Tag Archives: rédigé 4 à 4.9 ans avant

SNOW THERAPY / FORCE MAJEURE =+

12 Nov

Sur l’aliénation des bourgeois et de la classe moyenne d’une société très polie et évoluée. Le protagoniste est aligné sur le monde et ‘oublié’ en lui – comme professionnel, comme vacancier, comme homme, mari et père. Il s’attend à ne plus devoir répondre de rien, ne plus avoir de réaction propre ni assumer de jugement difficile. Quand il pleure, c’est de façon forcée ou carrément factice. La nature ne l’a pas fait manipulateur compulsif ; simplement il ne peut plus s’exprimer que de manière grotesque et empruntée, car il ne sait pas ou plus s’exprimer.

Et ce n’est pas si mal car il n’a rien à fournir en-dehors des réponses adaptées et attendues : il n’en éprouve aucun malaise, c’est tout ce qui lui convient, assure son confort et son identité. Il est donc incapable de soupçonner le ressentiment de son épouse Ebba, elle-même renvoyée à la médiocrité de leur relation et de toute leur construction familiale, quand elle constate que la tendance naturelle au déni de son mari ne le rend fiable et agréable qu’en temps de paix parfaite. La malheureuse réalise que les serviles sont souvent de faux amis ! Alors elle s’acharne à mettre tout le monde d’accord derrière elle : quand on a perdu le contrôle et les illusions il reste toujours la possibilité d’avoir raison. Et il faut bien se sacrifier ou sacrifier, avec un niveau de hargne et de fermeté fonction du stress collectif ou de la désolation individuelle.

Incarcérés dans le ‘politiquement correct’ insincère, Ebba, Mats et Tomas sont terrorisés à l’idée d’être démasqués ou de se connaître vraiment. La morale publique d’une ère pacifiée est totalement intériorisée, les ressorts personnels sont sous-développés. Démunis et floués, ils craignent un retour aux instincts – ou cherchent la cellule où l’expérimenter de façon outrancière, mais collective pour se rassurer (cette prison et la dispense de petits espaces récréatifs sont le prix d’une haute culture). Le film les prend au moment où ils éprouvent une perte d’authenticité et souffrent de l’absence d’épreuves ou de dynamisme du monde extérieur qui permet de se tester, que chacun se rappelle qui il est. Mais ces béances ont toujours été là et il n’y a pas de passé ou d’imaginaire propres (ni mêmes ‘libres’ et partagés) où s’enfuir ou se reconstruire ; d’où ce besoin compensatoire de faire payer l’autre ou d’aller se prendre une expérience vitale intense.

Je suis tout de même gêné par la lourdeur et l’étroitesse de la démonstration. Le film ne fait qu’appuyer autour d’un même sujet et l’aperçu d’une poignée de chemins possibles (des variantes de cinéma de mœurs conventionnel), présente le minimum d’à-côtés et laisse au spectateur le soin de développer ce qui lui plaira quand il reste muet ou évasif (spécialement sur l’orgueil féminin). Mais pour ses illustrations il a d’excellentes idées, dans le détail (sur l’extinction de la vie privée, la complaisance soudain rompue envers le cocooning dictatorial) ou en général – comme celle de présenter Tormund de GOT en crise existentielle : voilà ce colosse complexé par la menace d’être un père, ami et mari non-idéal, voire superficiellement gentil ! Ce viking aliéné est le boss final de la crise du masculin et d’une ère trop bêtement civilisée. The Square limitera aussi la casse grâce à quelques captures perçantes à l’intérieur de son catalogue malheureusement un peu venteux ; Play reste le plus frontal, épanoui sur son champ de nitroglycérine, pas encore gelé par l’auteurisme.

Note globale 56-58

Page IMDB   + Zogarok sur Sens Critique

Suggestions… Gone Girl + Shining + Steak + White God + Carnage + Melancholia + Mia Madre

Typologies : Ebba ISJ. Base 1 (instinct sx) ou une autre du tritype 146 ; Lui en bases 3 (3w4) et 9 (9w1). Tritype 369 ; Tormund est Ti-dom, ISTP. Ennea 5, 7 ou 9.

