LIVRES 2024-1 : Janvier

17 Fév

Découvertes et rattrapages massifs pour commencer l’année ; le stock est si important (37, soit plus que les trois précédentes années cumulées) qu’un bilan s’impose déjà. En fonction du rythme et du nombre de découvertes à venir, j’aviserai – le bilan annuel traditionnel, ou des bilans récurrents (mensuels parfois). A priori, je penche pour des bilans trimestriels désormais.

Deux commentaires ont dépassé le seuil où je m’impose de passer à la critique.

 

Milton Friedman – Capitalisme et liberté =+ (USA 1962) : Entamé il y a deux ans et traîné pendant tout 2022, repris de A à Z en quelques jours. Cet ouvrage a eu un énorme retentissement et légué des ‘idées’ essentielles comme la flat tax, le chèque-éducation, le taux prédéfini (de 3 à 5% annuels) de croissance de la masse monétaire. Typiquement une lecture assommante mais pas ennuyante. Friedman n’y apparaît pas comme une figure terminale du capitalisme sans entraves, ce que seraient davantage Rand ou Rothbard. En principe puisque ce n’est pas un puriste ; il accepte régulièrement des concessions à ses dogmes, suggère en restant ouvert (à des actualisations ou exceptions). Dans le ‘programme’ aussi : ce n’est pas un ‘austéritaire’, il prône la fiscalité pour parer aux ‘externalités négatives’, propose un impôt négatif (dans son résultat apparenté au revenu universel). Mais il plaide pour la suppression des monopoles publics ; quant aux autres… c’est une affaire délicate ! Il commet une proposition fiscale lunaire ciblant l’actionnaire (p.201) digne du commun des socialistes en roue libre. Finalement cette découverte de Friedman dans le texte est décevante car si les principes peuvent séduire (notamment l’affirmation de règles générales pour contrer la tyrannie de la majorité comme celle des minorités), les démonstrations sont rarement convaincantes ; des raisonnements circulaires se veulent des précisions, des formulations ampoulées servent à donner des apparences de ‘factualité’ à des préférences ou même pétitions de principe. Friedman va peut-être au cœur de ses idées mais ses idées sont hermétiques et autour d’elles rien n’est bien défini ; son évocation de la folie n’est même pas floue, elle est inexistante. Je sort de ce livre en me disant que les économistes sont à placer en bas de la pile d’attente pour le prochain arche de Noé. (62)

Khalil Gibran – Le prophète =+ (USA/Liban 1923) : L’introduction est assommante, des sentences claquent et brillent dès que les paradoxes s’espacent, la profondeur est pour le moins ‘mobile’. Prescriptif mais vaguement, responsabilisant et déchargeant simultanément, hymne à l’amour raisonné, moraliste sans gronder, modérateur plutôt que contraignant : voilà du centrisme spirituel à l’égalitarisme méthodique et aux dualismes heureux, qui ne se risque qu’exceptionnellement à heurter les préjugés et le ‘business as usual’ (mais semblera insipide et venteux à ceux qui sont consciemment dans une religion, ou se trouvent justes ou à l’aise en-dehors). Ces quelques cas sont : la partie sur les enfants [appartenant à tous] et celle sur les crimes [dont tous sont responsables en dépit des apparences] et punitions, où s’exprime la mise à plat typique des utopistes souhaitant que tous soient confondus et enchaînés mais dans la joie et la rémission. (48)

Arthur Rimbaud – Une saison en enfer =+ (France 1873) : Un jeune homme prend soin de liquider son âme afin d’aller libéré dans la vie. Hormis ça et les projections, le reste de ces diatribes finit toujours par touiller dans son obscurité qui ne m’intéresse pas. (62)

