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DEUX HOMMES DANS LA VILLE =-

28 Mar

deux hommes ds la ville

Troisième et dernière réunion à l’écran de Jean Gabin et Alain Delon (après Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens), Deux hommes dans la ville est la réalisation de loin la plus connue de José Giovanni. Ses 14 autres films (dont La Scoumoune) jouissent d’une faible notoriété, certains étant parfois carrément tombés dans l’anonymat. Giovanni est pourtant un personnage d’une influence considérable et le principal géniteur des univers de mafieux dans le cinéma français des années 1960-1970, en tant que scénariste et dialoguiste : cela commence en 1960 avec l’adaptation de son roman Le Trou par Becker, puis comprend pour les plus fameux Le Deuxième Souffle de Melville, Les Grandes Gueules d’Enrico, Le Clan des Siciliens.

Plaidoyer progressiste tourné par un homme de droite ambigu et avec deux stars plutôt réactionnaires, Deux hommes dans la ville est un objet pour le moins curieux et sans doute, plus que bancal, troublant par ses postures. Il est retenu comme un hymne contre la peine de mort (huit ans avant son abolition en France) et en faveur de la réinsertion des délinquants. Ces positions sont défendues de façon cohérente et cette consistance justement donne au film l’essentiel de son intérêt ; si cette intelligence est là, l’habileté fait défaut. Le discours n’est pas simplement lourd, il est parfois carrément pataud (surtout dans la première moitié) ; on parle comme des tracts, des phrases peu cinématographiques en plus d’être peu crédibles s’abattent.

L’éducateur interprété par Gabin relativise ridiculement certaines exactions, sa défense du faible et ses amertumes sont souvent grossières, avec une sorte de posture habitée par le déni, recourant à l’idéologie pour simplifier et peut-être dénier une complexité dont on est pas dupe par ailleurs mais tourmenterait davantage (que la simple opposition ou indignation). C’est très significatif justement : à la vision de ce long-métrage, se sent l’auteur luttant contre son pessimisme anthropologique. Sans donner de vertus au ‘marginal’ en général, le film en accorde à un certain idéal d’homme, individualiste par nature, prêt à être en adéquation avec la société si en lui en laissait l’opportunité, au lieu de s’acharner comme cet inspecteur au zèle froid et quelque peu vicieux.

Le personnage de Delon n’a pas spécialement de vertus définies, mais c’est théoriquement un représentant de cet idéal incompris, parasite aux yeux de la société et des foules médiocres et malveillantes, en dépit et même à cause sa force et celle probable de ses contributions si on le laissait faire. Giovanni croit à la rédemption pour ces âmes trop viriles, trop indépendantes et trop graves en somme ; mais la société comme le système judiciaire souvent ne sont pas ouverts à cette reprise. Dans le contexte du film, cela s’exprime de la façon la plus correcte possible, car ici le rapport à la pègre est paradoxal, régressif ; on en importe la morale mais jusqu’à un certain point, d’ailleurs la vendetta est impulsive et non soutenue par le code.

Par ailleurs Delon/Gino tache effectivement de se réinsérer, plaque son monde d’origine ; en dernière instance il n’a eu que des ennemis ou des fardeaux pour l’empêcher de vivre, lui, prédateur certes mais surtout prédateur à cause des circonstances n’encadrant pas sa nature. Il y a quelque chose d’insoluble face auquel on s’emmêle (parce qu’on s’accroche à la vie et à la loi malgré tout) ; et pendant que Gabin/Cazeneuve déroule ses critiques de vieil éducateur écœuré, anti-autoritariste et humaniste dans la mesure de ce que le bon sens autorise ; l’action elle-même vire à la caricature ad hoc, voir à la niaiserie. C’est comme si des hommes au bord du nihilisme voulaient soutenir des idéaux d’optimistes compassionnels, en éprouvant somme toute qu’une timide connivence, mécanique et vite balayée par le poids de l’expérience et du désenchantement. Et pendant ce temps les valeurs ne sont pas claires. Mais de toutes façons le vraie justice perd, comme elle perd toujours dans un monde où il faut composer.

À cause de ces écartèlements, il faut un arbitre épais, un peu bête ; par conséquent la séance tire vers le mélo paresseux, avec beaucoup de scènes fortes habillant un squelette moral engourdi. Film assez pittoresque donc, plus confus et laborieux que véritablement raté ou même maladroit. Film important dans la carrière de Delon, défenseur de la peine de mort et plus univoque dans ses idéaux que Giovanni (dont le sens de l’ordre et de honneur implique l’éloge de la vengeance et de la répression malgré le plaidoyer en présence ici) ; et dernière apparition dans un succès commercial pour Gabin (seulement deux films ensuite : Verdict en 1973 et L’année sainte en 1976, année de sa mort). On notera aussi les présences très secondaires de futurs acteur acclamés : Bernard Giraudeau et Depardieu ; tandis que Victor Lanoux apparaît, conforme à ses rôles de salauds opportunistes du début, loin du Louis la Brocante de sa fin de carrière.

Note globale 54

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Suggestions… Le rouge est mis + La Vérité/1960 + Le Samouraï + Garde à vue + Le vieux fusil + Dancer in the Dark + Funny Games

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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L’AMOUR EXTRA LARGE =-

20 Jan

amour extra large

Au départ s’annonce un désastre. Le style est très télévisuel (avec les ellipses courantes dans certaines séries US, sitcom surtout) et les Farrelly visent bas y compris dans la présentation. L’écriture est un peu idiote au point de rendre certains éléments peu vraisemblables. Une comédie battant des records d’inanité et de médiocrité avinée semble poser ses balises. Et très vite ça dérape ; dès la fameuse séquence de l’ascenseur, c’est un tout autre film, y compris au niveau de la mise en scène, banale mais claire et sans dégueulasseries.