Les+

  • confrontation à la lâcheté et aux impasses d’une époque et d’un monde pourtant vernis
  • personnages et dialogues
  • des plans éloquents, des choix intéressants, le charme des décors qui opère encore

Les-

  • insère des choses ultra-polémiques et laisse couler doctement
  • démonstratif, pachydermique
  • un peu léger, scénario prétexte

Voir l’index cinéma de Zogarok

LA ROUTE DES INDES +

22 Juil

Dans les années 1920, deux femmes anglaises rejoignent en Inde un employé du gouvernement britannique, fils de l’une et futur mari de l’autre. Elles veulent prendre contact avec l’Inde réelle, hors-palace et carte postale ; l’enchanteresse, pourquoi pas la mystique et même la populaire. Leur essai sera laborieux. Au lieu de simplement tourner court il va flirter avec le drame, voire peut-être s’y vautrer. Cet échec n’est pas tant le fruit de péripéties que de lourds bagages psychologiques et culturels. Le film semble sans ombres, ses habitants à l’abri de grandes menaces, mais une inquiétude se diffuse discrètement. Elle empêche ce tableau placide et sublime de se livrer pour ce qu’il est, devenir le théâtre d’échanges et d’aventures constructives.

Au travers de ces tentatives (pauvres et touchantes), La route des Indes rend palpables les incompatibilités entre Occident[aux] et Orient[aux], aux raisons mentales et pratiques, sûrement pas magiques. Le dernier film de David Lean a les allures d’une grande fresque comme ses prédécesseurs. L’enveloppe est massive, romanesque, le spectacle presque posé et minimaliste. D’un point de vue comptable et stylistique, le film est très riche, propose des personnages, des rencontres, des décors forts ou profonds. Mais il est plus faible en terme d’intrigues et d’engagement, il semble aussi ‘trop large et ouvert’ – c’est une orientation dont se sentent les limites, plutôt qu’un authentique défaut. C’est aussi un film ne suivant pas de ligne droite, d’histoire ou de démonstration fixe, le voyage servant de fil conducteur et l’approche d’un monde de thème général.

La séance se donne en deux grands versants, séparés brutalement par un épisode au déroulement obscur (où l’Audrey de Barton Fink semble perdre tous ses repères). Dans le premier les colons sont face à l’Inde, leur supériorité est difficile ; par la suite leur domination est chamboulée. Et vacille lorsqu’elle croit se rappeler avec force – avec la légitimité de son côté, malgré une grogne collective venue réveiller les aigreurs latentes. Dans l’épilogue, nous ne voyons plus les anglais comme des colons et les indiens comme des sujets – nous les voyons par le biais d’une amitié qui l’a emporté sur les conflits du passé, les rapports de race et de classe.

Enfin, en marge de son quator principal, positif au dérapage près, le film est traversé par des personnages désagréables ou turbulents. Globalement, les premiers sont les fonctionnaires de l’occupation (Ronny ou l’inspecteur de police à la fin), les autres expriment de manière primaire ou péremptoire l’âme ou les besoins d’un peuple. Le professeur Godbole est issu de ceux-là ; un religieux pénible, superstitieux, mais aussi pourvu d’une ‘résilience’ liée au fatalisme. Son interprétation par Alec Guinness est sous influence Peter Sellers – un détail qui cadre avec l’orientalisme folklo et donc met un peu de familiarité dans cette expédition à l’autre bout du monde.

