Tag Archives: Polémiques & uppercuts (cinéma)

DEUX HOMMES DANS LA VILLE =-

28 Mar

deux hommes ds la ville

Troisième et dernière réunion à l’écran de Jean Gabin et Alain Delon (après Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens), Deux hommes dans la ville est la réalisation de loin la plus connue de José Giovanni. Ses 14 autres films (dont La Scoumoune) jouissent d’une faible notoriété, certains étant parfois carrément tombés dans l’anonymat. Giovanni est pourtant un personnage d’une influence considérable et le principal géniteur des univers de mafieux dans le cinéma français des années 1960-1970, en tant que scénariste et dialoguiste : cela commence en 1960 avec l’adaptation de son roman Le Trou par Becker, puis comprend pour les plus fameux Le Deuxième Souffle de Melville, Les Grandes Gueules d’Enrico, Le Clan des Siciliens.

Plaidoyer progressiste tourné par un homme de droite ambigu et avec deux stars plutôt réactionnaires, Deux hommes dans la ville est un objet pour le moins curieux et sans doute, plus que bancal, troublant par ses postures. Il est retenu comme un hymne contre la peine de mort (huit ans avant son abolition en France) et en faveur de la réinsertion des délinquants. Ces positions sont défendues de façon cohérente et cette consistance justement donne au film l’essentiel de son intérêt ; si cette intelligence est là, l’habileté fait défaut. Le discours n’est pas simplement lourd, il est parfois carrément pataud (surtout dans la première moitié) ; on parle comme des tracts, des phrases peu cinématographiques en plus d’être peu crédibles s’abattent.

L’éducateur interprété par Gabin relativise ridiculement certaines exactions, sa défense du faible et ses amertumes sont souvent grossières, avec une sorte de posture habitée par le déni, recourant à l’idéologie pour simplifier et peut-être dénier une complexité dont on est pas dupe par ailleurs mais tourmenterait davantage (que la simple opposition ou indignation). C’est très significatif justement : à la vision de ce long-métrage, se sent l’auteur luttant contre son pessimisme anthropologique. Sans donner de vertus au ‘marginal’ en général, le film en accorde à un certain idéal d’homme, individualiste par nature, prêt à être en adéquation avec la société si en lui en laissait l’opportunité, au lieu de s’acharner comme cet inspecteur au zèle froid et quelque peu vicieux.

Le personnage de Delon n’a pas spécialement de vertus définies, mais c’est théoriquement un représentant de cet idéal incompris, parasite aux yeux de la société et des foules médiocres et malveillantes, en dépit et même à cause sa force et celle probable de ses contributions si on le laissait faire. Giovanni croit à la rédemption pour ces âmes trop viriles, trop indépendantes et trop graves en somme ; mais la société comme le système judiciaire souvent ne sont pas ouverts à cette reprise. Dans le contexte du film, cela s’exprime de la façon la plus correcte possible, car ici le rapport à la pègre est paradoxal, régressif ; on en importe la morale mais jusqu’à un certain point, d’ailleurs la vendetta est impulsive et non soutenue par le code.

Par ailleurs Delon/Gino tache effectivement de se réinsérer, plaque son monde d’origine ; en dernière instance il n’a eu que des ennemis ou des fardeaux pour l’empêcher de vivre, lui, prédateur certes mais surtout prédateur à cause des circonstances n’encadrant pas sa nature. Il y a quelque chose d’insoluble face auquel on s’emmêle (parce qu’on s’accroche à la vie et à la loi malgré tout) ; et pendant que Gabin/Cazeneuve déroule ses critiques de vieil éducateur écœuré, anti-autoritariste et humaniste dans la mesure de ce que le bon sens autorise ; l’action elle-même vire à la caricature ad hoc, voir à la niaiserie. C’est comme si des hommes au bord du nihilisme voulaient soutenir des idéaux d’optimistes compassionnels, en éprouvant somme toute qu’une timide connivence, mécanique et vite balayée par le poids de l’expérience et du désenchantement. Et pendant ce temps les valeurs ne sont pas claires. Mais de toutes façons le vraie justice perd, comme elle perd toujours dans un monde où il faut composer.

