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LE DEJEUNER SUR L’HERBE =+

22 Fév

Le retour de la Nature, le rappel des douces passions et besoins, la confrontation au bon sens populaire ou traditionaliste des provençaux et les manipulations de la fin, sont un peu lourdingues – même si le premier participe aux qualités picturales remarquables, ressemble à une fuite de Blanche-Neige apaisée ou revigorante après la tempête. Ce qui m’a davantage intéressé est le portrait d’Étienne Alexis et son entourage : un establishment progressiste et européen, de scientistes cherchant à améliorer la race, une élite planant loin au-dessus des considérations vulgaires ou de celles de la chair, quoiqu’elle rappelle de bons souvenirs et de joyeuses transgressions sous couvert de religion. Vu le programme et l’identité politique de ces visionnaires, ce Déjeuner sur l’herbe serait intéressant à ressortir aujourd’hui. Entendu, il causerait des petits malaises et des dissonances cognitives – et comme Pasolini ou Orwell a-posteriori, il pourrait être récupéré par les réacs plus ou moins romantiques, plus ou moins honnêtes.

Dommage que le film soit sur-écrit, ce qui contredit sa posture (mais l’enrichit massivement), dommage aussi que certains interprètes semblent des transfuges de Bresson – ou plutôt sembleraient car il n’y a ici que de la vie corsetée, la gouaille et le contenu n’ont pas été vidés. Comme farce il m’a davantage interpellé par son style et ses manières – j’étais peu sensible à son efficacité comique. Au final je ne suis pas un adepte de la sensibilité portée par le film ni de sa réponse ‘humaniste’ et ‘pro-sentiments’ au scientisme et à ‘l’empire’, sauf dans sa valorisation de l’élan vital dont il saisit la permanence ‘révolutionnaire’ ou du moins la force libertaire ; mais sa critique d’un paternalisme technophile est estimable et il identifie les meilleurs vecteurs de la suppression de la vie privée, de l’autonomie des corps et des esprits (les défenseurs de l’âme ont même un temps de parole). J’apprécie également ses efforts de réalisme dans la représentation du contrôle social et de ses agents politiques et technocratiques. Et Renoir arrive à montrer la confiance idiote du peuple sans le rabaisser, en comprenant les enthousiasmes, les naïvetés, les espérances – peut-être parce que lui-même, ou du moins son œuvre, a la faiblesse de croire en l’adoucissement de l’adversaire et à l’inéluctable triomphe de ses préférences.

Note globale 68

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Suggestions… Paradis pour tous + Mille milliards de dollars + Le fantôme de la liberté 

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TREMBLEMENTS =+

29 Juin

Tout y est pénible ou odieux et en fait un des films les plus étouffants, son et photo discrètement lugubres à l’appui. Il n’y a pas d’endroits où souffler, retrouver un peu de beauté, de chaleur innocente ou de raison froide ; le refuge de cet homme [traversé par l’entourage de son amant masseur] est trop miteux pour être charmant, l’ambiance trop relâchée et les relations trop stériles pour lui apporter une assise face à son univers normal et de naissance. Avec sa transgression romantique il devient le bouc-émissaire d’une famille de dégénérés de la haute ; on a une remarquable illustration que la richesse sert aussi à décupler l’aplomb de sa ‘connerie’ et emballer avec plus d’éclat ou de ressources ses convictions – et ne chasse pas nécessairement la superstition (peut-être davantage liée aux caractères individuels [écrasés par le bain culturel] et à l’ampleur des pertes redoutées, qu’à l’absence d’aisance, de bonheur et de sécurité ?).

Ni béquilles fantaisistes ni haine de soi dans l’autre rive ; le serpent Francisco est exemplaire, assume la misère de sa situation, fait face aux pressions, reste lucide, quoique sans perspective ; il jouit de la liberté de l’individu nu, du prolo ou du bohémien, qui n’a pas ou plus de dette envers la famille ou l’ordre social, ou simplement la force de ne pas la respecter ; malheureusement, qu’on blâme la société pour sa situation précaire en supposant donc qu’obtenir mieux est envisageable, jusqu’ici, sa pauvreté a encore la marque de la fatalité. Francisco perdrait peut-être sa force s’il avait grandi comme Pablo – ou bien comme lui n’a-t-il fait qu’accepter son destin social, minable mais sans pression. Alors que du côté de Pablo, le compromis n’est pas possible pour des raisons religieuses, filiales, politiques ; la seule possible résistance à cette montée de lait collective, c’est un père a-priori raisonnable mais lâche. Incapable d’assumer le bon sens qu’il exprime avec dépit à son fils (‘tu aurais dû cacher ce goût et tout se serait bien passé’), il laisse les émotifs et les prédateurs obscurcir le tableau. Quand il n’est pas simplement honteux ou terrifié, Pablo apparaît carrément comme un enfant ou un animal acculé. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on est faible comme lui tandis que ce qui, chez des conservateurs plus pragmatiques et tout aussi matériellement anxieux, serait considéré comme des signes d’immaturité ou de laisser-aller, à déplorer en privé, tout en se retenant de saboter celui qui a déjà des enfants et n’étale pas dans sa vie ce jardin écœurant ; mais non, il faut donner à des futilités comparables à des égarements ludiques à risque une dimension terrifiante, faire de besognes et de sentiments dérisoires des affaires tragiques gommant tout un être, ou du moins quarante ans d’acquis ; il faut se comporter en babouins de culture hystérique et fanatisée ! Mais a-t-on vu un peuple produire autre chose en masse ?

En tête de la crétinerie auto-centrée la matriarche écœure [dès l’ouverture] en beuglant à travers la propriété que le ciel est en train de les punir – mais alors, le tremblement de terre aurait dû avoir lieu lors des ‘exactions’ de son garçon et pas simplement lors de la révélation ! Enfin après tout ce silence de Dieu devait se justifier, d’une façon que nous mortels ne saurions comprendre ! Aussi confuse que bavarde et pontifiante, la vieille jettera plus tard qu’il ne faut pas être anthropocentré (ou humaniste). Elle atteint le comble de la mesquinerie en se voulant pédagogue et miséricordieuse (sans rien altérer de sa position) envers son gendre ; cette condescendance mielleuse, cette charité formelle et sans effet (autre que s’afficher bon malgré l’abjection et les difficultés qu’on vous infligerait), cette bonne foi perverse rendent fou. Le (ré-)apprentissage de la normalité rend le climat plus ouvertement dégueulasse et grotesque, avec pour expliquer aux hommes ce qu’ils sont… une jolie BCBG glacée jouant le sergent et le leader charismatique. Que peut bien chercher un tel personnage auprès d’hommes qui lui échappent ? Souhaite-t-elle, comme tout spectateur raisonnablement constitué et éprouvé par cette séance, qu’un de ces homosexuels se repente physiquement et immédiatement ? Qu’il la remette à sa place qu’elle-même semble avoir perdue en se prenant pour un chevalier ou un maffieux assermenté ? Ou bien voit-on là une autre expression de matriarcat, essorant jusqu’au-bout le sexe pressé d’être fort mais jamais libre, ni fort hors des conventions du matriarcat ?