Même si on nous donne matière à rire, le programme se déployant sous nos yeux ne vise pas tant à cet endroit. Les Farrelly ont toujours eu une affection pour les personnages aberrants, en jouant d’autant plus librement avec eux qu’ils étaient bien portants. Or Rosemary n’est pas une crétine épanouie, c’est une obèse malheureuse, accessoirement une femme brimée et honteuse. Elle est bien au cœur de quelques gags bourrins, sauf que le spectateur les vit avec le décalage perceptif du héros, Hal – ce machiste au physique ordinaire et à l’attitude exécrable ne voyant plus que la « beauté intérieure » de ses nouvelles rencontres depuis que le gourou Tony Robbins lui a jeté un sort.

Par conséquent et en dépit de leur caractère outrancier, ces gags sont anesthésiés ; et pour la cible, pas tellement corrosifs. La dynamique comique est cassée et se fait de plus en plus douce au fur et à mesure ; à la place nous avons un mélo un peu WTF, assez touchant malgré un esprit très candide. Plus on avance et plus des éléments relevant de la farce sont jaugés avec sérieux : leur ridicule n’est pas nié mais une prise de recul s’invite. Lorsqu’il s’agit des enfants, le ton est plus dramatique, ne laissant place à aucune ambiguïté – le moment le plus émouvant sera là. Les Farrelly se sont laissés aller à la sensiblerie et ça fonctionne.

Néanmoins, quelques spéculations germent sur le ressenti de fond des concepteurs ; on ne sait trop s’il y a un fond mesquin déguisé, une naïveté humaniste digne de Patrick Sébastien (auteur de T’aime), une culpabilité à purger. La façon dont est relativisée la ‘queue’ paraît trop énorme, surtout que le rapprochement est grotesque – mais ce détail est de toutes façons assez absurde, une sorte de deus ex machina sorti de la besace d’un scénariste déshydraté. Il y a surtout un amalgame de malice et de tendresse. Les maîtres du happening potache ont vieilli et se découvrent un cœur saignant plein de bons sentiments ; ils sont politiquement correct du mieux qu’ils peuvent, mais ils restent qui ils sont, des amuseurs grivois et impudiques, aux sympathies parfois déroutantes.

Note globale 53

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Suggestions… The Crying Game + Madame Doubtfire + Jennifer’s Body

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LE CAPITAL **

24 Fév

2sur5 Quelques mois après l’aberrante saillie du candidat Hollande contre la finance (« un ennemi [qui] n’a pas de visage »), devenu président de la république française depuis, sort Le Capital (titre du roman de Stéphane Osmont [2004], adressant comme lui un clin-d’œil au livre de Marx [1867]) de Costa-Gavras (après Amen et Le Couperet). Il suit l’itinéraire de Marc Tourneuil, placé à la tête de la Phénix, première banque (imaginaire) européenne. Propulsé pour être sacrifié (il sera accusé de délit d’initié et promis à la prison), il devance ses collaborateurs et tous les adversaires avançant masqués en pactisant avec un fond spéculatif américain, ouvrant les portes au ‘satan’ de l’économie. Tourneuil (outil consentant et rusé) apparaît donc comme le fossoyeur du « capitalisme à la papa » au profit de celui des forts, dont il fait la promotion et cherche à tirer profit. Autrement dit, il va dans le sens de l’Histoire et saisit au vol les avants-postes. Lorsqu’un ancien communiste internationaliste l’ouvre (tonton au repas de famille – didactique, un peu con mais imparable), Elmaleh lui explique que son internationale à lui fonctionne, réalise des rêves, apporte des produits inespérés et fait travailler des gosses : il retourne toutes les accusations (même les plus odieuses) avec brio et renvoie idéalistes et subversifs au panier, ou plutôt à prendre conscience qu’ils lui mangent dans la main.

La vision est parfois grossière, le parti-pris tranchant mais sans éléments originaux ou réflexions nouvelles. Le Capital enfonce des portes ouvertes comme tant d’autres, mais en ayant les vertus de la férocité et de la franchise : les préférences idéologiques sont claires, les accusations sont précises. Ce n’est pas un essai de plus pour contenter tout le monde, c’est un pavé (un peu useless mais) lancé sans trembler. Ce film dit des choses éculées, réparti les rôles de façon primaire (les gentils, les salauds à divers degré, les autres qui s’accommodent ou n’entrent pas dans la ronde du sérieux), mais va droit au but, mélange vues ‘basses’ et détails forts. Ceux-là émanent des restes du Costa-Gavras au zénith : sur le pouvoir, ses ramifications, ses pièges et ses exigences. Cosmopolis de Cronenberg (sorti plus tôt dans l’année 2012) présente avec davantage de profondeur un agent de la domination et la désintégration d’un certain capitalisme, mais ce Capital a l’avantage de l’objectivité (et de la ‘transparence’). Toutefois ce film militant astucieux, sachant faire entendre son message, est aussi superficiel : il pointe les dérives sans souligner leur proximité, montrer leurs effets, se contentant de citer les anecdotes ‘massives’ comme les licenciements. Massives dans leurs effets, mais banales car rebattues et dérisoires car ce film n’aidera pas à se figurer ce qu’elles entraînent, signifient dans le réel dur – en cela Costa-Gavras est bien niché à côté de son ordure magnifique, à intellectualiser la nausée.

Concentré sur sa démonstration, Le Capital slalome entre les genres, comme un documentaire trop léger et engagé cherchant le meilleur costume pour se faire fiction. Dans l’ensemble le film prend une apparence de comédie mesquine et fatiguée. Il envoie avec énergie ses cartouches, réserve quelques moments de vacheries jubilatoires (contre la fille de l’ex-président), pompe avec succès la lucidité et l’amoralité de Tourneuil. Le film essaie de devenir thriller, mais chavire, s’affaisse sous le coup de rafales d’aigreurs et de pessimisme, rebondissant sur ses oripeaux de fable (excellentes à faire digérer ce Capital). Il garde un aspect de téléfilm aux moyens modestes, prenant de grands airs mais se reposant sur des béquilles fébriles, décalées : la volonté d’expliquer engendre des dialogues surfaits (mais jamais absurdes), des situations outrées mais pas à la hauteur de ce qu’elles désignent, etc. Ce décalage a des bénéfices indirects : les démonstrations impliquant des outils ‘modernes’ reflètent l’incongruité -IRL- des laïus sur « l’innovation » et « l’audace » assurés par les Oui-oui pantouflards pour les vidéos d’entreprise. Elles mettent Costa-Gavras et son équipe sur un plan parallèle, avec le même modèle ‘transcendant’, conscient et pourfendu cette fois. Ce manque renforce l’un des mérites du film : désacraliser ce monde, afficher ce que le luxe du ‘grand centre’ peut avoir de sinistre et de trivial (dans ses ressorts et ses motivations). Bref : jeter de la laideur sur des zones souvent protégées par omission.