Note globale 76

Page IMDB  + Zogarok sur Sens Critique

Suggestions… Aux frontières des Indes/1959 + The Party + Lawrence d’Arabie

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

Voir l’index cinéma de Zogarok

A GIRL AT MY DOOR =-

23 Avr

Ça ressemble à du Chabrol des heures sombres (Le Boucher, La Cérémonie), qui n’aurait ni la force ni les capacités d’apprécier les choses comme elles sont, au mieux se gâcherait à devenir partial tout en amortissant au maximum pour garder l’honneur sauf. Le premier film de la coréenne July Jung se livre en deux faces : une sociale, une perverse. La première couche est ‘correcte’ et agaçante, la seconde autrement crue et réellement douteuse. Elle s’avère pourtant totalement solidaire, car c’est le temps où le film se trouve face à ‘pire’ que ses vices (ou ceux de ses protagonistes dont il est le défenseur sinon le chantre) et ses tentations, qui ne seraient qu’illusion ; pour rejeter la faute ailleurs et refuser de trancher à propos du cas qui l’intéresse prioritairement. Il part alors condamner le coupable tout-désigné depuis le départ, en enfonçant la charge (contre l’intolérance et la brutalité du milieu). Après quelques flottements liés aux divers rebondissements et approfondissements potentiellement explosifs, A Girl at My Door s’avère le même. Malgré les pirouettes, il scelle le mariage de la malice et de la légitimation des revanches pour chères ‘victimes’ – dont les troubles et affinités sont par ailleurs objets respectables, sinon attractifs. Autrement dit : ce salaud l’a bien mérité et nous, opprimées aux natures atypiques, nous avons le droit de mener nos propres vies ; de nous épanouir comme nous sommes pour l’adulte, de nous re-déterminer pour l’adolescente. Sur ce point le film rejoint celui de Laugier, The Secret (où il faut s’échapper d’héritages lourds, casser le cycle pourri et ‘l’avenir écrit d’avance’), en s’en distinguant par son optique strictement individuelle (et ‘hédoniste’).

Le résultat a beau sentir le soufre (il arrive dans la moyenne haute de la défonce de tabous par les coréens, mais sans le goût habituel pour le grotesque et encore avec cette ‘distance’ anesthésiant la transgression), il est loin d’être original. A Girl a notamment des points communs avec My Sweet Pepper Land : dans les deux cas on trouve une jeune protagoniste décalée dans un milieu ‘retardé’, à la campagne, avec de la violence et de la misogynie. L’accent est mis également sur la médiocrité, qui est le vernis ‘trivial’ couvrant les deux autres. Comme dans Garde à vue avec Serrault (ou La Chasse de Vinterberg, mais celui-là est bien trop caricatural et débordant de haine), le film semble dénoncer les procès calomnieux en pédophilies, partant sur des présomptions – ou diffamant à cause de l’homosexualité. Sauf que le film contient plusieurs scènes borderline (le bain, le shopping et la découverte par la petite de sa féminité d’ado – à laquelle contribue la télévision, ce qui n’est pas interrogé, mais comme le reste des ‘épanouissements’ de la fille, perçu avec bienveillance ou attendrissement). Le rôle de mère de substitution pourrait les justifier, mais le jugement manque sur cette partie, alors que le film le pratique constamment à l’endroit des personnages et de leurs réactions (moins vers la fin où son système n’en a plus besoin). S’il s’en tenait à la psychologie, qui reste sa méthode par ailleurs, A Girl ne poserait pas de problèmes ; or il est manifestement ‘engagé’ – en faisant ressentir l’emprise du machisme, des familles abusives, mais aussi les turpitudes de la pauvreté et de l’ignorance. Il ne cherche pas à comprendre ces dernières, ne se pose pas la question des conditions et des origines (alors que tout est devant, à portée) – en revanche il prend partie en faveur des travailleurs clandestins.

