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L’ORIGINE DU MAL +

6 Mai

Un des meilleurs films où le méchant est une victime entourée de vermines plus rassasiées. Des mystères et compétitions relatifs à la naissance et la filiation, une grande fille intimement et apparemment perdue mais fondamentalement solide et prête à tout, un patriarche bourgeois infect doublé d’un demi-obèse désinhibé, des combats de lesbiennes en prison, des secrets, impostures et jeux de dupes, des appétits égoïstes et de la frustration omniprésentes, une violence perpétuellement différée ou transformée nourrie par le ressentiment lui-même soutenu par l’inaptitude de chacune à prendre le large… le tout servi par une mise en scène et un casting ne craignant ni l’excès (ces split-screen sont probablement grossiers, s’avèrent utiles) ni le ridicule (à force le bluff et l’hypocrisie sont toujours drôles) ou les transitions bizarres (Stéphane hébétée face à une révélation… puis un chien de garde) ; je n’avais pas besoin d’une liste si fournie pour être séduit.

Pourtant à l’ouverture on sent les clichés du film social en embuscade, couplés au polar français commun déjà indiqué par l’affiche stylistiquement cheap et chabrolienne. Très vite on est plongé dans un doute stimulant car on se sent débarqué dans ce tableau ordinaire comme le ferait un cafard écrasé dans la vie mais déterminé à retourner vers la lumière ; comme si l’affreux et ingouvernable de Seul contre tous rassemblait ses esprits (ce qui consiste à liquider les ruminations et tous les produits de la conscience) depuis sa chambre miteuse pour rejoindre le monde avec une composition décente. Le jeu de Calamy est d’abord un peu saoulant (et suspect, mais de maladresse de la part de l’actrice) tant on nous la présente comme une pauvre gourde malmenée et toujours prête à faire des efforts pour se faire pardonner sa gaucherie ; puis rien ne paraît plus juste et spontané que ce ‘masque’ pour une victime réelle dont la condition (pleine de limites) contre-indique toute sorte d’interaction directe (car elle est en position de faiblesse et car sa déconstruction identitaire s’est imposée avant qu’elle aborde le monde social).

Cette manière de se présenter toujours sinueuse et vulnérable s’accorde avec un tempérament ‘inhumain’ et des aspirations affectives finalement peu élaborées (c’est une machiavel avec des désirs enfantins), avec peu de tendresse ou de haine envers les gens – elle est un pion dans un monde de pions souvent plus forts mais plus naïfs qu’elle. Or la manipulation est la meilleure arme d’une victime donc celle-ci charme les femmes, se soumet aux supérieurs, pour obtenir ce qu’elle veut – elle s’avilira volontiers tant qu’on ne l’empêche pas de prospérer, ce qui signifie, dans son cas et à ce niveau de croissance, prendre une place stable (en gardant cette petite dignité de façade, qui la rend si manifestement humble). C’est pourquoi dans les premiers instants elle entre en conflit avec la domestique tout en semblant (et en ‘étant’) neutre voire trivialement bienveillante dans cette relation : elle vient pour la place du parasite ou du vampire en échange du rôle de soutien. Qu’elle occupera le plus candidement et probablement servilement tant qu’elle sera acceptée, logée à tous degrés – il ne s’agit même pas d’amour, encore moins d’affirmation de soi, à peine de sécurité financière, c’est avant tout une recherche de bien-être.

Si on vient pour l’intrigue, on sera probablement diverti comme espéré ; mais si on vient pour des rebondissements concernant la nature des individus, alors on risque de trouver le suspense faible une fois l’essentiel éventé. Cette Origine du mal est une comédie de mœurs – une comédie sombre. Verbalement elle en fait le travail, avec ces dialogues où chacun s’applique à casser l’autre, sèchement ou en douceur ; aussi avec le personnage de la vieille, si ordinaire et élitiste même dans son extravagance. Elle se voudrait épanouie dans la mesquinerie mais n’est qu’une variation dorée de rombière au foyer pleine d’amertume ou de femme lésée, négligée, se donnant des allures de vieille pute insoumise pour effacer le désespoir charnel et moral qui crève les yeux et gêne un peu. Mais le plus drôle reste les pauvres interventions pour tempérer ou faire bonne figure de cette ‘Stéphane’, ces phrases toutes faites et cette politesse exagérée usantes en première instance, mais aussi savoureuses que pathétiques lorsqu’on réalise que cette tempérance compulsive n’est qu’une façon de paraître saine et inoffensive tout en s’économisant. D’ailleurs sous stress, son pilotage automatique déraille ; la réponse (reptilienne) qu’elle apporte à sa partenaire lors d’une scène finale est proche de celle donnée par la créature de Creep. Le caractère sous cette carapace a un grand pouvoir de fascination : celui d’une petite vipère prolétaire capable de réaliser ce qu’une personne trop pleine de sa dignité ne commettra jamais.

Écriture 7, Formel 7, Intensité 8 ; Pertinence 7, Style 7, Sympathie 8.

