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DEUX HOMMES DANS LA VILLE =-

28 Mar

deux hommes ds la ville

Troisième et dernière réunion à l’écran de Jean Gabin et Alain Delon (après Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens), Deux hommes dans la ville est la réalisation de loin la plus connue de José Giovanni. Ses 14 autres films (dont La Scoumoune) jouissent d’une faible notoriété, certains étant parfois carrément tombés dans l’anonymat. Giovanni est pourtant un personnage d’une influence considérable et le principal géniteur des univers de mafieux dans le cinéma français des années 1960-1970, en tant que scénariste et dialoguiste : cela commence en 1960 avec l’adaptation de son roman Le Trou par Becker, puis comprend pour les plus fameux Le Deuxième Souffle de Melville, Les Grandes Gueules d’Enrico, Le Clan des Siciliens.

Plaidoyer progressiste tourné par un homme de droite ambigu et avec deux stars plutôt réactionnaires, Deux hommes dans la ville est un objet pour le moins curieux et sans doute, plus que bancal, troublant par ses postures. Il est retenu comme un hymne contre la peine de mort (huit ans avant son abolition en France) et en faveur de la réinsertion des délinquants. Ces positions sont défendues de façon cohérente et cette consistance justement donne au film l’essentiel de son intérêt ; si cette intelligence est là, l’habileté fait défaut. Le discours n’est pas simplement lourd, il est parfois carrément pataud (surtout dans la première moitié) ; on parle comme des tracts, des phrases peu cinématographiques en plus d’être peu crédibles s’abattent.

L’éducateur interprété par Gabin relativise ridiculement certaines exactions, sa défense du faible et ses amertumes sont souvent grossières, avec une sorte de posture habitée par le déni, recourant à l’idéologie pour simplifier et peut-être dénier une complexité dont on est pas dupe par ailleurs mais tourmenterait davantage (que la simple opposition ou indignation). C’est très significatif justement : à la vision de ce long-métrage, se sent l’auteur luttant contre son pessimisme anthropologique. Sans donner de vertus au ‘marginal’ en général, le film en accorde à un certain idéal d’homme, individualiste par nature, prêt à être en adéquation avec la société si en lui en laissait l’opportunité, au lieu de s’acharner comme cet inspecteur au zèle froid et quelque peu vicieux.

Le personnage de Delon n’a pas spécialement de vertus définies, mais c’est théoriquement un représentant de cet idéal incompris, parasite aux yeux de la société et des foules médiocres et malveillantes, en dépit et même à cause sa force et celle probable de ses contributions si on le laissait faire. Giovanni croit à la rédemption pour ces âmes trop viriles, trop indépendantes et trop graves en somme ; mais la société comme le système judiciaire souvent ne sont pas ouverts à cette reprise. Dans le contexte du film, cela s’exprime de la façon la plus correcte possible, car ici le rapport à la pègre est paradoxal, régressif ; on en importe la morale mais jusqu’à un certain point, d’ailleurs la vendetta est impulsive et non soutenue par le code.

Par ailleurs Delon/Gino tache effectivement de se réinsérer, plaque son monde d’origine ; en dernière instance il n’a eu que des ennemis ou des fardeaux pour l’empêcher de vivre, lui, prédateur certes mais surtout prédateur à cause des circonstances n’encadrant pas sa nature. Il y a quelque chose d’insoluble face auquel on s’emmêle (parce qu’on s’accroche à la vie et à la loi malgré tout) ; et pendant que Gabin/Cazeneuve déroule ses critiques de vieil éducateur écœuré, anti-autoritariste et humaniste dans la mesure de ce que le bon sens autorise ; l’action elle-même vire à la caricature ad hoc, voir à la niaiserie. C’est comme si des hommes au bord du nihilisme voulaient soutenir des idéaux d’optimistes compassionnels, en éprouvant somme toute qu’une timide connivence, mécanique et vite balayée par le poids de l’expérience et du désenchantement. Et pendant ce temps les valeurs ne sont pas claires. Mais de toutes façons le vraie justice perd, comme elle perd toujours dans un monde où il faut composer.