À l’inverse on voit la douleur légitime des femmes abusées (la collègue choquée et hostile suite à la mise à néant des flirts passés ; l’épouse entre deuil, amertume vengeresse mais sans initiative, rage geignarde de martyre et tentative de compréhension), qui se découvrent jouets d’une imposture – ou peut-être exagèrent la tromperie par orgueil ou jalousie – nous ne le saurons pas (le film fuit tout focus ‘interne’), dans ce monde hystérique pas de place pour l’ambiguïté et si l’homme a dévié, il est sa déviance ; et s’il se corrige, il sera tout entier à sa délivrance – quoique placé sous surveillance, au cas où il ne tiendrait pas, c’est-à-dire n’arriverait plus à participer à ce mensonge à soi et mensonge collectif qui permet de conjurer le chaos qu’est la réalité. Bien sûr cet environnement religieux donne la nausée mais l’identité du culte est sans incidence ; bien sûr le film est engagé contre ce qu’il affiche, mais jamais il n’humilie ou nie la confiance dans leurs convictions de ces persécuteurs diversement actifs ou complaisants (politesse partagée par le dessin animé Wolfwalkers, admise pour mieux ridiculiser les imbéciles dans Red State) ; même quand la religion et la thérapie de conversion sont un commerce, elles paraissent justes et bonnes à leurs entrepreneurs. Ce mix de cynisme gestionnaire, terrien, de soumission à la culture et d’idéologie est assez vraisemblable pour qu’un évangéliste puisse trouver le film effectivement sordide, mais à cause de l’égarement de Pablo, tandis que sa famille et son Église ne font que tenter de réparer de façon appropriée.

Ou plutôt c’est ce qu’il pourra se dire avant le dernier sale quart-d’heure où le salut de l’âme est engagé – avec recours à la castration chimique ; car ces hommes pourraient produire des enfants avec leurs amants ? Car selon une logique astro-mathématique une fois sur cent milliards un petit prophète doit descendre par cette voie ? Forcément cet acte extrême n’est jamais discuté – seule la signature d’une décharge de responsabilité suggère que cette castration ne va pas de soi. Le non-dit plus terrible concerne la place des enfants ; s’il faut barrer la route à la progéniture d’homosexuels, que faire de celle déjà produite ? Comment la considérer ? La culpabilisation et le harcèlement se poursuivront naturellement et pèseront sur ces petites erreurs, pécheurs à retardement dont les désirs et sentiments ne pourront qu’être envisagés avec soupçon – car même s’ils devaient être ‘sains’ et donc héroïques compte tenu de leur passif, ils porteront le poison en eux. Ils pourraient n’être que des hétéros ‘tolérants’ d’une calme indifférence et accepter l’entrée dans l’ordre social, voire dans la famille, de non-hétéros, d’autant plus facilement que leur père, qui en fût, n’était pas si dépravé ni mauvais. Ce sens collectiviste de l’intimité prend une tournure concrète et immédiate dans ces rituels tactiles abondant lors des célébrations ; l’Église prend en charge vos besoins d’affection et d’approbation, comme ailleurs c’est l’État, l’entreprise ou ‘l’asso’.

De quoi remettre en question la tentation de défendre absolument la liberté des adultes en mettant sur le même plan le ‘choix’ de la sexualité et le ‘choix’ de la corriger ; car si d’un point de vue individualiste, dans un environnement qui l’est autant, on peut décider que le sujet n’aura qu’à être courageux pour affronter l’adversité, ou bien que personne ne serait légitime à vouloir le retenir de rejoindre la ‘normalité’ (car son anormalité serait une voie de garage et de douleur) ; dans un contexte plus concentrationnaire, donc intrusif et à ‘responsabilité partagée’ de force entre membres d’une même famille ou d’un même groupe, cette légèreté libertaire revient à laisser prospérer l’aliénation des innocents. Bien sûr en France (co-producteur de ce film guatémaltèque) la question ne se pose pas, ou pas pour le moment si nous sommes dans la queue de comète du progrès précédant l’ouverture d’une période restrictive, où il faudra bien des dévoyés à châtier pour expliquer que les choses aient mal tournées – or l’européen est lunatique.

Note globale 68

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Suggestions…

Écriture 7, Forme 6, Intensité 8 ; Pertinence 7, Style 6, Sympathie 6.

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LES ETERNELS +

6 Juin

Beau film sur le poison qu’est le gel émotionnel [le normal, pas celui spectaculaire et déshumanisé chez Haneke] et, plus spécifiquement, l’amour pour ceux dont le coeur est trop petit et sec ; Qiao est saccagée par les mauvaises expériences et surtout sa sortie du monde ; se cramponne à une entame de paradis perdu – à ce moment où elle allait pouvoir aimer et donc aimer sa vie. On est gratifié de scènes grotesques ou primaires plus bienveillantes et sobrement pathétiques que drôles, le premier instinct est de les fuir et n’éprouver de complaisance que préservé au loin ; or Qiao peut les enfiler sans dégoût grâce à cet amour ; elle ne demande qu’à s’accommoder de tout, à ce prix délirant. Et comme au début du film elle est jeune, elle a encore la possibilité de changer son sort (bien qu’irrésistiblement elle se voit condamnée). La Chine blédarde de Datong où elle patauge pue le rouge encrassé jusqu’à l’os, les grandes ambitions tombées en panne, le pourrissement décuplé par l’insouciance générale. Pour le petit monde à l’écran la situation est laide mais confortable : Bin et son entourage surnagent dans une bauge, Qiao les rejoint dans leur place de maître, elle y trouve des satisfactions qui s’imposent et ne se provoquent pas.

