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LA RENCONTRE (Cavalier) =-

22 Sep

Cinéma de vieux pré-séniles sous codéine – ou d’une sérénité et d’un dépouillement confinant à la mort, peut-être dans ce qu’elle a de plus agréable. Cavalier (L’Insoumis, Un étrange voyage) filme des objets, bouts de lieux (privés en général, parfois publics comme le métro parisien), éventuellement une moitié d’un corps (mais aussi un oiseau, vivant puis mort). On ne verra presque pas les deux personnes (lui et sa compagne Françoise Widoff au débit ralenti et à la voix de niaise énamourée) ; on les entend. De même les autres humains apparaissent généralement au mieux par bouts (le visage du père à la 26e minute).

Cavalier veut nous faire regarder le monde comme eux, avec leurs gris-gris, leurs petits repères, etc. Il y a toujours eu, même dans ses fictions ‘normales’, cette tentation de la régression et du nombrilisme – en étant dépendant du monde extérieur (Le plein de super était déjà largement passif et aléatoire, comme écrasé volontairement par ses cibles et aliéné dans le flux de leurs vies). Il pousse à fond cette tendance en constituant un film spontané le plus possible, constitué par des morceaux pris sans filtre et sans but déclaré pendant de nombreux mois.

Le résultat a été conceptualisé – on lira « un cinéaste rencontre une femme ». Concrètement Cavalier a capturé son intimité de manière brute, sensorielle exclusive avec la parole pour accrocher. Sa démarche est généreuse car il livre des bouts authentiques et dérisoires de sa petite existence de personne – et non de cinéaste, ou d’individu étiqueté de quelque manière. Il exhibe aussi une relation alors encore fraîche (ce qui a pu le conforter dans son abandon généralisé). Le spectateur est immiscé dans un quotidien trivial, avec un regard de tendres, proches du minimum soutenable dans le jugement – sauf s’agissant d’accepter et de s’enthousiasmer très doucement. L’exercice se produit sans narcissisme de vaniteux – des accès dépressifs seraient plus suspects.

Ce premier film sous format vidéo du minimaliste Cavalier rejoint également un trio ‘voyeur’. Y participent Ce répondeur ne prend pas de messages (passé et encore dans la distance, ‘l’art’ ou le formel) et Le Filmeur (où les spécificités expérimentales se perdront, ainsi que le reste d’équipement purement cinématographique).

Note globale 46

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Suggestions… The Bugs Bunny + Pig

Scénario/Écriture (-), Casting/Personnages (6), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (-), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (6), Ambition (7), Audace (7), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (5), Pertinence/Cohérence (-)

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MINI FILMS juillet 2021

5 Sep

Les notes au détail (EFI-PTS) : l’Écriture, la Forme, l’Intensité, la Pertinence, le Style, la Sympathie.

Insanitarium * (horreur USA 2008) : D’abord le plaisir de voir une série B en roue libre, puis l’ennui quand la fête commence – le mystère, les personnages secondaires, la pression : plus rien ne sait se tenir. Les petits leviers sont sacrifiés à l’accumulation d’outrances désespérées ; c’est potable et pas honteux dans le domaine, dans l’absolu c’est médiocre à son meilleur, mais toujours abordable. Plusieurs enchaînements étranges suggèrent de gros problèmes dans l’écriture et/ou le montage, sinon de l’insouciance. La seule réussite est la performance de Peter Stormare, le reste est inachevé et la trame globale crétine, l’exécution et les images vaguement réfléchies (avec des ‘coups’ comme les regards cristallins, la conclusion carpenterienne). Notes : 245-243. (36)

Les crevettes pailletées * (comédie F 2019) : Trop gentillet pour être même vaguement intéressant, trop gras et lamentable pour être un divertissement à aborder en tous lieux et toutes circonstances. Probablement assez honnête quant à la démonstrativité ‘gay’, niche humaine plus si curieuse (d’où une ringardise qui demande la créativité et la fougue d’un Almodovar pour arriver au niveau potable des Amants passagers) ; complaisant tout en refusant d’être agressivement militant, comme l’est le vieux donneur de leçon (ou vieux con) du club. Notes : 345-323. (32)

