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50 NUANCES DE GREY –

20 Fév

Voilà un film comme les masses en méritent – et elles le méritent tellement. Bien qu’elles fassent semblant elles ramperont toujours à temps pour jouir du spectacle et en ausculter chaque miette. Elles n’auront qu’à se dire écœurées ou consternées par tant de médiocrité, tous les complices seront là pour alimenter la grande chaîne de dénégations et de mise à distance hypocrite. Seuls les haters abonnés aux avant-premières et les cinéphiles bousilleurs systématiques de derniers blockbusters sont de plus éclatants abrutis. Au moins l’insipide mégère venue en toute bonne foi tâter du Grey a le mérite d’assumer – ou de ne pas s’inventer des raisons, ce qui vaut mieux que toutes les revendications.

Cette adaptation de best-seller doit son immense notoriété à sa prétendue nouveauté. Elle initierait le grand-public au sadomasochisme ; dans les faits, elle vulgarise celui des formalistes. En vérité les foules sont déjà bien initiées, mais hors d’épisodes de séries télé policières ou autrement racoleuses, elles ont peu eu l’occasion de se concentrer sur le sujet pendant une heure et demi (il en va autrement pour les et même pour ‘l’individu’, bien entendu). Cinquante nuances de grey a toutes les chances de décevoir ceux qui auront voulu laisser leur chance à la bluette scabreuse. Vu en tant que produit cynique, flatteur et rabaissant à son profit, le film peut tout de même susciter un certain intérêt, tant il se montre conséquent et manifestement efficace (ce qui ne plaide pas [‘dans l’absolu’] en sa faveur ou n’augmente pas ou peu sa valeur par ailleurs).

Les logiciens de service s’arracheront les cheveux, mais s’ils sont honnêtes ils verront que les concepteurs du film sont loin d’être négligents. Les incohérences objectives ou seulement apparentes sont fondées sur des pseudo-vérités égotiques largement répandues. La petite héroïne est contradictoire et superficielle (une véritable Bridget Jones, une intello maladroite, une effrontée passive-agressive, une gamine admirative et offerte, une fille fluette et anxieuse, une bonniche blasée et lucide, une intrépide rieuse et épanouie) ; on pourrait la juger mal écrite et cela reste défendable ; mais elle est parfaite ainsi, si le but est de fédérer en elle la part avide, bestiale et quelque peu servile d’une multitude de femmes. Cinquante nuances de Grey mise surtout sur des nuances de types féminins, d’ombres honteuses ou de facettes leurrées. Ce sera aussi une manière d’atténuer les dossiers à charge contre le film et sa représentation des femmes. C’est le rôle de la prise d’assurance d’Anna et de son coup de poker final, où l’orgueil semble soudain la prendre toute entière, au point qu’elle se sente maîtresse de la situation, indépendante malgré sa légère confusion et ses états peu constructifs. Le film reste ouvert et peut être soupçonnable d’une chose et son contraire en matière de féminisme ou d’adhésion énamourée au patriarcat, voire de romantisme ou de pragmatisme. Même si concrètement, il est totalement romantique, pour le bénéfice d’une femme qui ne l’est pas beaucoup (hors de ses espoirs peut-être, mais ils sont trop communs et de basse intensité).