Ainsi se prépare son échec d’autant plus lamentable qu’il est sans éclats, sans passion, du moins partagée. Même quand l’aimé s’avère pas tant de chose ; puis même quand il se dégrade et la retrouve poussé par la nécessité, elle efface sa liberté et sa sérénité pour lui. L’espoir nostalgique, le devoir et l’habitude ont pris le relais de l’envie pour ce qui est devenu un crapaud failli. Légitimement on peut se demander pourquoi Qiao se donne puis s’accroche en dépit du vide assourdissant et du sabotage en guise de réponse ; car dans ce contexte il paraît un alpha ? pour des petites raisons stupides et incompressibles ? Ou simplement car cette femme qui semble survoler le monde tout en assumant ses responsabilités [et peut-être en se réfugiant derrière elles, car rien ne meuble et justifie plus sûrement une existence – hormis peut-être la famille] a commis l’erreur de s’engager ; laquelle n’aurait été qu’une petite niaiserie surmontable sans un mauvais concours de circonstance l’enchaînant à ce mirage, dont elle souffre sans illusions grâce à une tête assez froide et bien formée – utile à mieux ranger sa vie et la gâcher. Qiao rationalise sa faiblesse, réinvente ses intentions (niant son sentiment passé, si honteux et douloureux, si pitoyablement candide et vain) et habille de prétextes ronflants (le code d’honneur de la pègre) un attachement toxique, plus fort qu’elle, dont la vie affective (sinon toute la vie intérieure) est dominée par le regret et l’inertie (Les Vestiges du jour traitait d’un enfer similaire avec un spécimen encore plus profondément aliéné). Et d’ailleurs, c’est le genre de personnes qui paie fort ses foucades, donc est chroniquement refroidie et confirmée dans sa prudence excessive, donc saisira indéfiniment les occasions de se priver, d’éteindre ses instincts et sentiments. Comme lors de cette séquence probablement débile et potentiellement magique du train.

Au-delà des montagnes rejoignait ces films ‘ratés’ pourvus de génie et de beaux ingrédients, mais accablés par un manque de tri, de fluidité et d’épaisseur ; Les éternels témoigne à nouveau d’une forte sensibilité, sans la gâter avec un focus généraliste et en gardant le social à la place qui lui convient – celle du bain objectif des personnages (bain renouvelé sans états d’âme par les institutions – et avec la participation résignée [mais avisée] d’une Qiao figée). Ce film est aussi fort et respectable pour deux raisons ; la plus large, c’est son sérieux et son réalisme. Rien n’y est curieux, rien n’y semble la fantaisie d’un auteur ou d’une entreprise de séduction impersonnelle [que sont la quasi intégralité des biopics], ni un bidouillage destiné à nous épater. Et nous sommes parmi le peuple, c’est-à-dire les gens récoltant la vie dans tout ce qu’elle a de terne et merdeux. La raison plus particulière et abstraite, c’est l’affichage de toute la bêtise et la fatalité du sacrifice, le pire élan pour n’importe qui sauf à avoir décidé d’une existence de martyr et viser l’éternité (ou l’absolu comme Hadewijch) ; sacrifice encore plus accablant s’il est le fruit de la sincérité, pas le témoin d’une grandeur d’âme et plutôt celui d’un abandon, soit la révélation tragique pour une existence qu’elle n’attendait qu’une occasion de se brader et s’empêcher.

Ecriture 7, Formel 7, Intensité 8 ; Perspective 8, Style 7, Sympathie 8.

Note globale 78

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SYNONYMES =+

3 Mai

Face à une telle intro on comprend qu’on aura pas à faire à un film qui se respecte, mais ce sera bien plus pertinent que prévu (si vous ne vouliez qu’une surenchère dans le registre, ne partez pas trop vite, le climax viendra avec le photographe sous les toits de la capitale). L’artificialité, le hiératisme, les postures un peu bressonniennes, la confusion mélancolique du héros en crise, collent bien sûr à un certain ‘cliché’ suranné, mais on le voit s’étaler en dépit de sa dénégation – la carte postale qu’un microcosme nous sert encore n’existe que dans la tête de ce Yoav (et l’humour ne peut être à ce point involontaire, ni un tel cynisme s’ignorer). La photo parfois nous faire croire dans un ailleurs solaire, les mouvements langoureux dans les appartements fastes leurrer un futur proche romantique et doux ; la vérité n’est que reproduction sociale et assèchement général, tandis que celui qui souhaite le plus vivement s’arracher à sa condition, ses origines, son identité, celui-là échoue naturellement et n’est que l’objet des travaux ingrats et de la maintenance affective (et sexuelle) chez des gens sans crainte ni désir.

Avec son allure de grotesque film d’auteur vicelard et maniéré, Synonymes exhibe les hypocrisies de ce qu’il reste du ‘rayonnement [‘culturel’] français’ et du discours [mensonger] d’ouverture de ses élites. Ce fugitif participe à la pseudo-fièvre sartrienne, au Paris romantique et ne fait que s’enfoncer dans la misère au bénéfice de jeunes pervers insouciants (cette sinistre caricature de l’héritier français poète en Audi, plus petit que sa brave femme désespérément fade et impuissante). Il réalise ou admet in extremis l’arnaque, s’arrachant, peut-être pour un instant, à ce délire qui lui fait parler d’un État comme s’il le persécutait – or en Israel il était enrôlé mais pas cible et le [son] problème, s’il peut être considéré politique, est la morgue d’un système et pas ses bras armés formels. Sa sensation de se faire exploiter dans son pays d’origine et dans celui-ci est légitime ; mais c’est difficile à estimer car il accepte toujours tout, il faut simplement un peu insister. Ce faux candide, vraiment innocent et égaré, est un personnage absurde incapable de mener une existence calme où il ne se dégraderait pas ; il est fort mais vulnérable, il a la bêtise des courageux absorbés par leur nombril, les occasions de le torturer sont infinies et il s’y livre, comme si cela ajoutait consistance et authenticité à son dossier d’harangueur de foules. Autant d’efforts fruits d’une obsession et donc d’une fuite mentale, nullement récompensés par une France ensommeillée, abrutie de satisfaction et de répression quasi sereine (ou simplement vaincue et stoïque pour les plus communs des parisiens, ceux du métro) ; une France propre sur soi à l’identité fermée, qui renvoie la pute qu’il est à son origine et le laisse s’épanouir avec les joies de la précarité lesquelles, naturellement, doivent être le lot de l’artiste et de l’homme libre – comme ces nantis et prestataires sociaux qu’il croise sont humbles et généreux, de lui laisser cette place ! Mais naturellement lui s’en prend aux autres prolos dans la rue, qui ont la vertu de blasitude et n’ont rien à foutre de ses angoisses privées ni des conflits politiques insolubles qu’il importe alors qu’il souhaitait s’en détacher.