Downrange ** (horreur USA 2017) : Le début est laborieux et les protagonistes parlent trop ; puis l’agression génère une tension excellente. Les amateurs de sensation fortes devraient être satisfaits. Un plan extravagant à la 12e minute où on prend le point de vue d’une roue en train de se faire manipuler. Fin surprenante. Notes : 377-376. (62)

Scary stories to tell in the dark ** (horreur USA 2019) : Film d’horreur pour et avec ados dans la lignée des autres succédanées de Stranger Things. Quelques apparitions pittoresques, une résolution optimiste, sinon rien à signaler. Notes : 365-364. (48)

Residue * (fantaisie Canada 2017) : Ambitieux, démonstratif, un peu sauvage et random. Du cinéma bis sous influence lovecraftienne et dont le côté ‘mindfuck’ pourra ‘parler’ (à défaut de plaire) à un public amateur des classiques américains des vingt ans précédents (Memento, les films de Richard Kelly). L’intérêt de Mr mystère venu d’X-Files dans la manipulation de ce grimoire n’est pas évident, au-delà de jouer avec un matériel extraordinaire. Notes : 444-344. (36)

Wara no tate / Shield of straw * (suspense Japon 2013) : Un autre de ces films d’action stupides et polars ‘tordus’ ultra-démonstratifs signés Miike, passé d’ouvert à offert au grand-public. C’est blanchâtre et d’un style hideux, proche d’un Taxi mortellement lent et sérieux en-dehors des scènes explosives. Même en accéléré x2 je me suis copieusement ennuyé ; heureusement c’est tellement mauvais que les accès ‘d’émotion grave et forte’ (ou les tronches impliquées des collègues flics) me sortaient de la torpeur grâce à leur nullité. Le sujet est trop lourd pour l’équipe en présence et probablement ce convoi d’un tueur d’enfant n’est mis en image que pour son énorme potentiel de racolage. ‘Saloperie de monde, mais que voulez-vous il faut bien des lois et des droits – et vivement qu’on bute le salopard, la justice ne peut pas laisser passer !’ est le sommet que le film arrive tout juste à tutoyer ; mais comme il s’obstine de façon surréaliste à souligner l’absurdité de cette protection et la fatalité du cas (le méchant est incroyablement cruel et l’auto-justice reçoit tout en sa faveur bien que la raison incarnée par notre pilier soit de dire ‘Non’ à cette évidence), l’usure et la charité font se sentir ‘obligés’ d’y trouver un peu de valeur. L’écriture est manifestement supervisée par des cyniques profonds ou des attardés mais même dans ce cas la scène du métro et les ‘dilemmes de flics’ à ce moment laissent interdit. Notes : 252-212. (18)

Southbound ** (horreur USA 2016) : Film à sketches horrifique au concept obscur – si bien que j’ai peut-être raté ce qui en ferait davantage qu’un divertissement saignant à l’originalité ‘gadget’. Certains sketches sont redondants et monolithiques, ceux du dîner et de l’hôpital sont facilement les plus percutants. Notes : 367-355. (52)

Mausoleum * (horreur USA 1983) : Cinéma d’horreur grotesque avec monstre pustuleux et possession d’une MILF blonde à forte poitrine. Qualité visuelle notamment lors des scènes clé comme l’intro au mausolée inondé de fumées vertes. Les effets spéciaux assez bons même si trop loufoques pour être effrayants. Souvent très lent ; une bonne expérience horrifique pour grands enfants ou bisseux régressifs ; écriture cousue de petites choses idiotes, mais l’inutile est réduit au minimum (ou à cette scène avec cette dame de compagnie). Notes : 354-355. (42) 

Hell * (horreur 2012) : La quarantaine de minutes ouvrant le film montre de la survie ‘réaliste’. Sans inspiration ou qualités notables, en-dehors de ce décors sableux. La suite est au choix l’oubli total de ce qui pouvait faire l’intérêt et la différence de ce film – ou du cinéma bis ‘classiciste’ dont on a le droit de n’être pas lassé. Je trouve regrettable une telle mise en place pour finir dans l’horrifique aligné sur Massacre à la tronçonneuse & cie ; que la fin du monde ne soit prétexte qu’à rejouer la carte des fondamentalistes bouseux morbides peut être un tas de choses, mais sûrement pas un signe de génie ou de passion pour le sujet (qu’il soit la post-apocalypse, l’effondrement, l’intégrisme, le survivalisme). Les auteurs sont tout de même assez larges d’esprit pour mettre en avant le lien de ces méthodes et projets brutaux avec la pénurie – non avec une sorte de folie, qui aurait sa place dans un cinéma plus libre et ludique (films gore ou slashers). Le laïus final éculé et même pas approprié d’Angela atteste de cette intelligence au mieux superficielle, au pire simplement imitatrice. Notes : 475-354. (38)

