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ALICE ET LE MAIRE *

5 Oct

2sur5 Ça se regarde sans dommages mais à l’heure de conclure c’est doucement écœurant. Naturellement ce film se veut un diagnostic, or il est surtout symptomatique de l’état d’esprit d’une espèce de consensus français moisi, sur une ligne ‘réac de gauche’ ventre à terre dès qu’une institution est en vue, mais toujours sceptique sur l’usage qui en serait fait aujourd’hui. Cette ligne plébiscitée par les grandes gueules fort instruites et toujours rampantes et complaisantes en pratique – l’ego du chevènementisme et de toutes ces diableries de zombies prétentieux. Alice et le maire est comme ses personnages, un film planqué et de planqués. On y dénonce ce qui nous voisine, comme si on s’en distinguait ; on est seulement une version se voulant plus fine ou authentique.

L’empathie envers elle est catégorique. Elle s’avère le seul repère digne d’estime dans ce panier de crabes gris. Certains personnages secondaires respectables voire méritoires sont limités par leur statut de passants dans sa vie. On pardonne à ce vieux maire. Les autres sont des idiots ou des fausses alternatives ; il faut bien comprendre comme ces autres sont des satellites bidons autour du pouvoir, tandis que notre héroïne doit être bien au-delà de tout ça. C’est la même chose que ces petites sentences : « c’est cela mais c’est bien plus » qu’on attribue à une œuvre ou une réalisation quand on a décidé de l’honorer ; ou le « non c’est plus profond/intelligent que ce que les gens croient » quand on vous n’avez pas d’arguments mais une certitude et une petite hauteur vaguement mystique fondée sur du vent ou des besoins tyranniques.

Alice ne pond que de la parlotte et des références éculées mais dans l’optique du film c’est une lumière ultime auprès de laquelle la tiède adversité n’ose pas se mesurer ; on dirait un trip d’éternels lycéens entre individualisme égotique et servilité totale dans ‘le système’ (dont on prétend être étranger voire lésé naturellement). On lit du Rousseau et a l’impression de vivre quelque chose de grand et ‘vrai’, à quoi n’accéderont jamais les odieux hommes d’action et les communicants. Les consciencieux se heurtent aux ‘pragmatiques’ – honorable mais gâté comme le maire ou abject comme le directeur de la communication (évitons de dire ‘dircom’ et donc de tomber dans leur décadence et leur novlangue, soyons les nobles continuateurs de l’idéal républicain et les amoureux hiératiques de la distinction française). Sans surprise la crise existentielle de cette fille la conduira à l’ambassade – oh elle aurait préféré rester en France ; comme la vie peut être dure avec cette manie d’imposer un destin que certes on semblerait avoir cherché sur le papier, mais au fond non. Ou alors Alice a trouvé sa place dans un formol verni plutôt qu’un autre, en parallèle au péquenaud ou au prolétaire dont le cap est de ‘faire son trou’ et se sent satisfait quoiqu’un peu blasé une fois la chose accomplie.

Toute la distance cultivée par le film n’est qu’un cache-misère et le moyen de ses hypocrisies (destinées à se tromper soi en premier lieu). Sa prose est à l’intersection des déclamations les plus conformistes en France. Elle est bien sûr écolo mais pas trop, se veut essentiellement soucieuse d’économie et de justice sociale mais n’en donne les moyens que dans les mots, mise tout sur la force mirifique de la volonté politique et du poids des appareils. Elle adule peut-être secrètement l’inertie générée ou maintenue par ces éléments. Sa démagogie propre et superficielle la mène jusqu’à l’appel à la démondialisation – heureusement rien de concret n’est envisagé, même au niveau immédiat : finalement ce pouvoir politique ne sert peut-être effectivement à rien (au mieux) pour le peuple ! Dans les faits, si ce film était un sujet humain, il serait simplement anxieux de ne plus avoir sa place dans un Parti Socialiste honni mais tenu pour seul véhicule politique viable – le seul où ses contradictions et la nullité de son engagement sont blanchies et même recommandées. Si ce film (comme son petit monde) voulait être consistant dans sa critique de la république à l’intérieur de l’idéal technocratique (certes pas totalement avoué) il irait du côté d’Asselineau. Que ses auteurs aient cette cohérence, qu’ils fassent ce choix minimal, sans quoi ils ne resteront que des poseurs !