Les cours de langue et mœurs françaises achèvent de présenter notre pays comme un endroit froid et faux, du moins à sa tête ; il n’y a que des gens comme cette enseignante (Léa Drucker a-t-elle conscience d’incarner tout ce que la ‘culture’ médiatisée française a de plus déloyal au fil de ses rôles ? Présidente assaillie par ‘l’extrême-droite’ ou pauvre mère courage qui n’aurait rien à se reprocher, elle enfile constamment le costume de la victime véhémente sous couverture – sous la meilleure couverture que l’époque peut lui prêter.) ou ces migrants pour avoir besoin et donc être capables de croire à la pertinence de tels simulacres. Dans un pays où il est de bon ton de prétendre croire à ‘l’éducation’, expliquer à des étrangers [galériens et lumpenprolos en puissance] qu’on ne frappe pas les femmes car ici on est tolérants et évolués, le réel est déjà une satire ; et on peut voir que ces interventions ne sont qu’un déguisement pour meubler un pourrissement avec le plus d’éthique possible à déclarer sur la fiche de présence.

Écriture 6, Formel 6, Intensité 7 ; Pertinence 6, Style 5, Sympathie 5.

Note globale 56

Suggestions… Eastern Boys + Sauvage/2018

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MINI CRITIQUES MUBI 7 (2020-1/2)

7 Avr

Les films Mubi vus pendant le premier trimestre de cette année 2020. Des demi-réjouissances inattendues, plus de mauvais que de tièdes-médiocres et davantage de baudruches vaniteuses qui m’ont fixé sur ce que je pouvais attendre de ce site ; en parallèle, quelques choses remarquables ou d’auteurs excellents que j’avais déjà vues.

Le pays des sourds ** (France 1992) : Un documentaire valide avec ses moments d’inepties, spécialement avec les enfants où les débordements d’emphase molle et d’abandon du montage causent des torts. Quand le film évite cette déchéance, la mise en scène est de bonne facture voire recommandable dans le domaine ; les interview face-à-face, dans un cadre apparemment informel, donnent une bonne impression et des scènes propres, pudiques et synthétiques. À l’occasion on apercevra les profs de souche humanitaire et devinera tout ce qu’ils ont de répugnant, à la fois mielleux et sentencieux, comme ces curés minables et ces gardiennes pathétiques dont ils ont volé la fonction. Je recommande plutôt Le pays du silence et de l’obscurité signé Herzog. (56)

Flesh Memory ** (2018) : Moyen-métrage ou quasi long puisqu’il est proche en secondes du seuil des 60 minutes. Des lourdeurs maniéristes, qui blasent a-priori et paient à l’heure de clore. Ce documentaire a les qualités du voyeurisme dans un contexte où celui-ci n’a rien de tabou – la fille se livre sans problèmes, indifférente. En même temps l’exercice est carrément gratuit et stérile, les apports trop personnels pour ‘dire’ quoique ce soit de la profession ou des activités. Une série d’aperçus chez des cas différents aurait été plus bénéfique (de toutes manières la tentative de portrait même indirect doit être vaine avec des individus dans le style de cette femme, qui n’a rien à ‘lâcher’, ce qui fait justement son talent). Projeté dans un festival bordelais et crédité comme français, mais issu d’un réalisateur français qui tourne toujours à l’étranger (cette fois au Texas). (48)

Seuls sont les indomptés ** (USA 196) : La qualité et la sensibilité sont indéniables, mais ce film est tout sauf un modèle. Il voit les individus, un peu leur rencontre, mais n’est que sentimental et vaguement idéologique face aux tendances en cours. L’angélisme du gars est la première stigmate de cet idéalisme et sa bagarre contre le manchot le summum du regrettable ; quelle brave personne aux belles valeurs qui ne mènent qu’à l’échec. Pourquoi en est-on là, pourquoi ce type patauge-t-il dans l’irresponsabilité ? Le film ne saurait y répondre car il ne voit pas comme est son protagoniste. Il préfère le romantisme et au travers de cet homme vaillant mais auto-destructeur, portraite une sorte d’humanisme en train de se gripper. La révolution individuelle est la plus belle mais elle est, pas vaine, peut-être pas carrément impossible, mais improbable en tout cas aujourd’hui. Une jolie séance pleine de sentiments contraires et d’élans contrariés, représentative des erreurs fondamentales de jugement des gens de ‘bonne’ volonté en son temps. (62)

Mort d’un commis voyageur *** (USA 1985) : Adaptation de la célèbre pièce, confiée à Volker Schlondorff. Fort émotionnellement et original dans la forme, bien que l’écriture laisse des trous noirs ou des approximations (probablement de ces malheureuses ‘ouvertures’ à discussions et projections – concernant le passé commun, les liens sales entre ces membres de la famille, le véritable nœud du mal) et surtout que le démarrage incite à la prudence. J’aime beaucoup le réalisateur pour Le Faussaire et Le Tambour, mais sa mise en scène est rarement ‘grand angle’ et avec un tel legs elle l’est d’autant moins – soignée mais claustrée et artificielle. Cette fois elle l’est ouvertement avec les nombreux fonds voyants, mais aussi les interprétations appuyées, affectées ou carrément satiriques – à l’occasion des écarts digne de Guy Maddin. L’approche fonctionne dans l’ensemble mais l’impuissance à se dépatouiller des affres de sa débile existence concerne le film et pas seulement ses sujets – même si tout le monde s’en tire avec des performances flamboyantes ou qui ont le mérite d’attirer la curiosité, ou un dépit froid mais ‘soutenu’. Le personnage de Malkovich ou du moins sa façon de jouer sont ‘too much’ mais d’une façon doucereuse qui contrairement à celle de Dustin Hoffman, hystérique, est loin de remplir l’espace ou de savoir convaincre à l’usure ; par contre ce type de personnage est intéressant par rapport à d’autres qu’il a joué plus tard, comme celui du sombre roublard dans Portrait de femme, un ‘prodigue dépressif’ mieux planqué. (64)

Suggestions : Le coup de grâce, Le jour du fléau, Les raisins de la colère, Rain Man, Rencontre avec Joe Black.