Gustave Flaubert – Madame Bovary + (France 1857) : Je venais confiant vers ce classique grâce au cas Bovary et ne trouve aucune surprise. Mon léger malaise à l’égard de l’auteur aussi est confirmé (renforcé ensuite au contact d’Un cœur simple), huit ans après la seule approche jusqu’ici – via Bouvard et Pécuchet, son roman inachevé, débordant de mépris. ‘L’ironie flaubertienne’ n’est pas si distanciée ; elle est signée d’un empathique qui se ‘dominerait’, peut-être au-delà de ses espérances grâce à l’amertume et une conscience hypertrophiée du sentiment social. Bovary est justement celle qui souhaite ardemment s’en libérer, tout comme elle veut s’arracher à la banalité, à l’absence de destin – mais c’est une naïve auto-centrée intoxiquée par l’esprit romantique… et confortée par ses lectures. Si elle juge mal les intentions des autres, ses critères esthétiques sont ceux du narrateur : son mari est un prototype de ‘petit bourgeois’ sans aucune grâce (ponctuellement, Emma lui trouve de belles dents) et de provincial insipide ; il n’est même pas méchant, il ferait mieux ! Il n’est surtout pas à la hauteur de ses espérances – ni fort ou sensuel, ni brillant ou ingénieux, ni un alpha devant les autres, en société ou dans sa profession. Mais c’est aussi un aimant sincère, méprisé pour son ego terne, alors que cette modestie est justement ce qui garantissait à Bovary une place dans son cœur et dans son esprit – avec faible intensité, mais à perpétuité. En plus de sa richesse psychologique, ce roman touche à la perfection formelle : la langue est admirablement claire, synthétique, les scènes sont pleines et le récit léger (qualités retrouvées chez Maupassant mais pas chez Balzac). (78)

Gustave Flaubert – Un cœur simple =+ (France 1877) : Empathie froide sans l’ironie de Madame Bovary, ou alors émoussée à l’extrême. À nouveau cette capacité à générer des images claires, peindre avec précision en peu de mots les perceptions et les rapports avec les autres de son héroine. Ça demeure le survol d’une vie sans crises ni péripéties, c’est donc difficilement intéressant et pas plus riche que ce que le sujet, triste et commun, permet. (62)

Stendhal – Le rouge et le noir + (France 1830) : voir la critique. (78)

Balzac – Le père Goriot + (France 1835) : Regorge de phrases géniales, dont plusieurs citations connues et discutées (notamment « Tous les crimes se sont fondés sur de grandes fortunes »). Par contre et malgré l’affection que je sent naître pour ce roman, je dois dire une chose grossière : il y a un bon lot de passages futiles et répétitifs (en descriptions un peu, dialogues surtout). (82)

Jean Giraudoux – Amphitryon 38 + (France 1929) : Dieu tombe amoureux d’une épouse incorruptible. Jongle entre le drôle et le sublime. Langue raffinée sans mots creux. Peu de superflu. Mise en scène parfois gourmande soit en petits effets soit pour éviter de trop éprouver la ‘suspension d’incrédulité’. (72)

Maupassant – La main d’écorché =+ (France 1875) : Nouvelle trop expéditive (et prévisible – l’était-elle à l’époque ?) pour passionner, mais la qualité ‘graphique’ des scènes et l’ambiance générale donnent de quoi l’aimer. C’est la première publication de Maupassant. (7-)

Annie Ernaux – La place – (France 1984) : Ce n’est pas que le style soit le critère absolu, mais là on atterrit au niveau de la prise de notes. Quelques remarques sociologiquement exploitables [portant sur les prolos embrumés de campagne] sauvent ce rapport ; comme roman c’est nul, comme analyse psychologique ou sociale c’est trop minimaliste pour parvenir à être considéré comme médiocre – puis à son meilleur, essentiellement à l’approche du départ de la fille, on atteint cette médiocrité. En-dehors des souvenirs et quelquefois d’émotions ou d’observations de ses proches, Ernaux n’apporte rien, probablement par méthode et conviction, peut-être aussi par impuissance. Ce livre a beau être vaguement émouvant à l’usure, il démontre l’inanité d’un parti-pris ; à notre empathie, ou notre volonté d’en avoir, ou nos souvenirs ou intuitions, d’apporter l’épaisseur refusée par principe. Mais pourquoi lire Ernaux dans ce cas ? Et que vaut ce qu’elle produit par rapport à un documentaire patient ou un essai ? (26)

