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FACES –

8 Nov

Dans les années 1960, la rencontre du système hollywoodien et de John Cassavetes se solde par un échec. La ballade des sans-espoirs et Un enfant attend sont remontés par les producteurs et notamment par Stanley Kramer, poussant le futur auteur d’Opening Nights à s’épanouir pour de bon en cinéaste indépendant. Il va réaliser cinq films dans la maison qu’il partage avec sa femme Gena Rowlands ; le premier d’entre eux est Faces, tourné exclusivement en soirée, doté d’un budget dérisoire. Il sort en 1968 et est acclamé, allant jusqu’à être sélectionné aux Oscars.

La présentation est pittoresque et sans accrocs, de très beaux jeux de lumières se succèdent et surtout le métrage est écrit cette fois, préparé, minutieux et même répété à maintes reprises avant de laisser-aller la spontanéité. Contrairement à son premier essai Shadows (en 1959), Faces est conçu dans l’effort d’un ‘vrai’ film, c’est-à-dire canalisé un minimum en amont. Il n’en demeure pas moins libre. Malheureusement cette originalité de Cassavetes s’applique à des umbroglio de couples petits-bourgeois sous amphétamines. Nulle cassure avec l’orientation générale de son œuvre, au contraire c’est l’une de ses variantes les plus jusqu’au-boutistes et donc, à l’aune de sa démarche, les meilleures.

À force de donner l’exclusivité au petit registre de l’émotionnel dans un cadre immédiat, Cassavetes crée un spectacle oiseux au dernier degré. Il attend que ses personnages expriment ce que lui-même n’ose trop désigner ou définir ; ses vœux sont sans doute exaucés puisque le résultat est un magma d’états d’âmes et d’exclamations péremptoires, mourant dans l’instant ou se suivant sans se grandir. C’est un happening de bobo punk aviné avant l’heure. Faces c’est un peu Qui a peur de Virginia Woolf avec ceux qui n’ont rien à dire et rien à comprendre, rien à faire, rien à être, mais tâchent de le démouler en prenant leur temps, se chamaillant, riant, s’exaltant pour rien ou presque, puis se sentant terrassés par quelques frayeurs.

Note globale 38

Page IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… Blow Up + La Dolce Vita

Note arrondie de 37 à 38 suite à la mise à jour générale des notes.

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LES HAUTES SOLITUDES —

15 Mar

Dès ses débuts Philippe Garrel fut un réalisateur singulier, avec des expérimentations généralement sous influence de la psychanalyse ou orientées voyages introspectifs (Le lit de la vierge, La cicatrice intérieure). Les hautes solitudes est déjà son septième long-métrage, muet comme Le révélateur, noir et blanc comme presque toujours. Ce nouvel essai est nettement moins cryptique par sa substance, mais ses intentions et sa vocation atteignent la stratosphère en termes de fantaisie fièrement neurasthénique. La compassion présumée déborder de ce film est absente, son voyeurisme est à la fois factice (car on ne voit que des gestes, des moues) et pathologique (il n’y a aucune tension dramatique -même au tout premier degré- car l’enjeu, ou plutôt le focus est ailleurs) sinon ‘involontairement’ malveillant.

Ces hautes solitudes sont toutes entières à la gloire de Jean Seberg, actrice américaine morte cinq ans plus tard, emblème des années 1960 et icône pour la Nouvelle Vague. Le film se résume à une série d’images où elle minaude en roue libre. Il est censé être centré sur une femme de 40 ans à la dérive, mais on s’y morfond à plusieurs. Pour agrémenter, trois invités : Nico parlant seule (évidemment : que dit-elle, pourquoi..), puis Terzieff, obsédé et angoissé par une quelconque idée. Une autre fille, Tina Aumont, passera régulièrement à l’écran. Après s’être agitée dans son lit, Seberg plus ou moins sous médicaments ira chialer à sa fenêtre, se trouver un bonnet. Elle garde l’air dans le vague, puis jette un sourire face caméra, souvent faible et convaincu, parfois las mais appliqué.