Note globale 82

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Suggestions… Irréprochable + Le jardin des délices + Seules les bêtes + Parasite + Inexorable + La Cérémonie + 8 femmes

FAMILY LIFE (Loach) +

2 Fév

Réalisé par Ken Loach à ses débuts, deux ans après la révélation via Kes, Family Life est peut-être son film le plus important et populaire. C’est le remake d’une pièce pour la BBC (In two minds en 1967), dirigée par Loach et écrite par David Mercer, aux mêmes postes dans les deux cas. Sorti en 1971, il fait écho à deux tendances lourdes de son époque : la déferlante libertaire et l’anti-psychiatrie. Si le film n’est pas ‘positivement’ libertaire (sauf par bribes : justement ces élans sont impuissants et immatures – les oppressés sont submergés et dans le brouillard), il en a en tout cas l’aspect critique, portant ses coups contre les deux bras droits de l’aliénation : la famille (l’option nucléaire, puritaine et répressive, en tout cas) et les organisations assermentées, par l’État et les corporations respectables. À l’instar de Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975, Forman), Family Life expose les ravages des traitements en HP. Le mouvement antipsychiatrique anglais mené par David Cooper et Aaron Esterson trouve ici son illustration la plus remarquable.

Loach a quasiment mis au point le ‘néo-réalisme’ à l’anglaise, Raining Stones ou Sweet Sixteen en seront encore la démonstration en 1993 et 2002. Family Life souscrit moins à cette tendance, s’approchant plutôt du documentaire, présentant avec froideur et scrupules les pratiques de la psychiatrie traditionnelle et des agences gouvernementales (Ladybird en 1994 s’attaquera aux services sociaux s’ingérant dans les familles). La schizophrénie (ou au moins son aggravation rapide) apparaît comme la conséquence de situations absurdes. Elle pourrait aussi bien être l’étiquette collée sur un cas effectivement désespéré, à force d’être traité comme tel. Elle n’est peut-être qu’une façon de nommer la solitude et la détresse toujours plus profondes d’une fille s’enfonçant dans un chaos intérieur, un pseudo-néant insoluble, à force de vivre dans des ténèbres en plein jour, de composer avec de criantes injustices et des non-sens obscènes. La pathologie mentale a bon dos. Janice est plongée dans l’ambivalence (justement une notion-clé de la schizophrénie), renforcée dans ses troubles : elle hait ses persécuteurs, mais elle s’estime fautive ; elle prétend nier ses envies et se présente comme mauvaise, parfois se révolte vainement.

Elle va échouer et être réprimée quoiqu’il arrive. Elle finit donc par tenter d’exister malgré cette donne, forcée de reconnaître son emprise, mais elle ne sera jamais assez éteinte pour y avoir sa place. Il y a au moins autant de situations schizophréniques que de schizophrènes, dit Family Life. Ceux qui ont conduit à cette situation, sans être déresponsabilisés, ni excusés ou accusés, sont présentés comme les pions d’une espèce de tragédie morose et banale. La part de terreur y est comme anesthésiée et devient le ferment de la désolation. Sans manichéisme, le point de vue est difficile à définir ; empathique ou distant ? On dirait un peu les films sentimentaux de Mulligan (comme Un été 42, mais aussi L’Autre) en radicalement détaché. Il s’abstient en tout cas de toute envolée ou de parti-pris au sujet de ses personnages. La mère est conformiste, bienveillante, autonome mais complexée et mentalement colonisée. Elle se montre rigide mais positive envers sa fille, mais ses blocages lui interdisent toute réceptivité ; son activité est raisonnable et vigilante, mais butée ; donc condamnée à être insipide voire régressive. Le père est dépassé, répressif à l’occasion, acerbe régulièrement ; toujours un peu, quelquefois très fort. Il rabaisse Janice, lui hurle dessus, lui fait porter le poids de ses propres impuissances.

Les deux parents soutiennent des cercles vicieux ; Loach montre un couple de la classe moyenne, reproduisant des logiques coercitives sans voir d’alternatives ni croire au salut hors des règles sociales. Le logiciel de madame est assez réactionnaire mais en vertu de sa foi dans l’autorité, elle s’en remet facilement aux autorités même quand elles ont des atours neufs ou audacieux. Naturellement ils se tournent vers le thérapeute en blouse blanche, c’est-à-dire l’autorité supérieure et le sauveur. Or il n’est là que pour recycler ; il vient en bout de chaîne consulter les restes, joue avec les morceaux, les met en branle pour nourrir ses propres entreprises. Janice est devenu le cobaye de ceux qui se moquaient de ses problèmes véritables et donc de leur source (relationnelle) ; on en fait une folle, comme on s’assure du succès d’une prophétie branlante. Dans les derniers plans, elle est un sujet d’étude à l’université : le professeur présente un exemple vivant de la schizophrénie. Il faut dire qu’il a bien travaillé, restitué tous les concepts de son école et mis en pratique les plans abjects de ses maîtres (ou de ses propres inspirations s’il est doué). Le prestige et le pouvoir ne suffisent pas si on éprouve personne ! Il faut sûrement reconnaître à cet homme éclairé le mérite de jouer au tortionnaire civilisé, l’opportunité de sacrifier des vies sur l’autel de quelques rentes ‘conceptuelles’ ou autres vaches sacrées !

Note globale 82

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LACOMBE LUCIEN +

3 Juil

Les passionnés, les idéologues, même les ambitieux, sont un matériel potentiellement très rentable mais souvent dangereux. Ils peuvent être les meilleurs missionnaires mais sont trop turbulents pour être exploités puis jetés avec sérénité. Les ‘sans foi’ prêts à obéir à n’importe quelle loi contre un salaire sont des ouailles bien plus sûres. Les crétins sont les meilleurs outils, même lorsqu’ils sont égoïstes et imprévisibles, tant qu’ils ne cherchent que l’action et les gratifications immédiates. Conséquence logique : le monde est rempli de vigiles ; principalement de pauvres petits blaireaux, demi-masses humaine, plantées là comme des panneaux signalétiques, chargés de piailler, réprimer même les débuts d’ambiguïtés, tailler dans les ressources humaines.

