MINI CRITIQUES MUBI 6 (2019-2/2)

3 Jan

Seconde et dernière partie des mini de 2019 pour Mubi. Dernier semestre nettement moins rempli.

Sogongnyeo / Microhabitat ** (Corée du Sud 2018) : Sentimental opérationnel centré sur les difficultés à s’installer en vie d’adulte de coréens aux alentours de 30 ans. Problèmes de logement, de ‘rangement’ de soi et de marginalité douce. Sur le sujet Dream Home m’avait marqué ; bien sûr il y a aussi le tout frais Parasite. Plusieurs niveaux de comique et de l’empathie pour la protagoniste un peu ‘paumée’ de nature. (58)

Suggestions : Sans toit ni loi, Burning.

Bure Baruta / Baril de poudre / Cabaret Balkan ** (Serbie/Macédoine 1998) : L’Europe de l’Est aime pondre des farces sinistres ; celle-ci est plus ludique et dispersée que Filantropica (le ‘chef-d’œuvre’ de l’industrie roumaine). Focus, en une nuit et des poussières, sur une galerie d’amochés et d’excités, d’escrocs et de victimes. Dans Belgrade à l’époque où elle tenait une forme médiocre. Superficiel et fracassant. Pourrait plaire à Tarantino et à la fraction moins ‘gregarious nerd’ de son public. Serait tiré d’une pièce yougoslave de 1995. Mubi le proposait sous son nom américain ‘Cabaret Balkan’. (58)

Suggestions : Seul contre tous.

Walk the Walk * (USA 1970) : Un film psychédélique égaré jusqu’à sa restauration par l’équipe du ‘ByNWR’ (attachée à des nanars, films bis ou obscurs généralement de cette époque – l’enfance du réalisateur de Drive et Bronson). Bavard, un peu confus dans l’action et niais dans les propos. Difficile à suivre mais pas tant qu’Orgy of the Dead grâce à sa variété de ressources. Contexte underground avec des hippies déterminés et leur nouvel establishment (mariage, morale, coutumes). Un film pour voir gens se droguer, se livrer à la débauche, se complaire dans leur sentiment d’exclusion, de perdition ou simplement de transgression, puis aussi être aux prises avec le doute, la tristesse, une supposée vocation tragique. (26)

Sarah joue un loup-garou ** (Suisse 2017) : Suit une fille de 17 ans en plein égarement existentiel, désireuse de fuir, de préférence avec un ou une autre qui la comprenne. Dans une solitude psychologique large, mais aliénée par son entourage et en premier lieu sa famille (père narcissique, réactions curieuses, ambiances incestueuses). (58)

Ma mère ** (France 2004) : Accumulation de scènes de transgressions, presque toutes odieuses. De rares intermèdes le museau en l’air et l’humeur introspective. On en profite pas car les énoncés de Louis Garrel sont incompréhensibles. Même hors de son cas les problèmes de son sont récurrents. Mise en scène crue, on peut pas dire que ce cloaque soit esthétisé – sinon par son cadre géographique (îles Canaries). Loin d’être génial mais sûrement lynché à tort – sauf que je n’ai pas lu Bataille. (52)

Faust **** (Allemagne 1926) : à revoir, critique éventuelle. (8+)

L’enfant secret * (France 1979) : Le « vive l’anarchie » de poivrot amorphe aigri au lancement est à prendre comme un avertissement. Le protagoniste ânonnera des niaiseries : oui, « l’exil intérieur », c’est bien, tu sais placer de grandes et belles notions ! Pas de chance, l’écrasante majorité des humains est outillée pour comprendre, mais c’est pas grave poursuis sur ta voie de l’expérimentation visionnaire. Et puis comme la majorité des spectateurs d’un tel film est acquise d’avance, il n’y a pas de raison de mûrir un propos, travailler des dialogues, dans le sens du valide et de l’intelligible.

Garrel dirige n’importe comment, avec quand même de la ressource ; donc, des qualités pointent ; les analystes de complaisance n’en peuvent plus de tant de maîtrise ! Ce film doit posséder une valeur esthétique pour ceux qui l’ont découvert et décortiqué en contexte académique ; ou pour les amoureux de l’amour. Eux apprécieront de voir cette pauvre malade, ce brave amant en proie à mille petits tourments obscurs. Ces films-là veulent assister ces introvertis émouvants mais ne connaissent que des langages d’émotifs rongés et bloqués par une espèce d’intellectualité vide. Dans le monde de ces gens la concentration ou le retour vers soi signifient nécessairement ‘catatonie romantique’ avec jeunes gens ‘rebelles’ ou souffrants à deux de tension.

