contraste entre son désespoir et celui de la psychopathe Alexia relance constamment la machine et apporte un semblant de légitimité à cette irréalité ; il faut une capacité de déni, de bienveillance et d’inflation de l’ego de cette trempe pour faire tenir un tel mirage – sans quoi, passé la foire gore, on s’en irait vers du plus trivial, du Rob Zombie (31, Devil’s Rejects) ou vers l’ennui.

Les scènes de danse, ennuyeuses à mes yeux (sauf celle, tant elle est grossière, du salon tuning), pourront plaire aux fétichistes de poses lascives et d’extases de drogués non-démolis. La façon dont le message est martelé dans ces moments devient un brin malaisante et la dernière danse pourrait rater son coup, en omettant que, tout simplement, ce qui reste d’Alexia, quelque soit les attentes ou la libido du public, est proche de la viande avariée. Si c’est par empathie que vous êtes alors en train de vous réjouir, sachez qu’au préalable vous allez souffrir – si l’inhumanité d’Alexia vous a rendu plus froid, alors il n’y aura que des sensations fortes pour égayer une séance décadente – Benedetta de Verhoeven donne davantage la nausée, autrement dit des besoins de vomi tournés vers l’intérieur. Enfin si vous n’êtes pas un ergoteur progressiste, un fondamentaliste ou un complotiste bio il n’y a aucune raison d’intellectualiser ce que vous aurez vu.

Note globale 66

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Suggestions… Eastern Boys + La féline/Schrader + eXistenZ + Neon Demon + T’aime

Écriture : 6. Forme : 7. Intensité : 8+.

Pertinence : 4. Style : 6. Sympathie : 6+.

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RAMBO LAST BLOOD ***

2 Oct

4sur5 Au moment où Rambo arrache l’aorte d’un mec, je me suis dit ‘oui ce film est grave’ et pour ça j’y adhère définitivement. Après une ouverture torrentielle annonçant une séance sous le sceau des sensations fortes, on nous invite à l’empathie pour lui et ses rares proches. C’est primaire mais indispensable et on y va sans retenue. Il n’y a pas cette distance mesquine imprégnant l’ensemble des productions violentes ou amères aujourd’hui. L’homme de la situation n’est pas une noble victime ou une star de bande-dessinée ; ici pas de super-héros ou de héros sophistiqué avec sa mythologie ; vous n’aurez pas le second degré ou la fantaisie douce dans lesquels se réfugier pour aimer et (s’)accepter. Rambo Last Blood présente une vision exécrable des rapports humains et ose le faire sans humour ou sarcasmes d’artiste misanthrope à ses heures. Il ne le fait pas sans cœur ni espoir. Ce film d’action bourrin renvoie à l’essentiel de ce qui a de la valeur, quand on ne croit plus ; en même temps et comme pourraient le dire ses détracteurs, il touche le fond. Il active des leviers fondamentaux : l’envie d’harmonie et le besoin de tout casser.

Sur l’effort sociologique le film mérite zéro. Pourquoi et comment les salauds en sont là, dans ce ‘job’ : peu importe, car on refuse de développer envers eux une sympathie. On peut bien deviner de nous en eux, repérer des liens à certains endroits, mais c’est la pourriture et on ne la veut pas aimable. Ce milieu est nauséeux et on ne réforme ou pardonne pas aux hommes et aux espaces qui se sont livrés à la boue des boues. C’est direct à la fosse, au goulag les places sont déjà prises ! Les mauvaises fréquentations menant à ce désastre ne sont pas moindrement abjectes ou corrompues, seulement moins criminelles. Ce dégoût généralisé, voire cette paranoïa et cette hostilité, dopent la tension. La tendance du film à récupérer des clichés ou cibler le sale sans précautions y ajoute en fatalisme et détermination. Il est évident que la gamine va s’enfoncer dans un traquenard, que son amie trop soucieuse de son apparence (pourtant ridicule) est un poison. Et naturellement chercher une connexion ou seulement des réponses dignes est souvent un acte désespéré ; l’est toujours là où il n’y a que de la bêtise et de l’égoïsme débile.