Silvia Prieto * (Argentine 1999) : Du Funny Ha Ha visant benoîtement le niveau Jarmusch avec une pointe des frères Dardenne pour tirer la révérence. Décidément c’était l’époque voire l’année où il était bon de souligner à quel point personne n’est un flocon de neige unique, tout en resté scotché sur le cas par sympathie ou présumée identification – et dans le cas présent, tout en se piquant mollement du petit sort de gens ordinaires, des femmes de préférence. Les déambulations et expectatives de cette fille et de son entourage n’ont aucun intérêt et elle n’est pas seulement avare de mots, son sac comme son contenu sont pauvres, comme ses situations mi-cafardeuses mi-ronronnantes. Les auteurs de cette chose ont peut-être l’impression de mettre en avant la précarité des ‘gens’ triviaux mais n’importe quelle telenovela même sensationnaliste ou pour grabataires en montrerait davantage (et serait plus amusante). Quand on s’égare dans un concert, on se prend à douter sur ce qui semblait la médiocrité de 9 songs. C’est donc encore une de ces pourritures minimalistes sauf pour s’étaler et filmer leurs interprètes sous toutes les coutures (avec en bonus local une espèce d’humour châtré). Le cinéma latino-américain est un gros fournisseur de trucs misérables (et régulièrement prétentieux) dans ce registre, ce n’est pas étonnant qu’il n’ait de réputation un minimum solide que chez les profs et les écumeurs ‘d’art & essai’. Cette fois fut tout de même particulièrement gratiné et la nullité est si proche qu’on ne peut même pas reprocher au film des fautes ou des excès. (18)

Journal d’un curé de campagne *** (France 1951) : Une certaine idée de l’intimisme glacial, où la parole et la dette à la littérature sont importantes sans écraser le matériau ‘cinéma’. Ce curé encore enfantin, victime perpétuelle, témoigne de l’intuition de certains individus religieux à l’égard du cœur humain, ainsi que de la faillibilité de leur vocation et de leur aptitude à réparer. Encore près de la source (nous sommes 15 ans avant Au hasard Balthazar), le style Bresson est pertinent et pas encore trop jaloux de ses différences ; on peut croire voir un ‘film normal’. L’absence d’ambiance sociale guindée rend même les personnages parfaitement accessibles, familiers, contrairement aux Dames du bois de Boulogne (dont la diction de l’héroïne est devenu ‘culte’ pour ma part, sans que cela ait nuit au crédit ou à la qualité du film). C’est ma 18e découverte de l’année et en atteignant le 7/10, la meilleure – un démarrage bien tiède. (68)

La moindre des choses *** (France 1996) : Comme souvent avec ce genre de documentaire sans voix-off, aspirant à l’observation la moins dénaturée (au voyeurisme ?), on écope de séquences inutilement longues à contempler les personnes. Dans le cas présent, souvent à les écouter reprendre les mêmes termes ou discuter d’élocution. Heureusement ce n’est pas avec le filmage plat et sordide du commun des documentaires. Celui-ci s’adapte aux situations et aux cibles. Dommage que cette infiltration chez les fous soit si sage et chorale, inapte à approcher les individus en-dehors de scènes partagées, de face-à-face triviaux, ou de déambulations grotesques. Le réalisateur [Philibert] comme les encadrants sont trop soucieux d’harmonie, d’inclusion douce, de convaincre les présents comme le public que tout va bien, tout est sain – et en plus joyeux (voire poétique à l’occasion). Toute cette bienveillance ne change rien à la gratuité du tournage ; dans ce zoo on est sans doute censé voir des sortes d’enfants ou d’handicapés ; j’ai surtout eu l’impression de voir des gens qui n’en ‘faisaient qu’à leur tête’, en laissant des animaux plus sociaux essayer vainement de les domestiquer gentiment. (64)

Structure de cristal *** (Pologne 1969) : Premier film de Zanussi, dont j’ai apprécié Maximilian Kolbe mais pas pour sa mise en scène. Choix ou pseudo-choix de vie confrontés – sans éclats (même de voix). Dommage que le film s’obstine à ne pas décoller ni commettre d’écarts. (64)

Qui sait ? * (France 1996) : Documentaire de Philibert. Intrusion pas inintéressante dans une troupe de théâtre avec des ébats curieux et des discussions sempiternelles. Remises en question constante, voire pathologique, de toute habitude ou norme établie, assortie d’une adhésion critique et d’une compulsion vers le groupe : heureusement il n’est pas question de projet politique. Les sympathies exprimées et les prétentions expérimentales peuvent faire sourire – spécialement le personnage de gitane. Malheureusement tous ces flottements, ces écarts et ces ouvertures mènent à des béances gonflantes ; c’est deux fois trop long et ça devient simplement ennuyeux au bout d’une heure. À force d’être atone et non-interventionniste le film ne fait au mieux qu’accompagner des gens dans la stérilité – avec les aliénés en asile (dans La moindre des choses) l’inanité sans onanisme avait meilleur goût. (42)

Les deux anglaises et le continent * (France 1971) : Photo haut-de-gamme, inspiration revendiquée auprès de Renoir, pour une saveur esthétique à laquelle je goûte peu. Truffaut a réalisé d’autres bricolages pédants avec un sens des décors pour le moins ‘détendu’, mais il en tirait parti, que ce soit avec les jouets géants de Fahrenheit 451 ou en laissant l’accès à la confection du film dans La nuit américaine. Mais cette fois on semble être dans la quête de sublimation d’un film érotique, à la fois bon marché et bien situé, avec de savants effets de montages et des ‘médaillons’ bientôt affreusement ringards (plus à leur place au générique de La croisière s’amuse). Plein grâce à ses dialogues et ses sous-entendus, mais baveux et froid à cause de ses postures ; truc de bourgeois libertaires impuissants ayant l’infini pour finasser, habités par de grands sentiments mais désertés par l’émotion voire par toute sorte d’instinct et de vitalité. Peut-être que la seule différence sérieuse avec Jules & Jim, première adaptation par Truffaut de Roché, c’est cette absence d’élan, même si déjà c’était un film ‘affecté’. (36)

Sugarland Express ** (USA 1974) : Un des premiers films de Spielberg, après Duel et avant Les dents de la mer. Ses qualités sont déjà flagrantes, c’est limpide et rythmé, c’est riche en prises de vues impliquantes, en images jolies voire saisissantes. Pourtant à mes yeux c’est ennuyeux. L’approche se veut chaude et le rendu est glacial. Puis ces gens sont trop cons, les vieux avec leur morale comme les jeunes avec leur agitation puérile. On voit de telles personnes dans la réalité, les premières sont croulantes éternelles, les secondes des cas irrécupérables trop pauvres sur tous les plans pour qu’il y ait à s’en lamenter. Ils n’ont rien de digne ni de romantique, ni d’intense sauf leurs turbulences ; au mieux leur vocation est de figurer dans les best-off ‘white trash’ d’un reality show attardé. Spielberg sublime cette misère en nous faisant voir et entendre du pays, davantage qu’en relayant cette fameuse histoire de course-poursuite.