La Giovinezza/Youth *** (intimisme Italie 20) : Dans la continuité de La grande belleza (avec ce même goût visuel à la fois raffiné a-priori et en vertu des ingrédients, pourtant un brin dégueulasse), le poids de la civilisation et des devoirs mondains ou d’actif au bord de la décadence mis de côté ; à l’abri du besoin et des contingences trop lourdes, ces types ont tout le temps de sentir leur vieillesse l’emporter et le monde s’éloigner – et suffisamment de rouerie et de confort pour ne pas en être trop affectés. Notes : 786-767. (68)

Le colosse de Rhodes ** (action Italie 1961) : Péplum traditionnel rehaussé par le ton violent et désenchanté propre aux œuvres de Sergio Leone, qui sera bientôt le rénovateur du western. Notes : 666-566. (62)

La noche de 12 anos / Companeros *** (drame Uruguay 2018) : Film poignant sur la captivité, la solitude manifestement abyssale et la sortie de cet enfer, d’abord en esprit et par un opportunisme autrefois inenvisageable. Si ce n’est déjà le cas, chaque nation latino-américaine devrait bientôt avoir plusieurs films ambitieux réglant leurs comptes aux dictatures militaires. Dans celui-ci comme dans les autres (mais c’est valable pour l’ensemble des films politiques dans la région), le contenu idéologique est peu important ; et c’est autant de leurres en moins. Notes : 778-777. (74)

L’arbre le maire et la médiathèque ** (France 1993) : S’écoute et ne mérite pas davantage que des coup-d’oeil. Ce n’est pas idiot, quand c’est brillant c’est pour sans engagement. Comme Un conte de printemps, ça a été pour moi un accompagnement futile et agréable de type radio ou podcast. Notes : 633-534. (44)

Les oiseaux de passage ** (drame Colombie 2019) : Après avoir bien affiché son style et ses ambitions, ce film n’en fait au mieux que ce qu’on pourrait attendre de lui si on était un directeur de programmation effrayé d’avoir à se justifier sur la marchandise. Tout se noie dans une histoire banale, les sentiments ont déjà été mille fois affichés de cette façon – et si un personnage, une situation, commence à trop s’étoffer, on coupe et retourne à la contemplation. Manière de respecter les traditions et l’immobilisme agressif de ce village ? Enlevez-lui sa plastique relativement exotique et ce film n’est plus qu’un brouillon de série B mafieuse. Notes : 574-453. (46)

Hyènes * (Sénégal 1992) : On peut apprécier l’effort technique et la direction d’acteurs, puis sans indulgence saluer la mise en scène et musique ; mais c’est un de ces spectacles assommants qui n’emmène nulle part. C’est lent, curieusement ampoulé, tente tièdement la satire et s’achève comme un conte. Notes : 563-333. (34)

Dilili à Paris * (2018) : C’est un cinéma bien brave mais ennuyeux ; c’est gentillet et moraliste sans être pleinement crétin, un défilé de Gary & Mary Sue dans des mondes aseptisés ; on passe au Moulin Rouge mais tout est aussi sage et tiède – comme dans un Ehpad. Les ‘mâles maîtres’ sont le seul booster pour quelques secondes ; cette secte misogyne sent le raccrochage hasardeux à la vague féministe de l’époque. Elle ne déploie rien en mesure de secouer cette petite utopie (où la seule adversité sont les grincheux) sans grâce mais avec du style, pour les nostalgiques anti-racistes, taillée par Michel Ocelot. Le souffle Kirikou était déjà timide sur ses précédentes productions ; son œuvre se dégrade tranquillement et s’enlaidit avec le temps. La plus grande sophistication technique rend paradoxalement toujours plus ringard et repoussant – on est dans une ‘vallée de l’étrange’ et si le résultat est plus propre qu’Azur et Asmar, c’est aussi plus commun. Ni expérimental ni traditionnel, Dilili court après l’innovation mais semble le faire dans un monde parallèle. Notes : 463-323. (28)