À cause de ces écartèlements, il faut un arbitre épais, un peu bête ; par conséquent la séance tire vers le mélo paresseux, avec beaucoup de scènes fortes habillant un squelette moral engourdi. Film assez pittoresque donc, plus confus et laborieux que véritablement raté ou même maladroit. Film important dans la carrière de Delon, défenseur de la peine de mort et plus univoque dans ses idéaux que Giovanni (dont le sens de l’ordre et de honneur implique l’éloge de la vengeance et de la répression malgré le plaidoyer en présence ici) ; et dernière apparition dans un succès commercial pour Gabin (seulement deux films ensuite : Verdict en 1973 et L’année sainte en 1976, année de sa mort). On notera aussi les présences très secondaires de futurs acteur acclamés : Bernard Giraudeau et Depardieu ; tandis que Victor Lanoux apparaît, conforme à ses rôles de salauds opportunistes du début, loin du Louis la Brocante de sa fin de carrière.

Note globale 54

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Suggestions… Le rouge est mis + La Vérité/1960 + Le Samouraï + Garde à vue + Le vieux fusil + Dancer in the Dark + Funny Games

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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LE ROUGE EST MIS =+

12 Nov

Le rouge est mis

Gilles Grangier est un des cinéastes français les plus influents des années 1940-1960. Il a dirigés régulièrement les acteurs les plus importants de son temps, comme Bourvil, Fernandel, Arletty ou Jean Marais ; et surtout Jean Gabin, au casting de douze de ses films (Les vieux de la vieille, L’âge ingrat, Le cave se rebiffe, etc). C’est la vedette du Rouge est mis, adaptation du roman éponyme d’Auguste Le Breton par Michel Audiard. Une équipe typique complétée par la présence de Lino Ventura, dans un rôle paraissant secondaire, ce qu’il n’est pas dans la hiérarchie du film (même si ses propriétés sont plus étriquées que pour ses camarades).

La faute en revient au meilleur atout du Rouge, dont le tort est le mérite : occuper tout l’espace et la contaminer avec sa morale. Gabin campe un personnage particulièrement dur, bien plus sec que celui de La Traversée de Paris (un an avant) et quasiment dépourvu d’humour. Sinon lui, Le rouge est mis manque de singularité et se voit forcément comme un de ces polars crus de l’époque, sans se détacher foncièrement du lot. Il ne manque pourtant pas de caractère et déploie une aigreur extrême. Rarement ce fatalisme sans idéal, pas loin du nihilisme civilisé dans la forme, a été si saillant et unilatéral, à la limite de la bestialité propre, dans les polars crus de l’époque.

Toutefois si cette aigreur est répandue ouvertement, c’est sans profondeur particulière. La vision exprimée est très cynique sur l’ordre social et les raisons animant les hommes ; et dans ce monde-là, le tort du frère de Louis Bertain, c’est de s’être fait choper pour un tout petit larcin. Quel misérable crétin, quelle honte. Sinon il n’y a pas plus d’autorités morales qu’il n’y a d’ailleurs, sinon l’hypothèse d’une retraite à la campagne pour s’autoriser un peu de paix et se purifier. L’amertume est partout, jusque dans la repentance : « Faut croire qu’en vieillissant on cherche tous à se blanchir ». Pour le plaisir de voir Gabin superviser avec poigne sa galerie de salauds, de médiocres et de fantômes.

Note globale 58

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Suggestions… Razzia sur la chnouf + Le Pacha + La métamorphose des cloportes

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LE PACHA +

28 Oct

le pacha

Gros morceau que ce Pacha puisqu’il réunit Lautner à la réalisation (Les Tontons Flingueurs, Le Guignolo), Gabin en haut de l’affiche et Michel Audiard aux dialogues ; en plus d’un cameo de Serge Gainsbourg, dont le Requiem pour un con parcoure le film. Quelques répliques sont passées à la postérité, la plus savoureuse étant « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner ». En combinant ces arguments massues et des recettes traditionnelles, Le Pacha assure les réjouissances, même s’il manque un peu d’invention.