Ce manège culmine avec une longue scène où madame remue ses cheveux, nous fixe, cherche une contenance. Oh que la photo est belle et que les poses sont probablement pleines d’intensité bien rangée à l’intérieur. Ce déballage se veut émouvant, doit prétendre charrier de profonds sentiments et nous enseigner leur langue, il n’a de la mélancolie que le squelette de principe et peut-être esthétique. La seule fonction remplie est celle poétique, pour le reste le film est vide et même pas tellement pimpant. Le spectateur est renvoyé à sa propre solitude, à son ennui et son impatience éventuels. Les zélés divers et les fans de cette Jean Seberg sauront peut-être entrer en communion ; d’ailleurs si la notoriété de l’objet est faible, les avis sont très favorables.

En somme rien d’insolite là-dedans ; c’est la radicalité dépouillée, totalement nue, le plus littéralement possible ; l’art et essai le plus pompeux et minimaliste concevable, prenant le public pour cible d’une lobotomie romantique. Au moins Le lit de la vierge portait un véritable esprit d’aventure, un peu plus qu’une audace théorique ; il avait de quoi être borné et stérile, ces Hautes Solitudes arrivent encore en-dessous, à la limite de l’inanimé. C’est donc à voir pour se branler – si on aime les actrices en question ou est un ami des dames enclin à ‘aimer’ celles-là – avec leur bienveillance, leurs finasseries dégénérées et leurs maladies. Les adeptes de ce genre d’intimité feraient mieux de se trouver un dieu ou une pute. Enfin, ce sont de piteuses consolations pour les esprits ultra-perceptifs d’avant-garde qui sont ici notre cœur de cible.

Note globale 22

Page IMDB  + Zog sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (1), Casting/Personnages (3), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (1), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (1), Pertinence/Cohérence (1)

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ASSOCIATION CRIMINELLE (THE BIG COMBO) **

4 Nov

the big combo

3sur5   Joseph H.Lewis est surtout connu pour Le Démon des armes (1950) ; dans une moindre mesure on retient Association criminelle (The Big Combo en VO). Tourné cinq ans après, celui-ci est destiné à n’être qu’un film d’exploitation sans importance. Il trompe cette modeste vocation grâce à son ambiance et surtout ses qualités de mise en scène, surtout ses qualités plastiques. The Big Combo fournit des images comptant parmi les plus jolies dans le genre, au point d’aboutir à quelques visions emblématiques du film noir, comme celle du final.

L’ensemble se déroule de nuit (comme dans Quand la ville dort de Huston), suinte la détresse et le vénéneux, avec des sous-entendus très sensationnalistes. Tout comme les moyens limités poussent le chef opérateur à se surpasser, la censure a un effet stimulant, permettant aux auteurs des élans scabreux qu’ils savent arrêtés à temps (scène X, torture, et même homosexualité sont suggérés). Néanmoins c’est trop simple, trop court globalement et l’écriture n’est pas fameuse. Un côté ‘cheap’ demeure concernant la violence et certains anti-héros : le chevalier blanc en guise de policier n’a aucun charisme quelque soit ce qu’il est censé porter.

De façon générale, on a plus à faire à des grands garçons tordus qu’à des hommes sombres et tourmentés ; ils sont loin d’être taciturnes, les dialogues sans relief étant abondants. Les personnages sont particulièrement pervers ou dévoyés, leurs relations toujours malsaines sont présentées de façon crue. Au casting, des femmes très affectées (et à la limite de la démence), des hommes hiératiques. Susan (Jean Wallace) et Mister Brown (Richard Conte) sont des belles gueules d’atmosphère plus que des caractères en mouvement, ou alors à un niveau où l’hystérie resserre au maximum les définitions.

Note globale 62

Page Allocine & IMDB   + Zogarok Big Combo ou Association Criminelle sur Sens Critique

Suggestions… Laura + Le deuxième souffle + Le Doulos  

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Scénario & Ecriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4+), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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THE LIGHTHOUSE ****

24 Déc

4sur5 Je suis probablement près du cœur de cible et comme The Witch ce film met sur la table une esthétique et des éléments significatifs, à défaut de l’être lui-même [simplement par ce qu’il jugerait ou raconterait]. Dans les deux cas les qualités ne sont pas simplement plastiques – elles sont viscérales au point de rendre des lenteurs objectives bizarrement réjouissantes. Cette fois, isolé sur notre phare, l’anxiété se passe de culpabilité, le plaisir y compris celui de l’amertume et de la fureur toute prête à s’épancher sont immédiats. Il faut passer la crainte d’un film arty éculé, ce dont il relève modérément (ne serait-ce que par le noir & blanc gratuit), spécialement au début où la photo en extérieur a typiquement le goût de ces productions amateures sous stéroïdes/festivalières.