La représentation de Christian (et non ‘de l’homme’) en tout cas est totalement romantique, d’une espèce de sobriété d’hystérique. Il fait le cynique [etc] mais a du cœur ; il aime dominer mais ne fera jamais de mal, n’abusera vraiment jamais. Il pratique aussi l’humanitaire – mais c’est dit-il pour le business (pudique mâle alpha). Il rappelle Pretty Woman : lui aussi n’embrasse pas sur la bouche, d’ailleurs il ne faut pas le toucher. Car il tient à rester fort et garder son armure intacte, enfin ce n’est pas tout – il a aussi un côté sombre et en est conscient. On croit qu’il la fait mariner, or il ne veut pas blesser ce pauvre oiseau paumé (scène du café). Enfin il peut tout faire, surpassant Hannibal Lecter. Il a tout pour : davantage de moyens, pas de barrières – sinon son esprit probablement torturé et plein de secrets si difficiles. Et en plus il sait traiter l’Anna comme le ferait un godemiché turbulent et complice soudain pourvu d’une âme (« Je ne fait pas l’amour ; je baise, brutalement »). Last but not least, il aime malgré les défauts (il reste tolérant -mais dirigiste- lorsqu’elle est pathétique face à lui) – et lorsque la fille devient sale ou décevante, lui ne perd rien de sa superbe. Naturellement, comme il est tellement parfait (« sexy » pour être précis), Kate (l’extravertie aimable et décontractée) le soupçonne d’être gay ! C’est qu’on ne saurait oublier un des archétypes discount avec lesquels les bécasses donnent du sens à la réalité, s’approprient le langage et les références humaines. Le déroulement et les expressions sont remplis de ce genre de singeries – le film répète des tics lourds et indices limités à tous points de vue, comme les mordillements de lèvres, entre deux clichés de lovers (le piano après l’amour c’est plus propre que la cigarette) ou révélations cocasses (… et en plus elle est vierge !).

Sous ses dehors de grande ‘petite fille’ timide et sensible, Anna renferme une âme de mégère commune. Elle essaie d’être normale et y arrive au fond d’elle-même. Le film épouse les points de vue grossiers qu’Anna véhicule spontanément. Ainsi Christian Grey est une sorte de pervers, un sadique, pourtant nous voyons comme il est ‘bien sous tous rapports’ : décidément cet homme ne saurait être totalement corrompu ; or ces penchants de prédateurs sont bien ceux des méchants, dont il n’est pas, donc il les a acquis de force ! (Or lui-même a été introduit au BDSM – par une sorte de pédophile, comme la qualifie Anna ?) Autrement dit : on ne peut apprécier une chose ‘déviante’ sans être un déviant global sur le reste, ou sans avoir connu (et de préférence subi) un événement douloureux (ou pire). Christian ne peut pas ronger son frein lorsqu’on lui refuse le fist car on le priverait de la satisfaction d’un penchant naturel ; il faut des raisons livrables en un petit pavé ou même en un mot, un traumatisme. Donc que ça se ‘règle’ – et il est probable qu’Anna bataille dans ce sens lors des suites prévues à cet inévitable triomphe au box-office (ou obtienne satisfaction en voyant son pseudo-maître chamboulé).

Finalement ce film n’est qu’un cas particulièrement transparent d’appât ‘transgressif’ pour foules éblouies par le luxe et les ‘plaisirs’ sophistiqués – comme les suites de Saw ou certaines émanations de la real-TV en ont été, dans leur registre (et comme Le Loup de Wall Street pouvait l’être, en l’affichant et y participant). Les procès moralistes, qu’ils se définissent comme tels ou non, ne sont ni francs ni appropriés si à côté des productions plus soft mais également racoleuses restent ‘impunies’. Les jeux autour des fantasmes d’hommes ou des désirs des femmes ne choquent que des minorités (aux perceptions structurées par l’idéologie) lorsqu’ils se diffusent dans les films avec Cary Grant ou les romcom modernes qui oublieraient leur second degré ou leur dose de circonvolutions progressistes. 50 nuances reste bien pire que Le Milliardaire (de Cukor) avec Marilyn et Montand et bien nul face à La Secrétaire, où les notions de pouvoir, de (ré)confort et de confiance étaient prises en compte avec humour et subtilité (quoique les charmes de l’aliénation consentie sont correctement survolés entre Grey et Anna). Les spectateurs contemporains seront ennuyés ou embarrassés par les bouffées de niaiseries et par l’hypocrisie du programme, plutôt que par les élans ‘SM’. Car ce film promet beaucoup et donne peu, avec un rendement très en-dessous en termes de violence (une scène ‘torride’ et ‘hargneuse’ déprimante pour tous) mais généreux pour l’érotisme. Que de grosses suées pour trois [salves de] fessées (et des bribes de sensualité qui n’apportent rien de neuf ou d’assez puissant) – mais tout ça est trop précis et harmonieux, trop implacable, pour être totalement désagréable. La seule partie largement repoussante est la musique, outrancière dans le moche exalté quand Anna vit ‘le rêve’.