Ce film est éminemment démocratique, une synthèse accessible, vulgaire mais ‘juste’ : elle pointe le pire (avec facilité sûrement, mais le pire est présent) et veut dessiner la tête. Source ou non, on l’ignore, en tout cas : c’est le point culminant (pas comme ‘événement’ spectaculaire, mais en tant qu’accomplissement durable). Le capitalisme financier à son stade de ‘libération’ ultime, lâché, parti pour faire sauter les dernières résistances et dévorer tout (donc parvenu au-delà de l’absorption et du vol, rendu à la liquidation pure et simple). Costa-Gavras souligne l’ambiance des lieux et de ces institutions mobiles. Dans ces mafias au sommet, on entre et s’aligne ; ‘la fonction fait l’homme’ : un requin standard devient forcément un boucher un costume, même s’il a une once de doute ou de contrariété, peu importe ses jugements sur les choses. Et surtout peu importe la morale, ou par défaut : la morale ici c’est l’efficacité – morale de dominant, légitime a-priori (d’un point de vue pratique et ambitieux), ravageuse à terme (d’un point de vue pratique et ambitieux aussi, sauf peut-être si ‘après moi le déluge’ est admissible). Il s’agit ensuite d’apprécier les effets et là-dessus Tourneuil a choisi la perception : c’est un jeu planétaire, donc avec des gagnants et des perdants ; justification et promesse en vitrine : « les gagnants peuvent tout perdre et les perdants tout gagner, c’est ça la beauté du jeu »). Perception et non plus le camp, la notion est obsolète, tout au plus y a-t-il des alliances à nouer pour cultiver des satisfactions communes. Rien de bien révolutionnaire en soi (l’égoïsme et le cynisme ne datent pas du néo-libéralisme ou même du XVIIIe, n’en déplaise aux ‘réacs’ optimistes) ; plutôt une régression radicale, avec le sabordage de toutes les constructions pour la stabilité et les résidus d’harmonie nécessaires à la survie d’une société et d’une espèce. Costa-Gavras désigne un ‘capital’ nihiliste, dont la maintenance elle-même est réduite au minimum : alimenter cette boucle pour elle-même (et en tirer une ivresse pour les décideurs).

Sur le bas-côté le film flirte avec l’insignifiance. La mise en scène est sommaire, le propos faisant tourner la machine et celle-ci suivant hébétée. Les acteurs sont peu gâtés et seul l’archétype incarné par Tourneuil est approfondi. Après La Rafle (sur l’horreur du Vel d’Hiv en 1943), Gad Elmaleh trouve un nouveau rôle sévère et difficile, s’en acquitte avec succès – non reconnu pour de multiples raisons, souvent mondaines, parfois propres au métier (le 1er avril de cette même année 2012, il écope d’un Razzie Award avec la troupe de Jack & Jill), mais aussi très concrètes : peu après ce film, Elmaleh devient l’égérie d’une publicité pour la banque LCL. Aucune surprise dans le public, mais une abondance de quolibets. En attendant Elmaleh a su sortir de la posture d’humoriste tout en devenant effectivement drôle, dans la peau de ce Tourneuil froid et résolu à tailler dans le vif, capable de jouer le crétin apprêté pour la télé, commentant pour le spectateur les abjections dont il a une pleine conscience. Comme l’inquiétant Frank Underwood de House of Cards (série sur les arcanes de la politicaillerie US, lancée début 2013), il s’adresse directement au public (à deux reprises : ouverture et conclusion). Costa-Gavras lui autorise quelques commentaires en voix-off pour introduire ses collaborateurs, ainsi qu’une poignée de rêveries ou jugements pendant lesquels il s’abstrait (en vain) de la situation donnée.

Le personnage a le droit à une certaine complexité interdite aux autres, tous des fantômes, passants autour de lui quand ils ne sont pas des concurrents (parfois des relais) ou des sujets. Il est salaud mais pas mytho (sauf en vitrine, puisqu’il faut bien – roi des discours creux et du mielleux glissant les signaux démagos/intimidation nécessaires). L’armure et la forme lisse craquellent tout au long du film, pas pour sombrer dans la sensiblerie mais pour amplifier certaines postures intimes du personnage. Le recul sur lui-même est décuplé, Tourneuil ironise et tient même des propos ‘moraux’ sans être affecté ou concerné, simplement en étant ouvert aux points de vue qu’il domine ou méprise (lui, ou plutôt le système dont il est une ressource d’avant-garde). Dans les derniers temps du film, il évalue sa reconversion éventuelle en croisé anti-capital. Une opportunité de secours, car l’héroïsme et le prestige occasionnés seraient de faibles compensations. Il se tire des chausses-trappes de son milieu en jouant les prophètes de l’aliénation des pauvres et le chantre des gouffres insurmontables : il y aura un public pour aimer. Sa relation avec Nassim (Liya Kebede) est un défouloir. Il s’y adonne à un comportement d’enfant enthousiaste puis finalement de brute triviale. Jamais Nassim n’aura de véritable importance, jamais il ne la considérera autrement que comme objet ; c’est un stimulant et l’espèce d’idylle qu’il se figure est juste une façon élégante (et délassante) de convertir son excitation.