Pour l’essentiel ce sera esthétiquement ravissant, limpide et ténébreux, capable d’écarts bénéfiques. Le vécu intime du duo est assez profond, les dialogues excellents – succulents lors des engueulades de la seconde moitié. On trouve un brin d’humour peut-être par prudence ou envie d’humilité pour compenser avec un emballage prétentieux vu de loin (et dégonfler les envolées des deux allumés). La fin est lâche donc décevante mais c’est naturel d’esquiver ainsi après avoir voulu porter loin dans la fantaisie ou les désirs enfouis. Même si le focus est sur l’envie prométhéenne ou simplement un égoïsme un peu romantique ou trop goulu pour un simple homme, ce qui est convoité aussi a de la valeur, pour nos yeux, nos oreilles et nos cervelles ; si c’est pour en rester sur le commentaire désolé face à l’impuissance et aux limites humaines, ça ne fait qu’ajouter la sienne et faire écho à des sermons et des œuvres dépressives qui ont déjà sublimé le message ou simplement saturé le secteur.

Ce serait ironique de sympathiser avec les transgresseurs pour décréter finalement qu’ils étaient sur une voie toxique – ou alors ne reste que la banalité et la souffrance stupide mais vivifiante, pour lesquelles on est condamnés mais aussi condamnés à ne pas trouver de valeur. Malgré cette absence d’aveux concrets, la facilité de la conclusion et donc une certaine vacuité dans laquelle beaucoup de projections pourront s’engouffrer, le film et même son scénario restent assez riches, avec des inspirations ou des illustrations au caractère pur, ‘évident’ et brillant – sur des thèmes humains comme la mythomanie, l’obstination ou le masochisme et plus encore dans le style via tout l’héritage expressionniste ou mythologique, ou la récupération des imaginaires liés à la mer et aux univers lovecraftiens.

Note globale 78

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Suggestions… Eraserhead + Dagon + Midsommar + L’Antre de la folie

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L’HOMME DE LONDRES =-

11 Avr

C‘est à l’origine un roman policier de Georges Simenon paru en 1934, adapté plusieurs fois, dès 1943 par Henri Decoin puis pour la télévision dans le cadre d’une anthologie sur l’auteur français en 1988. Bela Tarr s’en saisit pour y projeter son univers, avec sa panoplie de plans-séquences et son rythme hypnotique. L’Homme de Londres est son opus le plus critiqué, même ses adeptes, ceux prompts à défendre le voyage de sept heures que constitue Le Tango de Satan, admettant assez souvent que Bela Tarr assure ici un service minimum.

Il suffit cependant de savoir à quoi s’en tenir pour suivre le film sans émotions ni difficultés. On ne s’ennuie pas : on détourne le regard, revient contempler la bobine et ses beaux échantillons, accepte que tout ça ait si peu de sens, un contenu humain si proche du nul. La vision propre au cinéaste est là, avec son pessimisme atrophié exprimé dans Damnation, imposé sans nuance ; si Damnation était un opéra, L’Homme de Londres serait sa note la plus atone étirée sur 2h12, résolument dépressive mais sans plus à ajouter.

Le spectacle laisse un peu pantois, suscitant le respect et l’indifférence mêlées. La post-synchro en français est ridicule, les acteurs (dont Tilda Swinton) sous-exploités, mais le talent de Bela Tarr pour l’invention de lieux-fantômes marquants ou somptueux est intact. C’est vain, mais c’est Bela Tarr, fidèle à sa signature ; et puis contrairement à un Miroir de Tarkovski, ça ne cherche pas à nous mystifier, c’est beau et propre. Il y a une humilité dans cette attitude, à reconnaître sa subjectivité maladive à la limite du régressif, sans prendre son égocentrisme pour un point de vue complexe.

Note globale 46

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Suggestions… Sin City   

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