La mise en scène d’une lourdeur et d’une candeur exquises rend l’expérience presque passionnante, en tout cas immersive. Les spectateurs réticents vont d’autant plus s’exaspérer qu’ils auront légitimement l’impression d’être forcés. Si on apprécie pas ce qu’est devenu Rambo, on aura l’ivresse mauvaise ou rejettera en bloc, d’autant plus si au lieu de plans sans détours on préfère des ouvertures, au lieu d’un choix manichéen on préfère tendre la main. Pourtant ce cinquième Rambo assure une continuité et une synthèse parfaites, spécialement avec les premier et quatrième opus, soit les sérieux où le personnage apparaît comme une icône brisée et se prête facilement à la critique de l’imaginaire guerrier ou impérialiste américain. Simplement il est tard et les questions de gloire ou de contre-gloire ont perdu leur sens. John est un personnage tragique approchant le crépuscule. C’est un homme fort qui met sa monstruosité au service d’actes justes, est capable de maîtriser sa violence potentiellement infinie et chaotique. Ses actes sont extrêmes mais son attitude est simple.

La stylisation est ‘naturelle’ ou axée sur ses comportements, sa présentation pourtant complaisante n’a rien de fantoche ou à demi surnaturelle. À 73 ans il ressemble parfois à MacGyver et est à l’opposé des chorégraphies asiatiques ou des déambulations de pacotille qu’elles soient hollywoodiennes ou exotiques comme celles dans Bacurau. Contrairement à celui de sa seconde jeunesse (donc des opus II et III), le Rambo actuel a des limites, souffre durablement et sur tous les plans après une dérouillée. Même lui peut être impuissant (comme le sauveur incomplet dans Hardcore), ce n’est pas Chuck Norris ou JCVD, ni Bruce Lee, il est soumis aux mêmes lois que les autres, simplement il est largement plus fort. C’est son don et sa malédiction. C’est pourquoi ce film est à la fois réaliste et grotesque, en allant aux extrêmes du vraisemblable et d’une vie extraordinaire, celle d’un type au désir de paix éternellement frustré, honnête et capable d’amour même au comble de sa rage. Il faut peut-être un film d’exploitation désinhibé pour toucher ces émotions sans passer par des médiations amphigouriques : ceux qui souhaitent des justifications n’ont qu’à se reporter sur John Rambo, l’opus précédent approuvé par David Morell (le créateur du personnage).

Note globale 76

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Suggestions…  Harry Brown + Vigilante + Homefront

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SYMPATHY FOR MR VENGEANCE ***

29 Juin

sympathy vengeance

4sur5  Park Chan-Wood a atteint un haut niveau de visibilité rapidement avec son deuxième film, JSA (Join Security Area), thriller politique devenant le deuxième plus gros succès issu du cinéma coréen. Par la suite, le cinéaste réalise la Trilogie de la Vengeance, dont le second opus, Old Boy, deviendra un phénomène et l’emblème de la vague coréenne des années 2000-2010. Sympathy for Mr Vengeance est le premier opus de cette trilogie.

Il suscite beaucoup de controverses à sa sortie en 2002 en raison de sa violence extrême et du cynisme mortifère de l’ensemble des personnages. Il est également l’objet de parti-pris déroutant. Dans Sympathy for Mr Vengeance, Park Chan-Wood n’est pas du tout raconteur d’histoires. Il est très formel, à tel point que le spectateur peut ressentir une absence : il y a effectivement une absence déconcertante d’affect dans la mise en scène.

Le choix d’un héros sourd-muet renforce cette sensation d’inhumanité objective : nous sommes seuls, devant ce spectacle d’une virtuosité et d’une crudité absolues, sans la moindre graisse. Certains films arrivent à donner cette sensation qu’ils se déroulent par eux-mêmes, qu’ils ne sont en aucun cas des fabrications : ceux de Park Chan-Wood y arrivent parfois et celui-ci en particulier.

Leur secret est peut-être une absence de pédagogie : s’il y a une déduction objective à opérer, des symboles, le cinéaste ne cherche pas à les souligner. Il rend son sujet naturel, étranger à tout besoin de justification. Il en résulte un parfum vénéneux et sauvage, une connexion très directe à un univers profondément irrationnel mais d’un ordre évident. Cet enfer est toujours très terre-à-terre, mais le climat est si poisseux qu’il frise l’abstraction.