Ce Capital refuse la neutralité et donne donc matière à discuter, mais il pourrait encore cacher son jeu, laisser le spectateur déduire ce dont il aurait envie. Au contraire, il a une fin, ou au moins des alternatives imparfaites mais déjà existantes, à proposer. L’opposition entre le capitalisme continental et celui anglo-saxon travaille le film, expliquant sa tendance à la caricature – ou son adéquation au réel extrêmement colorée. Le capitalisme anglo-saxon est plutôt perçu en tant que plate-forme qu’en tant que modèle strict ; c’est donc son émanation principale (ou supposée) qui est traitée. Le capitalisme à la française est reconnu comme celui du « copinage » mais il aurait des résidus de vertus, par nécessité et pas seulement par principe ; Costa-Gavras plaide pour cette forme tenant à la fois du paternalisme et du collectivisme, où l’élite se sert et défend le bien commun en maintenant le sien propre. Cela se traduit par la volonté de limiter les délocalisations et sauver les lois sociales (le ‘modèle social’ à la française). À l’inverse le capitalisme « de cow-boy » est mesquin et suicidaire, inéluctablement : c’est la « secte de la rentabilité à court-terme ». Agent de ce dernier, Tourneuil/Elmaleh tourne en dérision ce vieux fond français. « La performance » sera juge et non plus la bienséance (c’est au tour de la première de dérouler ses fatras ‘visionnaires’) : « nous ne serons plus jugés sur la soit-disant éthique bancaire à la française mais sur la vérité des chiffres ». Costa-Gavras a beau jeu d’emprunter cette posture, puisqu’il confond lui-même l’expertise et la morale, les lois du management et les sentiments, comme si ces derniers devaient être placés en première ligne en toutes circonstances, justifiant par ailleurs des iniquités établies préférables aux iniquités d’un système violent mais surtout aveugle à ses effets. De cette manière, Costa-Gavras attaque tout ‘libéralisme’ en général sans pour autant y toucher, puisqu’il reste concentré sur sa cible outrancière.

Il a le courage de l’afficher carrément, mais c’est le courage (en plus de celui de s’indigner catégoriquement – avec ce que ça comporte d’honnête et d’idiot) d’afficher sa résignation et sa complaisance au profit de vieilles bêtises, au nom de la lutte contre la tornade sous nos yeux. Ce Capital est le testament d’un gauchiste devenu héritier des résidus de la mentalité monarchique, en brandissant comme un trophée sa supposée fibre sociale – imparfaite mais bien utile et au bout du compte, indépassable rempart à l’ensauvagement. C’est bien de cet espèce de consensus hiérarchique, ce féodalisme compassionnel (avec une surface républicaine et l’horizon méritocratique comme compensation et optimisation) anti-néo-féodaux, que Tourneuil/Elmaleh est l’ennemi ultime (il y a bien d’autres ennemis mais apprivoisés, sans incidence, ou communs à d’autres puissances). Le Capital est donc ce genre de films ‘appelant les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités’, du moins en idéal : Tourneuil mise sur le manque de volontarisme du gouvernement français pour le vaincre, passer entre les mailles des filets voire saper ses lois. Les normes, les institutions françaises, ont un poids surtout symbolique et pas d’avenir : elles font peser leurs acquis obsolètes et stériles mais ne savent inverser les tendances ou imposer les leurs. Comme un organisme en fin de vie, l’État français ne sait que mettre des barrières, parasiter : il sait seulement réagir en somme. Naturellement Costa-Gavras dénonce la faiblesse de cet état et l’absence de contre-offensive, sans l’englober un instant dans sa critique : l’un des défauts du film est de ne livrer aucun fait ou nom précis ; il omet aussi de mentionner les résultats du modèle français, discuter la place de l’État sur cette économie. Est-ce un paradis ou le plus juste des mondes que le cavalier noir Tourneuil contribue à faire exploser ?

Note globale 54

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Film Socialisme + La Conquête/Durringer 2011 + Adieu au langage

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (3)

Note arrondie de 53 à 54 suite à la suppression des notes impaires.

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MINI CRITIQUES REVUS (1)

5 Fév

Tous les films que j’ai vu depuis que j’ai ce blog (donc un an et demi avant Sens Critique), notés en-dessous de 9, qui n’avaient pas eu les honneurs de critiques. Pour certains elle restera envisageable (des films marquants ou importants, de quelque manière), mais ils sont une petite portion.

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8 et demi *** (1963) : Auto-analyse de Fellini, projeté dans le réalisateur dépressif interprété par Marcello Maistroianni. Cet opus est très proche de La Dolce Vita (le tournant subjectiviste de sa carrière), avec le même type d’humanité : des membres de la haute société, celle du luxe et pas concernée par les responsabilités, jamais étouffée par le devoir ou la conscience.

Pendant deux heures en noir et blanc Marcello/Fellini déambule entre sa réalité et ses fantasmes. Ses rêveries ont une orientation nostalgique et souvent érotique. Sa femme (à lunettes) n’a que des interventions pesantes, elle lui ressemble peut-être trop et n’apporte ni plaisir ni réconfort – c’est un repère désuet. Elle forme un contraste avec le harem largement imaginaire (parce que peu vécu et à tout juste articulé mentalement comme tel) de son mari.

Fellini démontre un art du clip et de la fantasmagorie ‘adulte’ notamment au début, avec la scène d’ouverture et celle en musique autour de la réception d’aristos. Le film contient quelques moments de génie très ‘publicitaires’. Son visuel magnifique a sûrement été pris régulièrement comme modèle, dans les arts liés à la photographie. Les dialogues fourmillent de fulgurances sarcastiques ou spirituelles. Les amateurs de Barbare Steele la verront heureuse de prendre des coups de fouets – le cadre a changé mais son personnage a bien été importé. (64)

Vu le 6 août 2015 et revu sur Mubi le 30 septembre 2017.