Bien que le film reste peu offensant a-priori, largement présentable devant un public mixte, sa lâcheté face à ce qu’il titille le rend plus dérangeant que des films franchement indécents ou provocateurs. Mysterious Skin ose suggérer l’innommable (l’acte) et l’inconcevable (les ‘satisfactions’) ; il a choqué abondamment, mais il est moins ambigu, pas au service d’une vengeance (encore moins dans l’idéal de revanche), n’inclue pas les fautifs (les adultes) dans l’évasion vécue comme ‘positive’. Les méchants des Innocents, du Village des damnés ou des Révoltés de l’an 2000 brisent des représentations confortables, mais ces films ne sont pas des plaidoyers plus ou moins déguisés. Ici, l’enfant a sa part de monstruosité quand l’affaire commence (quoiqu’elle a pu être insufflée, par la flic ou par son arrivée) ; l’adulte n’initie probablement rien, mais valide ses méfaits et ses attitudes inappropriées. Dans Mysterious, on fait avec les restes ; ici, on ne dit mot et consent largement, blâme l’environnement pour mieux faire passer. Dans Eden Lake, face au mal venant de ceux qui ont l’âge d’être des anges, ou au moins des puceaux de la vie et de l’horreur, on ne faiblit pas, on ne pleurniche pas dans leur sens. Au contraire, ce film impose notre consentement, le lie à l’empathie ou la fascination qu’il cherche à cultiver à l’égard des deux ‘malmenées’. Il ne connaît le doute et la complexité que pour se cacher, jamais pour analyser, encore moins pour représenter.

Note globale 44

Page IMDB   + Zogarok sur SensCritique

Suggestions… Le Secret Magnifique

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (1), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

Voir l’index cinéma de Zogarok

EN DJUNGELSAGA / THE FLUTE AND THE ARROW / L’ARC ET LA FLUTE +

19 Sep

Arne Sucksdorff était un documentariste suédois devenu écologiste. Il a passé l’essentiel de sa carrière à filmer la Nature, en commençant par son pays. En Djungelsaga (circulant généralement sous son nom anglo-saxon The Flute and the Arrow) fait partie de ces premiers films tournés à l’étranger. Il a nécessité trois ans de préparation/conception et est centré sur les Murias, un peuple aborigène du district de Bastar au nord de l’Inde.

L’ensemble de leurs activités sont passées en revue succinctement. Une prise ‘actuelle’ via les turpitudes de quelques personnages choisis (Chendru, Ginjo ou Riga) permet d’entretenir le rythme. La chasse au tigre sert de ligne générale ; inventée, elle mobilise les locaux en ‘demi’-acteurs amateurs. Les éléments du quotidien, rituels et objets culturels sont montrés et racontés, certains comme la flûte se distinguent. Des scènes animalières prennent subtilement et progressivement plus de place. La voix-off est celle d’un savant empathique, pédagogue pour le public, complaisant envers ses sujets d’attention (en expliquant l’intégrité de leurs traditions). Les commentaires soulignent le partage et les vertus de cette réalité communautaire en général. Ni zèle ni surcharge d’informations.

Le film offre une contemplation intense et appliquée, permet de fréquenter une ‘philosophie’ habitée et animée, avant d’être une étude approfondie (jugement critique minimisé). En raison du contexte, il ne fouille pas de caractères singuliers, l »individualiste’ occidental pourra donc sentir ou relever ce manque. D’un strict point de vue formel la séance est mémorable, en raison de qualités techniques avancées et d’un langage raffiné, en plus des décors, du Technicolor et du budget manifestement opulent. Comme le suédois Gorilla/Gorilla Safari (1956), En Djungelsaga fait partie des films tournés en Agascope, cousin scandinave du Cinemascope ; le format est très large et sert des projets de cinéma impressionnants, comme celui-ci. Le spectacle est également enrichi par la musique de Ravi Shankar, compositeur indien, joueur de sitar – l’instrument et l’auteur seront très prisés mondialement dans les années 1960-70.

Note globale 76

Page IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions…  La grande aventure/Sucksdorff

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (4), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

Voir l’index cinéma de Zogarok

TRILOGIE DU PARADIS (Seidl) +

16 Juil

PARADIS : AMOUR +

4sur5 Normalement le voyeurisme est répréhensible, ou s’assume comme un vice. Or il faut bien le pratiquer, car on a beau louer le réconfort, l’important reste de se soulager ou simplement de s’égayer : voir ‘autre chose’ ou bien trouver le réel puant rattrapé par le collet. Celui qui se déchaîne sous les yeux de tous, mais n’est nommé que de façon lâche et jamais désigné par la collectivité humaine. Comme il faut se dominer ou rester civilisé, ou garder sa dignité pour les plus faibles et aliénés, nous avons à disposition de nombreux moyens pour purger ce voyeurisme de manière propre : le cinéma en est un, probablement le plus gratuit et aseptisé.

