Le réactionnaire n’est pas un simple pessimiste, ni un esprit condescendant à l’égard de naïfs présumés, ou un personnage cynique devant le déroulé constant des choses. Il est probablement tout cela mais ce n’est pas systématique et la vulgarisation des notions crée une confusion avec d’autres formes, d’autres attitudes. Il faut aller au sens des mots : et la définition veut qu’un réactionnaire soit le promoteur du passé. Le réactionnaire invoque les vertus d’un temps écoulé, éventuellement en l’idéalisant (quelquefois même en fabriquant des motivations entre les lignes de l’Histoire). Il y a trois postulats : dans le premier, l’époque regrettée porte les solutions aux maux d’aujourd’hui et dans ce cas, nous avons eu tort de nous écarter de ses schémas. Dans une version plus romantique et radicalisée, ce temps révolu est légitime, car il était au plus près de la réalité, d’un ordre naturel ; éventuellement, il rangeait les hommes à leur place. Enfin, la réaction peut être motivée par le refus de la réalité actuelle ou de basculements en cours, sans pour autant qu’un projet pour l’avenir n’intervienne, soit par amertume ou scepticisme, soit par indifférence.
Cette forme réactionnaire-là est plus pragmatique, orientée vers le confort ; l’enjeu n’est pas de maîtriser, mais de soumettre la société à une logique sécurisante et fermée, où une zone de jouissance est maintenue, quand bien même elle induit des souffrances ou une hypocrisie trop flagrante. Ainsi est celui qui se précipite dans les habits de l’artiste maudit ; ou encore le représentant politique issu des classes populaires, parlant en leur nom et les dénigrant de façon complice. Tous s’enferment dans un ghetto psychique leur permettant de cyniquement jouer un rôle social cadenassé, parfois dévalorisant, mais duquel ils tirent une satisfaction personnelle suffisante ; quitte à enfermer, dans leur caricature, ceux qui les rejoignent par l’attribut sociologique, culturel ou idéologique dont ils se réclament.
La garde hideuse d’un christianisme vociférant
Tout le monde connaît le borborygme boutiniste des « amis homosexuels ». Christine Boutin a raison ; elle et ses amis ne sont pas homophobes. Une part est simplement obtus ; il faut se rappeler aussi du magnifique « J’ai une grande capacité de pardon » lâché à l’intention, non pas des criminels ou des délinquants sexuels, mais des gays que Boutin connaîtrait si bien. Il ne s’agit dès lors plus d’affirmer un certain héritage, revendiquer des valeurs, ou même opposer à la ferveur aveugle d’un mouvement progressiste, le principe de précaution et de mise en doute ; non, il s’agit bien d’affirmer un principe théologique dans la démocratie. En confondant la loi et son esprit, le doigt de Dieu et la lune, etc.
Boutin et son PCD (Parti Chrétien-démocrate) sont intrinsèquement conservateurs ; mais son leader est une notable, une notable d’action éventuellement. Il faut comprendre que ce ne sont pas des idées ou une vision qui la pousse, ni même (et c’est plus préjudiciable) des croyances ou convictions réelles. Ainsi Boutin n’a que des combats négatifs – et peut remercier ces pédés, dont elle accueille des exemplaires pour « les vacances », de lui avoir permis de sortir du bois.
Alors que les chrétiens-démocrates classiques, qui ont dominé le centre et la droite modérée pendant l’après-guerre (le parti d’Angela Merkel, le CDU, reste ancré dans cette mouvance) étaient pragmatiques et traditionalistes, mais aussi proches des »conservateurs compatissants » ; Boutin elle, rejette des valeurs plutôt qu’elle n’en défend. Cette attitude participe d’ailleurs à la déliquescence du christianisme en tant qu’agent social ; indirectement, Christine Boutin amène un dernier petit fagot et exclue la représentation religieuse et sa parole du sérieux politique.
Le confort de l’esclave
Ce qui frappe chez certains anti-Mariage pour tous de la droite littéraire façon Zemmour, ou des activistes apolitiques comme Frigide Barjot, c’est à quel point leur vision du gay est réactionnaire : elle en revanche ne contient plus un soupçon d’homophobie (ou si peu), mais exalte la grandeur d’un folklore et préfère l’homosexuel soit en »zaza » soit en »privé », soit en artiste torturé. Ils promeuvent un gay demeurant »différent », à la marge de la société où il est très bien loti, pour le bien de tous. Un gay non-revendicatif, un fêtard voir une folle amusante, inconsistante et amicale.
Ce qu’ils aiment, c’est un gay liquéfié, pathétique, grossier, prévisible donc manipulable et duquel il n’y a rien à craindre. Ils aiment le pire du gay, car ils ont besoin du pire de tous les hommes, afin de l’instrumentaliser et de maintenir un désordre mesquin ; tout comme les vieux communistes académiques profèrent les louanges d’une classe ouvrière dont ils exploitent et affichent le plus laid et le plus trivial, afin de le garder dépendant et hors-d’état de nuire.