Ça – Il est revenu ** (1990) : Téléfilm en deux parties ou ‘film’ de trois heures. J’en avais vu les premières minutes (ainsi que d’autres bouts), desservies par l’interprétation féminine. La mise en scène est lourde et efficace, expéditive et proche du grotesque dans les moments cruciaux. C’est loin d’être l’incurie sur le plan horrifique ou des idées photographiques (Tommy Lee Wallace était déjà la réalisateur d’Halloween III et Vampire vous avez dit vampire). En revanche le film manque d’épaisseur, de fluidité dans les relations. Il peut être une bonne expérience pour les enfants et notamment pour un premier film d’horreur. (54)

Vu des morceaux de la première moitié à la télévision vers 2008.

Les Anges gardiens ** (1995) : Comédie hystérique, avec Depardieu/Clavier dans un double-cabotinage ; plein d’ellipses au risque de l’absurde (une des fins les plus précipitées), du Poiré. Avec un bêtisier médiocre à la fin. J’aime même si c’est fait à l’arrache et sûrement prémédité au minimum possible. Si vous adhérez à un tel truc, essayez Les Gaous (qui pousse le bordel épileptique à un niveau ‘inédit’) ou La Vengeance d’une blonde (meilleur). (62)

Vu une fois enfant, revu en 2017.

Les délices de Tokyo * (2015) : Avec Les filles du Moyen Age, c’est un des deux films que j’ai vus dans l’année (fin décembre) mais pas critiqué (faisant de 2016 la première et seule année où je n’ai pas tenu le principe). Un troisième film entrait dans cette catégorie, mais je ne l’avais pas terminé : le coréen The Strangers.

Bien que le départ soit relativement encourageant, je confirme ma non-adhésion à ce film. Et la note si basse qui par rapport aux moyennes a l’air d’une provocation, ce qui me dépasse d’autant plus que, si je ressens du négatif envers ce film, je ressens surtout peu de choses. (32)

Vu en VOST le 26 décembre 2016, revu en VF en mai 2018.

L’empire des sens ** (Japon 1976) : Présenté dans une version restaurée en 2016. Aucunement excitant et plutôt répugnant dans ses scènes explicites (entre les micro-pénis et les touffes du passé). J’avais trouvé l’approche triviale malgré un côté pompeux, c’est confirmé. Depuis heureusement j’ai découvert Tabou (et Il est mort après la guerre).

La seule scène un peu satisfaisante et plaisante est celle où une fille, tenue par plusieurs autres, se fait enfiler un oiseau en bois (juste avant la danse de Gangnam Style version papy à l’EHPAD). Concernant la passion même charnelle et plus encore les sentiments, ce film manque d’authenticité et d’intensité, jusqu’à ce qu’il ait tout déblayé autour du couple (donc quasiment jusqu’à cette mise à mort interminable). L’espace est alors trop étroit pour que la psychologie soit encore intéressante, mais les acteurs paraissent crédibles et la volonté de madame l’est certainement.

C’est bien un porno chic, enrobé par un halo de subversion et des moyens inimaginables pour un film ‘bis/Z’ ou ‘d’exploitation’ normal. Évidemment c’est devenu ringard puisqu’il n’y a plus grand chose à subvertir depuis les années 1990-2000 (en tout cas au niveau de ces choses ‘naturelles’ et accessibles au moins en esprit et en théorie par chacun), il ne nous reste alors plus qu’à constater la mollesse de la séance, les béances du scénario, le manque de tenue – sauf sur les divers plans techniques. (56)

Vu une fois vers 2008, revu en juin 2018 sur MUBI.

Tenue de soirée *** (France 1986) : Changement d’avis, même si Buffet froid et Les valseuses planeront toujours au-dessus. Film imprévisible et grotesque, avec des omissions considérables et un dernier tiers rendu plus loin qu’en roue libre. La façon dont Michel Blanc est considéré doit être le plus drôle car le plus déroutant – quelque soit les goûts de l’observateur, son personnage n’est pas ‘beau’. L’évolution des individus est ridicule, leurs aventures invraisemblables, les deux sont jubilatoires. Dialogues et acteurs excellents. Un brillant nanar et une formidable comédie, un parfait film pour alcooliques, conçu manifestement à l’arrache ou avec une certaine négligence pour la charpente. Aussi un film remarquable sur le cocufiage et ses variétés. (72)

Vu (incomplet) une fois vers 2009, revu en août 2018.

Cendrillon **** (U 1950) : J’avais mis 7 à mon arrivée sur SC, partagé entre enthousiasme et scepticisme fondés sur des estimations lointaines. J’aime effectivement, suis probablement plus sensible aujourd’hui au mauvais chat, plus enclin à aimer les souris et les petits animaux, mais la grosse souris maladroite est toujours aussi répugnante – je souhaitais sa mort bien que ce ne soit pas dans l’esprit de Disney.

Le culte du prince charmant, l’éloge des petites filles sages et pures sont bien là et pratiqués à fond ; si le premier mérite effectivement révision, le second n’est pas si horrible – la morale de Cendrillon a ses vertus. Sauf sur cette rêverie de fille à marier, mais sur ce plan les ratés sont constants : dans La Valse dans l’ombre comme dans Blanche-Neige, les ‘princes charmants’ sont des êtres vides, sans charisme sinon celui d’une publicité pour l’hygiène. La prise en puissance de l’ex-petite fille, sa maturation sans compromissions, est aussi un motif récurrent mais ne me semble pas un problème – qu’il en soit un pour celles pétries de regrets de s’être trop ou trop vite souillées, pour celles qui n’auraient pu l’être comme elles le souhaitaient ou pour leurs complices masculins, c’est tout naturel.

Sinon le film est plein de détails charmants et marquants. Sa niaiserie est gracieuse. Les chants de souris en font les ancêtres des Chimpmunks. C’est le point le plus innocent du film, car sa morale effectivement n’est peut-être pas géniale pour les enfants (sans qu’elle soit déroutante comme celle de Peter Pan), car s’en remettant quasiment à la chance, le développement du charme personnel et la ‘magie’ pour sortir de la misère – en même temps, les enfants n’ont pas besoin d’être progressistes et de prendre du recul sur tous leurs fantasmes, pas en esprit du moins. (82)

Vu plusieurs fois enfant, revu en décembre 2018.