L’homme de main hédoniste, le ‘petit chef’, le bourreau blasé, mais aussi le teigneux ou l’excité branchés sur une doctrine simplifiée sont les variantes principales du ‘vigile’ (énumérées par ordre de sophistication). L’intelligence ne leur est pas interdite, mais elle est au mieux prostituée et souvent rare. Tout ça se retrouve dans Lacombe Lucien, film nommé comme son protagoniste, brute récupérée par la branche française de la police allemande pendant la seconde guerre mondiale. Avec cet opus (co-écrit par Modiano) Louis Malle participait (en 1974) à annuler le mythe de la France unie dans la Résistance, pieux mensonge gaulliste. Lacombe ne témoigne pas des souffrances et des héroïsmes accompagnant la guerre et caractérisant la Résistance ; il pourrait être une œuvre [‘de’ ou] pour privilégiés, épargnés par les horreurs de la guerre ou la nécessité de l’engagement (en particulier comme en général).

Son ambition n’est pas de s’ajouter aux comptes-rendus ‘nécessaires’ ou aux hommages mérités et réconfortants, mais de montrer l’indifférence des forces anonymes participant à l’Histoire. Que d’irrationalité et de motivations hors-sujet derrière les collaborations de toutes sortes, malsaines ou finalement vertueuses comme ici : car à la fin du film Lacombe entre indirectement dans le camp des résistants, après avoir été le bras armé des oppresseurs. Pourtant l’individu, ses buts et ses besoins n’ont pas changé ; ses convictions demeurent inexistantes, des résidus propres au contexte tout au plus. Ce film ne nie pas l’existence du mal, mais plutôt l’adhésion ‘interne’ de ses ouailles ou pratiquants. Il montre également que la violence, la bestialité, la cruauté en toute légèreté ou encore la générosité ne sont pas des produits de telle ligne ou de telle circonstance, que celles-ci offrent plutôt des occasions ou des justifications. Lucien (Pierre Blaise) exerçait son sadisme envers les animaux (de la ferme ou de la Nature) quand il était un membre de la paysannerie. Sans haine, sans hargne.

Il entre dans la collaboration presque par accident et en toute ignorance, en poursuivant des satisfactions particulièrement mesquines, mais aussi en ayant une de ces faims que n’importe quel jeune désœuvré peut ressentir et étancher sans états d’âmes. Sa relation avec le tailleur juif contient l’essentiel de ses ambiguïtés, met à nu ses défenses pendant qu’il utilise son ascendant emprunté. Lucien fait jouer son statut, veut s’imposer, mais sans avoir la rage, la lucidité ou la science pour croître ou se protéger. Il essaie de dominer Albert Horn pour sympathiser ; son aisance l’attire, sa différence l’enchante, il a déjà dépassé sa suspicion naturelle. Le film est ponctué par les malaises nés de l’attitude de Lucien, or son immaturité est sa grande faute, pas son hostilité ni même sa lourdeur. La fausseté reste éclatante, l’arbitraire, les armes n’y changent rien : si par hasard il était officialisé, France et Lucien formeraient encore un couple dépareillé, aberrant. Ce film est rempli d’étrangers et de prisonniers. Lucien et le juif, si antagonistes, ont en commun d’être figés jusqu’à épuiser leurs rôle. Ils sont dans la maîtrise mais pas ou plus dans la possession de soi, de sa vie ; portés par le courant, ils s’inscrivent ‘dedans’ avec toute la mollesse et l’aplomb de surface qu’autorisent un détachement subi et digéré.

Note globale 82

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BLUE JASMINE +

24 Sep

Le 44e opus de Woody Allen est focalisé sur un personnage et l’ausculte avec génie. Hors du portrait, il n’est pas nécessairement si brillant (pas remarquable formellement) – mais tout converge vers lui. Si les spectateurs ne sont pas réceptifs à la performance de Cate Blanchett et à son sujet ou sceptiques concernant l’écriture, le film pourrait être pénible, sembler pauvre et surfait. Dans le cas inverse, la séance sera jubilatoire et Jasmine attachante en dépit des sombres évaluations qu’elle peut inspirer. Pour mieux mesurer la chute et l’inconfort de Jeannette-Jasmine, le film progresse avec des temporalités parallèles ; à l’effondrement passé s’ajoute celui du présent, pendant que viennent renchérir tous les échecs connus, qui sont autant de rappels à l’ordre, d’insultes au sens grandiose de soi de Jasmine. Mais ce sens de soi n’est qu’inflation et entre-temps Jasmine n’a pas su s’armer ni se grandir de manière à éponger ses dettes.

Au fond Jasmine est une caricature de profils courants – qui ne sauraient s’exprimer et s’étaler ainsi qu’avec beaucoup de moyens. C’est une femme menée par la vanité, au langage hypertrophié, aux émotions plates et creuses malgré une attitude volontiers théâtrale sous la pression. Elle n’est pas une sentimentale pour autant, même en temps qu’égocentrique. Elle se veut éblouissante et digne d’un conte sans avoir en elle quoique ce soit de romantique – sauf dans la mesure où l’otage de son narcissisme pathologique l’est, en se donnant de la valeur à partir de ses besoins tragiques – peut-être qu’il n’y a pas d’individus romantiques mais seulement des conduites ? Au premier abord Jasmine peut impressionner jusqu’à titiller l’envie ou la jalousie, ou simplement charmer par sa combativité dépourvue de pure violence ; elle fait partie de ces gens qui ne sauraient ‘se contenter’ – de la vie comme elle se livre, de la médiocrité régnant spontanément ou des réconforts banals.