Note globale 36

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Suggestions…

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (1), Son/Musique-BO (1), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (1)

MBTI-Ennea : Lui ENTJ 3, dinde probablement 9 ISFP.

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LE TRÉSOR DE LA SIERRA MADRE =-

15 Déc

sierra madre

Western et film d’aventures, ou film d’aventures mordant sur le western, Le trésor de la Sierra Madre est gentiment divertissant au départ. Or c’est un fillm de John Huston et la lourdeur de son style assomme très vite, noyant tout intérêt potentiel. Les protagonistes du roman d’un des écrivains les plus mystérieux du XXe siècle (B.Traven) deviennent des idiots sur grand écran. Les acteurs ont l’air d’ivrognes prenant un temps pour se concentrer et faire illusion comme s’ils étaient des formes humaines sérieuses alors qu’ils sont des loques en représentation. À une seconde près on les verrait retourner comater ou prendre une nouvelle murge.

En faute, cet espèce de premier degré d’emprunt à l’artificialité outrée laissant une sensation d’absence, tout en manifestant discrètement une volonté d’imposer une vision de l’Homme, totalement branque et évanescente au point qu’Huston profère au mieux des banalités de mémères sordides sans le faire exprès. Spielberg est souvent critiqué par les cinéphiles élitistes : on peut tout aussi bien critiquer Hawks (Rio Bravo, Le grand sommeil) ou Huston pour des raisons similaires. Il est possible de se divertir en se laissant absorber par l’intrigue ou cultiver une quelconque sympathie pour les personnages : mais Le trésor de la Sierra Madre ne présente guère de qualités proprement cinématographiques.

Tout ça pourrait aussi bien se dérouler au théâtre ou être raconté par un narrateur, car le gain à l’écran est faible. D’habitude, Huston est un excellent faiseur d’images – elles sont fortes dans Le faucon maltais, épiques dans L’homme qui voulut être roi. Ici, elles sont sans relief et peu importe que ce film soit l’un des premiers produits américains tournés quasi-essentiellement à l’étranger (Mexique). Les défenseurs de ce film ne peuvent tirer que ce carton rouge : Entertainment ! Huston en a le sens, il ménage les aventures pittoresques, les petits rebondissements, les musiques d’ambiance sans beauté ni originalité se fondant bien dans la petite balade.

L’attachement au Trésor est compréhensible, c’est un bon produit pour divertir en masse et il a même ses moments tire-larmes bourrins. Toutefois il est dix fois plus bête que les westerns les plus délibérément niaiseux de John Ford. Il n’est bon qu’à se relaxer : si on y arrive et si c’est ce qu’on attend du cinéma, de la culture, ou de la vie en général, il faut voir ce Trésor de la Sierra Madre ! Son exigence de lenteur mentale n’heurtera pas dans ces conditions. Ce film est d’un manque d’intériorité et de ‘tripes’ déconcertant.

Il fait abondamment penser à trois autres : Les raisins de la colère, La rivière rouge, Le salaire de la peur. Ce n’est pas délibéré d’autant que le deuxième sort plus tard dans l’année et le troisième cinq ans après : en tout cas il est minuscule face à eux. Au départ le film aligne de modestes réflexions, prête une philosophie à ses personnages, recèle une perspective sociale en germes. Tout ça s’évanouit, hormis l’espèce de tentative morale ridicule concernant les trois prospecteurs : voilà trois collaborateurs tout en contraste, chacun avec son idée de ce qu’est l’aventure et le succès.

Leur inanité est à niveau pour asséner le moralisme primaire et benêt sur la cupidité des hommes : le gain (ici l’or) vient à bout de l’intégrité des gens les plus honnêtes et même des amitiés les plus profondes. Dans des proportions pudiques à l’écran, certes. Voilà un discours puissant et une véritable conviction traversant comme une lame de fond le cinéma de John Huston, car elle sera au cœur de L’homme qui voulut être roi. Celui-là sera plus pertinent et réfléchi dans ses expressions – c’est juste un film dégueulasse.