Coutumier de la comédie grasse et sinistre, Ulrich Seidl (autrichien, auteur de Dog Days et Import/Export) a renfloué bien à fond le secteur avec sa trilogie du Paradis. Le premier opus, Paradis: Amour (suivi de Foi et Espoir), fait partie de ces choses où le voyeurisme se fait sec, l’absence de commentaire écrasante. Il suit une dame autrichienne, la cinquantaine bedonnante, en pleine séance de tourisme sexuel – son oxygène, son îlot (un mois de congés en français technique) de bonheur et de délassement au milieu d’une année de crétinisme appliqué. Pas un gramme de fantaisie au programme ; nous voilà plutôt dans le minable et le vraisemblable ; bien encadré, par la culture de base (germanique) et par le contexte où Peggy-Teresa évolue (station balnéaire avec gigolos couleur d’ébène pour blanches fanées mais affamées).

Toutes les étiquettes habituelles pour couvrir l’abjection tranquillement dégobillée seront hors-d’usage ici. Paradis amour exprime bien un jugement : un mépris absolu de la fille et de ses congénères, sans flatter de prétendues victimes par ailleurs. En face il y a bien la misère, les situations odieuses des locaux, mais la mise en scène oublie la commisération la plupart du temps – puis très vite, la rend inenvisageable elle aussi, non que les autochtones soient vilipendés, simplement ce serait décalé, au bord de la surenchère hypocrite. Surtout que le plus embarrassant est affiché : chacun trouve son compte dans ce marché. Les jeunes hommes essaient de tirer leur épingle, harcèlent volontiers, avec leurs manières obtuses et décontractées ; ils sont parfois dans cet au-delà de la fausseté (souvent imité) des gens rompus à ‘jouer le jeu’ ou mentir et simuler avec méthode. Nous sommes à l’opposé de l’esthétisation et du romantisme, ou carrément de l’empathie sélective d’un Plein sud.

Teresa n’est pas une beauté vénéneuse, ne traîne pas la délicieuse odeur de souffre dont se repaissent des transgresseurs sûrs d’eux et de leur fait, elle est plutôt écrasée par ses souffrances dérisoires et le ridicule de ses tentatives. Ses grands espoirs sont autant de petits secrets honteux. Elle n’est pas assez vertueuse, égarée ou légitimement tourmentée pour compenser. Qu’elle travaille auprès d’handicapés permet d’enfoncer dans le sarcasme et cautionne une ouverture grotesque (les auto-tamponneuses) – ce n’est qu’à la marge que cela en fait un individu plus sympathique – quoiqu’on puisse dire, Teresa a au moins un certain courage, un sens du dévouement, même si pour se défendre elle se fait infecte, comme toutes ces connasses ricanantes vite débordées car très ignorantes et basses d’esprit. Face à ses prétendants ou serviteurs, elle glousse horriblement, se moque comme une idiote se sentant dans son bon droit – comme si avait acheté carte pour la supériorité. Ses élans de générosité sont intéressés ou générés par l’autre ; pourtant elle les emplie de sa bienveillance et de sa bonne foi, prête à se donner – avide de se faire prendre et aimer. Elle finira bien par avoir conscience qu’elle se fait exploiter en retour. Ils ont toujours un ou des problèmes, des besoins à surgir. Ses amertumes se précisent.