Peter Pan **** (U 1953) : Vu une fois enfant, j’avais moins aimé le début dans la réalité et n’en conservais aucun souvenir clair. De nombreux détails me sont parus familiers (la fée enfermée, la capture via les sapins). Représentation remarquable et amorale de l’évasion et de l’imagination, capable de parler aux enfants sans les tenir enfoncés dans la niaiserie habituelle (même si la gamine ‘responsable’ et aimante conserve un peu d’ancrage et de repères). Les enfants méritent de voir un tel Disney plutôt que la majorité de ses alter-egos (trop restrictifs) et de ses descendants (trop criards et débiles). (8)

Vu une fois enfant, vers huit ans, (re)découvert en décembre 2018.

Les Aristochats **** (U 1970) : Un excellent Disney, où le cadre est souvent plus intéressant que le sujet (les chats). Le Paris des années 1890-1910, les virées burlesques, les rencontres (avec les oies) rendent l’ambiance charmante. Beaucoup de scènes burlesques remarquables, principalement autour des deux chiens et d’Edgar. Dialogues relativement bien écrits, même si peu sont mémorables (contrairement à Blanche-Neige, Le Roi Lion ou au Livre de la Jungle, mais à l’instar de Robin des Bois ou même Cendrillon). Toujours peu fan du passage sous les toits de Paris et peu sensible à ces chats bohémiens. (8)

Vu peut-être plusieurs fois enfant, revu en décembre.

Independance Day ** (USA 1996) : J’y avais jeté un œil plus que véritablement ou intégralement regardé. Les effets spéciaux sont d’un niveau maximal pour l’époque, comme les meilleurs de Star Wars Phantom sorti trois ans après et également produit par la 20th Century Fox. Les aspects mélo sont ni brillants ni affligeants. Mais combiné au patriotisme et aux échauffements de la dernière riposte, ils multiplient les longueurs. Le véritable problème de ce film me semble donc être cette dernière partie et tout l’ennui précédant la grande attaque. Elle-même en sort gâchée, tandis que le quota de bêtises ‘l’air de rien’ et des autres défauts sont exacerbés – le président devient grotesque, heureusement le mec avec la VF de South Park a le bon goût de bien torpiller l’emphase du délire. Des trucs un peu niaiseux ou invraisemblables, comme prévu, pas dans des proportions atypiques ni trop choquantes. Les péquenauds sont plus cools et musclés que dans Mars Attacks où ils sont transformés en beaufs à la Deschiens. Le président est un tocard pendant les deux tiers au moins – son administration en sait voire en peut davantage. Ceux qui dénoncent sa sanctification supposée ne sont pas au clair – il n’y a que sa virée finale pour véritablement le flatter, pour le reste c’est un membre de la team America comme un autre – c’est bien cette normalisation du personnage qui devrait plutôt être questionnée. (54)

Vu une fois partiellement il y a une quinzaine d’années, revu en avril 2019.

Violette Nozière ** (France 1978) : Une ado de 18 ans jouée par une actrice de 26 comme dans les fictions au campus dans les années 1990. N’étais plus sûr de l’avoir vu et sûr de l’avoir vu superficiellement, confusion possible avec Une affaire de femmes. Pas étonnant tant le point de vue est attentiste, la séance presque contemplative : Chabrol ne sait pas couper ni hiérarchiser. Le père semble mal relié à sa fille, le choix de Carmet et Huppert après Dupont Lajoie où il violait ne saurait être innocent ; mais même dans les relations tout reste bien flou, on en connaît la nature qu’aux deux tiers au maximum, pour certains cas (l’amant), pas même la moitié pour les parents. Comme d’habitude Chabrol donne dans la sous-satire sans beaucoup d’humour contre les bourgeois, l’ordre établi (les féministes peuvent inscrire cet opus sur leur liste des ‘récupérables’) – et comme d’habitude il en fait sûrement trop partie pour attaquer ou même considérer sérieusement la chose. Un film pour ceux qui aiment les ambiances d’époque, à condition qu’ils n’aient pas des espérances de spécialistes ; sinon, pour les acteurs. (56)

Vu une fois superficiellement, [re]vu en juin 2019.

Walkyrie *** (USA 2009) : Sur la tentative d’assassinat d’Hitler par des haut-gradés allemands en juillet 1944 (la dernière des quinze connues de la résistance allemande d’après le carton final), quand la guerre tournait en défaveur du camp de l’Axe. Mise en scène classique et technique plutôt luxueuse. Perd de sa force et de son intérêt avec le lancement de la mission. Focus un peu neuf sur une page de la ‘grande guerre’ mais c’est encore de l’Histoire proprette et héroïque – sans tomber dans la pure figuration de service public. Finalement un film à suspense éventé foncièrement manichéen (une main de la lumière et du Bien tendue vers l’Allemagne), sans à-côtés baveux et sans trajectoires intimes très étoffées. Un épilogue plus humain et moins grave aurait été préférable – Carice Van Houten (deux ans après Black Book) n’est même pas reconnaissable car, comme l’ensemble des personnages secondaires, elle ne sert qu’à refléter une ou deux émotions. (64)

Vu une fois dans de mauvaises conditions en 2009, revu en juillet 2019.

Comment j’ai fêté la fin du monde ** (Roumanie 2006) : J’en avais aucun souvenir et c’est parti pour se répéter. Un doute subsistait : était-je passé à côté d’un tableau profond, car quelques détails relevaient la sauce !? Je me les suis effectivement rappelé (cette prof blonde typique, le vieux tout enthousiaste à la chute du dictateur et immédiatement cassé par la mise à feu tout aussi joyeuse de sa voiture – les ‘copains’ l’ont pris trop vite au sérieux) mais ils ne valaient pas de se pencher spécialement sur ce film. Le film ne présente que des anecdotes et son centrage officiel sur le garçon est curieux, puisque sa grande sœur a un joli caractère et qu’elle meuble bien mieux que tous ses camarades. (52)

Découvert en février 2016 et revu en juillet 2019, toujours sur Mubi.

