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LA RIVIÈRE ROUGE =+

26 Avr

la rivière rouge

Le western est devenu un genre noble dans les années 1940 et son meilleur fournisseur et emblème était alors le tandem John Ford/John Wayne. Les réalisateurs importants se mettent au genre et Hawks arrive ainsi au western. En 1948 c’est à son tour de faire jouer Wayne, pour lui offrir, avec Ethan Edwards de La prisonnière du désert, son rôle le plus recherché et nuancé. Il le retrouvera onze plus tard pour Rio Bravo, un des westerns les plus appréciés bien qu’il soit d’un manque de vitalité consternant.

Dans le domaine du western classique, La rivière rouge rejoint les bons voir les meilleurs titres. Contrastant avec le Ford de l’époque, Hawks se distingue par une plus grande subtilité sur la forme. Les films d’Howard Hawks sont d’une grande beauté visuelle et le cinéate fait une nouvelle fois la démonstration de son réalisme sophistiqué, huit ans après le très beau Port de l’angoisse et juste après son Grand sommeil. Cela tranche avec les travaux de John Ford où le poids des studios se fait violemment sentir dans les décors, avec peu de plans larges.

La rivière rouge se distingue par son abondance de dialogues et des personnages très fouillés, mais cette vertu n’est pas sans vices typiques en retour. Il est aussi un spectacle au développement très laborieux et où l’intrigue frise avec l’évanouissement : le but donné aux personnages n’est pas de traverser le désert pour remettre un nouveau-né à des tuteurs (Le fils du désert), d’affronter des Indiens ou des bandits, mais d’acheminer les bêtes d’un ranch vers une gare du Kansas.

Le manque d’action est cependant compensé par une tension intimiste et par les confrontations des personnages. La rivière rouge se suit donc avec plaisir, toujours un plaisir modeste mais sincère, sans entraves. Il substitue tellement les aléas relationnels et existentiels aux gentilles rodomontades de ses concurrents qu’il en arrive à la lisière de la méditation. Le western façon Hawks n’est pas sans niaiserie lui non plus et Rio Bravo sera d’ailleurs une quintessence dans le registre, mais il n’y a pas la même ivresse mielleuse ici que dans la trilogie de la cavalerie ou même La chevauchée fantastique.

Hawks parle le langage des émotions mais toujours avec finesse et distance. Il ne cherche pas à nourrir un mythe positif et ne s’investit dans ses personnages pour leur faire porter de quelconques messages compassés. Il présente un univers masculin quasi exclusif en donnant au mieux dans les clichés de la réalité et non ceux du cinéma, optimiste ou pas. Il réalise au passage l’un des seuls western avec de vrais cow-boy, c’est-à-dire des gardiens et convoyeurs de troupeaux de bétail et non des solitaires badass ou paternalistes.

Il raconte enfin une construction familiale chancelante, entre un vieux patriarche et le jeune orphelin qu’il a adopté. Repoussé par Tom Dunson (Wayne) et prévenu des menaces pesant lui, Matthew (Montgomery Clift) n’arrive pas à se résigner. Il est pourtant poussé à la rébellion par les camarades du convoi, ne supportant plus la tyrannie de Dunson. Les scénaristes Chase et Schnee, suivant la trame d’un roman, développent cette rupture des valeurs, ces loyautés ambivalentes, ces admirations contrariées et cette haine à sens unique. La réussite aurait cependant été plus anodine sans l’excellence des acteurs présents – hormis le plus grand, Wayne, en petite forme.

Note globale 66

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LES RAISINS DE LA COLÈRE +

22 Déc

raisins colère

Sauf pour le final, Les Raisins de la colère est l’adaptation fidèle du livre éponyme de John Steinbeck, sorti un an avant et vainqueur du Pulitzer. The Grape of Wraths suit la famille Joad dans son exode vers la Californie et se réfère aux crises des années 1930 suivant la Grande Dépression. Il montre les conditions sociales et matérielles dans lesquels ces gens humbles sont plongés. Souffrant des effets de la sécheresse et de la crise économique, ces agriculteurs se retrouvent proie des promoteurs immobiliers et sont jetés hors de chez eux.