Forcément avec un positionnement aussi lâche la qualification des adversaires est indigente mais facile : la menace est nécessairement « populiste » et « la droite » est notre ennemi frontal qui porterait toute la merde du monde. Cette adversité n’est jamais correctement définie. Se dessine une vision bizarre de ce qu’est la droite, mais française – peut-être une sorte de sociale-démocratie adossée à la finance ; dans ce cas la gauche devient une entité planant en marge ? Sommes-nous tombés dans des failles spatio-temporelles où tout est pareil mais légitimement nommé et apprécié différemment ? Paraît-il, « la droite et une partie grandissante de la gauche » (approximativement mais la formule est répétée) sont cyniques et se contentent de « gérer la pénurie ».

Message reçu, mais pour les gens du film et dans le film, c’est quoi l’alternative ? Quel est ce fameux horizon et ce supplément d’âme ? Et même plus simplement : en quoi êtes-vous différents ? En rien ou en pire selon l’angle abordé, c’est pourquoi le film n’opère qu’en tant que flatterie pour les bureaucrates et intellos de sentiment ou de conviction étatiste et ‘politiquement correct’ à l’ancienne, ‘social’ et soucieux d’encadrement donc d’élites bien formées et bien vertueuses pour édifier le troupeau qui servira d’écho pour ses enfilades et petites saillies littéraires (contrairement au ‘politiquement correct’ criard et pleurnichard axé sociétal qui bouche désormais théoriquement la place publique). Les post-modernes comme le branleux Patrick Brack, proposant sa grande imagination et son grand projet pour consacrer ce qui est déjà et prétendre l’accoucher, sont seulement des concurrents, pire, des cousins grotesques, face auxquels on est devenu impuissants ; l’esprit flatté par ce film est seulement celui de gens qui doivent accepter de passer leur tour et devraient le faire même à une époque passée à cause de leur manque de dynamisme, où ils seraient les scribes du roi ou les hagiographes d’un président empereur.

Le seul mérite de cet essai est la mise en avant d’un homme politique ni corrompu, ni salaud, ni présenté comme un ‘idiot utile’ ou un fantoche. Sur plusieurs points l’approche est caricaturale sans être mensongère, dans les limites de la vérité et de ses biais idéologiques voire sociologiques. Lesquels poussent à surestimer l’opposition entre le ‘faire’ et le ‘réfléchir’, comme si ces deux camps étaient incompatibles, comme si les qualités de jugement et d’intuition n’existaient pas. Naturellement ce film est dans le camp où on pense beaucoup et regarde les autres agir bêtement. Pourtant ça ne l’empêche pas d’assimiler et revendiquer des évidences y compris au rayon ‘intellectualité’ (sa ‘philo’ est celle des compilateurs figés et sentencieux) ; ça ne le pousse pas à remettre quoi que ce soit en question, surtout pas ses certitudes et même pas le milieu qu’il investit avec un mélange de morgue et de soumission. Ironiquement on dirait l’œuvre de communicants enfumés par leur matière grise et leurs circonvolutions narcissiques, en train de cibler un public de cadres et de fonctionnaires au garde-à-vous toute leur existence, d’autant plus avides de bons gros récits les posant comme les subversifs anti-mondains voire anti-modernes qu’ils ne seront jamais et n’ont même pas été dans les moments chauds de leur jeunesse. Au moins l’artiste obsédée par la fin du monde le meuble avec décence voire l’enrichit ; mais c’est difficile de trouver du mérite à un reflet amélioré (encore sensible et créateur) alors ce film n’y voit qu’une potiche lamentable comme les autres.

Note globale 38

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Suggestions… La traversée + L’Avenir + La famille Wolberg + The Man from Earth + Conte de printemps

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POTICHE =+

27 Déc

Farce complaisante et sophistiquée, Potiche renoue avec le kitsch et le féminisme paradoxal de 8 Femmes et des débuts d’Ozon, après quelques incursions vers les études de caractères égocentriques (Le Refuge, Le Temps qui reste), à la dimension plus concrètement sociale (Ricky). Adaptation d’une pièce de théâtre des 80s, Potiche trompe largement son support-prétexte pour dresser un tableau de la France pré-mitterandienne (1977) digne d’un roman-photo totalement désinhibé. On a dit que Ozon se moquait de ce qu’il montrait ici, ce n’est pas tout à fait vrai : il adhère à cet univers, il aime être le chef-d’orchestre de ce théâtre flamboyant. Il est complice de cette outrance. La différence, c’est qu’il est conscient et revendique cet abandon. Et surtout, il démontre par l’absurde l’échec et la facticité d’un certain féminisme, cette croyance mensongère consistant à espérer une politique différente sur la base totalement arbitraire du sexe et du style. Les artifices et apparences sont menteurs, même si Ozon garde toute son affection pour eux.

