Tag Archives: 2nde Guerre Mondiale

L’AIGLE S’EST ENVOLE **

20 Oct

Tiré d’un roman de Jack Higgins auquel il inflige de nombreuses coupes, L’Aigle s’est envolé est le dernier film tourné par John Sturges (Un homme est passé, Le dernier train de Gun Hill). Connu pour La Grande Évasion et Les Sept mercenaires, deux ‘blockbusters’ précoces des années 1960, Sturges est encore une fois à la tête d’un projet plein de ressources : casting de prestige (Michael Caine, Robert Duvall, Quayle), grosses artilleries (échos avec l’Histoire, débauche de mots, rebondissements ; de décors dans une moindre mesure), entertainment et esprit de sérieux sont au rendez-vous. Malheureusement ce film d’aventures est aussi foisonnant que négligé.

Les anglo-saxons s’y prêtent aux jeux des ennemis de la seconde guerre mondiale, en mélangeant les faits, les mythes et les fantasmes. Le film suit une opération commandée par Hitler (qui ne sera pas incarné) pour capturer Churchill (dont on verra la doublure pour le clap de fin). Donald Sutherland (qui rejouera l’espion au service des nazis dans L’arme à l’œil en 1981) interprète un membre de l’IRA en mission pour les allemands, dont les leaders et hauts fonctionnaires dissertent à plusieurs reprises. En plus de son postulat fantaisiste et bourrin, le film cherche à s’octroyer un petit cachet intellectuel, versant dans les grands mots ou les citations savantes (Jung et la synchronicité).

Cela donne un semblant d’uchronie se dérobant à toute profondeur pour préférer s’éparpiller allègrement, par paliers plutôt qu’en continu. Malgré des confrontations corsées, L’Aigle tient plutôt de la promenade au loufoque non digéré, baladant entre jardins, montagnes, moulins et variétés de QG d’autorités. Madame Grey a peut-être la « revanche » pour moteur et un gros traumatisme confié au détour d’une phrase, dans l’ensemble les motivations des personnages sont aussi confuses que les raisons politiques bâclées. De la mise en scène au scénario en passant par la définition de soi, L’Aigle souffre d’une direction évanescente (malgré une exécution efficiente). Tout le panache déployé tourne à vide, exulte lors de situations fortes ou insolites. Il manque un équilibre et du sens à ces outrances molles.

Note globale 48

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Suggestions… Les douze salopards + Les chaussons rouges + Les heures sombres + Croix de fer

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (3), Ambition (3), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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WEEK-END A ZUYDCOOTE =+

11 Juin

Les détracteurs du Dunkerque de Nolan ont trouvé dans ce film une vengeance. Basé sur le premier roman (homonyme) de Robert Merle, Week-end à Zuydcoote représente les allées-et-venus d’un groupe de soldats français et britanniques pendant la bataille de Dunkerque (juin 1940). Il déploie des moyens importants, visibles lors des scènes de bombardements. Belmondo (déjà dirigé par Verneuil deux ans avant pour Un singe en hiver), alors acteur très populaire en passe de devenir emblématique, joue un sergent-chef détaché au maximum dans pareilles conditions (il rate même des occasions de fournir ses cascades typiques).

C’est la principale référence du spectateur et une manière pour lui de traverser ces plages sans se laisser accabler. À Julien comme à nous d’apprécier l’abondance d’ironies tragiques offertes par les circonstances. Cette distance ne gâche ni l’intensité ni la pertinence du film ; l’interprétation de Belmondo porte ses limites. Ses laïus d’humanitaire gouailleur et de sceptique gentil ne poussent jamais bien loin. Même traitement pour ses accès héroïques, possiblement contradictoires. Il se met bientôt à éprouver Dieu de ses sarcasmes, toujours nonchalamment, en s’échauffant lentement face au curé engagé ; c’est comme s’il liquidait ses stocks. À force de survoler la situation (sans aller jusqu’à entrer dans le déni joyeux façon La vie est belle) son personnage manque de naturel et de consistance, reflète mal les émotions fortes, les drames ou les urgences.

Le réalisme du film est contrarié non par la légèreté, mais par des écarts symboliques ou démonstratifs. Le comique est omniprésent mais ne relève pas du troupier habituel – quand il se fait franc, il s’exprime par exemple au travers de Dhéry (Pierre Mondy), au fort instinct de conservation à la tournure grotesque (surtout en instants de paix), ou encore en rabaissant sèchement les anglais (avec leur thé, leur suffisance et leur rigidité). Le spectacle est fluide et un peu random, sans fil narratif interne ; les hommes et leurs décisions sont déterminés par le flot d’événement ; la menace constante est ce fil conducteur au-dessus de tous les autres, rationnel mais imprévisible.