Ils n’aiment l’homosexualité que pour ce qu’elle a de criard et dégueulasse ; tout comme eux-mêmes sont grotesques et répugnants, entre la nonne recalée (et manipulée par Sarkozy) pour sa bêtise et sa mesquinerie ; et la vieille people délabrée et parasitaire.
Alors ils citent les vieilles figures, des auteurs du passé, dont l’homosexualité n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui ; et qui, croyez-le bien, jamais n’auraient adhérés à toutes ces manifestations, voir auraient préférés qu’on les « laisse tranquille », ou encore rejetteraient à leurs côtés les pro-Mariage pour Tous.
Voilà une posture entre nostalgie et fantasme d’un passé parfaitement structuré et ataraxique. Du reste, certains »gays » s’y retrouvent, ou au moins essaient effectivement d’apporter un renfort ou une voix dissonante en s’opposant à la loi. Ainsi le gay-conseiller de Boutin ou le collectif »+gay sans mariage ».
Dégénérés opportunistes de toutes les corporations, unissez-vous !
C’est une vision totalement compatible avec celle de Frigide Bardot (qui la rejoint par intérêt et expérience plus que par idéologie ou sens commun). Elle a depuis toujours fréquenté la communauté gay, non pour la valoriser ou l’élever, mais pour la rejoindre et s’adonner avec elle à la cuite et les parades vulgaires.
En effet, c’est là qu’on retrouve de façon paroxystique cette collusion amusante entre »gay passéiste » et »gay hédoniste aveugle », communautaire replié et outrancier. Certes, ces derniers ne revendiquent pas tellement, ni ne cherchent un regard spécifique ; en revanche, entre folle réformée, jouissance monomaniaque. Ils sont obsédés par leur orientation bien qu’ils s’en défendent ; et se vivent essentiellement par là. Ils sont tout à fait à l’aise dans un contexte officieusement permissif et officiellement conformiste comme le nôtre (pour n’importe qui, s’il y a sa place, ce n’est pas une mauvaise formule, c’est même une certaine organisation sociale fonctionnelle). Dès lors, qu’ils soient inclus dans la société, sans plus pouvoir être des anomalies de confort est agaçant pour eux. En effet, ils y perdent le seul marqueur de leur consistance, la compensation à leur absence mortifère d’intériorité. La crainte d’être exposé dans le débat n’est rien, par rapport à celle de perdre le plus précieux des acquis : une identité exotique et affranchie, ou sa parodie.
Forcément, que ce théâtre laid s’arrête, que les pédés deviennent des individus libres et responsables est un crève-cœur pour Frigide, qui risque d’y perdre ses compagnons de dissolution et d’avilissement.
D’un autre côté, les pro-Mariage gay sont énormément plombés par les libertaires dégénérés, dans et hors de leurs rangs ; pendant que leur vision petite-bourgeoise de la saine homosexualité intégrée file de l’urticaire à n’importe qui évaluant le sujet depuis une distance moyenne, qu’il soit concerné ou pas, phobique ou empathique. De la même manière que les réactionnaires aveugles et pseudo-réalistes comme Christine Boutin se rassurent en faisant des individus les esclaves de formes rigides dont l’arbitraire est un moyen et non une fin ; les progressistes conformistes écrasent les individus sous le poids des catégories lisses et rabougries qu’ils cherchent à instaurer, dans un réel toujours insuffisamment discipliné et ouvert à leur conception horizontale de la matière humaine.
Par-delà toutes ces considérations, on oublie qu’il a longtemps s’agit de « mariage gay », label toujours utilisé, de tous bords. Pourtant voilà un terme déshonorant, relevant du ségrégationnisme bienveillant ; il est digne de la »discrimination positive » de la droite paternaliste pressée de s’ouvrir au monde. La requalification en « Mariage pour tous » fut tardive et emmène d’une aberration sémantique à une éructation pas moins révélatrice ; le caractère grégaire et aveugle de la formule tend à subordonner une institution aux désirs de chacun. Comme si le progrès était dans l’abattement de toutes les frontières, la remise au niveau de chaque égo et chaque demande des constructions manifestes ; c’est une certaine définition de la Gauche.
La brimade progressiste
Le premier problème du projet de loi est sa confusion, car on ignore où s’arrêtent ses engagements. En vérité, nous savons tous qu’une petite majorité de la population est favorable au mariage, dans l’acceptation ou l’indifférence ; mais qu’une un peu moins courte majorité est plus sceptique sur l’adoption ainsi que sur l’autorisation du recours à la PMA. C’est la position d’un bloc important de l’opinion, tout comme de personnalités publiques à l’instar d’Alain Juppé.