À cause de ces écartèlements, il faut un arbitre épais, un peu bête ; par conséquent la séance tire vers le mélo paresseux, avec beaucoup de scènes fortes habillant un squelette moral engourdi. Film assez pittoresque donc, plus confus et laborieux que véritablement raté ou même maladroit. Film important dans la carrière de Delon, défenseur de la peine de mort et plus univoque dans ses idéaux que Giovanni (dont le sens de l’ordre et de honneur implique l’éloge de la vengeance et de la répression malgré le plaidoyer en présence ici) ; et dernière apparition dans un succès commercial pour Gabin (seulement deux films ensuite : Verdict en 1973 et L’année sainte en 1976, année de sa mort). On notera aussi les présences très secondaires de futurs acteur acclamés : Bernard Giraudeau et Depardieu ; tandis que Victor Lanoux apparaît, conforme à ses rôles de salauds opportunistes du début, loin du Louis la Brocante de sa fin de carrière.

Note globale 54

Page Allocine & IMDB  + Zogarok sur SensCritique

Suggestions… Le rouge est mis + La Vérité/1960 + Le Samouraï + Garde à vue + Le vieux fusil + Dancer in the Dark + Funny Games

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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THE GREAT ECSTASY OF ROBERT CARMICHAEL *

5 Nov

1sur5 Complètement con mais sait appâter et retenir l’attention, fût-ce à ses dépens. Soutient une vision bien clichée, apocalyptique et paresseuse de la société : voyez cette jeunesse désœuvrée, voyez ces médias (télévision, même les jeux vidéos qui absorbent leur attention !), voyez la drogue, la vulgarité. Il faut montrer les déterminismes, les familles prolétaires. Et bien sûr la propagande et la sévérité politique sont partout – la télé crache du Bush contre l’Iraq.

Par ses façons, le film veut commenter et accuser le monde entier. Mais absorbé par son style et des certitudes floues, il tire aussi brutalement qu’en vain. C’est un essai glauque de nouvel auteur soucieux de cogner, avec une marque certaine quoique voyante plutôt que neuve. Son style est un genre de glaciation à la Haneke (ou certains Chabrol comme La cérémonie) fusionnant avec Larry Clark, ou du Lanthimos (Canine) vivant et engagé, mais aussi simpliste.

En même temps il faut sonner dénonciateur lucide et pas simplement militant borné – ce serait basique ! Alors Great Ecstasy s’applique à esthétiser sans participer, mais quand même en laissant le point de vue des coupables être alimenté, sans soutenir celui éventuel des autres (antagonistes ou voisins). Air connu : réhabilitez ces coupables qui sont des victimes ; les victimes, elles, sont des cyniques qui ont réussi (ou alors mettons tout le monde à égalité sous le règne de la fatalité, surtout si ça essuie les crasses des turbulents) ! Les vingt dernières minutes de violence avec la maison assiégée ne font que traduire et valider en sourdine le ressentiment envers les riches blaireaux de ces petits crétins. On sent bien ces motifs d’agacement (mais l’envie, l’ignominie et la méchanceté sont massivement plus développées) que peuvent inspirer cet environnement ou la starlette en particulier – son discours d’optimiste de l’épanouissement, en mode rêve américain petit format en un contexte [et à une époque] où c’est ouvertement aberrant, mérite probablement une méchante fessée pour le réveiller ; la sanction qu’il récolte en fin de parcours reste délirante en plus de laisser le malaise se proliférer. On nous suggère de trouver des raisons à des crasses dont les cibles n’ont pour tort que d’être plus élégantes jusque dans leurs vices équivalents (égoïsme et mauvaise foi).

Naturellement on s’attarde sur le viol [pardonnez, j’ai spoilé le ‘grand moment’ utile à ‘tout remettre en perspective’] en musique (classique) – en bon héritier de Kubrick. Puis on enchaîne avec des images de guerre en archives – car chaque bêtise trouve sa source dans le Mal et la société, les responsabilités n’existent que du côté des plus grands ou des poseurs de limites, ne l’oublions jamais (les autres vivent aussi dans cet espace de semi-décrépitude mais peu importe, apprécions la complexité par le petit bout exclusif brandi par notre malin génie). Ou alors, Loach est rendu à un étage inaccessible, alors tant qu’à faire les auteurs de cette chose se sont fixés pour objectif un reboot d’Orange mécanique – il vaut mieux se crasher de très haut, ça produit davantage de dégâts et comme la digestion est plus lourde, par perplexité ou sur un malentendu on pourrait crier au chef-d’œuvre.