Car le scénario est plutôt gringalet, l’enquête sans grand attrait ; ce pourrait être un polar de plus, sur le papier il a même presque aucun intérêt. À l’écran ça se passe autrement et pour les clients du genre c’est un régal assuré. Le Pacha a un côté testamentaire, point final avec un pied dans l’après ; il sonne caricatural sans perdre en magnétisme, comme lorsqu’un refrain connu s’accomplit. Gabin y mène une enquête sur la mort (meurtre probable) d’Albert Gouvion, son ami quoiqu’il l’ait exaspéré jusqu’au-bout. Le vieux loup (calme, blasé, actif) constate et accepte tout le cynisme de sa profession, de son monde, de toute l’humanité qu’il a fréquentée même, quoique le flegme atténue son venin. « La police est mesquine » assume-t-il et lui-même est plutôt un pourri à ses heures, dans la pratique en particulier, dans l’esprit ça ne compte pas.

On est pas si loin du film noir, tout en restant dans le cinéma de gangsters stoïque et désenchanté à la française. Le Pacha est différent de ses homologues du genre et de l’époque à cause de son degré extrême de crudité ; le langage est très vulgaire à l’occasion (y compris celui de Gabin), la violence outrancière (censurée à l’époque, 1968). Bien que Gabin supporte tout le poids du passé et s’appuie sur lui pour éclairer le présent, il contemple avec placidité la modernité d’après ; ainsi l’insolite arrive, soit Gabin chez les hippies. La scène du club, érotisante, connecte à des gimmicks d’ailleurs, alors qu’ici l’ambiance a déjà changée. Cette énergie particulière définit Le Pacha, le film comme son leader ; mélancolique mais sans tirer vers la passivité ; ce sera pour le hors-champ plus tard, probablement.

Note globale 72

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Suggestions… Un singe en hiver + Mélodie en sous-sol + Garde à vue + Quand la ville dort + Le rouge est mis 

Scénario & Ecriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (4), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

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LES VIEUX DE LA VIEILLE **

2 Déc

les vieux de la vieille

3sur5  Se désignant lui-même comme « une farce de Gilles Grangier », Les Vieux de la Vieille (adaptation d’un roman éponyme) connut un grand succès à sa sortie, avec 3.5 millions d’entrées en 1960. Il fait partie de ces films de nombreuses fois diffusés à la télévision française et est caractéristique de ces produits jouissant d’une valeur populaire appelée à s’éteindre. Comme l’indique l’expression lui servant de titre, il réunit trois vieux types au parlé folklorique dans un univers champêtre.

Avec le retour de Baptiste en Vendée, les vieux amis se retrouvent. Ils se racontent leurs histoires, bien sûr, mais il ne s’en tiennent pas là et se comportent toujours comme de vrais gamins. Sans être profondément irrespectueux, ils ne respectent aucune autorité, même pas les religieuses du coin. Ils jouissent de la vie en acceptant leur part. Aujourd’hui où ce genre de personnages est devenu invisible, la majorité des spectateurs se sentiront peu concernés. Mais ce décalage justement rend la chose d’autant plus pittoresque : arriver tout neuf, c’est une aussi bonne façon d’approcher cet espèce de sketche permanent.

L’attitude de ces trois bonhommes est rafraîchissante. Les one-line et monologues improbables qu’ils baragouinent, leurs voix gutturales ou pâteuses, leur accent de la France profonde, sont dépaysants. Même si le numéro peut par moments être saoulant, car c’est bien une pochade et jamais plus, il y a de quoi rire grâce aux dialogues percutants (supervisés par Audiard) et aux performances des trois trublions. Pierre Fresnay, dans ce rôle très différent de ceux antérieurs, est particulièrement drôle. Jean Gabin ne faillit pas mais semble plus emprunté que ses deux camarades.

Note globale 58

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Suggestions… La métamorphose des cloportes

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LE PRÉSIDENT +

10 Nov

Dans ce film d’Henri Verneuil très diffusé à la télévision française dans les décennies qui suivirent, Jean Gabin incarne un ancien Président du Conseil charismatique. Désespéré par la laborieuse IVe République en place, il est en semi-retraite politique, gardant un pied au Parlement. Sinon, il s’occupe d’écrire ses mémoires au sein de sa tour d’ivoire provinciale. Lorsque le député Chalamont est sur le point de devenir le nouveau chef de l’Etat, il s’interpose et s’en prend à l’ensemble des acteurs politiques présents.