Annie Ernaux – Passion simple – (France 1992) : Confidences d’une ménagère, anti-romanesque conformément aux résolutions de l’auteure. Accablant. A le mérite de la sincérité et de savoir s’introspecter (« j’étais heureuse d’être unie à lui dans un début d’abjection »). Mais comme l’atteste la distinction foirée entre l’auto-fiction et l’exhibitionnisme : pour la lucidité, ne comptez pas sur Ernaux. Je n’approfondirais pas l’oeuvre de cette nobélisée aux opinions calamiteuses. (16)

Maupassant – Qui sait ? + (France 1890) : Confession d’une sorte de Gogol à l’ego acculé. Ses meubles, sans devenir ses extensions, constituent son lien à la réalité – c’est tout le décors ‘vivant’ et familier qu’il tolère. Fantastique et psychologique, cette nouvelle a dû plaire à Topor, aux surréalistes et en général devraient embarquer les amateurs de réalisme magique. (78)

Jean Giono – Le hussard sur le toit =-+ (France 1950) : J’espérais aimer Giono avec cette troisième approche (après Un roi sans divertissement et Que ma joie demeure), aux ingrédients attractifs (aussi sur le fond : plaidoyer contre l’orgueil et doutes concernant l’engagement – intéressé ou vaniteux sans avoir nécessairement le mérite de l’efficacité). Ce roman d’aventures est de loin plus abordable et une adaptation pour le grand écran ou déclinaison en série pour la télé apparaît évidente. C’est aussi un conte moral et il nous concocte une révélation sur la nature de l’épidémie qui confirme le déploiement d’une construction savante – mais le développement est trop léger, ou trop poétique probablement, pour moi. Je suis à nouveau dubitatif devant ce mélange de panache et de lenteur, cet acharnement à ne faire que croiser les êtres – qui rend difficilement puissante l’épopée, car elle flirte avec l’intensité par bribes avant de revenir à une espèce de légèreté compulsive, charmante et souveraine, fatalement frustrante. Tout est cohérent mais volatile – la fuite en avant légitime cette façon de suggérer sans approfondir (le personnage n’est pas du genre à s’appesantir ou prendre le temps de souffrir – c’est un vrai héros, mais ce qu’il gagne en qualité préservée pose des limites au récit). Peut-être une valeur stylistique ou des références pour initiés m’échappent. J’aurais préféré une traversée avec cette vieille religieuse à cette histoire romantique impossible, avec ces deux âmes nobles donc immunisées ; ou que la déception engendrée par cette masse de rencontres soit plus nourrie et nuancée, que les mobiles eux-mêmes soient davantage mêlés. (52)

Honoré de Balzac – Gobseck + (France 1830 ou 1855) : Gobseck exerce une emprise totale : sa mentalité se diffuse auprès de ses proies comme de ses partenaires en affaire (dont le narrateur Derville). Ainsi la comtesse s’accroche au souffle de son époux et guette son départ pour éviter tout ruissellement hors du foyer. Ses coups de pression, fermes et flegmatiques, crispent jusqu’à la racine ; le besoin met les individus à nu, les contraint à se donner ou à livrer toutes leurs forces. Les passages où Gobseck dégueule sa philosophie sont géniaux. Ceux où Balzac s’étend sur les considérations financières sont bien lourds ; tout passe mieux par le filtre de l’usurier, averse au flou et aux bavardages. (86)

Théophile Gautier – Le pied de momie =- (France 1840) : Plus orné que captivant. À la limite de la blague fantaisiste avec des aperçus inspirants (principalement le vol à travers les temps) ou du moins avec un grand potentiel visuel. (52)

Truman Capote – A christmas memory =+ (USA 1956) : Lue car c’est une nouvelle d’un auteur fameux (j’ai In cold blood en ligne de mire depuis longtemps, mais loin des priorités). Jolie histoire mais il faut pour l’apprécier pleinement un niveau de glucose dans le sang que j’évite de m’infliger. (58)