Par rapport à ça Le lit de la vierge était génial et prolifique. Mais hormis Le révélateur, Garrel pointe très bas à mes yeux ; j’ai peut-être eu le malheur de voir le pire, une période junkie prétentieuse par exemple ? (22)

Emerald Cities ** (USA 1983) : Très bien noté sur Mubi (3,7/5 avec 215 notes en fin de parcours), ce « byNWR » laissait un vague espoir. Demi-victoire, car c’est au-dessus de la moyenne, voire au second étage qualitatif de la collection. Deux versants : il observe des gens déglingués d’une façon un peu punk et décontractée ; enchaîne les extraits vidéo, issus de journaux télévisés ou de radio-trottoirs. Ces gens sont parfois ennuyants, les bouts de concerts sont finalement plus attrayants (grâce aux gueules et aux gesticulations des interprètes ; ensuite c’est affaire d’affinités). Le film veut certainement parler de politique mais semble y comprendre autant que les gens interrogés, soit que dalle. Heureusement ce politicard populiste centriste ou libertarien égaye la séance, sans quoi la valeur était juste celle d’un zapping poseur. Les amateurs de Strip-Tease et de cinéma underground pourront apprécier. Plus inégal que The Last Movie d’Hooper. (48)

Keep the river

Un crocodile tiré de ses méditations, bientôt décidé à bouffer du cannibale occasionnel !

Keep the River on Your Right : A Modern Cannibal Tale ** (USA 2000) : Une bien belle rencontre, d’un type aux expériences remarquables (et déviantes). Malheureusement ce documentaire, avec ses manières hyper douces, omet tout ce qui pourrait noircir ou simplement nuancer le tableau. Évidemment en premier lieu les actes de cannibalisme, mais surtout la façon dont ils se sont produits : avec une tribu, partie en bouffer une autre. Le film s’obstine à retarder ou éviter les précisions, se réoriente vers les considérations existentielles ou la gaudriole involontaire du passage à la télé. Si vraiment ce documentaire veut inviter à voir autrement, qu’il le fasse pleinement ; pas avec sa jolie carte postale aseptisante. Au lieu de ça il cite les réponses élégantes mais vaseuses de Tobias et ne va pas en chercher d’autres, ne l’interroge pas – ou plutôt, fait semblant et rapidement (manifestement les réalisateurs sont habiles). Idem pour la complaisance : soyez complaisants envers ce qu’est le bonhomme, mais pas envers ce qu’il présente ou ce qui est établi a-priori de lui-même ! Finalement cette séance potentiellement enrichissante et atypique s’avère une espèce d’hommage mou, une publicité visant à normaliser un cas et des faits extraordinaires (la tradition de circoncision bénéficie de la même indulgence souveraine). Tout ce qu’il en reste est un point de vue sceptique envers l’occident et la normalité, signé d’occidentaux naviguant entre New York et le tiers-monde luxuriant. Le tout sans avancer d’images ou d’arguments susceptibles de fâcher ou d’inquiéter – seulement l’ouverture, qui d’ailleurs peut générer les mêmes sentiments chez des gens spécialement ‘vigilants’. (54)

Nos héros sont morts ce soir ** (France 2013) : Démarre fort, patine à peine arrivé au milieu. Engage enfin les conflits avec la scène d’éclatage de face au bar puis celle où les deux amis se rabaissent mutuellement, mais continue à préférer ‘les scènes’ et les tableaux de son écorché à tout le reste. (58)

Suggestions : Les héros sont immortels/Guiraudie.

Trop tôt, trop tard * (France 1982) : Révolution trop tôt au Sud (colonies) et trop tard au Nord (chez les français). Dans la partie A on récite Engels auquel le film est dédié, puis dresse des comptabilités redondantes, sans plus d’analyse, tout en filmant des paysages bucoliques, champs et entrées de villages. La partie B) Mahmud Hussein (28e minute) s’intéresse au colonialisme Égypte et s’étend jusqu’aux cinq minutes d’archives en noir et blanc formant la conclusion. Les citations seront moins assommantes, la voix est relativement agréable. Ce film capture la réalité brute où l’humain ne fait que passer, ce que les autres n’affichent pas (dans les fictions) ou peu et moins (dans les autres documentaires de témoignages). Cette formule passive a parfois des vertus immersives, c’est le cas ici, où on conserve également une distance et n’a jamais à faire à des actions intenses ou compliquées, lorsqu’il y en a. La caméra rotative et la place donnée aux sons contextuels enrichissent cette approche végétative, même si les abus demeurent : cinq minutes plantés devant une probable sortie d’usine avec les passants et une atmosphère de marché aux puces ; quatre autres à voir deux petits groupes et d’autres types diversement affairés sur un chemin, frôlant la caméra pour la dépasser ; puis onze minutes à ‘flotter’ au-dessus de ce chemin de terre. Dans un cas comme celui-là c’est du tourisme relax.. ou de la surveillance désintéressée via drone. Le tandem de cinéastes marxistes a trouvé une parade honorable pour travestir ses faiblesses, sans trahir sa vocation. Il reste donc incapable de confronter l’Humanité, incapable d’envisager ses contradictions et d’accepter les nuances traversant tous, y compris les éclairés du dogme. Tout ce qu’on peut en tirer de solide politiquement n’est que ce vieux jus d’après lequel les petits-bourgeois seraient partout à prendre la relève des despotes antérieurs. (38)