Note globale 32

Page IMDB   + Zogarok Great Ecstasy of Robert Carmichael sur Sens Critique

Suggestions… Paranoid Park, The Bunny Game, Tenemos la carne, Happy End/Haneke, Le Corbeau, Le Triomphe de la Volonté, It’s a free world, Mise à mort du cerf sacré, Seul contre tous 

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (6), Esthétique/Mise en scène (5), Visuel/Photo-technique (6), Originalité (3), Ambition (8), Audace (7), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (5), Pertinence/Cohérence (2)

Les +

  • une certaine recherche et des bonnes pistes côté son
  • fabrique une grosse mécanique cohérente et efficace même si c’est de la merde surfaite, puérile et fausse(ment compliquée)
  • sait disséminer des bouts de réflexion ou plutôt des terreaux, qui font rester en espérant assister à un décollage, une progression, un engagement plus fin ou sérieux

Les –

  • énième baudruche taillée pour choquer et paraître grande à travers ce choc
  • débile, crétin au mieux
  • personnages et écriture misérables, délaissés, instrumentaux au summum de leur usage
  • originalité résiduelle, seuls les jeunes/novices pourront être leurrés
  • et en plus la matière à choquer est rachitique (une fois dégagées les graisses) et médiocre !

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THE HUNT *

1 Sep

1sur5 Farce horrifique à l’état d’esprit lamentablement confus derrière son opportunisme fracassant. Lorsque la source de ce jeu est exposée, un sentiment authentique en guise de lecture politique se dessine : les conspis sont en train d’écrire la réalité, tout en poussant au crime et ouvrant la voie à la réalisation de leurs fantasmes (autrement dit, quand les gueux sont tondus, c’est qu’ils ont soufflé l’idée au berger – sans quoi lui se serait contenté de textoter, se conformer, réussir et vider des bières sans gluten avec ses collègues). Si ce n’est ces fous, au moins ce sont les « déplorables » qui sont en train de nous dicter l’agenda !

Vision à la fois passe-partout et modérément délirante, bon marche-pied pour le maintien de l’ordre social et du récit dominant ; vision que le film n’étaye que lâchement, comme il ne sait agir que sur ce mode. Car The Hunt fuit toute explication solide (c’est d’ailleurs ce qui lui permet de maintenir l’attention et de garder une certaine vivacité). On ne saura jamais [formellement] où se situe ce film joueur par rapport à ce qu’il énonce ; jusqu’au-bout c’est un sous-Red State. Un élément à la fin confirme l’imbécilité, la moralité laborieuse et la subversion en carton du programme : nous gardons au moins une forte suspicion que Crystal n’est pas la bonne personne [la bonne chassée]. Donc le problème n’est pas tant cette succession de meurtres à l’encontre d’électeurs populistes, droitistes, de complotistes ou de péquenauds ? C’est qu’on se soit trompé de cible ? Faut-il en conclure que The Hunt est un Ultime souper premier degré pour prétentieux jouasses se croyant plus valeureux que leurs camarades évolués ?

La représentation des ‘liberal elites’ semble mieux maîtrisée que celle (pourtant plus drôle, peut-être car ils sont inoffensifs) des vermisseaux réactionnaires. Dans le premier cas, la satire est claire, dans le second, elle est molle et désuète au mieux ; dans les deux le point de vue est à hauteur d’un grand enfant ou petit adolescent rageant sur Twitter, étalant avec insouciance sa satisfaction d’avoir tout compris. Forcément ces tueurs vertueux sont humanitaristes, chassent les généralisations et les appropriations culturelles ; autant de marqueurs gauchistes davantage que des codes d’une véritable élite. Mais ce film ne met pas son curseur au-delà des clivages reconnus par les crétins des réseaux sociaux de masse, donc pas au-delà de la théorie du fer à cheval ou d’autres représentations simplistes et souvent, même quand elles s’en défendent, à une dimension. Bien sûr il y a toujours la troisième voie, celle des malins, des ‘au-dessus-de-tout-ça’ et des centristes bigarrés ; les concepteurs de The Hunt sans doute estiment que leur public le plus attentif est dans cet état d’esprit, ou espèrent qu’il y viendra faute de meilleure position et comme les deux supposés ‘camps’ à l’écran se rejoignent dans l’irrationnel. Bien sûr le film se pose comme indépendant et souligne abondamment les contradictions du camp de la vertu ; mais ce qu’il fait de mieux à ce niveau, c’est plutôt montrer l’insignifiance de ces engagements et la persistance de la vulgarité. Dans le bunker, les hommes sont vantards, ricanent du titre Les larmes du soleil probablement trop précieux à leur goût ; voilà la petite bande de mâles imbéciles, médiocre d’esprit et satisfaite. On pourrait regretter que cette vulgarité persistante soit circonscrite aux hommes, mais ce serait rater la parfaite cohérence du film sur ce plan : les femmes, de tous côtés (sauf si ce sont des potiches ‘yoga’ et pas des femmes fortes), sont remarquables de lucidité et de self-control. Ce modèle taillé pour les dégénérés et les foules éméchées a au moins le mérite de tenir une logique.