Note globale 36

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Suggestions… Rio Bravo

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BARBIE –

10 Nov

En bon film star pour les masses c’est sur le fond un bric-à-brac d’idées (ou d’échos d’idées) à la mode hypertrophiées ou alambiquées en vain, sinon pour égailler la galerie et les critiques. C’est simplement un divertissement criard et opportuniste avec des éclats de drôlerie ou même d’esprit, calibré avec compétence puisque dès qu’on ne vient pas braqué il y a moyen de pas ou peu s’ennuyer – et je suis venu sans envie ni espoir. The fabelmans de Spielberg réussissait un tour similaire sans passer par l’avilissement – c’était plus doucement et sobrement hystérique. Tout de même certains moments de pastiche trop poussé et les clips avec Ken ont failli avoir raison de mon indulgence.

Par contre, les scènes avec l’équipe dirigeante de Mattel sont tellement minables qu’elles en deviennent écœurantes ; cette volonté de jouer la carte du ridicule pour se ‘dédouaner’, combinée à l’ineptie du trait et de l’imaginaire (mention spéciale à la blague de ‘l’ami juif’ qu’on ne devrait pas pardonner à un enfant qui essaierai de jouer le clown – ce serait lui rendre un mauvais service), rend plutôt l’entreprise pitoyable et suspecte à mes yeux – qui peut trouver ce numéro sympathique ? Respectable ? Pour autant cette attitude correspond bien à l’esprit général de masochisme autoritaire imbibant cette foire où les femmes sont fortes mais ont une grosse souffrance à faire valoir, tandis que les hommes sont lamentables mais il ne faut pas leur en vouloir – mais surtout n’oublions jamais de le rappeler ! Et à eux, de le leur rappeler doucement, car ils sont susceptibles… toujours prêts à faire de la société un enfer !

Finalement ce film ne tient que grâce à son outrance et son couple d’interprètes ; sinon, par quelques initiatives vite usées (la Barbie déglinguée, le délire avec les chevaux). Heureusement il y en a pour tous les goûts (même pour les amateurs de mélo spirituel – la conclusion) et en terme de dialogues et situations, ce Barbie a aussi un lot honorable de bouffonneries à son actif, fondées sur des caricatures ou des inversions… sauf que la seule chose qui ne soit pas considérée comme absurde dans ce programme, c’est le féminisme (solidarité et supériorité féminine), donc tout écart n’est effectivement que plaisanterie. Féminisme de courge superficielle quoiqu’elle s’en défende, mais féminisme encore !

Écriture 5, Formel 7, Intensité 6 ; Pertinence 3, Style 3, Sympathie 3.

Note globale 36

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CAPITAINE ORGAZMO *

22 Oct

orgazmo

2sur5  Trey Parker et Matt Stone sont surtout connus pour la série South Park. Ils ont également conçus plusieurs films, réalisés par Trey Parker, dont le premier fut Cannibal, The Musical ! en 1992. Cinq ans plus tard, au moment où démarre South Park sort en parallèle Capitaine Orgazmo. Si Team America est une gaudriole parfois monumentale, South Park génial, son incursion au cinéma moins tout en restant à haut niveau ; comment peut-on produire un tel écart entre l’animation et le cinéma live ?

Nanar volontaire, Capitaine Orgazmo est une comédie de potaches restant au ras-du-bitume. Le niveau est digne de la suite de Dumb & Dumber, du pire de Alex de la Iglesia (le générique de Action mutante). La beauferie finale de De retour pour minuit n’est pas si loin et même Ali G de Sacha Baron Cohen est plus fin. L’esprit parodique n’excuse pas la médiocrité : indigence de la mise en scène, inspiration faible, gags idiots bloqués au stade collégien, tout est bâclé, plus foireux encore que Z.

Il y a bien sûr quelques séquences marrantes, comme la vieille du DADV, certains dialogues absurdes. Mais Parker et Stone sont paresseux, se contentent des passages classiques des parodies débiles, avec par exemple l’insistance sur les flashbacks et larmes ironiques. Les sous-intrigues caricaturales ou référencées sont là, avec notamment le restaurateur chinois harcelé par le mafia. On en arrive bien sûr aux pets et aux chutes contre des portes.