Toute la dynamique de Potiche consiste à révéler cette modernité somme toute chancelante, mais néanmoins vivifiante. Il ne s’agit que d’esquisser la réalité, en tirer l’essence sirupeuse mais aussi les pastiches délicieux ; et la fuir, s’y soustraire finalement, par la constitution d’un catalogue hystérique. La conséquence de cette cécité romanesque amène à sortir de la politique, des rapports de force (ou plutôt, de leur visibilité, mais à l’affiche, l’effet est le même), des logiques ancrées dans la société, les survoler de façon semi-lucide, en faisant semblant de croire à un monde simple, scintillant et agréable, où tout se joue sur l’avant-scène et se règle à l’écart de tout risque. Contourner la mise à l’épreuve en somme ; avec, pour réprimer cette impuissance, une foi et des icônes ravissantes, vraisemblablement un peu éméchées.

Les parallèles aux acteurs du monde politique immédiat (sortie en 2010) sont évidents : le personnage de Robert Pujol, l’industriel marié à Deneuve, sorte de vieux Picsou misogyne et grotesque, est férocement chargé et prend même pour lui les références à Sarkozy (dont le slogan  »Travailler plus pour gagner plus »). Le personnage de Deneuve, avec son tailleur blanc et sa conception spécifique de la justice, fait évidemment référence à Ségolène Royal. Tout ce manège et ces parallèles ne font que mettre en exergue la dépolitisation de la politique, sa mutation dans le spectacle ; et les candidats de l’élection présidentielle de 2007 furent les meilleurs artisans (par-delà leur propre volonté) de ce nivelage people.

Les enfants de ces réactionnaires burlesques et chics (ils le sont tous deux, simplement l’une a un costume post-moderne, et c’est ce qu’aime Ozon) sont eux-mêmes les quintessences de certaines attitudes socio-politiques. Le fils, petit dissident de confort, évoque le « sens de l’Histoire » dans lequel sa mère s’inscrirait – en étant une femme prenant le pouvoir, à l’image du mouvement du monde. Avec une certaine complaisance et une résignation complice à ce sujet, le partisan du progrès explique « le paternalisme c’est fini, si on veux réussir aujourd’hui il faut être une ordure, c’est le libéralisme et le capitalisme sauvage ». Dans sa bouche, c’est même assez glorieux, comme un signe d’acquis de conscience. Quand à la fille, authentique  »fille de » abrasive et planquée, elle raille le mode de vie désuet de sa mère, qu’elle considère piégée et humilie ouvertement ; dans le même temps, la jouisseuse individualiste se révèle autoritaire sans retenue.

Elle est la première à vomir les revendications sociales et à dénigrer les ouvriers en les considérant comme une cohorte de tarés, surfant de façon totalement cynique sur sa position et la jouissance d’être née du bon côté. Un conservatisme de soi, repoussant toutes les entraves, s’habillant de modernité et d’impertinence mais seulement pour servir un individualisme primaire et pratique ; voilà la caricature de la libertaire accomplie, opportuniste absolue, incapable haïssable, grimée comme une femme libre alors qu’elle n’est qu’une héritière indigne. Voilà la pure arrogance de classe, la vanité de la femme moderne ingrate, piteusement narcissique et déguisant sa médiocrité.C’est elle aussi, qui panique finalement lorsque tout se délite et que les choses évoluent, car, comme elle semble l’adorer, le monde change et offre de nouvelles perspectives… face auxquelles elle se retrouve finalement toute petite et désemparée, lorsque les vieilles reliques ne sont plus là comme un filet de sécurité, lorsqu’il faut choisir aussi entre une vie non-préméditée et la pilule pour se débarrasser.