Cette époque pleine de films formidables et transgressifs a aussi ses faiblesses et sa face lourdingue : une candeur exubérante et ironiquement crispée, un goût de la rébellion compulsif, l’amour du démolissage des codes et de l’opposition aux ‘normes sociales’ plus fort que celui de leur remplacement. Une période ‘crise d’ado’ pour le cinéma comme pour de nombreux arts. C’est pourquoi de nombreux classiques mineurs proches du Nouvel Hollywood, du road-movie, ou leur appartenant, me laissent sceptique – voire désolé sur le fond. Sauf qu’en déboulant sur ce terrain, Spielberg ne manifeste rien du sentimentalisme pour lequel on le connaîtra si bien par la suite (que ce soit pour ET ou par ses prises de positions anti-racistes) ; on a donc un de ces road-movie avec une jeunesse désespérée mais sans la charge subversive ni la ferveur, même sale ou naine, qu’on y trouver souvent chez les concurrents. (46)

Suggestions… La balade sauvage, Tueurs nés, Monster, Christine, La tête haute, Massacre à la tronçonneuse, Les Incorruptibles, Blow Out.

Stark fear ** (USA 1962) : Intrigant et de bonne facture, soit incroyablement respectable pour un « by NWR » (les films restaurés sous l’impulsion de Winding Refn). À la fois drame sentimental adulte et film noir bon marché. Tension sexuelle permanente entre l’héroïne et les principaux hommes autour, avec toujours le poids de la hiérarchie reflétant l’ampleur ou la qualité du lien affectif. Sous influence de Psychose et Suspicion d’Hitchcock. (62)

Boarding Gate *** (France 2007) : Réalisation captivante pour un contenu assez commun et parfois proche d’un porno féminin et plus généralement d’une production spontanée (un pseudo ‘work in progress’). Sur la vie dangereuse avec ses recrues à succès (ou simplement liées au commerce), ses pourries et ses fantômes, ou les trois mêlés, tous portés par des motivations obscures ou évanouies. Mondialisation mafieuse et demi-heureuse. Asia Argento géniale en post-junkie épuisée en constante fuite en avant – instable jusque dans ses relations, elle peut dominer ou se faire embobiner sur la même lancée. L’écriture est pour le moins aérée, sauf au niveau des dialogues ; les gens (femmes) sont souvent à la fois pompeux, pressés et détendus, d’une façon sonnant un peu grossière mais restant vraisemblable. Tout de même trop d’explications, spécialement dans la première moitié pleine de psychologie en friche. Comme un écho sobre et clair au cinéma d’Abel Ferrara, de plus en plus accablé par la drogue à cette époque (celle de Go Go Tales). Ce film pourrait être encore plus plat que Demonlover avec une autre protagoniste, mais il garderait sa radicalité formelle – à côté de laquelle on peut tranquillement passer ; simplement pour ma part c’est la meilleure expérience avec le cinéma d’Assayas, ce monde-là et surtout ce rapport-là pèsent davantage à mes yeux que ceux d’Irma Vep – et Demonlover avait cette manie de préférer la proximité au polar à celle de ses personnages, donc à créer des obstacles sans intérêt. La VF donne un effet grotesque et rapproche définitivement du feuilleton estival accompagnant les comateux du matin. (64)

Suggestions… The Canyons, Le deuxième souffle, Black Coal, Only God Forgives, La reine Margot.

Dazed and Confused/ Génération rebelle ** (USA 1993) : Mise en scène alléchante pour un contenu ennuyeux – moins si on est adepte de Tarantino, qui lui-même adule ce film paraît-il. Sait se tenir malgré son sujet mais n’a pas la richesse émotionnelle ni la saveur ‘authentique’ de Breakfast Club. Une des images principales du site Mubi est puisée ici (Matthew Conaughey avec trois autres mecs pendant qu’il joue au vigile). (58)

Imitation of Life / Images de la vie ** (USA 1934) : Bien aimable et assurément précoce, mais assez douteux malgré son volontarisme ‘inclusif’. La noire reste une benête, s’avère incapable de défendre son intérêt et d’élever par elle-même son standing alors que le meilleur est à sa portée, pour ne pas dire offert – au moins elle est l’outil de ce succès ! Donc l’écrasant regard caméra accusateur est des plus inconvenants, puisque ce film entretient aussi le matériel de la discrimination. Nous sommes dans du paternalisme progressiste, acquis aux valeurs de la libre-entreprise, du capitalisme bien compris et bien sous tous rapports. Nous sommes dans un film de l’ère ‘du code’ et dans l’inconscience généralisée, même quand les sujets sont graves – d’ailleurs sur la honte de la fille blanche d’une femme noire, il n’y a aucun progrès, même pas lors de la scène d’enterrement. Un film bien statique y compris face à de grands changements, d’où les événements sont absents ou pour le moins aseptisés et survolés. Le remake de Douglas Sirk est supérieur sur tous les plans parce qu’il normalise la situation, sans sermonner, simplement en admettant que cette union puisse être normale et saine, avec une individualité noire et pas une brave femme à demi grotesque. Le miel de Mirage de la vie apporte plus de dignité et de crédibilité à cette affaire. Enfin ce film de racistes anti-racisme (de style et d’orientation ‘libérale’) présente de belles qualités, se regarde et attire facilement la sympathie, a une certaine hauteur de vue malgré tout. (56)

Retour en Normandie ** (France 2007) : Retour sur les lieux et auprès des acteurs de Moi Pierre Rivière dont Philibert fut assistant réalisateur (sa première fois). Ce que disent les gens n’est pas nécessairement intéressant et encore moins structuré ou dégrossi, mais l’intrusion vaut le coup ; on a pas l’habitude de voir de telles réalités sur pellicules, largement plus ordinaires et pourtant encore plus rares que celles des patients psychiatriques (sujets de La moindre des choses). (62)

Ice Storm *** (USA 1997) : Ang Lee à la tête d’un casting colossal et disparate (où Sigourney Weaver joue une pouffe amère et égoïste mais résolument adaptée, quitte à professer du catéchisme). Sur la tristesse de la reproduction des mœurs et les murs intimes que se prend la petite-bourgeoisie américaine – à l’époque d’une révolution sexuelle déjà liquéfiée en nouveau conformisme décevant. Peut-être un peu trop banal effectivement. Le coup final, excessif et inutile, tire le film vers une espèce de passion de dépression et de compassion génératrice de peu de bénéfices. Produit typique des années 1990 (jusqu’aux costumes) censé se produire dans les seventies. (66)

Suggestions… De beaux lendemains, Smoke.