Cul et chemise * (comédie Italie 1979) : Une de ces comédies exigeant énormément de fatigue et de familiarité pour être adéquatement reçue. S’il vous manque au moins l’un des deux il n’y a plus qu’un film gentiment minable, au rythme subjectivement amolli par la médiocrité ; il ne mérite pas de sanction, que de l’oubli. De Terence & Bud, mieux vaut aller directement vers les Trinita (ou Mon nom est personne sans Bud). Notes : 244-233. (26)

35 rhums * (intimisme France 2009) : Au début 35 rhums étonne par sa radicalité dans la complaisance pour la banalité ; or il a trop de style pour avoir les façons grasses et dégueulasses d’un drame social ou d’un reportage vite-fait pour la télé. C’est du naturalisme anti-réaliste et du cinéma sensoriel focalisé sur la vie urbaine non-miséreuse mais un peu ténébreuse. Claire Denis se fascine pour une humanité à la fois utopique et triste, percluse de fonctionnements maladifs sous-entendus ou carrément ‘annulés’ en esprit. Il ne devrait rien arriver à une humanité si sereine… on ne saurait comprendre d’où le mal pourrait surgir ; donc on plane avec quelques bouffées émotionnelles appelées à être balayées. Si ce filtre ‘pastel’ sur la réalité a son charme il rend aussi la séance profondément stérile par sa sacralisation de l’acceptation au mépris de toute approche un peu analytique. Notes : 364-244. (42)

Mini-Critiques : 2021: Aout, Juin, Mai, Avr, Mar, Fev, Jan. 2020: Dec, Nov, Oct, Sept, 15, 14, 13. 2019: 12, 11, 10. 2018: 9, 8. 2017: 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1

Mini Courts : 2020, 4, 3, 2, 1

Mini Revus : 2ou2020, 1

Mini Mubi : 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. Courts & moyens Mubi : 4, 3, 2, 1

COUPS DE FEU DANS LA SIERRA +

19 Mai

Au début des années 1960 le western est en grave crise existentielle (pas productive). Les représentations ne sont plus idylliques ou optimistes, certains opus se montrent critiques envers l’Histoire des États-Unis (notamment sur le traitement des indiens – La prisonnière du désert, Les deux cavaliers), condamnent une sauvagerie dont ils réclament le dépassement (L’homme qui tua Liberty Valance). Le terrain est ouvert pour une réformation ou une liquidation : il y aura les deux, avec un épicentre italien, corruption ultime pour le genre le plus américain.

Peckinpah est l’auteur le plus radical de cette séquence et le plus à fond sur la décadence. Avant de saturer le western (Pat Garrett) et d’exulter un cinéma de la violence (Chiens de paille, Alfredo Garcia), il connaît des débuts contrastés. Ride the High Country/Coups de feu dans la Sierra est le plus important de ses trois premiers films, pour ses qualités propres et parce qu’il est significatif dans le contexte de déniaisage d’un genre. Les héros du passé sont rétrogradés. Ils sont vieux et inspirent un respect poli aux gens comme aux autorités locales. Il flotte toujours un bon esprit, mais la farce et le cynisme l’abîment et le refoulent sans arrêt. Le monde n’est plus tout à fait vierge, les cartels et les habitudes commencent à s’ancrer. Tous les repères sont encore conventionnels, mais ils cohabitent avec d’autres, utilitaires, universalistes par le bas. Les aventuriers ont été absorbés par le nouvel ordre, par la logique du commerce.

Les archétypes sont carrés, parfois sur la ligne entre la perfection et la régression (comme le père, puriste replié, cite la Bible à chaque occasion et en trouve dans une phrase ou un geste sur deux). Le film part sur un postulat routinier, avec son trio d’hommes transportant de l’or et une perturbatrice (la fille profitant de leur passage pour rejoindre son promis Billy), pour aller, avec confiance mais sans fanfares dans une impasse. Pour les deux anciennes figures du western arrivées à l’âge mûr, c’est la frustration tranquille, à demi-consciente ; l’indifférence et la droiture sont leurs défenses. Pour la jeune fille c’est une désillusion : pour elle, la perspective d’évasion s’écroule. Elle en voit l’incarnation ultime tombée en désuétude, la version moderne est un désastre : c’est la pire prisonnière de l’antichambre entre jungle et civilisation. Son filtre subjectif (littéralement lors de certains plans où on voit ses tourmenteurs) enrichit le film, lui donne une puissance émotionnelle et une accroche généraliste, en plus de tout ce qu’il travaille dans le cadre du western.