Théophile Gautier – La cafetière =+ (France 1831) : Rêverie romantique. Droit au but contrairement au Pied de la momie, quoique toujours avec la tentation de la digression et la galerie d’ancêtres à caser. La valeur sentimentale est finalement plus forte que celle du fantastique dans cette nouvelle. J’aimerais connaître l’opinion de Théophile Gautier sur l’Alice de Lewis Caroll. (58)

Théophile Gautier – Omphale =- (France 1834) : Narrateur coquet avide de séduire les dames, quoiqu’ici la fluidité s’applique aussi aux genres. Écriture fine, évanescence exagérée, mais tout est remarquablement aligné. (48)

Théophile Gautier – Arria Marcella =- (France 1852) : D’une préciosité insoutenable (y compris dans son opposition romantique aux bourgeois, aux pédants et aux âmes ‘d’universitaires’ anglais). La longueur accrue n’apporte rien de bon par rapport aux trois nouvelles [que j’ai lues – Le pied de momie, La cafetière, Omphale], toutes antérieures. Cette fois Gautier se soucie de défendre ‘rationnellement’ la rencontre : les personnages s’accordent sur langue la plus appropriée. (42)

Voltaire – Micromégas = (France 1752) : Conte laborieux et vain, ouvrage philosophique proclamant l’impuissance de la philosophie et de ses radotages métaphysiques (ce qui n’a pas empêché Voltaire de pondre un pavé sur la tolérance). Hormis le décalage et le vertige des proportions, le conte est insipide ; l’intérêt du livre tient dans la partie où sont alignés les représentants d’écoles philosophiques majeures (occasion de se ranger aux côtés de Locke et de ridiculiser les platoniciens). Voltaire n’est finalement valable qu’en sortant de ses jeux – même si c’est pour affirmer que ces choses qui nous dépassent tellement seront mieux, pour elles peut-être et certainement pour nous, laissées à l’abri de nos approximations et de nos convictions. Évidemment ce relativisme est préférable a-priori comme arbitre et par prudence (contre des vérités universelles ‘révélées’ – donc aucune école, aucune église, ne doit pouvoir imposer de discours ‘surnaturel’, donc de programme échappant ainsi au contrôle humain et personnel) ; mais cette posture risque aussi de faire tourner en rond et de ne répondre que par une surenchère de scepticisme à chaque question, nouvelle ou ancienne. L’écueil scientiste est tout près, de même que le ‘pragmatisme’ qui revient à suivre la pente actuelle sans s’embarrasser des thèses soit fondatrices soit à la mode – ou alors, en s’en accommodant mollement, ‘bourgeoisement’. Du bon sens qui avait probablement besoin d’être imprimé à l’époque… Pour le style et la narration, le divertissement, les idées : je préfère de loin Gulliver. (5-)

Balzac – Adieu =+ (France 1830) : Trame excellente et descriptions immersives. Les trois temps ont une grande force émotionnelle, la séquence post-bataille se démarque par sa violence extrême (les deux autres me font penser à Wells). La rapidité de la phase Good bye Lenin risque de réveiller l’incrédulité du lecteur lors de la conclusion. (8+)

Voltaire – Zadig ou la destinée =- (France 1747) : Je me le suis infligé deux fois à une semaine d’intervalle. Voltaire est un mauvais conteur et un penseur soit dilettante soit court et calculateur (je crois à la deuxième option) : une collection d’aphorismes le mettra davantage en valeur que ses textes (je suis en train de terminer un cinquième, son Traité de la tolérance) – d’ici on pourra tirer des remarques sur la jalousie et le malheur (notamment du chapitre ‘Le pêcheur’). Ce Zadig est (outre un Sherlock) un prophète des cours royales ou institutions (prophète mondain devant quelques gloires et miracles aux femmes) doublé d’un ‘Candide‘ des Lumières – il convainc facilement, contre les traditions millénaires. Que les peuples se laissent influencer est une chose, qu’ils s’emballent comme un homme pour de nouvelles idées pour quelques démonstrations… une cour de happy few, peut-être, pourrait commettre ce genre d’égarement. Les passages sobrement larmoyants contre la ligue de méchants accablant les justes et notamment le prophète désintéressé sont la seule possible surprise de cet opus – l’éloge de la bonté et de la candeur dans le chapitre du Ministre ressemble à du Rousseau froid, emprunté. Après l’indigent combat, on se réveille face à l’ange… mais cette antithèse (ou Némésis étonnement ‘lisse’) disparaît avant une véritable confrontation ; donc Voltaire nous déroule sa philosophie, trouve un contradicteur sublime passant comme un météore, son Zadig enjambe cette contrariété et triomphe. Sans doute estime-t-il avoir comme d’habitude mis à nu l’absurdité des justifications religieuses [de la mise à l’épreuve de Job dans la Bible] et achevé le travail en montrant son Zadig indigné. Cette demi-mesure était probablement le maximum qu’il pouvait se permettre. (4+)