Blizna / La cicatrice ** (Pologne 1976) : Comme Visconti (avec Bellissima) Kieslowski a démarré avec un film social crasseux sur les bords, montrant la corruption et les cartels dans son pays. Il est inondé de dialogues, la plupart très concrets, les autres abstraits et généralistes. Presque tous ont en commun d’être opaques ou lointains, car on ignore de quel dossier particulier il est question. L’ordre du jour et les combines se déroulent sous nos yeux ou plutôt sous nos oreilles mais nous ne savons pas de quoi il retourne finalement, sauf dans les grandes lignes de ce projet d’aménagement. S’agit-il de nous mettre en état d’impuissance abrutie comme l’étaient les sujets communistes ? Sur le fond aussi le film me laisse sceptique : voyons ce pauvre homme, contraint d’utiliser les outils de ses vils camarades, de pratiquer la purge ! Pauvre chevalier blanc entouré de pourris, respirant le pourri.. à tel point qu’on ne sait trop pour qui ou quoi il s’obstine ainsi à poursuivre le ‘bien’. On ne sait trop non plus en quoi ce ‘bien’ doit tellement en être un, ou pourquoi il serait si automatique (on se rapproche des films de gauche centriste fadasses pour ‘jeunes’ et joyeuses masses attardées comme il en pleut régulièrement – bien sûr le niveau de lucidité et de maturité est ici supérieur). Forcément notre preux camarade finalement se retire sur sa sphère privée, jouera sur son statut comme les autres, ou ne jouera rien (et après tout chez les soviets aussi on peut avoir de belles rentes). (48)

Le jardin des délices **** (Espagne 1970) : Sur une identité brisée que l’entourage tente de restaurer. Malheureusement l’intérêt financier et le pouvoir, certes mince et ‘provincial’, de la famille semble davantage motiver les équipes que l’affection pour l’homme – et l’admiration paraît inexistante, ou engloutie sous la raison de la concurrence ou les sentiments trop vifs des parents immédiats (comme ce fils ingrat lui attribuant ses fautes ou tentations manifestes). On flirte avec le surréalisme bien qu’on sache ou devine rapidement que les bizarreries soient dûes à un mélange de mise en scène de l’entourage et de souvenirs. La charge politique est limpide, la bourgeoisie locale s’affole en voyant son champion décrépit et ses associés (industriels) auront moins de scrupules à balayer les sentiments et traditions (ou pas de légitimité ni d’instinct pour les avoir comme masques). Dans les flash-back le richissisme amnésique tient des discours creux de pré-giscardien capitaliste. Signé Carlos Saura, bientôt auteur de Cria Cuervos. (78)

Elisa mon amour *** (Espagne 1977) : Accessible vu de loin, mais assez nébuleux finalement. Il maintient le doute et l’étend quant à la réalité de ces événements ; déjà dans Le jardin des délices, souvenirs et fantasmes se confondaient, mais cette fois l’intégrité de l’histoire est finalement sacrifiée au bénéfice de la retransmission générique des souvenirs et leurs recompositions, de la réparation de scènes et liens familiaux. (68)

Le hasard ** (Pologne 1981) : Malheureusement c’est aussi indécis, rigide et indulgent que son héros – un mix entre un jeune Macron et l’acteur d’Oslo 31 août. (62)

Brève histoire d’amour *** (Pologne 1988) : Une jolie histoire un brin lamentable. Les trois personnages principaux sont excellents. Trop court en tous points. Bonne mise en scène, inhabituellement épurée pour du Kieslowski. (72)