Les cow-boys vivent une mésaventure, Elsa une piteuse tragédie : elle est sortie de l’isolement pour sombrer dans la médiocrité. A-priori l’ambiance n’est pas glauque, elle est même affable, mais l’inadéquation d’Elsa permet d’en ressentir la laideur, avant que se révèle toute son ignominie banale. La course se tasse dans une cité de ‘loubards’ empâtés et gentils, pas moins vicieux ; autant de braves paillards et mecs affamés. Ils sont trop proches des bêtes et il n’y a pas assez de foi, de loi, ni de nécessité à l’horizon pour les dresser. Cet état des lieux est cru mais pas apocalyptique. Le ton est mixte, adulte mais à la fois sucré (beaux engagements, sentiments doux et francs) et désabusé (les gens sont souvent dégueulasses et nos héros savent s’adapter). C’est encore le ‘western’ classique, moral, quoique Peckinpah le secoue, le frotte cash à la crasse (la brutalité et les côtés dantesques de La Horde Sauvage sont loin) et surtout le sépare de ses légendes. Randolph Scott et Joel McCrea se tiennent bien en restant à demi-conscient e leur vieillesse, endormis dans leurs rôles dont l’aura a foutu le camp.

Note globale 76

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Suggestions… Le Trésor de la Sierra Madre

Scénario & Écriture (4), Casting/Personnages (3), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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LA BELLE ÉPOQUE **

20 Nov

3sur5 Du mordant dans les dialogues, mais le film reste toujours socialement correct, coche même les ‘cases nécessaires’ à l’occasion – en collant une claque à Hitler (en cosplay) ou concluant par un laïus féministe. Il porte un point de vue ‘bourgeois’ au sens complet – on a l’impression avec lui d’observer le monde en étant confortablement installé dans la vie, se moque doucement de ceux qui rament ou sont moins bien lotis (car laids, décalés, etc), jouit d’un petit nihilisme allégé et passe-partout qui ne semble rien servir d’autre que l’hédonisme. Ironiquement le romantisme a des effets protecteurs, flatte ces besoins de libertés mais invite à sauvegarder le cadre malgré tout – sans quoi il n’y aura plus de différences avec la marginalité et toutes sortes de vrais défis. Ce romantisme permet aussi d’investir sans gêne le passé et d’y prendre sa place, en fusionnant avec un héritage qui dès lors n’est plus fardeau (dans les trois liens pères-fils il y en a toujours un temporairement déchu puis restauré).

Les compositions des parents sont assez exquises mais leurs personnages verrouillés et opportunistes. Le temps présent n’entre quasiment que via les gadgets technologiques et les aperçus d’un monde du travail du haut du panier (ne serait-ce que culturellement avec l’entreprise de Canet) – ou deux secondes d’évocation de gilets jaunes à la radio, quand Victor est en pleine gueule de bois. La mère est friande d’innovation, le père présenté comme critique à ses heures ou simplement éjecté paraît en vérité indifférent. Ces difficultés à situer les personnages et à investir l’époque sont certainement liées. L’ensemble des personnages secondaires sont sous-développés, possiblement à dessein pour les enfermer dans une caractérisation à la fois pauvre et humiliante (par exemple Podalydès en amant de secours et falot incapable d’aligner une phrase complète).

Techniquement ce Westworld parisien n’a rien à se reprocher et les jeux avec les décors, comme ceux avec les masques et la confusion des identités, sont convaincants. Pourtant, les raccords sont parfois bizarres, surtout au début, digérés ou justifiés par une narration non-linéaire, option elle aussi très partielle et gratuite – elle ne dynamise pas tellement, l’intérêt ou la nécessité sont pas évidents. La comédie fonctionne parfaitement. Les récurrentes mesquineries à l’égard des sexuellement ou affectivement affamés ne suffisent à détourner totalement la conscience d’une espèce de tentation ‘cuck’ au travers de toutes ces projections (elle aussi fruit d’une espèce d’émancipation joyeuse de désinvolte tempéré par l’ego – il n’y a pas la gravité et la conviction de L’idéal qui se terminait en aplatissement devant ‘le féminin’).

