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LA RENCONTRE (Cavalier) =-

22 Sep

Cinéma de vieux pré-séniles sous codéine – ou d’une sérénité et d’un dépouillement confinant à la mort, peut-être dans ce qu’elle a de plus agréable. Cavalier (L’Insoumis, Un étrange voyage) filme des objets, bouts de lieux (privés en général, parfois publics comme le métro parisien), éventuellement une moitié d’un corps (mais aussi un oiseau, vivant puis mort). On ne verra presque pas les deux personnes (lui et sa compagne Françoise Widoff au débit ralenti et à la voix de niaise énamourée) ; on les entend. De même les autres humains apparaissent généralement au mieux par bouts (le visage du père à la 26e minute).

Cavalier veut nous faire regarder le monde comme eux, avec leurs gris-gris, leurs petits repères, etc. Il y a toujours eu, même dans ses fictions ‘normales’, cette tentation de la régression et du nombrilisme – en étant dépendant du monde extérieur (Le plein de super était déjà largement passif et aléatoire, comme écrasé volontairement par ses cibles et aliéné dans le flux de leurs vies). Il pousse à fond cette tendance en constituant un film spontané le plus possible, constitué par des morceaux pris sans filtre et sans but déclaré pendant de nombreux mois.

Le résultat a été conceptualisé – on lira « un cinéaste rencontre une femme ». Concrètement Cavalier a capturé son intimité de manière brute, sensorielle exclusive avec la parole pour accrocher. Sa démarche est généreuse car il livre des bouts authentiques et dérisoires de sa petite existence de personne – et non de cinéaste, ou d’individu étiqueté de quelque manière. Il exhibe aussi une relation alors encore fraîche (ce qui a pu le conforter dans son abandon généralisé). Le spectateur est immiscé dans un quotidien trivial, avec un regard de tendres, proches du minimum soutenable dans le jugement – sauf s’agissant d’accepter et de s’enthousiasmer très doucement. L’exercice se produit sans narcissisme de vaniteux – des accès dépressifs seraient plus suspects.

Ce premier film sous format vidéo du minimaliste Cavalier rejoint également un trio ‘voyeur’. Y participent Ce répondeur ne prend pas de messages (passé et encore dans la distance, ‘l’art’ ou le formel) et Le Filmeur (où les spécificités expérimentales se perdront, ainsi que le reste d’équipement purement cinématographique).

Note globale 46

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Suggestions… The Bugs Bunny + Pig

Scénario/Écriture (-), Casting/Personnages (6), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (-), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (6), Ambition (7), Audace (7), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (5), Pertinence/Cohérence (-)

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THE MISSION =+

20 Août

Six ans après la révélation via Heroic Trio, Johnnie To accède à un degré optimal de respectabilité avec The Mission. Avec ce film centré sur cinq gardes du corps (réunis par un chef de triade sous haut tension), il est perçu comme un nouveau parrain du polar, ce que la suite confirmera posément, Exilé, PTU et Election remuant une carrière sur-active mais délestée de pics d’ambitions ou de vanité. Avec Johnnie To, on est loin des fulgurances bruyantes ou de la variété de ses confrères hong-kongais Tsui Hark et John Woo (chinois en tant qu’individu).

Dans The Mission exulte cette façon de se mouver dans le marbre, qui fait les films à la classe impressionnante même lorsqu’ils sont ou paraissent ‘vides’. To a toujours eu cette faculté, nourrie par son génie à travailler des figures classiques. Son univers s’inscrit dans le polar et l’action officiellement, mais trouve ses racines dans le western et le cinéma de mafia occidental. Toutes les effusions ou les rebondissements, même les plus vulgaires, sont constamment subordonnés à la réitération d’un imaginaire discipliné. Le spectateur est mis dans une position paradoxale, car un investissement personnel se devine dans The Mission, mais il demeure impénétrable, réduit à un happening de marionnettes dans des paysages sophistiqués.

On sent une espèce de distance pleine de connivence, une passion secrète pour ce monde de mafieux, ces représentations, plus que pour l’objet des poursuites. L’essentiel c’est se mettre en mouvement, exécuter et préparer le ballet ; la vocation est là, peut-être absurde, sûrement élégante. On se plait à encourager la tradition et en être un bras armé, on meurt sans se presser, savoure ses succès avec flegme et solennité. Le petit malaise, c’est cette BO, sophistiquée et redondante dans le détail, d’une originalité maladroite pour le gros morceau. La répétition transforme le calcul hasardeux en dissonance crispante. Pour le reste, l’histoire est banale, les personnages et leurs relations pas tellement plus différenciés ; si The Mission est passablement remarquable, c’est bien pour sa capacité à refléter avec fraîcheur, non à changer la donne.