Loin des élucubrations pacifistes ou des poses de désabusés, le film conforte l’idée qu’on ne fait pas la guerre sans se « salir les mains » et montre quelques exactions de l’équipe locale sur son propre terrain. La plupart sont mineures et même banales ; en relève, le cynisme face aux macchabées tout frais, qui est aussi une façon de relativiser l’horreur et d’ailleurs ne pousse pas à trahir l’effort d’encadrement civilisé (concrètement, les passages de camions pour débarrasser proprement le chantier). Enfin il peut être compliqué de démêler ce qui relève de l’éventuelle hystérie de Jeanne ou d’une mollesse de direction d’acteurs ou d’écriture. Les dernières scènes avec Catherine Spaak sont à la limite du théâtre ‘low-cost’ ; mais cette note improbable aussi a son charme, bien que contrairement aux autres dans le flou, celle-là semble purement et strictement opportuniste – comme une fantaisie réconfortante.

Note globale 62

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Suggestions… L’Homme de Rio + Les Égarés/Téchiné + Les Mariés de l’an II

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

Note arrondie de 61 à 62 suite à la mise à jour générale des notes.

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LACOMBE LUCIEN +

3 Juil

Les passionnés, les idéologues, même les ambitieux, sont un matériel potentiellement très rentable mais souvent dangereux. Ils peuvent être les meilleurs missionnaires mais sont trop turbulents pour être exploités puis jetés avec sérénité. Les ‘sans foi’ prêts à obéir à n’importe quelle loi contre un salaire sont des ouailles bien plus sûres. Les crétins sont les meilleurs outils, même lorsqu’ils sont égoïstes et imprévisibles, tant qu’ils ne cherchent que l’action et les gratifications immédiates. Conséquence logique : le monde est rempli de vigiles ; principalement de pauvres petits blaireaux, demi-masses humaine, plantées là comme des panneaux signalétiques, chargés de piailler, réprimer même les débuts d’ambiguïtés, tailler dans les ressources humaines.

L’homme de main hédoniste, le ‘petit chef’, le bourreau blasé, mais aussi le teigneux ou l’excité branchés sur une doctrine simplifiée sont les variantes principales du ‘vigile’ (énumérées par ordre de sophistication). L’intelligence ne leur est pas interdite, mais elle est au mieux prostituée et souvent rare. Tout ça se retrouve dans Lacombe Lucien, film nommé comme son protagoniste, brute récupérée par la branche française de la police allemande pendant la seconde guerre mondiale. Avec cet opus (co-écrit par Modiano) Louis Malle participait (en 1974) à annuler le mythe de la France unie dans la Résistance, pieux mensonge gaulliste. Lacombe ne témoigne pas des souffrances et des héroïsmes accompagnant la guerre et caractérisant la Résistance ; il pourrait être une œuvre [‘de’ ou] pour privilégiés, épargnés par les horreurs de la guerre ou la nécessité de l’engagement (en particulier comme en général).

Son ambition n’est pas de s’ajouter aux comptes-rendus ‘nécessaires’ ou aux hommages mérités et réconfortants, mais de montrer l’indifférence des forces anonymes participant à l’Histoire. Que d’irrationalité et de motivations hors-sujet derrière les collaborations de toutes sortes, malsaines ou finalement vertueuses comme ici : car à la fin du film Lacombe entre indirectement dans le camp des résistants, après avoir été le bras armé des oppresseurs. Pourtant l’individu, ses buts et ses besoins n’ont pas changé ; ses convictions demeurent inexistantes, des résidus propres au contexte tout au plus. Ce film ne nie pas l’existence du mal, mais plutôt l’adhésion ‘interne’ de ses ouailles ou pratiquants. Il montre également que la violence, la bestialité, la cruauté en toute légèreté ou encore la générosité ne sont pas des produits de telle ligne ou de telle circonstance, que celles-ci offrent plutôt des occasions ou des justifications. Lucien (Pierre Blaise) exerçait son sadisme envers les animaux (de la ferme ou de la Nature) quand il était un membre de la paysannerie. Sans haine, sans hargne.

Il entre dans la collaboration presque par accident et en toute ignorance, en poursuivant des satisfactions particulièrement mesquines, mais aussi en ayant une de ces faims que n’importe quel jeune désœuvré peut ressentir et étancher sans états d’âmes. Sa relation avec le tailleur juif contient l’essentiel de ses ambiguïtés, met à nu ses défenses pendant qu’il utilise son ascendant emprunté. Lucien fait jouer son statut, veut s’imposer, mais sans avoir la rage, la lucidité ou la science pour croître ou se protéger. Il essaie de dominer Albert Horn pour sympathiser ; son aisance l’attire, sa différence l’enchante, il a déjà dépassé sa suspicion naturelle. Le film est ponctué par les malaises nés de l’attitude de Lucien, or son immaturité est sa grande faute, pas son hostilité ni même sa lourdeur. La fausseté reste éclatante, l’arbitraire, les armes n’y changent rien : si par hasard il était officialisé, France et Lucien formeraient encore un couple dépareillé, aberrant. Ce film est rempli d’étrangers et de prisonniers. Lucien et le juif, si antagonistes, ont en commun d’être figés jusqu’à épuiser leurs rôle. Ils sont dans la maîtrise mais pas ou plus dans la possession de soi, de sa vie ; portés par le courant, ils s’inscrivent ‘dedans’ avec toute la mollesse et l’aplomb de surface qu’autorisent un détachement subi et digéré.