L’autre grand problème posé par cette loi, c’est qu’elle bouscule la société à un moment inopportun ; en temps d’agitation et de frustration sociale, une telle réforme sociétale est vécue à la fois comme un mépris de la condition des masses, un cache-misère de la part du gouvernement, mais aussi pour certains comme une façon de priver des repères sécurisants ; et là aussi, de formes identitaires constitutives d’un mode de vie, d’un code social, d’une interprétation des rapports entre les hommes, qui est une richesse première. Si les élites ne perdent rien lorsque les traditions sont chamboulées, les catégories plus démunies elles, en revanche, se voient soudain culpabilisées et mises à l’écart pour les conceptions demeurant rennes chez eux. Certains progrès peuvent ainsi, à tort ou à raison, être ostracisant pour les populations qui elles, n’ont pas intérêt à remettre en doute l’ordre établi, car elles n’ont pas de parachute pour se prémunir de l’incertitude et que leurs valeurs y sont ancrées.
Par ailleurs, le projet n’est pas simplement en faveur d’un mariage assorti éventuellement d’une adoption sous condition ; il révise effectivement la notion de famille. Et à ceux qui se sentent ainsi floués, citoyens inaudibles dans une société civile confuse et anémiée, s’ajoute un mépris pour leur cadre de vie.
Ainsi, les Manif pour tous ont cristallisées ces angoisses ; il y a, par-delà toutes les réformes engagées, la colère d’être ainsi abandonné par le pouvoir, les autorités publiques ; et l’horreur de réaliser que la politique devient sa parodie.
Les représentants politiques jouent avec cela : la droite s’est trouvée un cheval de bataille ; la gauche fait s’éterniser la mise en œuvre et ces professionnels retrouvent ainsi une contenance, par la clivage artificiel.
La polémique creuse des égoïstes
Par conséquent, le monde politique apparaît caché derrière une confusion auto-entretenue. Sous le bruit et les bavardages, on ressent le dénigrement d’une politique ambitieuse. Le Parlement se prête à l’empoignade de circonstance plutôt qu’à la mise en forme de la société, ou même à se faire son réceptacle, son écho. Dans le même temps, c’est l’abandon des populations inaptes au mouvement qui est scellé ; en parallèle de la consciencieuse et profonde démolition des identités et les institutions nationales, les cadres traditionnels sont démantelés, après que leurs figures aient perdue une guerre culturelle où elle n’avaient guère de représentants. Pour les forces dominatrices (extrême-centre, libéraux de gauche et libéraux de droite), la droite conservatrice est une tout aussi profonde entrave que la droite souverainiste et nationale, c’est aussi l’ennemie la plus pratique, un sparring partner facile.
A l’arrivée, la peur est autant dans cette horizontalité des modèles familiaux ; que dans la sensation de n’être plus qu’une « variable d’ajustement » (comme le dit si bien Christine Boutin sans assimiler le message), au regard de gestionnaires passifs et virtuoses usurpant la place de décideurs. La question qui se pose est »moi qui n’appartient à aucune minorité, moi qui ne me distingue pas de la masse, ais-je une valeur sociale, suis-je l’objet ou la cible d’une réforme ? » et la réponse auto-administrée sera, plutôt à raison, »Les élites ne répondent plus à mes préoccupations d’homme ordinaire ou de composante d’un ensemble social, d’une communauté par-delà les communautés et les intérêts particuliers ; elles m’approchent éventuellement, par clientélisme, de la même manière qu’une entreprise s’enquiert des segments du marché s’offrant devant elle. » Car la politique sans vision, sans principes ni dynamiques, n’est plus qu’une boutique.
Et effectivement cette caste politique est essentiellement peuplée de fantômes et de challengers ; d’ailleurs les aventures personnelles ont pris le pas, avec les polémiques proches de la farce, pour mieux excuser l’abaissement des confrontations politiques et l’évaporation des projets cohérents et soutenus. Il est naturel que le monde politique soit un nid à carriériste, mais il est inquiétant qu’il n’offre plus, pour l’essentiel, que des caricatures cyniques. Les quelques héros isolés (Montebourg, Peltier) et pantins rugissants ne font qu’insuffler un relief ponctuel à un paysage désenchanté.
Le caractère factice et bassement opportuniste de l’engagement politique fut parfaitement traduit par l’approbation de deux seuls votants UMP lors de la présentation du texte de loi du »Mariage pour tous » (retour du texte au Parlement le 23 avril). Parmi eux, Franck Riester, gay lui-même, c’est-à-dire personnalité n’intervenant que pour ses intérêts propres (et ayant trouvé la notoriété par le coming-out), se plaçant servilement dans le sillage tracé par sa tribu copéenne pour le reste. D’ailleurs, on attend toujours l’intérêt de la présence de Riester, la particularité de son profil ou de son logiciel. Sinon le refus de dévoiler son patrimoine personnel lors de la loi sur la transparence de l’après-Cahuzac, rien ne le distingue de sa horde. Par extension, on peut se rappeler de Roger Karoutchi qui avait tenté par le coming-out de relancer sa campagne pour les régionales. Il n’a pas bénéficié de la prime aux innovateurs (premier ministre en exercice à se dévoiler sur ce sujet) et fut sèchement battu dans ce scrutin interne à l’UMP.
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