Enfin, Deneuve a rarement été aussi bien exploitée qu’ainsi : elle apparaît en bourgeoise sympathique, un peu dissociée et mélancolique, désespérée mais foncièrement revêche, stoïque et habituée à être pragmatique et imperméable, réprimant ses désirs et aménageant sa frustration. Ainsi elle se montre avide d’histoires sensationnalistes ou rêvées, les fabriquant même dans son entourage proche. Et puis la ménagère endormie devient une progressiste formelle, floue et passe-partout politiquement. Une maman venant remettre de l’ordre, avec fougue et émotionnalisme. Dans l’entreprise de son mari, avec sa méthode douce, elle passe plus facilement, tout en restaurant cohésion et dynamisme : pour autant, le dialogue social n’est pas plus actif, les revendications trouvent simplement une réponse fataliste, vaguement décalée et formulée dans un ton bienveillant. Et la voilà bientôt gagnée par le délire, proclamant les femmes au pouvoir et invoquant la montée sur l’estrade des amazones. Tout se termine en chantant pour agrémenter une vision doucereuse et utopique, délibérément sucrée et parfaitement grand-guignolesque, pour fantasmer un pouvoir sympathique et dépolitisé, ouvert et non-partisan.

Note globale 69

Page Allocine & IMDB   + Zoga sur SC

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Aspects défavorables

Aspects favorables

* à cause de son mélange de premier et second degré, entre fatalisme (résignation aux artifices) et fièvre progressiste et disco, Ozon noie le poisson et son propre sujet

* farce complaisante : mise en scène d’un théâtre factice mais tellement chatoyant et aimable

* caricatures avisées et précises

* une méchanceté sourde, une esthétique kitsch

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BORGEN ****

28 Sep

4sur5  Phénomène au Danemark avec 1.4 million de téléspectateurs fidèles pour une population de cinq millions, Borgen met en scène une femme premier ministre. Pas de polémique, c’est une  »politiquement correcte » déclarée et elle est issue du Parti du Centre. Cela ne l’empêchera pas de connaître des situations délicates, de voir son idéalisme mis à rude épreuve, de déclencher des affaires lourdes et des secousses médiatiques. Les médias justement occupent une grande place dans la série, presque équivalente à celle des stratégies et décisions : ils font partie de l’agenda et du rythme, sont des contributeurs et des agents d’influence de la vie politique, laquelle, par le prisme danois, est abordée à fond.

Série stimulante, passionnante, Borgen présente un panorama exhaustif et fait le choix de décliner les exigences de la realpolitik, celle qui conditionne et nuance les idéologies, les blocs partisans, les prises de paroles publiques et les réformes à conduire. La série invite dans les coulisses du pouvoir d’une part ; explore également les ressorts d’un système politique et de la démocratie représentative, avec une grande place pour le Parlement (plus importante dans les démocraties du nord de l’Europe, modèle de maturité) et les confrontations orchestrées de façon limpide et engagée. Des thèmes fétiches se dégagent, comme la liberté de la presse, l’accent mis sur la probité et la transparence des élus, la diplomatie intérieure et internationale.

La série atteint parfois une ampleur dramatique rare. Après avoir disséqués les rouages, analysé un système, mis en relief la fonction de tous ses acteurs, elle pénètre une zone plus commune mais non moins complexe en s’attachant à traduire des sensations d’adultes aux engagements ingrats. Sans cet angle de vue, Borgen aurait été un chef-d’œuvre avec sa petite part de non-complétude. Ce n’est donc pas le cas. C’est inouï, mais tout l’essentiel y est ; et avec, le regard social, systémique, psychologique, politique ; mais aussi, intime et sentimental. Tout ça dans l’équilibre, sans jamais de lourdeurs – ou alors, les seules qu’on y trouve tiennent à un certain lyrisme ponctuellement accordé à Birgitte, mais surtout à son exercice de la fonction. En effet, pas de leurre dans Borgen : tout est passé au crible, mis à nu dans sa vraie nature, pour sa vocation authentique et en dévoilant l’ensemble de ses implications.  .

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Diffusion finale à venir

Bouclée avec bientôt ses derniers épisodes dévoilés en France, la série compte trente épisodes consistants d’une cinquantaine de minutes, étalés sur trois saisons. Borgen sera, pour moi, un des grands repères de la décennie dans le monde des séries. La série est diffusée en ce moment par Arte et d’autant plus facile à trouver en streaming – y compris sur son serveur replay pour les épisodes du vendredi écoulé. La diffusion entre-temps sur une chaîne suisse aide aussi – c’est de cette source que sont tirés les épisodes que vous retrouvez ici (intégralité de la série). Arte lancera l’ultime saison 3 le 3 octobre. x