Clockers ** (USA 1995) : Du Spike Lee routinier avec Harvey Keitel en blanc aidant de service. Musique cool mais le contrepoint et le random à ce point deviennent ennuyeux passé une demi-heure. Théâtral et pauvre, insignifiant à terme malgré la force du style. (54)

Wolf and Sheep ** (Afghanistan 2016) : L’idéalisation de cet état de vie ‘modérément’ primitif et les saines communautés allant avec se prend un démenti. Le capitalisme et la corruption des médias sont loin mais leurs mesquineries et effets pervers supposés pourtant sont présents – les enfants sont impitoyables, un bœuf vaut réparation pour un fils éborgné. Documentaire semi-dramatisé (par exemple pour matérialiser la louve kashmirie déguisée en fée verte à taille humaine) sans intérêt solide pour le reste. Présenté sur Mubi sous le label « La quinzaine des réalisateurs ». La réalisatrice est afghane mais les crédits partiellement danois. (46)

The Spoilers / Les écumeurs * (USA 1942) : Western de salo(o)n où le casting tire des trognes grotesques et pompeuses pendant près d’une heure trente. Effet Dietrich ? Heureusement hors du couple de tête et des phénomènes de foire l’interprétation est posée. Le film est décemment dialogué mais l’histoire insipide et le trait toujours ultra-lourd (ce qui choquera avec la servante noire dont même le ‘black face’ n’altère pas la bonne humeur). Heureusement une grosse scène de mêlée vient remettre à niveau cette ‘aventure’ (mais forcément Wayne en sort à demi-vainqueur avec une dégaine encore plus fausse et ennuyeuse). (38)

Nénette ** (France 2010) : Quasiment un moyen-métrage. Travail sur la bande-son, avec la succession d’intervenants spéciaux, de visiteurs ou passants et quelques musiques (inhabituel chez Philibert – celles en générique sont crispantes). Pas de visages humains (mais des laïus diversement comiques), seulement les orangs-outangs dans leur espace, généralement derrière la vitre. On apprend que les orangs-outangs sont placides, pas du tout vocaux contrairement aux chimpanzés et on les voit sourire ou tirer des bouilles irrésistibles. (62)

No * (Chili 2012) : voir la critique. (32)

Maggie * (Corée du Sud 2018) : Original mais pas explosif en-dehors de sa bande-son. Les auteurs sont probablement dans les grandes ‘largesses’ au point d’oublier des pistes narratives, pourtant il n’y avait pas de quoi se sentir engloutis ou emmêlés. Un film plus à sec qu’absurde ou juste concernant les relations humaines. Comme d’habitude l’expectative soignée l’emporte sur la poésie mais cet essai-là semble à peu près aussi sincère que possible. Le cœur de cible est probablement les filles bien ou normalement éduquées et formatées qui se trouvent bizarres. (42)

Pillow Talk / Confidences sur l’oreiller *** (USA 1959) : Je n’attendais rien de ce film, après cette rafale de médiocres et de mauvais sur MUBI et étant tiède envers ces comédies guillerettes des années 1940-60. Cette bonne comédie romantique, certainement au-dessus de la moyenne de tout le secteur et en toutes époques, doit beaucoup à son couple. Sans Rock Hudson et Doris Day, acteurs charmants dont les personnages le sont presque autant, ce ne serait peut-être qu’un film amusant et bien écrit, sans construction ni tours spécialement brillants – clairement le suspense n’est pas sa qualité. À quelques clichés doucement datés (sur les rôles sexués, encore que le film soit dans l’ensemble équilibré, ni archaïque ni révolutionnaire, propre mais pas prude) leur rencontre fonctionne impeccablement. (68)

Agantuk / Le visiteur ** (Inde 1991) : Dernier film d’un fameux auteur indien multiformes, centré sur un vieux vagabond philosophe de retour auprès de sa famille où il diffuse une morale teintée de cosmopolitisme tiers-mondiste apaisé. Scénario minimaliste, logorrhées ‘intellectuelles’ raisonnables, discours transparent. (58)

One shocking moment * (USA 1965) : Rien à retenir hormis une scène de lacérations domestiques d’une quasi-lesbienne intégriste sur un brave gaillard au mariage poussif. Il y a de la tension chez les personnages et les acteurs sont bons pour la rendre, tout le reste est proche du niveau zéro, spécialement la narration. Scènes à deux de tension et seins nus s’accumulent en tâchant de titiller le conventionnalisme de l’époque ; vu un demi-siècle plus tard, reste de l’agitation lubrique et des turbulences vaines, dans un contexte de sous-bourgeoisie un peu moisi. (28)

Panique au village *** (Belgique 2009) : Hystérique, usant ou grisant ; une succession de grands moments d’absurdités et de débilités. Vu des bouts du film ou de la série à l’époque. Comme je découvrais et que ça relève d’un genre qui vous ‘passe’ dessus – ou devant, je n’ai pas gardé de souvenirs clairs. Je recommande fortement mais avec avertissement : ça peut fonctionner merveilleusement si vous appréciez les cartoons, les cris, à la limite la ‘folie’ légère et expansive ; sinon ça peut être une torture et vous laisser dubitatif concernant tous ces spectateurs et critiques si complaisants pour une création ouvertement idiote. Malgré un moment difficile j’ai trop ri pour tomber ailleurs que dans la première catégorie. Je suis fan du débit du paysan (Poelvoorde) et du personnage Cheval. (72)

Missing – Porté disparu *** (USA 1982) : L’aspect surréel d’une dictature et d’événements violents, leur toxicité si radicale qu’elle en devient non banale mais ‘normale’ ; avec la sublime musique de Vangelis cette situation éprouvante, avec sa faculté à tout remettre en question ou ‘à plat’, en devient presque magique. Le tandem d’opposés est des plus judicieux : deux idéalistes sans idéal ou inversement, reliés par le disparu. Costa-Gavras est connu et reconnu en tant que cinéaste politique qui s’est attelé à de vraies affaires, mais c’est en passant au-delà des seuls dossiers, en osant l’émotion, qu’il livre le meilleur. (68) 

Kaili Blues * (Chine 2015) : Film sophistiqué et vaporeux à deux de tension comme ce coin en produit en abondance et comme Mubi aime les relayer. J’ai pensé notamment à Postcards from the zoo et à divers titres des cinémas thais et indonésiens. Celui-là a eu la chance ou le génie d’être acclamé dans les festivals et lancé internationalement. C’est sa seule spécificité éclatante à mes yeux, hormis en terme de proportions : l’influence bouddhiste et les paysages sont particulièrement obèses ce coup-ci. Cette séance est une perte de temps avec de longues déambulations nébuleuses et des moments de vie traversés significativement par aucune autre force que l’inertie. J’ai apprécié les moments où la caméra semble s’émanciper mais ne suis pas client des expériences d’hypnose, surtout s’il s’agit de miroiter l’onirisme alors qu’on est simplement invités à planer ; de la même façon on doit oublier pour se mettre en position de convoquer des souvenirs hypothétiques ou être totalement réceptifs au présent, or on est simplement en train de faire table rase de toute obligation ou volonté humaine, spirituelle ou même naturelle un peu vive ou divergente. C’est normal : s’il en remontait, on sentirait obligatoirement l’inanité de l’expérience et la dimension parodique du genre d’extase et de libération qu’elle postule. (32)