Leur situation est partagée : les Joad connaissent les déchirements propres aux déracinés et déclassés. En même temps ils partent avec l’espoir de trouver une nouvelle place au monde et peut-être même un avenir meilleur. John Ford s’est engagé un an plus tôt dans le western avec La charge fantastique et va devenir le maître du western classique, livrant des produits souvent mielleux : Les raisins de la colère entre en totale dissonance et est bien plus profond, montrant l’ampleur de son talent et de sa sensibilité. John Ford est effectivement plus intéressant lorsqu’il réussit à alléger le poids des studios sur ses épaules, mais il n’en demeure pas moins l’otage et le serviteur, même pour son Liberty Valance, avant-dernier western plus complexe et réglant son compte à l’Ouest mythique.

Les raisins de la colère apparaît donc comme son film le plus engagé, voir subversif compte tenu de son populisme. Non seulement il désigne les opportunistes utilisant la crise, mais en plus il accuse la loi d’être à leur service. Il va même jusqu’à montrer les agitations organisées pour flouer les populations et les engager dans des petits énervements stériles dissipant leurs légitimes colères. La crise exacerbe la laideur des hommes et l’ouvrier venant détruire la maison des Joad pour le prochain propriétaire n’est qu’un exécutant cynique. Les différentes puissances, publiques et privées, abusent ouvertement de la crédulité ou du désarroi des gens. Le point de vue critique n’est pas seulement économique ou social, il est aussi moral et sociétal.

Le film évoque l’éclatement de la famille avec alarmisme et est relayé par Jane Darwell, matriarche lucide. L’attachement à son lieu d’origine est valorisé et combiné à l’humanisme de Ford, dont les films jouent sur une fibre tribale mais pacifiste. Dans sa carrière, ses expressions ethnocentriques sont des maladresses (La charge héroïque) et sont corrigées (Les Cheyennes) : il s’agit du cas des Indiens d’Amérique, sur lesquels Ford porte un regard plein de bienveillance et de paternalisme, même s’il reste réducteur ou aussi pertinent qu’un Sartre ouvriériste. De plus, un homme est envisagé comme « un petit morceau de la grande âme commune » et ce genre de propos est en décalage total avec l’idéal du self-made-man et une société fondée sur des principes individualistes.

Une profonde confiance anime également le récit, cette même confiance permettant de tempérer la pauvreté objective et les inquiétudes raisonnables face à l’évolution de la société ; ainsi les Joad trouveront sur le chemin une bonne âme, un bon patron, installé lui-même, relié à une terre et franc. Il y a une volonté de ne pas s’abandonner au pessimisme ni d’entrer dans un conflit musclé, en travaillant de façon ferme et paisible à l’harmonie. La hiérarchie sociale en elle-même n’est pas remise en question, mais le fantasme d’une absence d’intermédiaire entre le directeur et les dirigés, entre le sage et la masse, donne du sens à cet ordre spontané, issu de la tradition et assurant à chacun chaleur, sécurité et maturité.

Ce conservatisme social et profondément humaniste est une expression remarquable de l’héritage catholique, confession à laquelle Ford souscrit. Il en donne une vision authentique, puisant dans son imaginaire et l’actualisant, à contre-courant de l’image prédatrice ou répressive souvent donnée de cette religion. Si la candeur propre à cet idéal demeure présente elle aussi, le film la dépasse par sa lucidité absolue et l’intelligence de son écriture. La tolérance et la foi dans la rédemption sont au cœur du film et le héros est un ex-pénitencier, sorti grâce à une remise de peine. En dépit de cette situation et des frayeurs des commères à son passage, c’est un homme bon et éveillé. Cette idée que les circonstances peuvent pousser un homme à de mauvais comportements sans écorcher pour autant son âme est également au cœur du Fils du désert avec John Wayne.

Note globale 83

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LE TRÉSOR DE LA SIERRA MADRE =-

15 Déc

sierra madre

Western et film d’aventures, ou film d’aventures mordant sur le western, Le trésor de la Sierra Madre est gentiment divertissant au départ. Or c’est un fillm de John Huston et la lourdeur de son style assomme très vite, noyant tout intérêt potentiel. Les protagonistes du roman d’un des écrivains les plus mystérieux du XXe siècle (B.Traven) deviennent des idiots sur grand écran. Les acteurs ont l’air d’ivrognes prenant un temps pour se concentrer et faire illusion comme s’ils étaient des formes humaines sérieuses alors qu’ils sont des loques en représentation. À une seconde près on les verrait retourner comater ou prendre une nouvelle murge.