Du dépit arrive finalement la faculté à se prendre au jeu, surtout que la séance s’améliore par paliers. La performance de Trey Parker en Joe, mormon engagé sur un tournage X et dont le personnage devient une star est valable. Il ressemble à une espèce de Butters adulte au pays des pornos folklos et hauts-en-couleurs avec scénarios ringards et abrutis. Matt Stone est bien gentil en poux photographe, mais lui (et son homosexualité refoulée) rejoignent directement l’univers de Scary Movie 2, en simplement plus cru. L’indulgence est possible, mais c’est à voir avant ses 16 ans de préférence.

Note globale 36

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CAM CLASH *

14 Mai

2sur5  Cette émission fascinante est un remarquable témoin de la rectitude morale superficielle de notre époque (cette superficialité casse des réputations et anéanti les débats mais reste un progrès par rapport aux véritables inquisitions, dans la mesure où l’exclusion, les amendes et les interdictions sont la peine légale capitale). Les passants sont pris à partie ou simplement exposés à des injustices, des souffrances, des discriminations (ou même des excentricités) et réagissent ou s’abstiennent dans un contexte de caméra cachée. Cam Clash prétend donc organiser des expériences (d’observation) sociales. C’est avant tout une émission de vérificateurs : les gens sont-ils sensibles aux supposées plus hautes vertus et donc au respect de chacun, c’est-à-dire de leur égalité et de leur liberté à tous les uns par rapport aux autres ? Sous l’indifférence, n’y aurait-il pas des racistes en sommeil, des machistes ou des réactionnaires ?

Cette émission de service public (diffusée sur France 4) utilise aussi des thèmes en-dehors du catalogue de la « cage aux phobes » (haïssez De Villiers mais constatez aussi qu’un programme si surréaliste donne des armes à lui et à d’autres de son bord). Ce sont généralement des extensions ou des sujets à la mode (le manspreading). Le goût de s’indigner pour tout et n’importe quoi tant que c’est acquis ou insipide fait chuter parfois. Ainsi l’opus sur la discrimination des fumeurs est un ratage même du point de vue du gueulard enragé ou de la victime aux aguets. Celui sur le doublage dans les files d’attentes est bien crétin aussi. En fait, lorsqu’il s’agit d’incivilités pures et simples, l’effondrement est facile – les gens s’ennuient ou s’agacent, que peuvent-ils bien faire d’autre ? D’ailleurs l’émission ne récolte rien de mieux. Elle prend alors la tournure d’un sketch en train de s’écraser.

La non-surprise c’est que les gens dans la rue vont massivement dans le sens des commanditaires. Ironiquement, dans les témoignages d’individus face caméra suivant les simulations, chacun vient confirmer simplement, ou pire, marteler son indignation simplette et catégorique. Il y a même des champions pour venir pleurer, se plaindre, rappeler que le combat n’est pas fini, que le progrès ça continue, qu’il ‘y en a encore’ [des gens comme ça !], qu’il ‘y a encore’ de l’homophobie, du racisme, etc. Parfois, ce qui est simultanément mieux et pire (car on passe à la candeur suspecte), certains s’étonnent juste de l’insensibilité des gens (abstraits ou participants). Cam Clash est donc une piqûre de rappel : les gens absorbent l’ingénierie sociale et, outils, parlent comme des outils, pour sauter aux conclusions, relever le compteur et appliquer le diagnostic prescrit – qui doit rester insatisfait éternellement, comme tout idéal, comme toute utopie.