Cette candeur générale infestée par la désillusion et saccagée par l’aigreur rend Teresa plus intensément pathétique, plus largement et généreusement aussi. Elle se voie elle-même et commence à entrevoir les réalités avec nous. La conscience de soi qu’elle a fuit l’a rattrapée ; décidément le repos n’est pas possible, il n’y a ni Eden ni jardin secret. Et puis cette ‘sugar mamma’ n’est pas un boudin catégorique et pourrait même être réellement au goût des ‘beach boys’ (moins entravés par les exigences et les critères occidentaux) – c’est plutôt que sa chair est triste, à tous degrés ; ses efforts sont infructueux et ses sacrifices le seront aussi. Nous sommes alors gagnés par la peine ; comme on serait triste pour un cher (et saoulant) animal de compagnie atteint d’une violente gastro, ou d’un salaud rattrapé par son plus grand chagrin. Teresa se fait rouler, tellement que ça va devenir l’axe dramatique d’un film qui n’en a pas besoin – l’essentiel là-dedans n’est pas raconter, encore moins une ou des histoires : c’est de présenter, avec sérieux, sans urgence, sans égards pour le malaise évident – pas de dettes ni d’attachement (ni de merveilles d’écriture).

Cette séance est très négative. C’est comme du Houellebecq acide, qui n’aurait que cette perspective d’engagement face à son sujet, l’embrasserait en dilettante. Elle peut se muer en une sorte de torture par procuration, notamment lors de l’anniversaire, où la balade se fait plus drôle et plus répugnante que jamais – avec ce jeune black assigné aux services ciblés. On oscille entre l’embarrassant et le pleinement dégueulasse ; voilà un cauchemar trivial, affligeant pour tous, assassin pour elle (pauvre quinqua en besoin de tendresse et de reconnaissance sensuelle), désespérant pour lui. Séance immonde donc, mais platement alors elle se laisse prendre, fournit un amusement sans joie autre que mesquine ; ne salira pas nécessairement le spectateur ou l’Humanité, mais ne ménagera rien de ses bons sentiments, de ses vœux pieux envoyés à l’universel. Elle détruit les baratins d’occidentaux bienveillants pour la forme, ou même investis dans leur tiers-mondisme : ce commerce est assimilé là-bas, ne choque pas fondamentalement – il inspire une indifférence bien pratique, ni ordre moral ni pudeurs ‘égalitaires’ ne s’étalent là-dessus.

Note globale 78

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Eastern Boys

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (4), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (4), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

,

PARADIS FOI =+

3sur5 Entre l’Amour (Liebe) et l’Espoir (Hoffnung), Ulrich Seidl s’est laissé aller à une quête plus grande et forte encore : celle de la Foi (Glaube). Cet opus intermédiaire n’est pas ‘fendard’ comme les deux autres. L’aspect documentaire est plus prégnant, pour des raisons négatives : il est du même niveau en terme d’approche ‘rigoureuse’ et détachée, mais l’absence de bouffonnerie laisse le terrain libre au regard sec, comptable, lequel se fracasse devant un tableau aussi désespérant, si profondément incurable. Les doutes, les tensions, sont révolues et l’avancement dans l’âge enfonce encore le clou.

De plus Seidl ne sort pas la protagoniste de son milieu naturel, ni d’elle-même (ce que nous voyons, c’est sa volonté prenant ses aises pendant les vacances) – sans aller pour autant pratiquer son introspection : on reste toujours strictement observateurs, fait avec ce que les dehors nous abandonnent. L’intensité de cette femme se suppose, par indices, déduction, ou à cause de nos propres croyances. Ses actes et surtout ses engagements sont trop forts, rendant les paroles et même le discours dispensables, même s’ils auraient pu être utiles pour plonger ‘vraiment’. Anna Maria (Maria Hofstatter) pourfend la lubricité de ses prochains devant le saint-père ; se flagelle nue face à un Christ en bois, implorant le pardon pour nos piteuses âmes.