Note globale 68

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Suggestions… Reservoir Dogs + Lawless/Des hommes sans loi  

Voir le film sur YouTube (vost, anglais)

Scénario & Ecriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

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L’ILE DU DOCTEUR MOREAU (Brando) +

15 Sep

C’est un excellent film sur la fragilité de la condition et de l’identité humaine et donc un héritier valable, même si pas nécessairement ‘digne’, du roman de Wells. L’essentiel des limites d’un élan ‘de civilisation’ y est, avec la triangulation entre domestication, développement, orgueil. L’émancipation apparaît comme un mirage à la fois à cause des instincts, des nécessités et de la cohabitation. Animaux comme humains ont une pente vers la désintégration et l’auto-indulgence ; le fond normal pour les humains est la médiocrité, celui des animaux dopés du film est plus régressif et immédiatement toxique. L’entropie concerne aussi le pouvoir et même le noble objectif du despote éclairé ; il est autant un sage qu’un fou à la tête de ses ouailles puçées et soumises au contrôle de la Loi [anti-naturelle]. Il manque [pour plaire et rester divertissant] au film une ligne droite, un scénario clair ; le chaos de la dernière phase pèse sur sa capacité à convaincre et impressionner – or ce chaos est logique, présenter autre chose aurait été fumiste. L’ordre était trop facile à briser, ses sujets fatigués d’être soumis deviennent vindicatifs en accédant à une plus grande lucidité, puis tout simplement, poursuivre l’idéal ‘humain’ est si ingrat – et étranger !

À quoi bon devenir un humain, c’est-à-dire un animal supérieur domestiqué (ou contraint de le devenir pour s’épanouir y compris dans sa part animale, physique), si on est de toutes façons une version bâtarde, contrainte à une infinité d’efforts ? À plus forte raison si c’est pour parvenir à un semblant de respect froid mêlé de déception de la part d’une autorité qui jusqu’ici vous méprise avec amour ? Le dégoût et la colère inhérents à la montée en conscience deviennent un barrage insurmontable pour ceux qui ont été trompés sur leur propre vocation et se sentent instrumentalisés sans contrepartie ; mais c’est encore considérer l’aspect sombre et douloureux de la part humaine. L’absence d’ordre et de loyauté, de contrôle des pulsions, ne sont pas gênants pour les animaux, à l’égal de leurs compères les humains qui se sont oubliés. Le problème est aussi politique : après la mort du père et l’évacuation de l’autorité, après la fin des croyances aux promesses édifiantes et la fin de la niaiserie collective, sans colonne vertébrale, sans lucidité, sans projection dans le long-terme, les singes font comme les hommes pressés en meute et se livrent à des imposteurs, des tyrans, pourvu qu’ils meublent la réalité collective (et maintiennent l’illusion festive) – et si la peur ou l’urgence ne les guident plus, au moins leur restera-t-il l’appétit.

Par rapport à la limpidité d’un blockbuster d’aventure ou d’un film plus posé et ‘ouvertement’ fin, L’île du docteur Moreau paraît effusif mais lent, s’avère brouillon, parfois venteux techniquement et ‘cacophonique’ dans sa direction d’acteurs – et son tournage fameux est celui d’un de ces cas ‘maudits’ ou ‘malades. La prestation géniale de Marlon Brando au soir de sa vie peut laisser consterné – et elle est consternante ! Faut-il qu’un despote visionnaire soit nécessairement opaque et distant ? Qu’il soit un méchant de James Bond, de documentaire sur la guerre pour les enfants petits et grands, ou de Demolition man ? Le public se fait-il une si idée si précieuse et rigide des dictateurs, en sur-estimant la distinction avec un gourou ‘civil’ dont on accepte plus volontiers l’excentricité ? Il y a d’apparentes [et d’authentiques] bonnes raisons d’être frustré ou perplexe devant ce film, mais il ne mérite pas le sort qu’on lui a réservé, encore moins d’être traité comme un nanar ; accident industriel recyclant un trésor de la littérature, pourquoi pas. Depuis ma fenêtre, c’est le miroir de La planète des singes, comme l’était sa source – recommandable aux amateurs de bis qui tâche (et jouant avec la confiance dans la ‘réalité’ comme La cabane dans les bois) ou d’Alien 4 plutôt qu’à de la SF intimidante et sinistre [et sur-‘cultivée’] type Ad Astra ou Premier contact.

Écriture 6, Formel 7, Intensité 7 ; Pertinence 8, Style 8, Sympathie 8.

Note globale 78

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Suggestions… Hellraiser IV Bloodline

LAND AND FREEDOM =+

29 Mai

C‘est un des opus les plus cités de la carrière de Ken Loach, mais aussi un des moins représentatifs et des moins subtils. Il présente l’engagement d’un jeune britannique auprès des acteurs de la révolution sociale espagnole de 1936 (précédant la guerre civile s’achevant en 1939 sur la victoire des réactionnaires). Lassé d’être ici à toucher les allocs et écouter ses camarades syndicalistes refaire le monde, à une époque où l’Histoire est agitée ; David (Ian Hart) part à Barcelone rejoindre le front antifasciste, en faveur de la République, contre Franco et les nationalistes. Les affrontements se succèdent dans les campagnes en Catalogne, donnant lieu à des séquences pittoresques, pleines de gaudrioles et de noms d’oiseaux dans un premier temps, plus malheureuses, cruciales et futiles à la fois par la suite.