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BORGEN – SAISON 1 **** 

5sur5 La saison 1 est extrêmement dense, passe tous les éléments de l’univers politique et sa pratique au sommet en revue. Là où les deux saisons suivantes pourront s’aventurer dans les détails privés et publics, il est encore question de tout sonder : Borgen ressemble alors à un grand plan sur lequel on zoomerait de l’infiniment petit (la gestion de leur carrière par les personnages, les conséquences sur leur vie privée mais aussi leur place d’individu dans ces circonstances) et l’infiniment grand (le quotidien de ces personnages est tourné vers le sommet, les préoccupations les plus transcendantes, urgentes et possessives). En fin de saison, le climat se fait plus lourd, éreintant. Birgitte vit toujours sou la menace, avec son intégrité que personne ne valorise et que le public ne voit pas. Elle accumule les sacrifices et subit la pression des médias, de la rumeur, de l’opinion. Elle est écrasée par sa fonction, sans retour, sans compensation. On la voit devenir plus froide, sèche, cassée mais responsable. Le nez entièrement dans les dossiers, l’esprit absorbé par des détails et les charges qu’elle prend à ses ministres.

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BORGEN – SAISON 2 ****

4sur5 Les intrigues intimes gagnent du terrain, tout en se laissant envelopper par les affaires publiques et ayant trait aux grands sujets. Autour du Château, le rayon personnel a pris l’ascendant : les actualités, les guerres médiatiques, deviennent en quelque sorte la partie émergée de ce monde privé (celui des journalistes, de ceux qui arpentent les coulisses du pouvoir ou gravitent autour de la première ministre). C’est un vrai retournement qui permet une lecture plus  »serial » du système. Et curieusement, c’est une bonne chose, car on y perd rien en consistance tout en gagnant en psychologie et en authenticité. Par contre, la série allège ses sommets d’intensité dans le portrait d’une situation politique ; les bagatelles, la  »vraie vie », le vrai rythme de ces univers, ont pris le pas, pour le meilleur et pour cette petite part limitative. Plus que jamais, Borgen est axé sur la place justement des individus et des petites histoires dans la grande (la photo de Laugesen – l’ex-leader Travailliste ; la philosophie de Hanne Holme). Seule fausse note, un point de détail (et pas un problème intégral de toutes façons) : le passé de victime de Kasper Juul (spin-doctor de Birgitte) prend trop de place, avec flashbacks sordides et naïfs dans la forme. .

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BORGEN – SAISON 3 ****

4sur5 La saison 3 démarre sur le retour de Nyborg après son abandon de la politique suite à l’élection anticipée qu’elle avait convoquée. Dans un premier temps, elle affronte le leader du Parti Centriste au moment où celui-ci s’aligne sur la politique du gouvernement et inhibe ses valeurs profondes (il est question notamment d’immigration). Cette méthode échouant, elle se lance dans la création de son propre parti. La position de Nyborg permet d’adopter un nouvel angle avisé. Après la gestion au sommet, la fabrique d’un mouvement politique et son ascension apportent un complément. Les rapports entre les personnages connus de la série se resserrent, tandis que les stratagèmes et les impératifs catégoriques occupent le terrain. L’élaboration d’une identité politique est au cœur de cette dernière saison, là où il s’agissait plutôt de la définir auparavant ; et alors qu’il suffisait de l’assumer, ici il faut la revendiquer, la booster. Ce combat pour trouver sa place dans l’échiquier, faire ses preuves, trouver les bonnes armes et ressources (à tous niveaux : matériel, humain, conceptuel, programmatique) est passionnant.

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  . . . Parlement_Borgen_1_&_2 L’échiquier politique

Borgen met en scène un échiquier politique reflétant fidèlement la réalité, de manière accessible mais néanmoins pointue. Elle brosse l’ensemble des tendances tout en les bornant aux partis représentatifs. Ces formations s’inspirent de la réalité des pays nordiques, amalgamant les noms réels et la nature des formations existant au Danemark, au Pays-Bas et en Scandinavie. Il y a ainsi une série de  »Parti du Centre » (à vocation agrarienne, au moins au départ) dans le nord de l’Europe.

Le regret qu’on peut émettre, c’est que les deux partis de droite (Parti Libéral & Nouvelle Droite) apparaissent comme des jumeaux (ce qui rejoint cependant le choix d’associer leurs deux leaders et montrer leur co-dépendance) sans que la Nouvelle Droite ne prenne d’initiative dans les différentes confrontations (sinon lors des affrontements plus directs à échelle humaine entre Nyborg et la leader de ND).