Bruce tout-puissant * (USA 2003) : Vulgaire et néanmoins bizarre, furieusement débile et niais (dépasse Ace Ventura et ses parties philosophiques ne font que l’enfoncer). Les projections semblent celles d’un petit garçon proche de la mort cérébrale, abruti par ses fantasmes de super-héros. J’avais détesté et décroché après le gag du singe, en était sorti avec un a-priori déplorable [déjà induit par ses pitreries télé] concernant le clown Carrey (corrigé peu après grâce à Truman Show, puis avec Philip Morris) ; finalement ce film n’est pas une des pires choses tournées mais reste probablement la pire avec Jim Carrey. Elle a un pied dans le sentimental et la prêche émotionnelle qui rendent Carrey décalé dans un nouveau et regrettable sens (les flonflons familiaux gâchaient à peine Menteur menteur, passait pour un obstacle allègrement surmonté). Le lien avec Aniston est peu crédible également, même si son personnage est parfaitement vraisemblable. Bien sûr le film oscille entre légèrement et odieusement moche. Les séquences avec ‘Dieu’ Freeman sont trop consternantes pour rester simplement embarrassantes. Pas grand-chose à retenir, le bizutage de Steve Carell surnage à peine, quelques séquences liées aux pouvoirs sont relativement marquantes (la lune, le passage en musique dans la rue). C’était une vilaine expérience avec un arrière-goût sordide. Elle annonce la dérive ‘chamallow’ accompagnant la chute de la carrière de Carrey malgré quelques éclats (comme Eternal sunshine). (28)

Vu partiellement vers 2005, revu en juillet 2019.

L’opération Corned Beef *** (France 1991) : Une comédie grasse et flamboyante signée Poiré avec Clavier, deux ans avant Les Visiteurs et quatre avant Les anges gardiens. On y retrouve les ressorts typiques du cinéma de Poiré, avec ces gags destroy mais aussi des caricatures vaguement mesquines : la grosse avec des scènes assassines et des plans gratuits soulignant sa démarche puis sa tardive prise de conscience (deux costaudes auront un rôle-éclair similaire dans Les visiteurs 2), le dictateur latino. Le couple ‘vieille France’ est moins écorné, on sent davantage de sympathie pour les personnages certes bouffons de Clavier et Lemercier. Jean Reno n’est pas brillant et plombe presque certaines scènes, heureusement l’outrance et la vitesse de la mise en scène l’en empêchent. Tout oscille entre la beauferie adulte et les délires enfantins, la voix de Mitterrand relève du second. On pourrait croire que l’opération fait écho à l’affaire des écoutes de 1982-86, or elles n’ont été révélées qu’en 1992 : dans un autre registre les critiques en feraient des tonnes sur le flair du scénariste ou du réalisateur. (64)ou+

Vu certainement en 2016 ou 2017, revu en août 2019. Peut-être vu plus jeune.

99 francs ** (France 2007) : On y croit un temps et il y a bien des passages potentiellement succulents (la réunion tout particulièrement), mais ça tient difficilement sur plus de 70 minutes. À terme c’est toujours les mêmes problèmes et la même complaisance pseudo-masochiste, vraiment exhibitionniste. On sent cette quête du petit supplément d’âme et de conscience critique pour ces gens-là, les admirateurs de leur milieu, leurs contempteurs hypocrites ou médiocres – puis bien sûr pour tous les autres qui le voudront bien, mais on sort du cœur de cible/noyau dur qui fera la force et l’aura du film. Je reconnaît qu’il y a de la ressource dans cette bête-là mais c’est encore trop ensorcelé par ce que ça prétend dénoncer et à l’image du tour de la fin, c’est superficiel et complètement penaud dès qu’il s’agit de dépasser la provoc ou la posture. (62)

Vu partiellement peu de temps après sa sortie. Revu l’été 2019.

Astérix & Obélix mission Cléopâtre ** (France 2002) : Même si ses atouts au niveau du casting et des décors gardent de leur efficacité, Mission Cléopâtre n’est pas à l’abri d’une réévaluation générale à la baisse. Une grande partie de l’humour repose sur des références anachroniques ; sans surprise celles portées par Itinéris ont mal vieilli. Jamel apparaît comme une sorte de sous-Eric Judor pas drôle. Il n’est pas exaspérant comme il le sera plus tard à cause de la faiblesse des univers autour de lui – quoiqu’il arrive son ‘génie’ n’est pas responsable du succès ou non d’une entreprise ; mais je suppose qu’il peut amuser certains enfants coutumiers de ses réflexes.

Je craignais que placer La surprise de César à peu près au même niveau soit une sorte de snobisme ou une volonté d’originalité opérant à mon insu ; je dois vérifier l’objet lui-même, mais en revenant sur son concurrent, les placer au moins à égalité ne me semble pas tricher. Mission Cléopâtre démarre fort, recycle habilement des éléments secondaires (les pirates), puis à mesure qu’il a posé les enjeux s’épuise. Il connaît une lourde chute après la sortie de pyramide en format bande-dessinée, avec des moments longuets voire assez nuls comme les batailles impliquant Darmon. Le final est assez pauvre et trop centré sur les petites personnes des participants ou du moins leurs personnages sociaux. (58)

Vu en salles à sa sortie et plusieurs fois depuis. Revu pendant le dernier trimestre 2019.