Avec ses parti-pris oscillant entre socialisme et populisme, asséné avec discernement mais un refus de s’étiquetter, Gabin renvoie pourtant à une tradition politique française : le républicanisme, de gauche (dans la séquence à l’Assemblée Nationale, son fauteuil se situe légèrement à gauche du centre – où se trouveraient aussi les radicaux de gauche, courant vraisemblablement trop mondain pour lui). Il se qualifie de « mélange d’anarchiste et de conservateur » avec raison également car il partage un certain regard critique sur les autorités sociales indignes et lâches de son temps, mais son logiciel ne relève pas de l’anarchisme de droite véritable (même si le public républicain américain des Pleins pouvoirs pourrait apprécier ce Président républicain français). Son orientation est clairement collective et ses cibles sont les dominateurs financiers et technocratiques.

À cela s’ajoute un ton et une attitude réactionnaire, au sens du sceptique campant sur des références éprouvées (et non au sens marxiste). À travers Emile Beaufort, Jean Gabin incarne un certain idéal français que le gaullisme a pu consommer. C’est une figure paternaliste, un sage capable de s’enflammer : un gaullois mesuré et vigilant, incorruptible et fort, un leader fiable et humble. Henri Verneuil cède à ce fantasme et présente un ancien Président pleinement indépendant, sans contraintes ni affiliation, pas même de parti. Il est au-dessus de tout cela et cette position transcendante reflète encore les idéaux gaullistes et républicains.

Ce paradoxe entre absence de détermination et orientation idéologique pourtant claire se justifie par le manque dans l’offre politique. Le film de Verneuil et Gabin montre la France prête à se faire engloutir par une Europe fantôche ; et la politique prise en otage par des « élus du peuple » désintéressés des affaires publiques, arrivistes et sans conviction. Le Président Beaufort en arrivera à un monologue tonitruant d’une dizaine de minutes face au Parlement. Ç’aurait été un suicide social s’il avait été plus jeune, c’est une mise au point audacieuse où il interpelle les députés directement assis et livre son point de vue sur des sujets cruciaux.

Ce monologue assez fameux permet aujourd’hui une certaine visibilité au film, car les enjeux qu’il soulève sont des fondamentaux pour la France et plus que jamais au moment des transferts de souveraineté des états-nations vers l’Europe dans les années 2010. Si Gabin/Beaufort est un défenseur d’une Europe unie, il se heurte à des projets antagonistes autour du même objet ; l’Europe est au cœur des débats et Gabin/Beaufort fait coup double. La politique-fiction de Henri Verneuil reflète clairement la médiocrité des gouvernements de la IVe République et la lâcheté des dirigeants français et européens qui reculèrent devant la constitution d’une Communauté Européenne de défense, tout en sachant s’activer pour une union économique.

Il montre aussi le détournement de ce rêve d’États-Unis d’Europe (exprimé dans les années 1950, concrétisé avec la création de la CEE) au profit d’ambitions appauvries. Il envisage la fonction future de cette Europe promue par son adversaire Beaumont et voit une administration étouffante au service d’intérêts objectifs privés qu’elle entretiendra ardemment. Une Europe dont la seule vocation supérieure consisterait de fait à aliéner les démocraties et contraindre les peuples. Enfin, il dénonce l’annexion du politique en soi, instrumentalisé par des « affairistes » qu’il cite concrètement, avec faits, affinités et individus. Il évoque vaguement les « missionnaires » (l’extrême-droite et les hégémonistes) qu’il blâme de la même façon mais cette espèce fait alors déjà parti du passé.

À la fois visionnaire et démagogique, Le Président est un essai concluant de politique-fiction en France, balayant catégoriquement ceux expérimentés dans les années 2000, comme Le Candidat de Niels Arestrup. Il concurrence également Mr Smith au Sénat, ce dernier pêchant par sa naïveté et sa grandiloquence, là où ce partial Président se montre lucide et affirme émet des considérations de long-terme. Toutefois, son président est un monstre sacré, un modèle de vertu (courage, conscience, franchise) tout à fait vraisemblable mais dont la nature amène forcément à un mouvement de recul envers l’œuvre. Ce mouvement, le caractère brillant des réflexions émises l’apaise, mais aussi la qualité des dialogues. Ils ne sont pas seulement spirituels et musicaux, ce sont des punchline philosophiques remarquables, où Michel Audiard ose accessoirement de vrais commentaires politiques, avec un degré de précision et de pertinence rarement atteint.

Note globale 75

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