Elle est brillante, pas dans le ‘bling-bling’ crû. Son matérialisme est sublime, contraste avec celui des pourceaux et des entrepreneurs mouillant la chemise. Au bout de son triste compte il lui reste cette mentalité ‘positive’ et assertive ; elle sait se vendre, considérer ses talents – bien qu’elle soit une sorte de ‘bonne à rien’. Cet écart grandit tout le long du film, où se précisent ses impostures, déjà révélées par sa nature affichée dès l’entrée (dès sa logorrhée dans l’avion, digne d’une touriste fraîchement tirée de la précarité ou d’une survoltée soudainement revenue à la vie). Jasmine pourrait dégoûter bien des spectateurs, mais ce n’est manifestement pas l’intention ni la perspective des auteurs – ils n’ont pas de problème pour s’en moquer, mais ça n’exclut pas l’acceptation. À force de la montrer sous un angle pathétique sans avoir la pudeur de masquer ses responsabilités, Woody Allen rend Jasmine sympathique : sa personne est sûrement pourrie mais il n’y a pas un gramme de méchanceté en elle. Elle est plutôt faite d’absences, de manques. Et ne peut pas faire autrement, car pour elle plus que pour le commun, la compromission de son écran social signerait l’anéantissement de toutes les béquilles de l’ego – et vraisemblablement la mort psychologique.

Dans son univers de mensonge les humiliations catégoriques sont en suspens – ne reste que la fuite en avant et le renforcement des masques et des manières pompeuses, quitte à devenir odieuse et bouleversée quand la réalité contredit clairement ses illusions. Le plus désarmant c’est qu’elle croit à ses postures, ses arrangements : elle pratique le mensonge ‘entier’, sincère à sa manière car engageant. Il doit améliorer sa vie et l’a rendue facile, jusqu’à maintenant. Sur la fin ses automatismes prennent une tournure morbide car ils ne répondent plus qu’à son envie de reconnaissance qu’ils affichent au grand jour. Jeannette s’est sans doute passées mentalement avant de les produire concrètement de nombreuses scènes de sa vie ; mais quand il n’y a plus d’attente (imaginaire quand elle n’est pas provoquée) dans le monde ou d’espace où épater sans prendre trop de risques, alors ces préparations devraient disparaître. Or elles ont fait tenir toute la mécanique sans caractère spontané ou identifié de Jeannette. Il lui reste à réciter, comme d’autres prieraient en attendant un miracle, ses exercices mondains et pseudo-professionnels – ils ont apporté tant de plaisirs et de bénéfices. Les spectateurs pourraient être indifférents envers cette égarée ou pire, détourner le regard d’une telle perdante.

Le rapport au Tramway nommé désir d’Elia Kazan est très lâche. Le postulat est très proche et les protagonistes dans chacun ré-inventent leur passé ; mais les personnages et leurs relations ont peu voire pas de rapports ; et Blue Jasmine n’a aucun lien avec une sorte de huis-clos – ce n’en est même pas un psychique, puisque nous avons à faire avec un caméléon ambitieux (qui sait paraître occupé, demandé, quand il n’a pas su l’être). Son déni et ses représentations ne sont pas partagés ; nous voyons son état et ses compulsions sans être emmêlés dans sa subjectivité. L’évocation lapidaire d’un ‘millionnaire’ relève de la supercherie dans Un Tramway, or il est réel et occupe une place importante dans Blue Jasmine. Pour le reste, dialogues, lieux, ambiances et procédés narratifs y compris, les deux œuvres ne partagent même pas d’anecdotes.

Ironiquement la filiation avec Tennessee Williams est plus évidente. Ce dramaturge pris en modèle pour de nombreuses adaptations, controversé mais très demandé dans les années 1950-60, a fourni plusieurs anti-héroïnes tourmentées et aliénées (souvent rattrapées par la folie) à la culture américaine. Blue Jasmine en donne une version adaptée à son époque, avec ces deux sœurs dépendantes – l’une à son image et toutes les deux aux hommes. Ginger a besoin d’eux pour satisfaire son caractère et ses besoins ; Jeannette-Jasmine s’en passerait largement, s’ils n’étaient pas le rempart contre la révélation de la nullité (réelle ou seulement redoutée) qu’elle s’acharne à dissimuler. Tout l’air qu’elle a brassé n’a pas suffit pour la rendre intrinsèquement et manifestement plus complète et réussie que la pauvre fille sans grande culture qui lui fait office de sœur (adoptée et obsédée par les relations elle aussi).

Enfin deux choix de casting font immédiatement référence à la pièce. Badwin a joué pour la scène et pour l’écran Stanley Kowalski (illustré par Marlon Brando dans la première et véritable adaptation de 1951), Cate Blanchett avait (‘déjà’) incarné Blanche à Broadway. Dans la version déviante de Woody Allen, ils prêtent leurs corps à deux héritiers de ces personnages fictifs, qui ne sont pas des décalques (surtout pas celui de Badwin, Hal Francis, au charme même contradictoire à proximité du zéro).