Arthur Conan Doyle – Une étude en rouge / Sherlock Holmes tome 1 + (UK 1887) : J’avais terminé sans passion Baskerville (tome 5), puis Le monde perdu m’avait rendu Doyle attractif. Cette Étude en rouge est à la hauteur du bien que j’en ai lu et entendu. L’enquête, la narration, les caractérisations sont efficaces ; les sentences de Sherlock distinguent définitivement le roman, qu’il s’agisse de sa méthode (propos sur l’approche analytique vs synthétique au chapitre 14) ou de la vie humaine (la politique en début chapitre 6, « Un sot trouve toujours un plus sot pour l’admirer »). (72)

Arthur Conan Doyle – Le signe des quatre / Sherlock Holmes tome 2 + (UK 1890) : Pas au niveau du premier roman, car Sherlock s’y épanche moins et la longue explication malgré son aspect ‘épique’ a une faible ampleur émotionnelle. Mais si on vient pour l’enquête, ce Signe des quatre devrait satisfaire. (58)

Molière – Amphitryon =- (France 1668) : Humour bas-de-gamme à quelques répliques près (comme celle sur la conception des enfants), mélo amoureux insignifiant, intrigue bizarrement plate, joutes lourdes. Pour éblouir comme pour faire rire la version de Giraudoux éclipse celle-ci – peut-être car dans tous les cas c’est avec légèreté, en restant limpide et sans que les trois quarts des répliques puissent être omises sans dommages. Amphitryon 38 doit poser quelques défis de mise en scène, Amphitryon de 1668 condamner à l’aventure. (52)

Voltaire – De l’horrible danger de la lecture – (France 1765) : Peinture au vitriol du fondamentalisme. Comme une blague de Laurent Ruquier : lourd avec un rythme foireux et aucun élément original ou spécialement analysé. (4-)

Arthur Conan Doyle – Un scandale en Bohême =+ (UK 1891) : Sherlock Holmes bousculé par un possible alter ego féminin. Après l’introduction de la cocaïne pour parer à l’ennui entre deux enquêtes, on trouve maintenant un Sherlock ouvertement roublard et enclin aux déguisements pour accélérer ses enquêtes. Première nouvelle du premier recueil, sorti après deux des quatre romans Sherlock Holmes (Étude en rouge puis Signe des quatre). (68)

Agatha Christie – Le miroir se brisa =- (UK 1962) : Je n’ai pas raffolé d’Hercule Poirot (Mort sur le Nil et Crime de l’orient-express), mais c’était prodigieux par rapport à Miss Marple… du moins pour ce premier contact et alors que j’ai aimé le film avec Hudson et Taylor. J’étais peut-être indulgent ; pour ce court roman foisonnant de futilités et de répétitions, pas moyen de l’être – quoique la dernière ligne droite limite la casse. (38)

Agatha Christie – Cinq petits cochons =- (UK 1942) : Nouvelle inférieure aux deux romans phares, mais tout de même au-dessus du Miroir se brisa (l’enchaînement de témoignages autour des mêmes faits est ennuyeux, mais c’est déjà plus de matière, avant même la conclusion). Le problème vient peut-être de Marple vs Poirot et 1962 vs 1942. Il vient probablement du manque de place accordée aux personnages, jamais passionnants. Ils ont perdu le soupçon d’épaisseur et de ‘surprises’ en réserve dans les romans. Ici, au mieux collent-ils avec leur archétype, sinon ils s’évaporent en-dessous. (44)