En faute, cet espèce de premier degré d’emprunt à l’artificialité outrée laissant une sensation d’absence, tout en manifestant discrètement une volonté d’imposer une vision de l’Homme, totalement branque et évanescente au point qu’Huston profère au mieux des banalités de mémères sordides sans le faire exprès. Spielberg est souvent critiqué par les cinéphiles élitistes : on peut tout aussi bien critiquer Hawks (Rio Bravo, Le grand sommeil) ou Huston pour des raisons similaires. Il est possible de se divertir en se laissant absorber par l’intrigue ou cultiver une quelconque sympathie pour les personnages : mais Le trésor de la Sierra Madre ne présente guère de qualités proprement cinématographiques.

Tout ça pourrait aussi bien se dérouler au théâtre ou être raconté par un narrateur, car le gain à l’écran est faible. D’habitude, Huston est un excellent faiseur d’images – elles sont fortes dans Le faucon maltais, épiques dans L’homme qui voulut être roi. Ici, elles sont sans relief et peu importe que ce film soit l’un des premiers produits américains tournés quasi-essentiellement à l’étranger (Mexique). Les défenseurs de ce film ne peuvent tirer que ce carton rouge : Entertainment ! Huston en a le sens, il ménage les aventures pittoresques, les petits rebondissements, les musiques d’ambiance sans beauté ni originalité se fondant bien dans la petite balade.

L’attachement au Trésor est compréhensible, c’est un bon produit pour divertir en masse et il a même ses moments tire-larmes bourrins. Toutefois il est dix fois plus bête que les westerns les plus délibérément niaiseux de John Ford. Il n’est bon qu’à se relaxer : si on y arrive et si c’est ce qu’on attend du cinéma, de la culture, ou de la vie en général, il faut voir ce Trésor de la Sierra Madre ! Son exigence de lenteur mentale n’heurtera pas dans ces conditions. Ce film est d’un manque d’intériorité et de ‘tripes’ déconcertant.

Il fait abondamment penser à trois autres : Les raisins de la colère, La rivière rouge, Le salaire de la peur. Ce n’est pas délibéré d’autant que le deuxième sort plus tard dans l’année et le troisième cinq ans après : en tout cas il est minuscule face à eux. Au départ le film aligne de modestes réflexions, prête une philosophie à ses personnages, recèle une perspective sociale en germes. Tout ça s’évanouit, hormis l’espèce de tentative morale ridicule concernant les trois prospecteurs : voilà trois collaborateurs tout en contraste, chacun avec son idée de ce qu’est l’aventure et le succès.

Leur inanité est à niveau pour asséner le moralisme primaire et benêt sur la cupidité des hommes : le gain (ici l’or) vient à bout de l’intégrité des gens les plus honnêtes et même des amitiés les plus profondes. Dans des proportions pudiques à l’écran, certes. Voilà un discours puissant et une véritable conviction traversant comme une lame de fond le cinéma de John Huston, car elle sera au cœur de L’homme qui voulut être roi. Celui-là sera plus pertinent et réfléchi dans ses expressions – c’est juste un film dégueulasse.

Note globale 36

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L’ANGE IVRE +

30 Août

L‘Ange Ivre ramène aux débuts de Kurosawa, avant les opus identifiés par tous les cinéphiles et systématiquement catalogués ‘chefs-d’œuvre’ (RashomonLes Sept Samouraïs). Il s’en rapproche toutefois, puisque c’est son premier film ‘typique’, où démarre la collaboration avec Toshiro Mifune. De plus, cet opus apporte à Kurosawa son premier grand succès critique sur le territoire national, deux ans avant les louanges à l’international, à partir de Rashomon en 1950. Il suit la tentative d’un médecin alcoolique de sauver un jeune gangster atteint de tuberculose.