Comme divertissement c’est potable, avec des turbulences fortes, un rythme général efficace et quelques tunnels d’ennui. On comprend à la deuxième mort qu’il s’agit d’une comédie ; on pressent en même temps que cette séance se voudra ‘incorrecte’. En sacrifiant immédiatement les deux plus beaux membres du groupe (dont Emma Roberts), appelés à s’unir au fil de terribles épreuves, on nous arrache d’office à la blasitude, pour nous conduire vers une autre, plus contemporaine, plus spécifique (comme elle est fraîche, les auteurs et producteurs supposent, probablement à raison, que l’enthousiasme couvrira encore la frustration de se retrouver dans des schémas fermés et lourdement connotés). On va déjouer nos clichés à nous aussi, spectateurs engourdis par des divertissements polis – ou pire, spectateurs appréciant voire légitimant ces clichés qui sont autant de signatures d’esprits doucement retardés, sinon carrément bigots. En avant pour la destruction des canons et des illusions conservatrices ou patriarcales (celles du vieux Disney avec ses princesses ambassadrices de la féminisation éhontée des femmes, celle des films d’aventure où évidemment les explorateurs et autres mécanos itinérants sont des hommes) ! Venez admirez notre Jackie Chan féminine aux déductions brillantes et aux ressources insoupçonnées – vous avez marché, vous avez cru qu’elle était fragile et démunie lorsqu’elle est apparue ?! Dans la mesure où l’ensemble des hommes l’entourant sont des abrutis étroits, des rednecks ; dans la mesure où son adversaire féminine est aussi le cerveau de la tribu, associée à des gars lâches et impulsifs incapables de contrôler leurs réactions ; les retardataires et mal-comprenants auront l’occasion d’imprimer.

Le malheur pour ce film c’est que dix tonnes de suspension d’incrédulité, d’envie de se faire manipuler le temps d’une séance, ne suffiront pas à se faire sincèrement embarquer. Ce programme est moins déterminé qu’il veut s’en donner l’air, mais il a bien une certaine audace, de l’énergie ; par contre son originalité est entièrement factice. Même ses jeux distanciés sont du déjà-vu. Une seule chose justifie sa connerie narrative : les complices sont partout, les issues sont toujours prévisibles, mais cela permet de multiplier et diversifier les aventures. Effectivement on en voit de toutes les couleurs et c’est assez bien agencé – mais jamais pour assurer une crédibilité ; et c’est toujours trop planqué pour engendrer soit un aperçu pertinent (on l’approche ponctuellement, on voit cette Amérique de blancs complètement égarée et dans des modalités d’affirmation collective de soi absolument pétées) soit un cartoon réjouissant. La satire n’aura servi qu’à enrober une pantalonnade mouillée et tronquer sa banalité ; l’aspect ludique du duel final des deux femmes doit être évident pour qui se tripote trop longuement sur Kill Bill ; la discussion avec le méchant accompagnée d’un air classique est certainement un détournement très-z’averti des clichés du genre et pas sa reproduction lourdingue (façon Miss Météo de Canal+, mais en remplaçant l’ironie par un homme à la présentation).