Topaz / L’étau ** (USA 1969) : De jolies scènes (la fille s’évanouissant dans sa robe violette, les grosses manifestations soviétiques), mais des interprétations douteuses, un scénario et un rythme flottants. On peut y voir la contradiction de James Bond mais l’agent principal est un OSS 117 insipide. On assiste à des scènes lentes et laborieuses plutôt que de démonstrations hautement ‘réalistes’. Politiquement le niveau ne dépasse pas la mesquinerie (envers des représentants français) mais il faudrait être un anti-américain susceptible ou un sympathisant socialo-communiste pour en être remué – même s’il est facile de se sentir plus concerné que ces guerilleros mollassons. La partie romance est encore plus fadasse et inepte. Probablement le moins bon de la carrière d’Hitchcock qui approchait de son terme – heureusement les ultimes opus bénéficient de leur relative extravagance – ou vulgarité (Frenzy particulièrement). (44)

Vu une fois en 2014 ou avant, revu en novembre 2019.

Ravenous / Vorace *** (USA 1999) : Malin et bizarre. Palabre sur la transgression et l’égoïsme viscéral, avec quelques sorties brûlantes comme « La normalité, le dernier bastion des lâches ». Une certaine légèreté et ses façons de ‘huis-clos’ interdisent d’aller au bout des ses raisonnements odieux et encourage le flou artistique dans le scénario. (64) 

Vu une fois il y a dix-onze ans.

Inland Empire ** (USA 2006) : C’était le moins bon et le moins stimulant à mes yeux à l’époque, en-dessous d’opus plus classiques ou renommés qui ne m’ont que modérément touché. C’est probablement normal que son réalisateur ait pris des distances avec le cinéma par la suite, tant il semble avoir fait le tour du medium ou de ce qu’il pouvait en triturer (à moins bien sûr de régresser vers du Godard ou du Cavalier). Le style Lynch semble sacrifié au profit de quelque chose de plus ‘cosy’, jusqu’au générique de fin annihilant toute magie du cinéma. Même si aujourd’hui le film se suit relativement facilement, probablement car il rejoint un genre de bidouillages presque courant, il contient trop de redites par rapport aux œuvres ultérieures et seul son mystère trompe l’ennui. (62)

Vu partiellement sinon totalement, pas plus de quatre ans après sa sortie. Revu sur Mubi en décembre 2019.

CHANSON DOUCE **

11 Déc

2sur5  C‘est typiquement un film raté [pas simplement mauvais ou insignifiant], donc avec des armes et des succès, un potentiel gâché et une stérilité qui n’arrive qu’à contenir [pas écraser] de plus grandes qualités – la performance de Karin Viard, dans une moindre mesure celles de ses camarades et des monteurs qui habillent un film gravement chancelant, comme dépouillé ou investi par intermittence. Le scénario est décousu, les dialogues faiblards et parfois anormalement factuels ou informatifs ; le malaise n’est pas aussi patent que la difficulté à en venir au cœur du ou des problèmes : elle est louche, elle le sera de plus en plus. On avance vers un final terrifiant, mais crétin, prenant l’option outrancière et facile, alors que craquer définitivement le vernis aurait ouvert au véritable inconnu, aurait pu sidérer pour de bon.

Karin Viard s’est donnée pour le rôle d’une vie dans un emballage falot et un film né avant terme. Il ressemble moins à son personnage qu’à celui d’Antoine Reinartz : généralement dans le déni, le caprice refoulé, la circonspection molle et la niaiserie démissionnaire, mais traversé d’intuitions justes, ponctuellement secoué, la conscience rétrécie mais éclairée par la colère. Chanson douce est tellement déséquilibré que son irrégularité remplace la montée en tension. On introduit la folie de madame sur le tard pour enchaîner vers le sommet du mal, au lieu de creuser le personnage et d’avouer quoique ce soit de concret, hormis son statut prolétaire. On ne saura rien de son passé et ne peut que spéculer (noyade de sa fille ? mythomane complète ?) ou apprécier les écarts graphiques en se demandant s’ils reflètent une culpabilité, un attentat intime, des dérives de l’imagination d’une fille perdue ?

Tout le long on sent le film près de commencer à aborder un sujet sérieux, toucher quelque chose sur le plan psychologique, ou bien social, ou bien moral, ou familial ; tout le long c’est la fuite en avant, avec un casting excellent au service d’une histoire et de personnage inachevés. À son meilleur Chanson douce donne un aperçu d’une inquiétante banalité de la perversion d’une personne, de l’emprise exercée sur des enfants (avec les réponses ambiguës de Mila). Le film cherche les frontières entre le normal sain, l’acceptable, le régressif usuel et le malsain ; la grand-mère Sylvie pourrait être un complément optimiste et adapté pour démolir l’intimité et l’intégrité de ces enfants – ou bien c’est la mamie truculente par excellence ? Comme ce film ne veut pas se reconnaître de morale ni de jugement, il ne se permet pas grand chose de pertinent. Il se contente de suggérer la présence du mal que chacun ignore ou sent confusément, jusqu’à ce qu’il exulte et emporte tout – bien sûr c’est déjà conséquent, mais c’est s’embarquer sur ce chemin qui l’est, pas la façon dont s’y prête le film.

Finalement l’exercice est commun et nous avons à faire à une nouvelle introvertie ‘psycho’, une sorte de cousine des variétés d’Huppert. Si on croit ce film la solitude est nécessairement malheureuse ou bien le refuge des monstrueux. On est près de traiter de la perversion insoupçonnable et des pervers aux bonnes apparences, à la place nous avons simplement une tarée avec une existence merdique – donc oui, l’honneur des gens de bien et de nos chers repères est sauf. Car ce que n’ont pas vus la boulangère et les amis prêts à complimenter la brave nourrice, ce n’est pas simplement de mauvaises intentions, une manipulatrice.. c’est une sombre et pauvre folle, intimidante et lamentable à la fois ; une déviante qui marche à côté de ‘nous’ tous. Les auteurs semblent ne rien pouvoir entendre à ce qui peut faire des personnalités ou des réalités inconfortables ; ce film donne d’ailleurs un bon exemple de la supériorité des acteurs sur les auteurs et réalisateurs, puisque les premiers n’ont pas besoin de comprendre pour se mettre raccord, au moins le sembler solidement, avec leurs personnages.

Note globale 54

Page IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… Prête à tout + La pianiste

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