On se sent visiteur dans une réalité malade, belle et sordide, guidés par une main invisible, ferme et aseptisée. Ça a parfois le goût du remplissage parce que la non-vie en représentation l’emporte, c’est d’une froideur insolite, parfois d’une élégance sidérante.

Note globale 72

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Suggestions… Memories of Murder

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THE CHASER =+

17 Juil

the chaser

Avec ce premier long-métrage, Hong Jin-Na frappe fort et s’inscrit dans la lignée de Bong John-ho (The Host, Memories of Murder), celle des orfèvres d’un cinéma de genre désinhibé. The Chaser est devenu immédiatement une des grandes références du cinéma coréen des années 2000-2010, amenant Hong Jin-na à ré-éditer une performance dans ce registre, avec course-poursuite, violence extrême et serial killer, via The Murderer, qui a lui aussi marqué les esprits, à une échelle plus modeste.

The Chaser pose problème pourtant : à l’image d’un génie qui préférerait s’attarder sur des peccadilles, il tergiverse et se noie en chemin au lieu de filer droit vers les hauteurs atteintes par J’ai rencontré le Diable. Le première partie installe une tension et une proximité physique importantes, apportant la promesse d’un très grand thriller. Puis non, ce sera essentiellement une enquête, une course contre la montre dans le sillage du Silence des Agneaux, en pugnace mais aussi en surface.

La conclusion où le jeu du chat et de la souris reprend et de façon concrète, dans la banlieue de la ville, signe pourtant définitivement le talent de chorégraphe de Hong Jin-Na et sa faculté à allez au plus viscéral. Comme dans les grands thrillers dont la dimension exagérément glauque est justifiée, non par la morale mais par la puissance des portraits et la vraisemblance des instincts libérés.

Mais comme dans beaucoup de films coréens liés au policier ou à l’action, cette distanciation vaguement ironique et analytique affaibli le rythme et la vocation du film. Pourquoi cadenasser à ce point les vertus du style et le génie de la mise en scène au profit de chroniques se voulant réalistes mais n’apportant à peu près rien ni au récit ni au possible commentaire ? Heureusement cette tendance à mimer le reportage sans intentions particulières entame mais n’annule pas l’énergie d’un film.

Note globale 68

 

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Suggestions… Only God Forgives + Bloody Island + J’ai rencontré le Diable + Zodiac + Harry Brown

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ICHI THE KILLER =+

14 Juin

Ichi the Killer est une sorte de produit star d’un hypothétique marché destiné à soulager ses perversions, voir en découvrir de nouvelles au passage. Ce marché existe, c’est même le rayon dominant de celui de la vidéo au Japon ; et une telle vocation est devenue le rôle officieux de la catégorie 3 à Hong-Kong dans les 1990s, avec des climax comme Untold Story ou Ebola Syndrome. En terme d’effusions gores, de violence et de vices méchants, Ichi the Killer est un gros concurrent.

 

Loin d’atteindre le niveau de son autre film-phare, Audition, Ichi the Killer est extrêmement agressif et libéré. Le goût de la transgression de Miike atteint ici son paroxysme, de même que sa propension au grand-guignol. Au-delà des hectolitres de sang et de la décoration refaite couleur boyaux, les excès sont partout ; dans la violence irréelle surtout, mais aussi dans les attitudes et les conditions de vie des protagonistes ou encore via les effets techniques incessants. Le premier quart-d’heure est assez décourageant en raison de ce trop-plein de bruitages semi-industriels.

 

Il faut franchir ce cap, car dans l’ensemble le film dépasse toujours la simple réalité de défouloir ; et puis la séance est suffisamment dépaysante pour en valoir la peine, ne serait-ce que pour cet onirisme inédit (la rencontre avec la femme battue). Miike se lâche sur les gimmicks fous (les frères) et adopte une attitude proche de Tarantino par son goût de la surenchère et sa complaisance aveugle, mais est plus sombre, profond et concerné par la violence et et ses implications. C’est ainsi qu’il transforme son métrage en espèce de roman psychologique brûlant, montrant une compréhension subtile et très subjective du sadomasochisme.

Note globale 64

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Suggestions… Old Boy + 946 Pinocchio + Marebito + Cannibal Holocaust


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