Voici le positionnement des sept formations :

  • 1) d’abord un plan d’ensemble sur le Political Compass
  • 2) ensuite une évaluation au cas par cas en utilisant l’échiquier à triple-dimension du Politest

crow Borgen

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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Parti du Centre (sous Nyborg) = centre/centre-gauche
L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Parti du Centre (post-Nyborg) = centre/centre-droit
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Nouveaux Démocrates (Nyborg II) = centre-gauche/centr
e
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  

Parti Travailliste = gauche modérée

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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Parti Libéral = droite
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Nouvelle Droite = droite
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Parti de la Liberté = droite « populiste » et « EXD »
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Parti de l’Environnement = gauche
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L’économique et le social  
Les manières de vivre  
L’identité et la responsabilité  
Rassemblement Solidaire = gauche radicale
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Axe 1= RS-PT-PE-NDem-PDC/PPL-ND-PL
Axe 2= PE-RS-PT-NDem-PDCPL-ND-PPL
Axe 3= RS-PE-PDC-NDem-PTPL/ND-PPL
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Les personnages
Birgitte Nyborg (héroïne et PM – leader Parti du Centre & Nouveaux Démocrates)
Le personnage est parfaitement croqué et l’auteur en totale empathie avec elle au même titre qu’avec les autres. Il montre aussi son conformisme post-moderne, y compris dans les détails. Par exemple, alors qu’elle n’a pas le temps de choisir les tableaux pour son bureau officiel, elle se contente de la consigne « non-conventionnels et modernes ». Dans la lignée de ses accents  »politiquement corrects », ce modernisme compassé est relativement conscient chez Birgitte. Il est montré tel quel, sans esprit de dénonciation ou critique, mais la finesse du portrait l’emporte sur l’adhésion par les valeurs.  borgen-image-mike-kolloffel Katrine Fønsmark
L’un des personnages-clés, le plus attachant. Katrine est journaliste à TV1 et se montre assez farouche par rapport à sa direction ou aux invités politiques, tout en gardant toujours l’esprit clair. Son tempérament idéaliste va l’emmener loin. Elle va même collaborer avec Nyborg dans la saison 3 !
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Kasper Juul
Un autre pilier de la série, moins présent dans la dernière saison. Spin-doctor de Birgitte, un temps congédié. Il a eu une liaison avec Katrine, qui va se poursuivre de façon erratique.
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Hanne Holm
L’autre personnage le plus réjouissant. Elle aussi journaliste à TV1, Hanne est d’abord rivale de Katrine avant de devenir son amie et alliée. Nous la découvrons d’abord dans sa pente descendante, comme une gloire sur le départ. Analyste politique reconnue, elle se distingue par son ton incisif, son indépendance d’esprit, sa critique facile et ses saillies pour le moins  »couillues ». borgen2 Bent Sejrø
Le mentor de Birgitte.
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Torben Friis
Le rédacteur en chef du département politique de TV1. Un personnage affable mais bien pleutre, frileux et manipulable. Il se laisse conditionner par son supérieur dans la saison 3, va parfois jusqu’à adopter les mots des autres pour se montrer à l’aise ou conquérant, alors qu’il est totalement faible et dépendant, tant du point de vue intellectuel que pratique.
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Lars Hesselboe (leader du Parti Libéral)
Leader de la formation dominante de droite, il a l’ascendant psychologique, numérique et même  »sensoriel » sur son allié naturel, la Nouvelle Droite incarnée par Yvonne. Assez irritant dans la saison 1 (où il paraît fade par rapport aux autres chefs de partis et notamment son adversaire travailliste), il est évoqué de façon plus profonde et magnanime par la suite.
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Amir Diwan (leader du Parti de l’Environnement)
Un profil fidèle, mais en plus institutionnel, pour les écolo-progressistes. Il fait partie, avec les Travaillistes et les Centristes, de la coalition menée par Nyborg.
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Yvonne Kjær (leader de Nouvelle Droite) Quel dommage qu’elle soit si rare ! On sent qu’Yvonne incarne  »la droite » pour laquelle on éprouve une pointe de désir dans le monde de Nyborg. La droite des bons conservateurs, élégants et disciplinés, qui voudront bien céder si on les prend par les sentiments en inhibant tout ce qui pourrait chez soi faire terroriste (au bon goût ou à l’ordre public). Et en même temps, la « bonne droite » parce que celle effacée, trop idéaliste et minoritaire pour être dérangeante. borgen yvonne Michael Lauqesen (leader du Parti Travailliste puis patron de L’Ekspress)
Il n’est leader politique qu’au tout début de la série. C’est alors le plus cynique d’entre tous et bien qu’à la tête du parti de gauche dominant (Parti Travailliste), il est proche des fameux  »populistes (de droite) » dans son raisonnement et ses propositions favorites. Il est par la suite un patron de presse, dirigeant un tabloïd où seront un temps engagées Hanne Holm et Katrine.
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Hans Christian Thorsen (leader du Parti Travailliste)