C’est le huitième opus signé Kurosawa et le premier où il se sent libre ; pas parce qu’il parviendrait à amadouer la censure (il doit toujours composer – le scénario subit des correctifs), mais plutôt car celle imposée sous l’occupation américaine (1945-1952) ne l’entrave pas. Elle vise à l’établissement d’un modèle démocratique, à la diffusion de valeurs libérales et réprime le militarisme (autrement dit, du ‘nation building’) ; presque du sur-mesure pour Kurosawa, pacifiste par conviction lui, souvent progressiste dans ses partis-pris. Et parfaitement humaniste, jusqu’au tournant (dont les germes sont déjà dans sa relecture de Gorki, Donzoko) de Yojimbo/Sanjuro où il donnera un nouvel élan au film de sabre.

Avant que ce projet ne se transforme en sa première œuvre « personnelle », Kurosawa voulait sonder l’âme des yakuzas, les mafieux japonais. Cet aspect joue finalement au second plan et son intérêt est symbolique. La décennie suivante (années 1960) allait connaître le triomphe des yakuza eiga, centrés sur la vie courante et les relations entre les membres de ces clans ; L’Ange Ivre fait peut-être partie des ancêtres du phénomène, mais est plus proche du ‘film noir’ (courant contemporain, très anglo-saxon) à la japonaise. Le jeune voyou interprété par Mifune est l’allégorie d’un Japon sans repères au sortir de la guerre. Il est absorbé par ses vieux démons, pourtant obsolètes et parfois rachitiques : en effet ses employeurs gardent la main grâce à la misère et à la confusion d’après-guerre, mais leur ascendant semble celui d’astres morts, sauf conversion incertaine (elle aura lieu, décevant les espoirs formulés dans ce film).

Mais si cette supériorité ‘morale’ voire ‘existentielle’ n’est plus valable pour les deux personnages principaux (le docteur la combat, le patient la délaisse), elle reste vivace chez de nombreux sujets, comme l’assistante du docteur (toujours prête au fond à se jeter dans la gueule du loup – c’est-à-dire à se vautrer devant son ancien bourreau et amant). De plus cette tombée en désuétude des superstitions et de la féodalité n’est pas tant gage de libération dans des circonstances frôlant la désolation ; les lumières occidentales, les divertissements et les promesses de vie facile agissent comme des consolations ou de doux leurres. Matsunaga/Mifune est justement l’otage consentant de ce nouveau modèle envoûtant mais peu charitable ; dans son cas c’est plutôt une façon d’embellir son entreprise d’auto-destruction (il patine lors des scènes de danse, jusqu’à s’effondrer – après avoir fait illusion sur la piste, dans le passé hors-champ).

Le cancer du poumon et la proximité avec la mafia sont corrélés : le mode de vie et les fréquentations de Matsunaga/Mifune reflètent ces déchirements nationaux ; Sanada/Shimura en est le phare, usé mais tenace. Plus prosaïquement, Yoidore tenshi est aussi une représentation pertinente de l’alcoolisme et des compulsions morbides en général, présentes chez les deux principaux protagonistes. Il montre, via Matsunaga, la compétition entre la volonté de refaire surface et les pulsions auto-destructrices, les sursauts patauds et les lamentations blasés ; ironiquement, Sanada doit sa résistance à tout ce qui fait son aigreur. Il a ignoré les appels du vide, persiste, mais n’a pas une vie plus gratifiante ; la frustration fermente, les mauvais comportements des autres et de sa propre impuissance (comme réformateur et comme professionnel – carrière ‘médiocre’ à ses yeux) alimentent son dégoût.

Cette rage même moisie le maintient pourtant en vie et lui donne du courage face à ses agresseurs et aux menaces de la vie ; et il faut bien de la colère ou du déni (ou obstination malgré la médiocrité de l’état des lieux – ce qui revient en même) pour un courage authentique (même si son imitation, d’essence mentale, peut sembler plus méritoire). Sanada, obscur notable alcoolique, est le plus proche de l’héroïsme : loyal envers l’alcoolique, progressiste (partisan de l’égalité hommes/femmes), idéaliste en dépit de ces heures sombres et doué de paternalisme malgré tout (qu’il exerce notamment en protégeant son assistante). Matsunaga le patient infect est plutôt l’équivalent d’un ‘bad boy’. Son issue rappelle celle de Tony dans Scarface (1932, signé Hawks) : la scène de confrontation armée, à la fin, renvoie au meilleur des films de gangsters américains des années 1930.