Note globale 82

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Suggestions… Le Général de la Rovere + Le rêve de Cassandre + Helen + 30 rock

Scénario/Écriture (7), Casting/Personnages (8), Dialogues (9), Son/Musique-BO (7), Esthétique/Mise en scène (7), Visuel/Photo-technique (7), Originalité (5), Ambition (7), Audace (5), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (8), Pertinence/Cohérence (7)

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MINI CRITIQUES REVUS (1)

5 Fév

Tous les films que j’ai vu depuis que j’ai ce blog (donc un an et demi avant Sens Critique), notés en-dessous de 9, qui n’avaient pas eu les honneurs de critiques. Pour certains elle restera envisageable (des films marquants ou importants, de quelque manière), mais ils sont une petite portion.

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8 et demi *** (1963) : Auto-analyse de Fellini, projeté dans le réalisateur dépressif interprété par Marcello Maistroianni. Cet opus est très proche de La Dolce Vita (le tournant subjectiviste de sa carrière), avec le même type d’humanité : des membres de la haute société, celle du luxe et pas concernée par les responsabilités, jamais étouffée par le devoir ou la conscience.

Pendant deux heures en noir et blanc Marcello/Fellini déambule entre sa réalité et ses fantasmes. Ses rêveries ont une orientation nostalgique et souvent érotique. Sa femme (à lunettes) n’a que des interventions pesantes, elle lui ressemble peut-être trop et n’apporte ni plaisir ni réconfort – c’est un repère désuet. Elle forme un contraste avec le harem largement imaginaire (parce que peu vécu et à tout juste articulé mentalement comme tel) de son mari.

Fellini démontre un art du clip et de la fantasmagorie ‘adulte’ notamment au début, avec la scène d’ouverture et celle en musique autour de la réception d’aristos. Le film contient quelques moments de génie très ‘publicitaires’. Son visuel magnifique a sûrement été pris régulièrement comme modèle, dans les arts liés à la photographie. Les dialogues fourmillent de fulgurances sarcastiques ou spirituelles. Les amateurs de Barbare Steele la verront heureuse de prendre des coups de fouets – le cadre a changé mais son personnage a bien été importé. (64)

Vu le 6 août 2015 et revu sur Mubi le 30 septembre 2017.

Ça – Il est revenu ** (1990) : Téléfilm en deux parties ou ‘film’ de trois heures. J’en avais vu les premières minutes (ainsi que d’autres bouts), desservies par l’interprétation féminine. La mise en scène est lourde et efficace, expéditive et proche du grotesque dans les moments cruciaux. C’est loin d’être l’incurie sur le plan horrifique ou des idées photographiques (Tommy Lee Wallace était déjà la réalisateur d’Halloween III et Vampire vous avez dit vampire). En revanche le film manque d’épaisseur, de fluidité dans les relations. Il peut être une bonne expérience pour les enfants et notamment pour un premier film d’horreur. (54)

Vu des morceaux de la première moitié à la télévision vers 2008.

Les Anges gardiens ** (1995) : Comédie hystérique, avec Depardieu/Clavier dans un double-cabotinage ; plein d’ellipses au risque de l’absurde (une des fins les plus précipitées), du Poiré. Avec un bêtisier médiocre à la fin. J’aime même si c’est fait à l’arrache et sûrement prémédité au minimum possible. Si vous adhérez à un tel truc, essayez Les Gaous (qui pousse le bordel épileptique à un niveau ‘inédit’) ou La Vengeance d’une blonde (meilleur). (62)

Vu une fois enfant, revu en 2017.

Les délices de Tokyo * (2015) : Avec Les filles du Moyen Age, c’est un des deux films que j’ai vus dans l’année (fin décembre) mais pas critiqué (faisant de 2016 la première et seule année où je n’ai pas tenu le principe). Un troisième film entrait dans cette catégorie, mais je ne l’avais pas terminé : le coréen The Strangers.

Bien que le départ soit relativement encourageant, je confirme ma non-adhésion à ce film. Et la note si basse qui par rapport aux moyennes a l’air d’une provocation, ce qui me dépasse d’autant plus que, si je ressens du négatif envers ce film, je ressens surtout peu de choses. (32)

Vu en VOST le 26 décembre 2016, revu en VF en mai 2018.

L’empire des sens ** (Japon 1976) : Présenté dans une version restaurée en 2016. Aucunement excitant et plutôt répugnant dans ses scènes explicites (entre les micro-pénis et les touffes du passé). J’avais trouvé l’approche triviale malgré un côté pompeux, c’est confirmé. Depuis heureusement j’ai découvert Tabou (et Il est mort après la guerre).

La seule scène un peu satisfaisante et plaisante est celle où une fille, tenue par plusieurs autres, se fait enfiler un oiseau en bois (juste avant la danse de Gangnam Style version papy à l’EHPAD). Concernant la passion même charnelle et plus encore les sentiments, ce film manque d’authenticité et d’intensité, jusqu’à ce qu’il ait tout déblayé autour du couple (donc quasiment jusqu’à cette mise à mort interminable). L’espace est alors trop étroit pour que la psychologie soit encore intéressante, mais les acteurs paraissent crédibles et la volonté de madame l’est certainement.

C’est bien un porno chic, enrobé par un halo de subversion et des moyens inimaginables pour un film ‘bis/Z’ ou ‘d’exploitation’ normal. Évidemment c’est devenu ringard puisqu’il n’y a plus grand chose à subvertir depuis les années 1990-2000 (en tout cas au niveau de ces choses ‘naturelles’ et accessibles au moins en esprit et en théorie par chacun), il ne nous reste alors plus qu’à constater la mollesse de la séance, les béances du scénario, le manque de tenue – sauf sur les divers plans techniques. (56)

Vu une fois vers 2008, revu en juin 2018 sur MUBI.