Ce Christ est devenu objet d’amour – un amour complet. La ‘vieille fille’ jette sa libido sur une religion dévoyée. Elle qui voit des torses nus toute la journée (à l’hôpital en sa vertu de radiologue) a eu le temps de se dégoûter ou s’ennuyer des choses de la chair – si ce démon-là pouvait encore la travailler, ce serait par réflexe, voire commodité ; un besoin si laid et si loin de son quotidien, mais pas forcément de son conscient, qu’elle ne le voit plus lorsqu’il est là, tapis dans ses activités, prêt à torpiller sa charité, humilier sa bonne volonté. Tout comme elle ne réalise plus, ou alors très en sourdine, le pathétique et le grotesque des situations (que la mise en scène se complaît à marteler – longue séquence avec un rebut en slip à déblatérer sur la pratique du Notre père). Ce besoin précis, certainement dégradant en tout cas tel qu’il pourrait s’offrir ici, est la conclusion qui aurait tout grignoté des rapports humains.

Anna Maria aide et sert son prochain, mais elle n’a pas ou plus de chaleur, d’élan pur, peut-être d’amour envers lui ; en même temps elle est capable du plus grand sacrifice, en se mêlant à la boue – une compromission seulement en apparence, propre à tous les vrais chrétiens prêts à tendre la main aux cas difficiles, aux déchets ; prêts donc aux vraies missions, plutôt qu’à un culte de confort ou à la ré-assurance égoïste. La prêche de son ancien amant (de retour après deux ans) est opposée : lui se fout d’éthique, de morale, d’élévation ; il retient les parties les plus ‘concrètes’ des religions, les avantages masculins. Il se rappelle les coutumes du pays, ou pratique ici ce qui lui était là-bas interdit – dans tous les cas il cultive l’exploitation. Il n’en a pas tellement les moyens, mais il a la légitimité des victimes objectives et reconnaissables à pourrir l’autre et se vautrer dans le caprice. Pour Anna Maria, Nabil est une épreuve de plus ; voilà probablement sa dernière fonction positive. Ce sous-ogre stupide est encore un abruti qu’elle a repêché – et avec lequel elle s’est encanaillée. Ce ne se sont là que deux hypothèses, ce qui est sûr, c’est qu’elle a fait la complète autour d’elle, s’est agrégée une ribambelle éclectique de parasites. Avec ça elle est certaine de suffoquer.

Quand elle n’est pas attelée à se mortifier dehors, elle se mortifie dedans. Seule à la maison, elle s’opprime et récite, chapelet en mains. Son appartement est vaste, le mobilier loin de la désuétude, ce n’est pas une pauvre, elle doit venir d’assez haut si c’est une déclassée ; elle n’est pas objectivement ni explicitement aliénée dans son milieu, dans sa vie. Anna Maria doit être plus près des égarés, des plus ou moins ‘fous’ : son décalage ‘actif’ couvre davantage qu’un jardin secret pour bourgeoise gâtée par l’ennui. Elle s’enfonce, c’est la marque de son engagement. D’où ces combats avec des déchets ou infirmes, la fréquentation de réseaux de perdus, souvent des déviants, alcoolos – veulent-ils être sauvés ? Les pratiquants qu’elle accueille dans une pièce dédiée ne forment qu’un groupe pour exulter platement et officialiser son recueillement.

Malgré ces réalités, ce n’est pas un film glauque, pas le truc sombre et torturé venu racoler le consommateur de sensations fortes et toxiques – domaine d’un Butgereitt ou d’un Miike/Siono. Paradis : Foi apparaît comme une comédie qui ne peut éclore – accablée, désolée pour elle peut-être, pour cette aventure plus encore. Le regard est indifférent, l’indignation ou la compassion absentes, pourtant l’attention demeure. Ni distraction ni émotion, comme on exécute un devoir, ‘fait ce qui faut’ sans le moindre état d’âme, en prenant des lunettes d’entomologiste sans avoir de pression ou de compte-rendu à terme. Cette méthode est la bonne car ainsi le sujet est plus facile à approcher, mesurer, restituer. Le résultat est cependant moins probant qu’avec les deux autres Paradis, très expressifs et volubiles, même indirectement. Ce bad trip là est triste, mais sans épaisseur, il se constate et ne se ressent pas – sans doute fallait-il se préserver de l’horreur et des chatouilles des arrières-mondes.