Les diamants de la nuit * (Tchécoslovaquie 1964) : Typique voire caricatural dans le genre indé total, centré sur des prisonniers pendant la seconde guerre mondiale. Fausseté malaisante à les voir déambuler dans les bois, jouer les hagards et les affamés, supposément souffrir. Une scène autrement éloquente : celle à la fin, lorsque les victimes ont été capturées, dans une grande salle où les gars de la troupe mangent bruyamment (le film est plein de sons hypertrophiés), puis s’enjaillent sur un petit air d’accordéon (?). Des moments de divagations, où l’esprit d’un des deux fuyards esquive l’horreur présente ; à son meilleur, c’est un ancêtre laconique de ces choses sophistiquées, creuses et lourdingues comme It comes at night. (38)

The prowler / Le rôdeur ** (USA 1951) : Assez audacieux mais m’a semblé sous-développé. Malgré la gravité de l’ambiance, les situations restent faibles et le point de vue reste externe, presque tiède. (62)

Monika *** (Suède 1953) : Fin et implacable. Débuts entre le néo-réalisme italien et une hypothétique ‘Nouvelle Vague’ lisible et consistante. Mise en scène sobre, ponctuellement douce et ‘passionnée’, centrée sur une gourdasse moderne et son tout aussi jeune amant en train de brader sa vie. Hédonisme à courte-vue des cousins défaits de Jules & Jim et toute la clique des consuméristes bohèmes et des pré-soixantehuitards. Ils sont réellement dans l’évasion mais les impératifs du ‘réel’ sont encore là et ramènent finalement à ceux de la société. Même lorsqu’il finit par frapper le garçon reste le faible du couple (un couple d’ado-enfants dans un monde d’adultes), écrasé par l’intempérance de sa petite conjointe pulpeuse. (76)

Domicile conjugal * (France 1970) : Antoine Doinel de Truffaut avec Jean-Pierre Léaud. Pas d’avis, que de l’ennui mais strictement poli. C’est manifestement très auto-référentiel or j’ai ratés Baisers volés. De toute façon je suis allergique à ce genre de simagrées, cet existentialisme et cette loufoquerie de zombie des quartiers ‘typés’ parisiens. C’est indéniablement original, pas prévisible comme Les deux anglaises et le continent, mais le flot de réflexions creuses et d’outrances tièdes me semble simplement stérile (avec ou sans connotations culturelles) ; et cette façon de se frotter à l’exotisme ou l’inattendu m’apparaît comme des plus aliénées (on ramène l’imaginaire et le sens de l’aventure aux besognes, on peinturlure naïvement les choses de la vie avec des couleurs neuves peut-être, dévitalisées et laides certainement). Quand à cette façon de représenter et d’approcher les femmes, elle laisse dubitatif (même si à ce niveau de candeur et de doux crétinisme les féministes auraient tort de s’emballer) ; apparemment elle était courante à l’époque parmi les mâles châtrés mais pas moins affamés, tout pleins de ‘science infuse’ & de Nouvelle Vague. (34)

The Palm Beach story / Madame et ses flirts ** (USA 1942) : Pas puritain en esprit (on parle de sexe et d’argent) mais rien d’intime, de privé, de troublant ou d’ambigu. Et bien sûr rien de notable visuellement hormis les pitreries et les costumes soignés de chacun. Pour les amateurs de ces comédies loufoques ; pour les autres, rien à en attendre. (44)

El despertar de las hormigas / The awakening of the ants ** (Costa Rica 2019) : Si vous cherchez du cinéma entièrement féminin, ceci est pour vous. Le focus sur les ‘petites choses’ et le contact avec la réalité, l’appropriation hédoniste et sereine de son environnement, l’insurrection contre l’enfermement dans un destin social et sexuel, peut avoir son charme, susciter la complicité, ou radicalement mais poliment ennuyer. Pour le peu qui en dépasse ce n’est que simplisme : le mari fait du foot et du bricolage, elle, son ménage, elle est seule et dévouée, la vie domestique est un peu pénible, la baise pour elle est éprouvante voire gentiment morbide. En général dans ces films consacrés à la condition féminine, le ton est compassionnel ou agressif, parfois les deux, cette fois c’est la première exclusivement ; on est assez proche de Jeanne Dielman avec l’évasion au lieu de la violence. Que les enfants soit deux garçons et non deux fillettes aurait été intéressant ; comme dans Les conquérantes, on aurait sans doute vu ces germes corrompus du patriarcat en train de l’asservir jusque dans l’intimité de sa cuisine ! Mais ils l’auraient été en toute innocence – car tout le monde est bien bête et innocent là-dedans. Heureusement l’optimisme prévaut ce qui permet de passer les coups de durs et les sensations de solitude ; aussi d’éviter la hargne débile et l’auto-destruction. (48)

Selfie * (Italie 2019) : De braves musiques ou joyeusetés sonores et des moments plus ‘poétiques’ mais aussi plus sérieux dans la seconde moitié ; ça reste une idiotie qui ne nous apprend rien sur la mafia et le climat social, si peu sur ces rues de Naples ou la vie dans cette Italie (des peccadilles sur la fatalité ou les déterminismes sociaux, les divertissements et fascinations bling-bling des jeunes). Prenez un reportage, un laïus sur Whats App, un filmage en mode automatique digne des spiritueux d’Asie du Sud-Est mais focus sur des rues dégueulasses et des cuisines filmées à mi-hauteur. Réduisez l’intérêt de chacun à néant : pas plus que les babioles, toujours en gardant les deux bonhommes dans les parages. Instillez la platitude et la prétention aveugle à la véracité du film humaniste expérimental de festival. Cela donne cet essai moche et futile. N’importe quelle compilation d’extraits vidéos merdiques sur YouTube apportera plus de sens et de perspective sur le sujet que vous voudrez – ou à peu près autant si comme le réalisateur de ce film vous n’osez pas trier. Les gens dans ce film ne sont pas antipathiques. Néanmoins quand je vois que ce film atteint 8,7/10 avec 2.170 votes sur Mubi se barrer n’est plus une option. (28)

Guilty Bystanders * (USA 1950) : Film noir charmant, soucieux de la tenue de ses rares personnages et de ses rares décors ; mais un film à la musique peu inspirée et envahissante, tourné à huis clos avec des moyens incertains, au développement laborieux, où tout est forcé et l’intrigue particulièrement bricolée, où l’interprète principal manque d’authenticité et de crédibilité. (42)

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