Tenue de soirée *** (France 1986) : Changement d’avis, même si Buffet froid et Les valseuses planeront toujours au-dessus. Film imprévisible et grotesque, avec des omissions considérables et un dernier tiers rendu plus loin qu’en roue libre. La façon dont Michel Blanc est considéré doit être le plus drôle car le plus déroutant – quelque soit les goûts de l’observateur, son personnage n’est pas ‘beau’. L’évolution des individus est ridicule, leurs aventures invraisemblables, les deux sont jubilatoires. Dialogues et acteurs excellents. Un brillant nanar et une formidable comédie, un parfait film pour alcooliques, conçu manifestement à l’arrache ou avec une certaine négligence pour la charpente. Aussi un film remarquable sur le cocufiage et ses variétés. (72)

Vu (incomplet) une fois vers 2009, revu en août 2018.

Cendrillon **** (U 1950) : J’avais mis 7 à mon arrivée sur SC, partagé entre enthousiasme et scepticisme fondés sur des estimations lointaines. J’aime effectivement, suis probablement plus sensible aujourd’hui au mauvais chat, plus enclin à aimer les souris et les petits animaux, mais la grosse souris maladroite est toujours aussi répugnante – je souhaitais sa mort bien que ce ne soit pas dans l’esprit de Disney.

Le culte du prince charmant, l’éloge des petites filles sages et pures sont bien là et pratiqués à fond ; si le premier mérite effectivement révision, le second n’est pas si horrible – la morale de Cendrillon a ses vertus. Sauf sur cette rêverie de fille à marier, mais sur ce plan les ratés sont constants : dans La Valse dans l’ombre comme dans Blanche-Neige, les ‘princes charmants’ sont des êtres vides, sans charisme sinon celui d’une publicité pour l’hygiène. La prise en puissance de l’ex-petite fille, sa maturation sans compromissions, est aussi un motif récurrent mais ne me semble pas un problème – qu’il en soit un pour celles pétries de regrets de s’être trop ou trop vite souillées, pour celles qui n’auraient pu l’être comme elles le souhaitaient ou pour leurs complices masculins, c’est tout naturel.

Sinon le film est plein de détails charmants et marquants. Sa niaiserie est gracieuse. Les chants de souris en font les ancêtres des Chimpmunks. C’est le point le plus innocent du film, car sa morale effectivement n’est peut-être pas géniale pour les enfants (sans qu’elle soit déroutante comme celle de Peter Pan), car s’en remettant quasiment à la chance, le développement du charme personnel et la ‘magie’ pour sortir de la misère – en même temps, les enfants n’ont pas besoin d’être progressistes et de prendre du recul sur tous leurs fantasmes, pas en esprit du moins. (82)

Vu plusieurs fois enfant, revu en décembre 2018.

Peter Pan **** (U 1953) : Vu une fois enfant, j’avais moins aimé le début dans la réalité et n’en conservais aucun souvenir clair. De nombreux détails me sont parus familiers (la fée enfermée, la capture via les sapins). Représentation remarquable et amorale de l’évasion et de l’imagination, capable de parler aux enfants sans les tenir enfoncés dans la niaiserie habituelle (même si la gamine ‘responsable’ et aimante conserve un peu d’ancrage et de repères). Les enfants méritent de voir un tel Disney plutôt que la majorité de ses alter-egos (trop restrictifs) et de ses descendants (trop criards et débiles). (8)

Vu une fois enfant, vers huit ans, (re)découvert en décembre 2018.

Les Aristochats **** (U 1970) : Un excellent Disney, où le cadre est souvent plus intéressant que le sujet (les chats). Le Paris des années 1890-1910, les virées burlesques, les rencontres (avec les oies) rendent l’ambiance charmante. Beaucoup de scènes burlesques remarquables, principalement autour des deux chiens et d’Edgar. Dialogues relativement bien écrits, même si peu sont mémorables (contrairement à Blanche-Neige, Le Roi Lion ou au Livre de la Jungle, mais à l’instar de Robin des Bois ou même Cendrillon). Toujours peu fan du passage sous les toits de Paris et peu sensible à ces chats bohémiens. (8)

Vu peut-être plusieurs fois enfant, revu en décembre.

Independance Day ** (USA 1996) : J’y avais jeté un œil plus que véritablement ou intégralement regardé. Les effets spéciaux sont d’un niveau maximal pour l’époque, comme les meilleurs de Star Wars Phantom sorti trois ans après et également produit par la 20th Century Fox. Les aspects mélo sont ni brillants ni affligeants. Mais combiné au patriotisme et aux échauffements de la dernière riposte, ils multiplient les longueurs. Le véritable problème de ce film me semble donc être cette dernière partie et tout l’ennui précédant la grande attaque. Elle-même en sort gâchée, tandis que le quota de bêtises ‘l’air de rien’ et des autres défauts sont exacerbés – le président devient grotesque, heureusement le mec avec la VF de South Park a le bon goût de bien torpiller l’emphase du délire. Des trucs un peu niaiseux ou invraisemblables, comme prévu, pas dans des proportions atypiques ni trop choquantes. Les péquenauds sont plus cools et musclés que dans Mars Attacks où ils sont transformés en beaufs à la Deschiens. Le président est un tocard pendant les deux tiers au moins – son administration en sait voire en peut davantage. Ceux qui dénoncent sa sanctification supposée ne sont pas au clair – il n’y a que sa virée finale pour véritablement le flatter, pour le reste c’est un membre de la team America comme un autre – c’est bien cette normalisation du personnage qui devrait plutôt être questionnée. (54)

Vu une fois partiellement il y a une quinzaine d’années, revu en avril 2019.