Note globale 82

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CORRESPONDANT 17 **

11 Déc

correspondant 17

3sur5 Après Rebecca, son premier film américain, Hitchcock enchaîne la même année avec Correspondant 17. Tout en conservant sa légèreté, Correspondant 17 est un film entièrement politisé, les pérégrinations de ses personnages étant tributaires de l’Histoire en action. Nous sommes en 1940 et au moment où le cinéaste britannique présente Correspondant 17, Londres est la proie d’agressions nazies. Hitchcock verse dans la propagande ouverte.

Le film se referme de façon abrupte et c’est à la nation américaine de décréter les conditions de la suite de l’intrigue. Les pacifistes et isolationnistes sont de fait des lâches ou des cyniques délaissant une Europe en désarroi alors que la menace est mondiale. C’est l’un des films au ton le plus sérieux du cinéaste, où l’humour sonne faux, tendant plutôt à nourrir la paranoia ou jouer sur la fourberie des personnages.

Le début se montre plutôt frivole, relevant même de la comédie de mœurs, mais ce déguisement se délite très vite. Hitchcock sort le grand jeu, avec une cascade de rebondissements et de faux-semblants, des personnages systématiquement loin de ce qu’ils semblent ou prétendent être, ou se trouvant au cœur de contrastes ironiques. Correspondant 17 s’apparente à une logorrhée ininterrompue au cours de laquelle Hitchcock remue les lignes pour exprimer une prose manichéenne et chargée de symboles.

Hitchcock ne prend pas position concernant ses personnages, mais il n’est pas assez subtil pour dépasser le stade des ambiguité enfantines concernant ses pantins. Le magnétisme du film tient plus à son intensité et à ses retournements incessants qu’à un suspens profond. Certaines séquences sont très connues (le moulin) et le film est techniquement d’un haut niveau, annonçant les excentricités de Cinquième colonne (1942).

Note globale 56

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UNE VIE POUR UNE VIE : MAXIMILIAN KOLBE ***

20 Oct

3sur5  Christopher Waltz a probablement été choisi pour Inglourious Basterds grâce à cette expérience de ses débuts. Zanussi y aborde concrètement, mais de façon elliptique, le cas de Kolbe (un héros inspiré par sa foi et tenu avec son consentement par son engagement moral total) en tant que personne et celui de l’Église par rapport au nazisme et ses camps de concentration. Il laisse plusieurs voix s’exprimer et rend les individus meilleurs que les institutions, les porte-parole et leur morale incarnée meilleurs que leur ‘officiels’ – plus purs en tant qu’Hommes (de foi).

La congrégation religieuse et la hiérarchie du Parti sont unies dans leur éloignement des souffrances, de la réalité. Toutes deux filtrent : elles refusent la sanctification (logique même si pas pragmatique de la part des religieux, refus de la vérité de la part des communistes) pour des motifs ‘supérieurs’ (pour garantir la cohérence de leurs idéaux ‘compresseurs’). Les ouvriers de Dieu, du message du Christ, de la sainteté au sens large comme étroit, accomplissent le travail délaissé par leur supérieur, lavent la maison par leurs actions et leur dévotion. L’Église n’a pas condamné officiellement cette oppression, mais les prêtres morts par milliers parlent pour elle, répond un frère franciscain à un survivant (lors d’une visite pour retrouver le remplaçant de Kolbe).

Lui et le personnage de Waltz sont plutôt cyniques envers la religion et voient notamment un ordre (pour Jan/Waltz qui y a été) et une Église (pour Olszanski/Zaleski qui est passé ensuite à Auschwitz) se cherchant un saint. Ils sauront apprécier le geste de Maximilian Kolbe en dépit de leurs convictions ou impressions – par acceptation de la vérité pour l’un, d’un sens de l’intégrité universel pour l’autre. La réaction du probable sauvé (et responsable assuré) lors de la béatification en atteste. La faiblesse technique est alors à son paroxysme, car le vieillissement du type ne tient que sur le maquillage, paraît très amateur et dès qu’il est filmé en plan italien ou autrement qu’en gros plan, l’apparence est accablante.

La vue des kapo (avec leurs pantalons rayés et leurs vestes de civils) est probablement la chose la plus écœurante et tangible dans le film (les grandes décisions et les sommités funestes ne sont pas à l’écran), en-dehors des exécutions et entassements. Le discours du film atteint des limites lorsqu’il vire à l’hagiographie par la parole d’un des proches de Maximilian ; cette hagiographie est mieux nourrie par les aperçus concrets ou les simples faits. Les démonstrations plates mais idéalistes, parfois théâtrales, ne sont pas le problème, elles sont même formulées avec intelligence et efficacité ; mais le film reste à la surface, piégé entre finesse et superficialité ; encore un victime de sa pudeur !

Note globale 68

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Scénario/Écriture (6), Casting/Personnages (7), Dialogues (7), Son/Musique-BO (7), Esthétique/Mise en scène (7), Visuel/Photo-technique (5), Originalité (5), Ambition (6), Audace (6), Discours/Morale (8), Intensité/Implication (7), Pertinence/Cohérence (7)

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