Nombre de ces témoins, à l’égal des organisateurs de l’émission, tendent à oublier la réalité dès qu’il est question des races ou des sexes (moins quand le problème tient strictement à des comportements, où l’identité de la personne perd de son importance). En regardant Cam Clash on pourrait croire que tout ce qui les structurent intellectuellement, tout ce qu’ils ont de sens moral est social, dépendant et ‘gentil’. La moralité d’ado complaisant a gagné. Nous sommes au niveau des gens postant des commentaires sur youtube ou les sites d’info (ou de réinfo new age/apocalyptique) en accusant tout le monde d’être des égoïstes, des arriérés ou atrophiés (avec des qualificatifs variables selon le niveau et les cibles propres au lieu), des abrutis. Le ‘non-jugement’ s’élève comme principe fondamental, hypocrite et éventuellement inquisiteur, de l’homme de la rue aujourd’hui. Il ne doit pas estimer, hiérarchiser les choses. Les reacs anti-selfies, eux, ‘jugent’. Chose amusante, les populations normalement préservées, en tout cas dans les sujets relatifs au racisme ou aux discriminations, peuvent s’avérer les seuls fautifs ! Même les arabes vont devoir passer au rouleau-compresseur du ‘politiquement correct’ et on voit qu’ils sont récalcitrants (et que des gens hésitent à répondre pour porter la bonne parole face à eux), notamment sur ‘Il n’est pas Charlie’. Avec la relativité du politiquement correct (la vieille musulmane devient l’intolérante de service face à une fille vêtue trop court) et le sinistrisme, chaque communauté ou personnalité peut donc avoir du souci à se faire. Voilà de quoi rassurer les troupes de non-gauche ou de non-‘civilisés’, dont les rangs pourraient grossir si les opérations et opérateurs de la justice sociale desservent davantage qu’ils ne servent leurs clients ou vaches à laits.

Pour le meilleur et pour le pire c’est efficace. On s’imagine ce qu’on répondrait dans la situation, ou revient à ce qu’on pense (et le met à jour ?). Les mises en situation basées sur le harcèlement fonctionnent, notamment lorsqu’une obèse ou une transsexuelle est attaquée gratuitement. Les ‘bourreaux’ sont alors insupportables, car ils en sont vraiment. Comme les beugleurs du métro sympathisants FN ou assimilés, ils commettent l’erreur d’attaquer un individu et d’y trouver l’incarnation prête et parfaite d’un vice, d’une menace, d’un égarement, réels ou présumés. Contrairement à eux ils se contentent du mode de vie et du cas strictement individuel d’une personne pour l’attaquer alors qu’ils n’en connaissent rien (et même dans ce cas il en faudrait beaucoup pour prétendre à un début de légitimité). L’humiliation voire l’exploitation des inférieurs en tant qu’employés sont également choquantes. Pour le reste, Cam Clash est l’occasion de constater à quel point on est dur ou cynique, ou simplement blasé ou découragé, par rapport à ce qui serait présentable devant un auditoire jeune, urbain, mixte et policé.

Mais Cam Clash et les probables trucs dans le genre oublient une chose majeure : tout le monde n’est pas dans la ‘réaction’. Et les accidents mis en scène peuvent aussi introduire d’autres impressions ou anticipations. La méfiance par rapport à un traquenard n’est jamais évoquée (n’est-elle légitime que de nuit ?) – sauf, sur une soixantaine d’éditions, par un pleutre parmi d’autres critères pour justifier sa lenteur. Tout le monde ne s’inscrit pas simplement dans le moment présent, à se braquer direct, sans voir ou entendre rien de plus que ce qui s’affiche immédiatement. Tout le monde n’a pas envie de s’impliquer dans quelque joute sans impact ni bénéfice. Cette omission de la part de Cam Clash n’est pas que toxique. Elle est conditionnée par une volonté de démonstration, qui rappelle l’optimisme nourrissant cette vision de la justice et des liens sociaux, dont Cam Clash est un agent. Mais là-dedans il n’y a pas de place pour le dialogue, ou alors hypocrite, téléguidé, servant plutôt à répartir des rôles. C’est prégnant au restaurant asiatique avec les clients hilares et incultes. Que voulez-vous faire contre des débiles décidés à brailler ? Il n’y a que la répression et le silence qui vaillent pour l’immédiat (les leçons ou même l’apport d’informations seraient bien vains) ; mais il y a aussi la possibilité de s’étaler, se souiller dans des conversations aberrantes entre sales gosses puants et gosses valeureux, enfin d’afficher son indignation et l’opposer à ces forces obscures, en l’étayant avec ses émotions et une gravité le moins feinte possible. D’après Cam Clash, les dignes et les braves s’étalent.