Note globale 58

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Suggestions… The Game + La femme d’à côté + The Truman Show + Le cinquième élément + Thalasso

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THALASSO ***

8 Sep

3sur5 Si on connaît les protagonistes, on a pas de surprises, ou alors minuscules et agréables. Ils jouent le rôle par lequel on les identifie, quoiqu’on ne s’attendait pas nécessairement à Houellebecq vaniteux. Cette suite de L’Enlèvement (téléfilm de 2014 diffusé sur arte) a le bon goût d’accepter un certain état de paresse et délabrement tempéré par les satisfactions d’une conduite anarchique. Contrairement à Valley of Love qui à force de fan-service docile et d’attention scrupuleuse pour son couple iconique devenait simplement insipide, Thalasso se vautre sans pudeur ni justification dans une gaudriole à la mesure de ce tandem formant « la honte de la France ». Il est conforme à leur image sans croire nécessaire de les rehausser ou de les défendre ; eux-mêmes ne se soucient pas d’être récupérables, tout au plus se régalent-ils de se laisser-aller publiquement et ainsi soigner leur crédibilité de demi-humoristes inconvenants, surtout Houellebecq pour qui c’est moins fréquent.

L’écrivain avait fait part de son incapacité à se convertir au catholicisme ; dans ce centre de soins ses tentations mystiques apparaissent plus concluantes. Dans sa première ivresse [du film] il confie croire à la résurrection des corps, lui qui en porte un malade, fuyant manifestement la vie sans renoncer à la jouissance. Michel se lance alors dans un déni pathétique de la mort, cet accès d’émotivité est le morceau le plus déstabilisant de la séance. Ses airs de petit garçon passif-agressif et de moribond détendu étaient déjà connus, mais prennent une tournure tendre au début avec sa compagne. Les petites échappées fantastiques liées aux rêves de Michel sont le deuxième élément relativement insolite. La présence incongrue d’un Stallone potentiellement alternatif renvoie à cette bizarrerie des romans de Houellebecq : l’introduction de personnalités médiatiques métamorphosées de manière improbable ou jouant un second rôle dont on peut douter de la pertinence. Cela va de l’anecdotique avec Philippe Sollers en éditeur du narrateur dans Les particules au craquage avec Pernaut en capitaliste souriant et homosexuel mondain de La carte et le territoire. Le compère Depardieu est forcément plus limpide, alimente les monologues croisés et évite à tous, y compris au premier intéressé, de sombrer dans les réflexions mélancoliques et les humeurs vaseuses de Michel. À l’occasion Gérard fait son gros dur de cour de récré, sans méchanceté, en bon Obélix teigneux pour la forme – ou pour lever sans tarder les ambiguïtés qui menacent de la gonfler.

Ce film ressemble à une récré pour adultes gâtés ou profondément blasés. C’est quasiment un nanar exigeant mais en roue libre, un peu comme Tenue de soirée – évidemment c’est loin d’être fracassant comme du Blier, mais les dialogues sont savoureux en moyenne, excellents parfois. Les situations ne sont pas nécessairement meilleures que prévues, mais plus originales que ce que laissait entrevoir les bande-annonces. On écoute des bourrés cultivés, truculents ou portant en eux les résidus d’heures fort inspirées. Il y a un côté Absolutely Fabulous dépressif au masculin, à observer des privilégiés rétamés voire diminués par leur alcoolisme, ainsi qu’une proximité avec Groland à cause des octogénaires en rupture (et de l’attitude sombre mais sanguine de monsieur). La thalasso apparaît comme un EHPAHD ‘de luxe’, un mouroir AAA ou semi-HP farniente pour vieilles célébrités semi-démentes ou demi-vieux usés. Attention la fin façon Triplettes de Belleville (ça ne ‘divulgache’ rien) n’est qu’un petit tour pour nous scotcher au fauteuil en guettant un éventuel bonus. Vous pouvez économiser une minute et accepter simplement ce dénouement à l’arrachée, décevant même avec les faibles attentes induites par le scénario et la participation de branquignoles.

Note globale 66

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Suggestions… Near Death Experience + Les Valseuses + Donnie Darko

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