Général Idi Amin Dada *** (France 1974) : Des images assez précieuses qui rétrospectivement ne peuvent qu’amplifier la caricature, ou la compléter en soulignant la grande part de ‘parlotte’ candide du papa-dictateur. La mise en scène relève le niveau technique, avec quelques effets judicieux dans des moments critiques [de solitude ou de surcroît de fureur contenue du roi]. Les scènes sont très longues et peuvent donc mener à l’ennui, car les laïus du despote sont accablants à tous points de vue. Tourné par Schroeder (La vierge des tueurs, Maîtresse, JF partagerait appartement, Koko) avec des équipes de la chaîne télé française FR3. (66)

Je ne regrette rien de ma jeunesse ** (Japon 1946) : Plus explicitement la réalisation d’un américanophile (du cinéma), mais très pudique à un second niveau, avec une écriture radicalement verrouillée. Expressif, compositions de qualité, mais toujours difficilement accrocheur si on est pas très près du thème ou adepte de l’actrice principale. À moins qu’il soit d’autant plus frustrant dans ce cas, car le politique (le social moins) passe finalement pour un prétexte. Du Ozu mièvre, glamour et ‘limpide’ aurait peut-être ce goût-là. (58)

Tricheurs ** (France 1984) : Placide. Les acteurs secondaires se donnent du mal, le couple Ogier/Dutronc reste tranquille y compris pour jouer pics d’émotion ou emportements. Ce n’est pas assez vif ou déterminé pour sonner ‘théâtral’. Avec en plus ces enchaînements raides, ces plans larges dans des moments inopportuns (ou simplement laids), Schroeder montre une nouvelle fois ses limites de réalisateur et de directeur d’acteur. Malgré tout ces flottements ne manquent pas de charme grâce aux lieux de tournage, décors chics aujourd’hui ‘vintage’ ou même aux diverses postures humaines. Par rapport à Rien ne va plus les personnages sont peut-être plus engageants sur le papier mais en pratique ils sont encore plats et les acteurs sont beaucoup moins convaincants (spécialement Dutronc, surtout dans un versus avec Serrault). (56)

Une vie ** (France 1958) : Une adaptation de Maupassant par Astruc (déjà signataire du Rideau cramoisi tiré d’une nouvelle de Barbey d’Aurevilly). Bien propre, exécuté au mieux dans la mesure du possible (l’imitation de la mort dans le final ne prend pas), précis mais très partiel paraît-il. Je n’ai pas saisi ce que ce film apportait ou était censé apporter. Il peut ajouter une pierre à l’édifice des représentations de femmes aliénées, mais c’est bien tiède. (54)

Secrets et mensonges ** (UK 1996) : Voisine Kean Loach mais plus subtil et moins concluant. Excellent casting mais c’est un peu futile. On éclairera rien sur la conception – or si, c’est important, autant que le présent ou d’être réunis. Concernant l’obtention de la Palme, ça reste un peu aberrant, car le film n’a rien de brillant – peut-être qu’attribuer une fille noire à une femme blanche a envoûté le jury ? (62)

Trois couleurs : Blanc *** (France 1994) : N’atteint pas la joliesse et la prestance de Trois couleurs Bleu, mais m’a davantage convaincu et sans faiblir à terme. Les coups que se prend et surtout qu’accepte ce type rendent forcément la séance excellente. (74)

Trois couleurs : Rouge *** (France 1994) : Davantage de libertés dans les mouvements de caméra et l’introduction retraçant les ‘fils de la conversation’ – amène une proximité avec le cinéma de Jeunet. Excellente conclusion à la trilogie, malheureusement encore une fois avec Kieslowski je sent un plafond au moment où j’y adhère. Avec le recul Une brève histoire d’amour est peut-être le plus élégant. (72)

Le crime de monsieur Lange *** (France 1936) : À tous points de vue c’est un peu court mais j’apprécie ces petits films entre pathétique et satirique, qui contiennent beaucoup, témoignent de mœurs (et, pour nous un siècle après, d’une époque) et de rapports de force ou simplement d’humanités. Le numéro de Jules Berry, propre à ces temps-là et improbable aujourd’hui, engendre un méchant truculent – assez pour donner envie de pardonner les petits sacrifices en vraisemblance à la fin. Globalement le film cultive les qualités de la naïveté, l’utilise certainement pour mieux orienter vers des affinités idéologiques et des sympathies mutualistes (sinon carrément socialistes ?). (66)

Le déjeuner sur l’herbe *** (France 1959) : voir la critique. (68)

La tentation d’Isabelle * (France 1990) : Film romantique inepte. Réalisation inégale, acteurs valables pour des personnages à la fois caricaturaux et imbitables. Ça remue, ça fout quelques acteurs nus et met des grossièretés dans leur bouche pour ‘faire’ passionné, sauf que c’est trop décousu et théâtral pour qu’on y croit ou me donner envie d’aimer. (28)

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