Sur un plan plus ‘people’, on notera la correspondance entre la vie de Mifune et celle de son personnage. Acteur novice, il était encore un paumé intégral, isolé dans le Tokyo d’après-guerre, lorsqu’il passa son premier casting en 1946, sur un malentendu. Avant L’ange ivre, il n’était encore apparu que dans La montagne d’argent (1947, de Taniguichi) ; il jouera dans 16 films à venir de Kurosawa, toujours dans le rôle principal et devient rapidement l’acteur japonais le plus connu. Son charisme en fait d’ailleurs le pilier inattendu de L’ange ivre, fonction initialement dévolue à Takashi Shimura qui interprète le docteur. Son jeu plus intérieur a pu le faire sous-estimer ; il compte pourtant parmi les acteurs les plus prolifiques du cinéma japonais. Fidèle de Kurosawa, il a participé à son premier film (La légende du grand judo) et l’accompagne jusqu’en 1965 (avec des retrouvailles juste avant sa mort via Kagemusha en 1980 – l’opus produit par George Lucas, redevable envers Kurosawa pour son influence, notamment via La forteresse cachée). Shimura aura le rôle principal dans Vivre (où il joue un fonctionnaire accablé par sa vie absurde et son entourage ingrat), un des rares films d’avant Barberousse où Mifune n’est pas à cette place.

Note globale 79

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LE TROISIÈME HOMME =+

1 Déc

le troisième homme 1

Au sortir de la seconde guerre mondiale, Vienne est divisée en quatre zones sous la tutelle des vainqueurs, le centre est international. Les gens, même les plus nantis, vivent de petits trafics. Dans ce contexte arrive l’écrivain américain Holly Martin (Joseph Cotten) et apprend la mort de son ami d’enfance Harry Lime (Orson Welles). Il rencontre de nombreuses figures locales en essayant de s’expliquer cette disparition, dont la dernière principale amante de Harry, Anna (Alida Valli). Elle non plus n’est pas encore certaine que Harry soit toujours vivant ; il est en fait en train de mener ses affaires dans le marché occulte de la pénicilline.

Le Troisième Homme est un des films noirs les plus renommés et il vaut bien Le Faucon Maltais. Le film surprendra et frustrera ceux qui s’attendent surtout à un thriller, ou s’intéressent surtout à son versant policier. C’est plutôt une comédie morale grinçante, où à travers le dilemme concernant Harry Lime se pose l’enjeu suivant : faut-il choisir la fourberie envers l’Humanité ou celle envers les amitiés profondes qu’on a nouées ? Le Troisième Homme est une fable désenchantée sur le règne du moindre mal, où le rouleau-compresseur du pragmatisme est la seule voie vers le progrès, la seule à apporter des gains rapides et peut-être la seule à booster la société.

C’est en tout cas la conviction de Harry Lime : la présence d’Orson Welles est courte, mais son apparition est un moment fameux où il irradie de cynisme, sans aigreur ni méchanceté, véritablement rayonnant et optimiste. La Vienne en ruines est un théâtre parfait pour ces optimistes opérationnels. Il n’y a guère de violence ou de mystères conventionnels dans Le Troisième homme, tout juste une grande scène de poursuite avant l’épilogue ; ce qui est impitoyablement sombre et étouffant, c’est la philosophie étalée, l’absence d’alternative dans un monde où il n’y a tout au plus que le droit et l’argent comme phares dans la jungle.

Les gens de Third Man vivent dans un couloir où les repères sont flous et la vertu obsolète, en tout cas dans la pratique et pour le moment. Et si jamais le Mal venait à gagner, il faudrait bien s’y adapter plutôt que regretter un paradis perdu ou une utopie égarée. Palme d’Or cannoise de 1949, entre deux années de suspension du festival, n°1 du top100 British Film Institute, Le Troisième Homme a fait de Carol Reed un cinéaste de l’importance de David Lean à l’époque. Il s’agissait alors de sa nouvelle collaboration avec Graham Greene, après une première adaptation un an plus tôt, The Fallen Idol. Il laisse à la postérité sa musique à la cithare par Anton Karas, ainsi que le dialogue avec Orson Welles, l’un des plus connus par les cinéphiles classicistes.

Note globale 69

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