Quelque soit le degré on retrouve ici tout le maniérisme récurrent dans les films d’horreurs ou les bisseries fougueuses, cette même sophistication criarde, ces laïus (mais en largement pire – pour ça et les combats, que la lecture accélérée soit béatifiée ! canonisée !), ces sarcasmes, ces racolages peinturlurés par des postures grandiloquentes ; mais on ne trouve pas de quoi aimer, respecter, ou s’amuser sans ce côté pince-sans-rire de crétin hautain, comme nous le permettent des show tout aussi épais tel Wedding Nightmare, Crawl, ou n’importe quel survival, satirique ou non, acceptant son job sans chercher à nous faire valider sa prétendue neutralité. D’ailleurs si vous doutez de ce film, réveillez-vous, ne tombez pas du côté des ignorants ; on y cite quand même Orwell selon toute une gamme allant du nominal au subliminal ; même l’impitoyable Athena ne manque pas d’être étonnée qu’une de ces péquenaudes soit cultivée ! Ne restez pas sur le bas-côté à bouder les marques d’intelligence ; elles font le travail pour vous, travaillez un peu pour elles ! Ou peut-être ignorez-vous l’art post-moderne de la subtilité, peut-être n’avez-vous pas passé l’âge de la post-vérité pour atteindre celui de l’indifférence stationnaire hautement assimilée ?

Note globale 32

Page IMDB  + Zogarok The Hunt sur Sens Critique

Suggestions…  Swallow + God Bless America + Bacurau + Us/Peele

Les+

  • se suit sans ennui (sauf quelques exceptions accablantes)
  • ne sacrifie pas la tension à sa démonstration
  • des choses représentatives à récupérer (comme pour l’adrénaline ou le suspense, ce sont des éclairs)
  • dialogues parfois piquants

Les-

  • scénario pour le moins ‘mobile’
  • ne sait trop ce qu’il raconte ni ce qu’il compte en faire
  • ne veut pas savoir où il se positionne et en devient inepte
  • personnages vides ou carrément aberrants malgré un enrobage décent
  • tellement prévisible et bassement opportuniste qu’il en devient un cas ‘intéressant’

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WELCOME **

18 Fév

2sur5 Contrairement à Le Havre, ce film essaie d’être réaliste et ne se confond pas en niaiseries. Au lieu de fantasmer carrément, il se contente de multiplier les approximations et d’exagérer sans tambouriner pour amalgamer l’ennemi avec un régime policier. Ce qu’il contient de misérabiliste n’est pas théâtral ou unilatéralement flatteur pour l’ego et la pureté supposés de l’hôte européen en lutte contre le Mal et ses vils concitoyens ; l’étranger n’est pas réduit à une espèce d’ET sympathique, coopératif et exclusif. Welcome réussi à placer le spectateur en position de responsabilité, à s’imaginer lâcher ou trancher avec sur les bras des éléments de contexte lourds ou contraignants, peut-être en commettant les erreurs ou en éprouvant les ambiguïtés affichées à l’écran.

Il se rapproche du documentaire ou reportage non-sensationnaliste sur certains points (tout le début avec les passages en camion). Globalement, c’est regardable voire appréciable même si on est fatigué de la propagande pro-migrants – ce film-là a des qualités d’humanité et d’exécution, situe la barre loin des enjeux de remplacement et ne se soucie pas directement d’appels à l’ingérence. Même Lindon, l’écorché agressif-parfois mais sensible au-fond et épris de justice, n’est pas exaspérant cette fois-ci – s’est-il rattrapé sur les plateaux télé lors de la promotion ?

Pour autant le poison récurrent est bien présent et à haute dose, simplement plus nuancées. Les excès typiques des humanitaristes et des cosmopolites restent bien sûr de la partie ; le cher point Godwin arrive au bout de 30 minutes, au supermarché où une fille se réfère à l’Histoire pour défendre la Générosité et le Bien : ‘l’interdiction d’entrée dans les magasins, c’est comme ça que ça commence’ ! Bien sûr les geôliers ne sont pas des sadiques ravis, les jeunes migrants ne sont pas des anges en communion et le peuple de l’amour universel et du progrès manque de courage, mais toutes ces couches de gris n’affectent pas l’idéal et le jugement de fond ; aussi Welcome est bien de l’avis de cette bonne dame et dénonce le ‘délit de solidarité’ (en interview le réalisateur a été au bout en commettant le parallèle final [avec les Juifs cachés sous l’Occupation]).

Puis nous avons les procès en lâcheté et les stéréotypes ou accusations qu’on décrétera soit fondés sur des fantasmes, soit du rigorisme ou du matérialisme idiot. Ainsi, même les gens prenant la défense des malheureux migrants sont nourris de préjugés à leur encontre ; Lindon, à fleur de peau, après une déception accuse son invité de l’avoir volé ; son ex-épouse, inquiète du sort de son Simon, lui recommande ‘d’arrêter avec ce truc trop risqué’ malgré ses petites envolées chaleureuses dignes du Clavier médiatique d’À bras ouverts. À ces déviances sont opposées la rédemption du maître-nageur égoïste et tout simplement sa redécouverte du goût de la vie.