Violette Nozière ** (France 1978) : Une ado de 18 ans jouée par une actrice de 26 comme dans les fictions au campus dans les années 1990. N’étais plus sûr de l’avoir vu et sûr de l’avoir vu superficiellement, confusion possible avec Une affaire de femmes. Pas étonnant tant le point de vue est attentiste, la séance presque contemplative : Chabrol ne sait pas couper ni hiérarchiser. Le père semble mal relié à sa fille, le choix de Carmet et Huppert après Dupont Lajoie où il violait ne saurait être innocent ; mais même dans les relations tout reste bien flou, on en connaît la nature qu’aux deux tiers au maximum, pour certains cas (l’amant), pas même la moitié pour les parents. Comme d’habitude Chabrol donne dans la sous-satire sans beaucoup d’humour contre les bourgeois, l’ordre établi (les féministes peuvent inscrire cet opus sur leur liste des ‘récupérables’) – et comme d’habitude il en fait sûrement trop partie pour attaquer ou même considérer sérieusement la chose. Un film pour ceux qui aiment les ambiances d’époque, à condition qu’ils n’aient pas des espérances de spécialistes ; sinon, pour les acteurs. (56)

Vu une fois superficiellement, [re]vu en juin 2019.

Walkyrie *** (USA 2009) : Sur la tentative d’assassinat d’Hitler par des haut-gradés allemands en juillet 1944 (la dernière des quinze connues de la résistance allemande d’après le carton final), quand la guerre tournait en défaveur du camp de l’Axe. Mise en scène classique et technique plutôt luxueuse. Perd de sa force et de son intérêt avec le lancement de la mission. Focus un peu neuf sur une page de la ‘grande guerre’ mais c’est encore de l’Histoire proprette et héroïque – sans tomber dans la pure figuration de service public. Finalement un film à suspense éventé foncièrement manichéen (une main de la lumière et du Bien tendue vers l’Allemagne), sans à-côtés baveux et sans trajectoires intimes très étoffées. Un épilogue plus humain et moins grave aurait été préférable – Carice Van Houten (deux ans après Black Book) n’est même pas reconnaissable car, comme l’ensemble des personnages secondaires, elle ne sert qu’à refléter une ou deux émotions. (64)

Vu une fois dans de mauvaises conditions en 2009, revu en juillet 2019.

Comment j’ai fêté la fin du monde ** (Roumanie 2006) : J’en avais aucun souvenir et c’est parti pour se répéter. Un doute subsistait : était-je passé à côté d’un tableau profond, car quelques détails relevaient la sauce !? Je me les suis effectivement rappelé (cette prof blonde typique, le vieux tout enthousiaste à la chute du dictateur et immédiatement cassé par la mise à feu tout aussi joyeuse de sa voiture – les ‘copains’ l’ont pris trop vite au sérieux) mais ils ne valaient pas de se pencher spécialement sur ce film. Le film ne présente que des anecdotes et son centrage officiel sur le garçon est curieux, puisque sa grande sœur a un joli caractère et qu’elle meuble bien mieux que tous ses camarades. (52)

Découvert en février 2016 et revu en juillet 2019, toujours sur Mubi.

Bruce tout-puissant * (USA 2003) : Vulgaire et néanmoins bizarre, furieusement débile et niais (dépasse Ace Ventura et ses parties philosophiques ne font que l’enfoncer). Les projections semblent celles d’un petit garçon proche de la mort cérébrale, abruti par ses fantasmes de super-héros. J’avais détesté et décroché après le gag du singe, en était sorti avec un a-priori déplorable [déjà induit par ses pitreries télé] concernant le clown Carrey (corrigé peu après grâce à Truman Show, puis avec Philip Morris) ; finalement ce film n’est pas une des pires choses tournées mais reste probablement la pire avec Jim Carrey. Elle a un pied dans le sentimental et la prêche émotionnelle qui rendent Carrey décalé dans un nouveau et regrettable sens (les flonflons familiaux gâchaient à peine Menteur menteur, passait pour un obstacle allègrement surmonté). Le lien avec Aniston est peu crédible également, même si son personnage est parfaitement vraisemblable. Bien sûr le film oscille entre légèrement et odieusement moche. Les séquences avec ‘Dieu’ Freeman sont trop consternantes pour rester simplement embarrassantes. Pas grand-chose à retenir, le bizutage de Steve Carell surnage à peine, quelques séquences liées aux pouvoirs sont relativement marquantes (la lune, le passage en musique dans la rue). C’était une vilaine expérience avec un arrière-goût sordide. Elle annonce la dérive ‘chamallow’ accompagnant la chute de la carrière de Carrey malgré quelques éclats (comme Eternal sunshine). (28)

Vu partiellement vers 2005, revu en juillet 2019.