Le rondouillard ministre de la Défense sous Nyborg. Personnage assez neutre, effacé et pourtant omniprésent. C’est lui qui est désigné Premier ministre par intérim, lui qui domine le grand parti de gauche, lui qui est chargé de donner la réplique. Un tempérament discret et aucun charisme, mais incontournable néanmoins.
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Svend Åge Saltum (leader du Parti de la Liberté) Cas particulier. Le Parti de la Liberté est clairement l’incarnation du « camp du mal », de la poubelle de l’échiquier politique : c’est le parti populiste personnalisé par son leader monstrueux, sorte de Jean-Marie Le Pen bucolique. La série amalgame les courants dits  »populistes » et anti-immigration avec une droite ultra-conservatrice, démagogique et franchement xénophobe mais aussi rurale, orientée vers les  »petites gens » (et signe par là le mépris de camps tenus pour plus modérés à l’égard et à l’écart de ceux-là).
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borgen svend
Le Golem de service, un fantasme de centre-gauche ?
Les débats et confrontations de groupes partisans, de logiciels politiques, occupent une place importante dans la série. Elle est toutefois encadrée par une lecture, ici-même,  »centriste ».
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Ainsi, lorsqu’on vote pour Svend Åge par « compassion », c’est une bêtise (c’est le cas de la mère d’un personnage secondaire –Sanne, assistante au  »Château »– qui le déplore en passant) : pourtant lorsqu’on l’accable et s’emporte sur lui, possédé par des émotions soudaines et envoyant des arguments d’autorité ou des références creuses ( »les études »), on est dans la déraison, avec pour seule légitimité un rejet irrationnel et émotionnel d’une ligne politique, mais aussi d’un univers et d’un personnage, dont on fait le procès sur ces motifs ! La série est toujours réceptive à l’ensemble du panel des idées – et les lire au travers de leur organisation dans les partis, si c’est arbitraire, est aussi la meilleure façon de les planter dans le réel de la démocratie parlementaire. Par contre et alors qu’elle assume le cynisme (sans s’en glorifier, mais avec justesse), avec notamment les options et les dispositions que doit embrasser Birgitte Nyborg ; l’écriture trahit un certain blocage dans sa perception de ces courants, où qu’elle les loge sur l’échiquier, mais en particulier pour le camp « réactionnaire ». En même temps, elle lui accorde la parole et montre les contradictions des autres lignes par rapport à elle. Mais en faisant de ses héros des chevaliers blancs sortant de leurs gonds seulement face au Parti de la Liberté, Borgen se complaît dans cette position limitative et légèrement, pour le coup,  »politiquement correcte », là où justement nous sommes réunis devant cette série pour voir levées ce genre de barrières de circonstances, peut-être utiles pour la forme et l’usage, mais désuètes lorsqu’on est engagé dans une immersion si habile et avertie des arcanes de la pratique politique.
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Sauf que tout cela, on peut le lire d’une façon contraire et complémentaire : de cette manière, Borgen montre les limites de cette neutralité, de l’ouverture ou du pur sens stratégique revendiqué par une société, par ses médias, ou par ses acteurs et dirigeants.
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Nyborg, entre pragmatisme intègre et émotionalisme formel
A la fin de l’épisode pilote, Birgitte participe au débat comprenant les leaders des sept grands partis politiques. Le Parti du Centre est en piteuse posture, mais cette soirée va tout changer. En effet, en révélant une  »affaire » concernant son adversaire Hesselboe, Lagausen va plomber la campagne pour eux deux. Autrement dit, les deux grands partis mainstream vont tous les deux subir la polémique ; le Parti du Centre en profitera, dopé de surcroît par la prestation de Birgitte à l’occasion. C’est ici le point de départ de la série et de la domination de Nyborg.
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Lors de cette soirée donc, elle prononce un discours émotionnel, légèrement lyrique et comportant des bribes de  »vision d’avant-garde » (selon son mentor et associé Bent Sejro) ; tout en s’avérant finalement assez fumeux, passe-partout – et sa  »vision », simplement complaisante ; alors que le ton est parfaitement populiste (la démagogie se porte jusqu’aux rondeurs  »normales »!).
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Surtout qu’elle n’a rien redéfini après sa « rupture » (abandon du soutien au Parti Travailliste – et puis il faut bien décoller d’une façon) ; et que son programme politique est absent (sinon qu’elle se fie aux valeurs du parti, exprimées simplement sur le terrain de l’immigration). D’ailleurs elle clame qu’elle ne fait « pas de la stratégie » ; mais assume plutôt sa spontanéité. Or c’est faux et cela demeure de l’authenticité aussi frivole que fabriquée pour un usage ponctuel. Pourtant Birgitte y croit.
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Ce moment est très révélateur de la personnalité de Birgitte et de son idéalisme particulier. Pour autant celui-ci cohabite avec un sens des responsabilités et des réalités prononcé, ainsi que des principes très clairs. Simplement en marge, Birgitte  »fait du sentimental », non par hypocrisie, mais par manie. 
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LES GAY-FRIENDLY FACON REAC