Note globale 46

Page IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… Ceux qui travaillent + Eastern Boys + Le grand bain + Moi Daniel Blake + La vache + Le passé

Les+

  • subtil et ‘angle large’ pour un film engagé et pire ‘de conviction’
  • pas de grave défaut de conception
  • modérément prenant, aidé par son approche ‘humaine’ bien que clairement politique

Les-

  • dialogues parfois pompeux et souvent caricaturaux
  • la musique malgré sa discrétion n’est pas ‘dans les zones de gris’
  • banal et lourd dans l’ensemble surtout passé la mise en place
  • même si les deux protagonistes parlent lentement en anglais, avec leurs accents (surtout celui de Simon) c’est épuisant de les suivre et les comprendre

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AUDITION +

21 Déc

Auteur de Ichi the Killer et La Maison des Sévices, Takashi Miike est un cinéaste japonais particulièrement controversé, la faute à son goût pour la transgression et l’ultra-violence. C’est avec Audition (1999, son premier film sortant en France) qu’il entame son rayonnement international, débouchant notamment sur une participation aux Masters of Horror et un cameo dans Hostel. Ryu Murakami avait déjà adapté ses propres romans sur grand écran (Tokyo Decadence notamment) ; cette fois il s’en remettait à Miike pour adapter une de ses œuvres, précédemment publiée dans un magazine érotique.

Miike est aussi un des auteurs les plus prolifiques qui soit, enchaînant trois à six réalisations chaque année, cumulant maintenant une cinquantaine de films et quelques contributions pour des séries. Le prix de ce productivisme est dans la restriction des nuances ; Miike leur préfère l’exubérance, à raison, son talent résidant dans l’outrage. Les uppercut sont émaillés par des thématiques fortes, une approche essentiellement formaliste et une manie du mélange des genres.

Audition en est un parfait exemple. Pendant une heure, c’est un film intimiste et d’angoisse psychique, d’une subtilité et d’une douceur rare chez le cinéaste, avant que le Miike grand-guingol ne reprenne le dessus, jusqu’à la séquence de torture finale si souvent citée. L’ensemble oscille entre déférence aux fantômes façon Dark Water, suspense insidieux, chausse-trappe ludique (pendant l’inquisition du héros) et bis forain haut-en-couleur.

C’est aussi un film sur la condition féminine et la place des femmes dans la société japonaise contemporaine. Toutes les mutations n’ont pas été opérées et le patriarcat conserve son ancrage, au moins dans les méthodes et le regard porté pour dealer avec le monde extérieur. Dans Audition, un riche veuf profite de son statut pour approcher en tant que professionnel puis, imagine-t-on, probablement mécène, la femme qui illuminera sa vie. Pourtant cet homme ne fait que profiter d’une largesse d’un ami (des auditions factices visant à dénicher la perle rare). Il n’y a pas de machisme ni de hargne chez lui, loin de là : c’est un homme plutôt inhibé, un père conciliant. Malheureusement c’est cet homme nouveau, cet homme essoré, qui subira la colère d’une fille revancharde.

Audition a un côté Contes de la Crypte, en mode plutôt chic. Miike orchestre une douce montée vers le trauma. D’un réalisme morose et cotonneux tout vire au fantastique et finalement à la dégénérescence, sidérante et bien réelle. La pression émotionnelle diffuse et profonde laisse place au choc ; et alors que l’œuvre fonctionne sur l’identification au personnage masculin, son traitement est vécu comme une grande injustice. En effet, Audition fait du héros le spectateur de sa propre vie, attendant comme un enfant, un drogué ou un dépressif d’être ragaillardi par une relation authentique. Mais ce besoin concorde avec une emphase réelle pour la jeune femme auditionnée, une ouverture et une conscience à ses besoins, sa nature. Qu’il n’ait fait que s’enfoncer dans un piège traduit autant un malentendu qu’un divorce, lié au renversement de l’ordre sexué.

Note globale 73

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Interface Cinemagora

Aspects défavorables

Aspects favorables

* le sens du film dépend essentiellement du dénouement, qui retourne la donne (bien qu’il soit cohérent)

* film d’horreur adulte et hybride

* une vision de l’ordre sexué, passé et présent, tranchante

* un Miike plus subtil et profond

* moment de cinéma intense, une langueur séduisante

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