Tout le malheur de cette émission c’est de monter des hommes de paille. Elle nous fournit le racisme (et le reste) vus par ses ennemis ‘bien-pensants’. Les déviants vont trop loin tout en restant parfaitement odieux ou stupides, la combo étant bien sûr appréciée. Dans ‘Un pays de race blanche’ la plus vieille des complices balance « La France, on nous l’a dit à la télé hein, c’est un pays de race blanche » ; le Jean-savant en face va la rabrouer pour sa bêtise, idem dans chaque sketch basé sur la discrimination ou le racisme. Une facho ne réfléchit pas ; son contradicteur consciencieux au contraire s’abstient certainement de regarder Hanouna, d’aimer Trump et sait avoir ‘du recul’ comme tout individu posé et évolué (en pratique cela consiste à ne trop rien penser de précis, ne pas dépareiller et convoquer des expertises ponctuellement). Certaines défenses sont remarquables et devraient sonner comme des lapsus. Dans ‘Elle insulte une femme voilée’ (publié dans les débuts en février 2015, dépasse les 7 millions de vues), les compatissants (et protecteurs au grand cœur) brandissent à la facho : « vous avez qu’à fermer les yeux ». Il faut s’éteindre et accepter. Les yeux ce n’est qu’un début, l’esprit doit suivre absolument. Jusqu’à ressortir une telle phrase pour remettre sur les rails une déviante – non pour sous-entendre qu’on est contrarié soi aussi sauf qu’il n’y a pas de recours, ce qui à froid semblerait plus évident (s’agirait-il d’un retour du refoulé ?! On est jamais sûr que la bête est morte – cette émission d’ailleurs le laisse entrevoir !).

En revanche, les ‘victimes’ ou ‘bonnes personnes’ selon la mise en scène ont carte blanche (à quelques exceptions près où il s’agit de vérifier la tolérance aux nuisances dans les transports en commun). Et c’est ainsi que Cam Clash s’autodétruit. L’épisode ‘Elle ne sait pas se garer’ en est le paroxysme. La femme au volant galère longtemps et se place en mode ‘jédédroi’ pour épuiser son monde. Sa répartie ingénue mais agressive est une blague, un appel à colère ou la moquerie, surtout quand un homme propose de garer la voiture – ah mais justement, cette intervention est SEXISTE ! Le complice essaie de pousser ses cibles à prononcer des saletés afin de faire tenir la démonstration et d’épingler des coupables. Au pire il faudra des oppresseurs masqués ou des gens inconscients de leurs discriminations et de leurs préjugés. En conclusion de ‘Femme enceinte’, l’animateur et son interlocutrice doivent composer avec de maigres résultats : personne n’a dit d’horreurs, mais des gens pensent tout bas comme ‘ça’, c’est sûr !

Potentiellement, tout ça relève facilement du comique. Mais la chape morale est là, qui s’abat même dans les cas objectivement grotesques. Elle atteint le lourdingue dans ‘Femme enceinte’ avec ce personnage insupportable de femme teigneuse (une de ces ordures trop imbues de leurs bonnes raisons de s’afficher et de faire ‘scandale’), qu’apparemment il faut trouver tout à fait courageuse et méritante. Les interventions avec le chauve ou la blonde souvent tenue pour ‘vieille dame’ touchent au limite ; ‘Il n’aime pas les vieux dans les transports’ a tellement l’air d’une farce, le décalage maintenu par l’émission en devient curieux si on ne l’a pas simplement oublié car on est occupé à se marrer. Rien que cette prémisse selon laquelle il faudrait être sur le qui-vive, à chercher les injustices et victimes à protéger, a de quoi rendre sceptique ou hilare selon sa sensibilité – chez les gens ne sentant pas cet appel, naturellement. En tout cas le visionnage vaut le coup. C’est délicieusement lourd et il y traîne de modestes perles, côté chevaliers blancs ou bien salauds. L’essai sur l’avortement donne à réfléchir : la dame au bar a bien raison en proférant « des fois un coup de bite ça débouche les neurones ». Cette jeune catholique le mérite sûrement (par principe – enfin un qui soit noble et agréable) ! mais elle devrait aussi poursuivre son combat – or ce n’en est pas un, car nous sommes en 1974+41. Tout comme le refus d’accueillir des réfugiés, ce n’est pas une ’cause’ puisque c’est une mauvaise ’cause’.

Note globale 36

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