Note globale 68

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (3)

,

PARADIS : ESPOIR +

4sur5 Dernier de la trilogie (sortie en 2012-2013) d’Ulrich Seidl, Paradis : Espoir verse le plus clairement dans la comédie (avec les confidences, leurs joies et rapports d’expérience de jeunes filles obèses, ivres de rêves et de désirs en éveil) , même s’il la tient à distance comme toute intention trop vive. Après un opus particulièrement sinistre (Foi), ce Paradis est celui du relâchement. Il n’y a plus la gravité d’Amour à cause de son côté borderline, de son contexte sentant le soufre. Espoir partage sa mesquinerie exacerbée, sans les compensations positives – pas de compassion ou de tristesse devant la détresse, pas de prise de conscience venant de la laide protagoniste pour réparer un peu cette horreur.

En somme cette peine est la plus méritée ; elle est banale et médiocre comme sa protagoniste, bouffonne héroïque d’une sous-tragédie sans la moindre beauté. Pourtant on ne saurait accabler cette petite créature, car son cas a beau être désespéré, il n’est pas désespérant – alors à quoi bon la méchanceté ? Sans hargne ni haine, avec tout au plus une commisération fataliste et narquoise, Paradis : Espoir relate ce gâchis garanti pour Mélanie et ses amies du centre d’amaigrissement où elles ont été collées pour l’été. Ce sont des enfants pourris esseulés, déjà des beaufs à bière, sans pression. Il n’ont pas d’autre destin, leurs parents irresponsables ont d’autres intérêts ou non-préoccupations. S’ils doivent dévier, il faudra des luttes intenses ou des miracles, les deux semblant hors-de-portée en vertu de leurs caractères – sans ressorts ni attraits, hormis pour des pervers amateurs de viande molle, à tous degrés.

C’est le cas de cet homme mûr sur lequel Mélanie fait une fixette : un médecin, personnage tendancieux, genre vicieux méthodique avec face ‘proprette’. La vie ne doit pas sourire à Mélanie et la voilà déjà en train de se créer des souvenirs lamentables, en coulant vers la domestication pathétique qui doit être celle d’une pauvre âme chétive et demandeuse dans son genre. L’ado fantasme sur un vrai pourri, sans rien de romantique. Il n’est même pas spécialement intelligent. Il s’est simplement arrangé pour devenir une sorte d’autorité afin d’assouvir ses besoins et se divertir avec un maximum de confort ; voilà l’aventurier mou déguisé en sage compétent, profitant d’un système et de la crédulité de ses otages. Il peut éprouver des doutes et de la culpabilité, mais ils ne vont ni le blanchir ni rendre sa relation plus charitable ou excitante pour la captive. Voilà une véritable leçon de vie pour Mélanie, qui a les honneurs de se faire chatouiller par le vigile en chef.

Toutefois elle et ses camarades ne sont pas présentées comme des victimes – ou alors, ce sont tellement des victimes intrinsèques qu’il n’est plus question de s’en soucier. Nous sommes dans la normalité, la leur et d’ailleurs ces jeunes ados l’ont intégré puisqu’ils sont peu affectés. Comme ses prédécesseurs Paradis Espoir ressemble à un documentaire, d’où on aurait retiré l’information et les annotations, pour s’atteler à humilier les ‘puissances’ d’une femme qui n’en a que dans ses rêves, en opposant une froideur totale à leurs prétentions et justifications. La plus jeune s’en tire le mieux car elle est un objet de farce et sa naïveté reste une défense légitime ; sa tante est la plus honorable car la plus combative et idéaliste, la seule dans le dépassement de soi, mais c’est aussi la plus triste et effrayante – elle a le tort d’avoir une énergie à perdre, quand les autres n’ont que des sentiments primaires et des kilos à liquider.

Note globale 76

Page IMDB + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (2), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

Voir l’index cinéma de Zogarok