Sophocle – Antigone =+ (Grèce 441 av.JC) : Démocratie ‘populiste’ (le tyran parle pour le peuple) vs la morale des hommes et la volonté divine ; autrement dit, l’arbitraire du gestionnaire (ou de la tribu, ou de la cité) versus l’idéal (ou le religieux). Et un combat d’orgueilleux, l’une aveugle et ‘robespiérriste’, l’autre cynique masqué et surtout mondain avide, tempéré par la ‘raison d’état’ et le sens commun, par une morale conservatrice et terrestre. J’ai préféré cette version à celle d’Anouilh dont le défaitisme comme sagesse ne peux conduire qu’à rien (du tragique au-delà du tragique). (68)

Voltaire – Traité sur la tolérance – (France 1763) : voir la critique. (3+)

Georges Simenon – Maigret se défend =- (Belgique/France 1964) : Assez bien concernant les personnages et motivations. Un peu fragile concernant l’enquête et l’organisation du traquenard. (52)

Georges Simenon – La boule noire =+ (Belgique/France 1955) : Un (court) roman psychologique en-dehors de la série Maigret. Monologues intérieurs d’un type tenté de bazarder sa vie sociale car il touche un plafond de verre. La façon de présenter l’histoire de la mère est pour le moins ‘facile’. (6-)

Georges Simenon – La neige était sale =- (Belgique/USA 1948) : Roman moral. Personnage intéressant, développement décevant mais toujours cohérent. Fatigue de vivre précoce due aux conditions de vie ; à 20 ans celui qui ne ‘saurait’ devenir un homme baigne dans trop de facilités et de ‘corruption’, sans incitation suffisante, sans envie ni force vitale capables de l’arracher à son mépris généralisé. Plaira aux existentialistes et amateurs de Camus. (6-)

Marguerite Duras – La douleur – (France 1985) : Après avoir vu deux essais navrants au cinéma (India song et l’aberrant Mains négatives) je découvre Duras dans son foyer, en littérature… nous n’irons pas loin ensemble. Elle cherche une intensité maximale dans l’immanent dépouillé mais ça sent l’apoplexie engendrée par la biture. Sa posture de franchise ‘organique’ est contredite par une complaisance nébuleuse. Pourtant l’écriture s’anime ponctuellement en osant saisir des objets concrets – les passages politiques (où De Gaulle est chargé de façon convaincante a-priori) et surtout ceux où l’auteure exprime sa peur et son état de ‘morte vivante’ face à Rabier. Le chapitre consacré à ce dernier est de loin ce qui rend ce livre récupérable, avec celui concernant l’épreuve de la torture (les deux petits derniers sont des conneries). Toutefois, il y a des contradictions étonnantes dans ces témoignages romancés (comme le sort prévu par les résistants à Rabier). En reprenant ses textes de l’époque [fin de la seconde guerre mondiale] dans les années 1980, Duras n’évite pas un petit parfum de ‘révisionnisme’ et de prophétie d’arrière-garde (texte daté 28 avril). (4-)

{théâtre] Jean Anouilh – Antigone =+ (France 1942) : Désacralisation du théâtre antique et surtout hymne dépressif à l’égoïsme pragmatique et au fatalisme en politique ; je ne dis pas que c’est une fausse voie, mais je ne peux pas dire que c’en est une bonne. C’est profond et au mieux décliniste, au pire ‘capitulard’ par principe (avec une ambiguïté : la révolte futile doit-elle être esthétisée ou méprisée, tenue pour un débordement de jeunesse ?). Malgré la qualité du face-à-face Antigone/Créon, quelques drôleries (avec les gardes et le prologue), l’originalité du principe, je comprends mal pourquoi (ou par quoi – le matraquage scolaire aurait suffit ?) cette œuvre a atteint ce niveau d’estime et de notoriété. Ou bien c’est le signe d’une conviction consensuelle contre toute tentation idéologique ou utopiste – il reste alors le droit au bonheur (un bonheur lavé de tout soupçon d’absolu, d’épique, d’espoir), à la coopération tranquille et/ou à la déconstruction. (58)