Le film sera le récit d’échecs successifs, ou au moins de demi victoires amères. Le gouvernement de Valence mené notamment par les communistes, plus qu’un allié ou un éventuel concurrent (supérieur car tenant les armes et le pouvoir politique), s’avère rapidement un ennemi pour le POUM (la participation de ces anarchistes à un gouvernement étant un cas singulier, pour partie responsable de l’affolement des droites). Sous emprise stalinienne, les Brigades Internationales présentent le POUM (interdit dès 1937) et les autres anarcho syndicalistes acteurs de la révolution comme des fascistes sociaux (« hitléro trotskystes ») et des fauteurs de trouble. Cette propagande occupe cependant le second plan, l’Histoire étant abordée par le biais des pérégrinations de ce David, dont les illusions et l’adhésion aux Brigades tourneront court.

La photo, la mise en scène, le développement, sont beaucoup plus lisses que les autres opus signés Loach (KesFamily LifeSweet Sixteen). D’ailleurs la façon d’introduire le sujet (flash back partant de la petite-fille face à son grand-père mourant) renvoie à ces biopics de prestige ou des familles (et souvent les deux confondus) des années 1990/2000. Le travail de Loach n’est pas mielleux, totalement dévitalisé ou obséquieux comme les films historiques américains sortant à l’époque (tenant plus du thriller aux bouillonnements factices – Mississippi Burning est un cas d’école), mais presque aussi innocent. Land of Freedom ne fait qu’illustrer des généralités sur l’Histoire, y compris ces confrontations mortifères entre anarchistes et communistes, dont il ne tire que la matière à des épanchements théoriques ou tire-larmes.

La séance est agréable, comme un travail de journaliste ou un documentaire compassé, flattant des besoins en représentations folkloriques ou en collecte de données exploitables en deux circonstances : travaux scolaires ou substitut à quelques schémas sur des nuances de gauchismes. Une longue séquence met en relief la culture du débat propre aux anarcho-collectivistes et aux révolutionnaires de 1936 ; un joli moment, didactique jusqu’à l’os, permettant un superbe mais aussi très superficiel éventail de points de vue. Où l’idéal démocratique permet d’apercevoir une synthèse sans avoir aucune incidence (autre que symbolique) sur le programme d’action prévu. Loach souhaitait sans doute inspirer autre chose, mais son film ressemble à des diapositives savantes et tout public bonnes à égayer les musées. Malgré tout il se distingue en montrant comment un camp (progressiste ici) peut se flinguer lui-même ; les antagonistes ‘profonds’ sont dans toutes les bouches, leurs apparitions à l’écran discrètes (presque des variables obscures).

Note globale 62

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A TOUTE ÉPREUVE =+

18 Fév

a toute épreuve

A toute épreuve est le dernier film hong-kongais de John Woo, avant son départ pour les États-Unis, où sa première réalisation sera Chasse à l’homme avec Van Damme. Cet opus n’a pas l’aura d’Une balle dans la tête ou de The Killer, mais est réputé pour son intensité rare. Il présente en effet une abondance de gunfights et alignerait plus de trois cent morts.

Le goût criard de la réalisation prend du sens avec un tel déluge d’action. À toute épreuve est kitschissime et un peu bête, mais il impressionne par sa fureur. La violence chez Woo est importante, dans cet opus elle est omniprésente, mais plus divertissante que jamais en raison de sa dimension irréelle et aseptisée. Le film flirte avec une dimension onirique, pas celle d’un Miyazaki mais bien d’une série télé ensoleillée surgonflée.

Le programme contient moins de graisses, est plus costaud et donc meilleur que Le Syndicat du crime et The Killer, même si le fossé entre ces films est mince. Médiocre dans le scénario et néanmoins épatant par son ampleur, A toute épreuve n’est cependant fondamentalement qu’une séance pop-corn survitaminée et dérisoire, avec un peu d’humour. C’est aussi un spectacle où John Woo réussit à enchaîner les ralentis, sans freiner le tempo ni même afficher une imagerie saccadée ou clipesque.

Malgré la dimension sommaire de l’intrigue, A toute épreuve ne résonne pas comme une coquille vide. Les personnages ne sont pas brillamment écrits, en revanche les lieux ont toujours un caractère, de quoi communiquer ces sentiments nostalgiques si importants pour John Woo. C’est ce relief-là qui permet à son cinéma d’être attachant ou à défaut d’avoir une stature, d’être un bal pyrotechnique avec son supplément d’âme, pas seulement ses grosses armes et ses émotions médiocres.

Note globale 66

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Note arrondie de 65 à 66 suite à la mise à jour générale des notes.

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