L’opération Corned Beef *** (France 1991) : Une comédie grasse et flamboyante signée Poiré avec Clavier, deux ans avant Les Visiteurs et quatre avant Les anges gardiens. On y retrouve les ressorts typiques du cinéma de Poiré, avec ces gags destroy mais aussi des caricatures vaguement mesquines : la grosse avec des scènes assassines et des plans gratuits soulignant sa démarche puis sa tardive prise de conscience (deux costaudes auront un rôle-éclair similaire dans Les visiteurs 2), le dictateur latino. Le couple ‘vieille France’ est moins écorné, on sent davantage de sympathie pour les personnages certes bouffons de Clavier et Lemercier. Jean Reno n’est pas brillant et plombe presque certaines scènes, heureusement l’outrance et la vitesse de la mise en scène l’en empêchent. Tout oscille entre la beauferie adulte et les délires enfantins, la voix de Mitterrand relève du second. On pourrait croire que l’opération fait écho à l’affaire des écoutes de 1982-86, or elles n’ont été révélées qu’en 1992 : dans un autre registre les critiques en feraient des tonnes sur le flair du scénariste ou du réalisateur. (64)ou+

Vu certainement en 2016 ou 2017, revu en août 2019. Peut-être vu plus jeune.

99 francs ** (France 2007) : On y croit un temps et il y a bien des passages potentiellement succulents (la réunion tout particulièrement), mais ça tient difficilement sur plus de 70 minutes. À terme c’est toujours les mêmes problèmes et la même complaisance pseudo-masochiste, vraiment exhibitionniste. On sent cette quête du petit supplément d’âme et de conscience critique pour ces gens-là, les admirateurs de leur milieu, leurs contempteurs hypocrites ou médiocres – puis bien sûr pour tous les autres qui le voudront bien, mais on sort du cœur de cible/noyau dur qui fera la force et l’aura du film. Je reconnaît qu’il y a de la ressource dans cette bête-là mais c’est encore trop ensorcelé par ce que ça prétend dénoncer et à l’image du tour de la fin, c’est superficiel et complètement penaud dès qu’il s’agit de dépasser la provoc ou la posture. (62)

Vu partiellement peu de temps après sa sortie. Revu l’été 2019.

Astérix & Obélix mission Cléopâtre ** (France 2002) : Même si ses atouts au niveau du casting et des décors gardent de leur efficacité, Mission Cléopâtre n’est pas à l’abri d’une réévaluation générale à la baisse. Une grande partie de l’humour repose sur des références anachroniques ; sans surprise celles portées par Itinéris ont mal vieilli. Jamel apparaît comme une sorte de sous-Eric Judor pas drôle. Il n’est pas exaspérant comme il le sera plus tard à cause de la faiblesse des univers autour de lui – quoiqu’il arrive son ‘génie’ n’est pas responsable du succès ou non d’une entreprise ; mais je suppose qu’il peut amuser certains enfants coutumiers de ses réflexes.

Je craignais que placer La surprise de César à peu près au même niveau soit une sorte de snobisme ou une volonté d’originalité opérant à mon insu ; je dois vérifier l’objet lui-même, mais en revenant sur son concurrent, les placer au moins à égalité ne me semble pas tricher. Mission Cléopâtre démarre fort, recycle habilement des éléments secondaires (les pirates), puis à mesure qu’il a posé les enjeux s’épuise. Il connaît une lourde chute après la sortie de pyramide en format bande-dessinée, avec des moments longuets voire assez nuls comme les batailles impliquant Darmon. Le final est assez pauvre et trop centré sur les petites personnes des participants ou du moins leurs personnages sociaux. (58)

Vu en salles à sa sortie et plusieurs fois depuis. Revu pendant le dernier trimestre 2019.

Topaz / L’étau ** (USA 1969) : De jolies scènes (la fille s’évanouissant dans sa robe violette, les grosses manifestations soviétiques), mais des interprétations douteuses, un scénario et un rythme flottants. On peut y voir la contradiction de James Bond mais l’agent principal est un OSS 117 insipide. On assiste à des scènes lentes et laborieuses plutôt que de démonstrations hautement ‘réalistes’. Politiquement le niveau ne dépasse pas la mesquinerie (envers des représentants français) mais il faudrait être un anti-américain susceptible ou un sympathisant socialo-communiste pour en être remué – même s’il est facile de se sentir plus concerné que ces guerilleros mollassons. La partie romance est encore plus fadasse et inepte. Probablement le moins bon de la carrière d’Hitchcock qui approchait de son terme – heureusement les ultimes opus bénéficient de leur relative extravagance – ou vulgarité (Frenzy particulièrement). (44)

Vu une fois en 2014 ou avant, revu en novembre 2019.

Ravenous / Vorace *** (USA 1999) : Malin et bizarre. Palabre sur la transgression et l’égoïsme viscéral, avec quelques sorties brûlantes comme « La normalité, le dernier bastion des lâches ». Une certaine légèreté et ses façons de ‘huis-clos’ interdisent d’aller au bout des ses raisonnements odieux et encourage le flou artistique dans le scénario. (64) 

Vu une fois il y a dix-onze ans.

Inland Empire ** (USA 2006) : C’était le moins bon et le moins stimulant à mes yeux à l’époque, en-dessous d’opus plus classiques ou renommés qui ne m’ont que modérément touché. C’est probablement normal que son réalisateur ait pris des distances avec le cinéma par la suite, tant il semble avoir fait le tour du medium ou de ce qu’il pouvait en triturer (à moins bien sûr de régresser vers du Godard ou du Cavalier). Le style Lynch semble sacrifié au profit de quelque chose de plus ‘cosy’, jusqu’au générique de fin annihilant toute magie du cinéma. Même si aujourd’hui le film se suit relativement facilement, probablement car il rejoint un genre de bidouillages presque courant, il contient trop de redites par rapport aux œuvres ultérieures et seul son mystère trompe l’ennui. (62)

Vu partiellement sinon totalement, pas plus de quatre ans après sa sortie. Revu sur Mubi en décembre 2019.