{théâtre] Jean Anouilh – Le voyageur sans bagage =- (France 1937) : Concept attrayant. Beaucoup de trivialités. (5-)

 

 

Relus :

Je tiens à épuiser la petite liste de livres notés mais pas lus depuis trop longtemps. À l’ouverture du ‘Journal de lectures’ sur SC (1er octobre 2015) j’avais 14 de ces titres, composant ma « préhistoire de lecteur » (quatre ont été rapidement relus dans les semaines suivantes, puis un est venu s’ajouter ; à l’ouverture de 2024, reste donc dix titres). Un petit nombre de lectures non intégrées (Thérèse Raquin et La Nausée ; possiblement d’autres mais perdus dans les limbes, donc probablement insignifiants) devrait revenir au titre de « préhistoire de lecteur ».

Les relus sans cette mention ont été découvert en 2015 ou après, soit le moment où je me suis mis sérieusement à la lecture (en incluant davantage de romans et surtout en lisant de A à Z).

 

Nabe – L’enculé =+ (France 2011) : Dans la tête de DSK, en direct, au moment de la fameuse affaire du Sofitel. Cette tête est saturée de libido ; reste un peu de place pour la conscience sociale. Un des livres les plus drôles et probablement le plus gras que j’ai lu. Pour autant je n’irais pas chercher un autre livre de Nabe, car malheureusement dès qu’il sort de la comédie (ne serait-ce que pour la performance) il n’inspire que de pauvres et sombres sentiments. Son esprit pourri et méchant ne peut donner de merveilles que dans la farce – ou la haine théâtrale, peut-être. Le ‘people’ devient envahissant lors de la période Elkabbach (sur la fin). (68)

Écouté sur Dailymotion (6h15 en huit vidéos), pas fini à l’époque (probablement 2012, au maximum 2013). Faisait partie des 14 titres notés sur SC mais lus lors de ma « préhistoire de lecteur » soit avant l’ouverture du Journal de lectures (1er octobre 2015) ; il reste 10 de ces titres aujourd’hui (celui-ci inclus).

Frédéric Beigbeder – Nouvelles sous ecstasy =- (France 2000) : Spleen d’un membre de la team happy few. Fait sourire et s’oublie instantanément, à quelques surenchères près ; Beigbeder a de la lucidité sur sa condition mais un point de vue vide sur le reste. Il concocte des chutes souvent foireuses au lieu de simplement étoffer ses questions. Les trois dernières histoires sont misérables, sur quatorze (pour un recueil d’à peine 85 pages avec gros caractères) c’est embêtant – pour nous qui perdons l’envie et les moyens d’excuser cette déchéance. (42)

Pierre Choderlos de Laclos – Les liaisons dangereuses + (France 1781) : ‘Lu’ grâce à l’école (seule note dans ce cas et quasiment seul souvenir) ; mon vif intérêt pour l’univers ‘Liaisons dangereuses’ était essentiellement nourri par le film avec Close et Malkovich. Parmi les lectures très lointaines c’était l’une des plus enclines à être réévaluée de façon flatteuse ; finalement non.

Certaines polarités empêchent ce roman de devenir captivant ou globalement fascinant autrement que cérébralement. C’est une œuvre morale ‘aveugle’ sur la pourriture de l’esprit libertin (factuellement, des membres des classes dominantes environnés par trop de ‘civilisation’ et pas assez de danger, qui vont donc s’en créer) mais aussi sur les multiples égarements s’offrant aux femmes. J’ai moins savouré l’ironie que trouvé des sentiments glauques (mortifications de Tourvel incluses – mais c’est le personnage naturellement touchant et estimable, rationnel aussi dans la défense de ses réactions et sa recherche d’équilibre, avec pour seul vice de mettre en scène ses résolutions – or même ce vice vient avec de la vertu). Le style est étonnamment moderne et accessible. Laclos a su donner à chaque personnage son style avec une certaine élasticité (spécialement Cécile et Valmont). Le climax est terrible. (72)

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