UN HOMME EST PASSÉ =-

6 Nov

Produit typique de l’ère « moderne » du western, Un homme est passé fait écho au climat social et politique de son temps. Il est tourné au moment où le maccarthysme (1950-54) prend fin et fait référence explicitement aux méfaits des USA envers le Japon. L’action se déroule deux mois après la fin du conflit mondial de 1939-45. Un homme interprété par Stanley Tracy vient dans la bourgade de Black Rock pour retrouver son ami Komoko à la rivière Morte. Le train s’était arrêté ici pour la dernière fois il y a quatre ans, aussi la population de ce coin perdu de l’Arizona est suspicieuse envers l’étranger.

L’indétermination semble l’emporter pendant l’essentiel de ce métrage (assez court, 81 minutes). Macreedy le manchot résiste anormalement à la pression. Il reste flegmatique malgré les provocations et l’agitation des gens du village (on ne voit que des hommes – sauf Liz, d’abord en tant que sœur d’un autre). Au lieu de laisser le spectateur simplement spéculer sur les raisons de cette culpabilité, Un homme est passé montre les effets de cette dernière, dont le principal est la surenchère dans une hostilité irrationnelle. De là Un homme est passé pourrait être une œuvre remarquable sur la mentalité d’assiégé, toutefois c’est un film procès et non une étude.

Cette dimension est donc ramenée à son expression la plus grossière, avec beaucoup de tiédeur mais aussi de pudeur. Trop corseté et orienté, le regard s’appauvrit, les litanies parfois très fines participent d’un mouvement flirtant avec le grotesque. Malgré sa courte durée et ses ambitions lourdes, Un homme est passé est un pensum laborieux avant tout autre chose : avant film coup-de-poing ou western classique, par exemple. Le prophète manchot met KO tout un groupe, les redites sont légion afin que le dernier des crétins comprenne bien les nuances au programme : c’est la bonne leçon de l’Hollywood bien-pensant, repenti en chef et inquisiteur pour se blanchir. Film sur l’Amérique et ses démons ? Film où l’Amérique post-moderne projette sur des ploucs insignifiants le vilain système, la responsabilité de tous les maux de son Histoire.

Un homme est passé est le bras droit du liberal US vaniteux, tellement crispé sur sa tâche qu’il bafoue ses propres ressources. Ces ploucs ne sont pas convaincants, d’abord parce que le film se veut policé et reste donc bien propret en toutes circonstances ; ensuite parce que le jeu n’est jamais crédible. On sent trop ‘les acteurs’ : pas de souffle, de naturel, mais des figurants jouant les remontés, sans avoir trop le droit de l’afficher, sinon par le biais de leurs bavardages. La thèse est déjà bien partiale mais de cette manière elle s’affaiblit encore, quoique les intentions restent bien récompensées et le lavage de conscience fourni sans avoir à s’impliquer (les ignares modernes de l’arrière-pays vont perdre de leur vanité à la place des moralistes a-posteriori). Se planquer et accuser un autre (réduit à l’état d’homme de paille) pour dénoncer la lâcheté est sacrément ironique.

La mise en scène vaut mieux que le discours, reflétant l’isolement et la décadence avec tact, en gardant une distance de sécurité. Le film recèle quelques plans magnifiques, proches de Kazan (A l’est d’Eden, La fièvre dans le sang) et avec parfois un côté Blue Velvet (1986) terre-à-terre. John Sturges (spécialisé dans les westerns et films d’action) en est alors à son second grand succès (après Fort Bravo en 1953) et son meilleur atout est déjà dans la mobilisation de qualités techniques remarquables : à défaut de partir à la conquête du désert il sait l’encadrer avec génie. Le discours lui-même a quelques splendeurs dans la forme, grâce à des saillies lyriques. Ailleurs la sophistication échoue, c’est d’ailleurs la même chose pour les deux plus gros succès du réalisateur : La Grande Evasion et Les sept mercenaires, monstres d’entertainment faussement aventureux (à tous degrés) et verbeux pour pas grand chose. Le dernier train de Gun Hill évitera ces écueils.

Note globale 47

Page IMDB  + Zogarok sur SC

Suggestions… L’ultime souper + Larry Flint + Le Juge et l’assassin

Scénario & Ecriture (2), Casting/Personnages (1), Dialogues (3), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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