6 Mai

barjot et gays

Le réactionnaire n’est pas un simple pessimiste, ni un esprit condescendant à l’égard de naïfs présumés, ou un personnage cynique devant le déroulé constant des choses. Il est probablement tout cela mais ce n’est pas systématique et la vulgarisation des notions crée une confusion avec d’autres formes, d’autres attitudes. Il faut aller au sens des mots : et la définition veut qu’un réactionnaire soit le promoteur du passé. Le réactionnaire invoque les vertus d’un temps écoulé, éventuellement en l’idéalisant (quelquefois même en fabriquant des motivations entre les lignes de l’Histoire). Il y a trois postulats : dans le premier, l’époque regrettée porte les solutions aux maux d’aujourd’hui et dans ce cas, nous avons eu tort de nous écarter de ses schémas. Dans une version plus romantique et radicalisée, ce temps révolu est légitime, car il était au plus près de la réalité, d’un ordre naturel ; éventuellement, il rangeait les hommes à leur place. Enfin, la réaction peut être motivée par le refus de la réalité actuelle ou de basculements en cours, sans pour autant qu’un projet pour l’avenir n’intervienne, soit par amertume ou scepticisme, soit par indifférence.

Cette forme réactionnaire-là est plus pragmatique, orientée vers le confort ; l’enjeu n’est pas de maîtriser, mais de soumettre la société à une logique sécurisante et fermée, où une zone de jouissance est maintenue, quand bien même elle induit des souffrances ou une hypocrisie trop flagrante. Ainsi est celui qui se précipite dans les habits de l’artiste maudit ; ou encore le représentant politique issu des classes populaires, parlant en leur nom et les dénigrant de façon complice. Tous s’enferment dans un ghetto psychique leur permettant de cyniquement jouer un rôle social cadenassé, parfois dévalorisant, mais duquel ils tirent une satisfaction personnelle suffisante ; quitte à enfermer, dans leur caricature, ceux qui les rejoignent par l’attribut sociologique, culturel ou idéologique dont ils se réclament.

La garde hideuse d’un christianisme vociférant

Tout le monde connaît le borborygme boutiniste des « amis homosexuels ». Christine Boutin a raison ; elle et ses amis ne sont pas homophobes. Une part est simplement obtus ; il faut se rappeler aussi du magnifique « J’ai une grande capacité de pardon » lâché à l’intention, non pas des criminels ou des délinquants sexuels, mais des gays que Boutin connaîtrait si bien. Il ne s’agit dès lors plus d’affirmer un certain héritage, revendiquer des valeurs, ou même opposer à la ferveur aveugle d’un mouvement progressiste, le principe de précaution et de mise en doute ; non, il s’agit bien d’affirmer un principe théologique dans la démocratie. En confondant la loi et son esprit, le doigt de Dieu et la lune, etc.

Boutin et son PCD (Parti Chrétien-démocrate) sont intrinsèquement conservateurs ; mais son leader est une notable, une notable d’action éventuellement. Il faut comprendre que ce ne sont pas des idées ou une vision qui la pousse, ni même (et c’est plus préjudiciable) des croyances ou convictions réelles. Ainsi Boutin n’a que des combats négatifs – et peut remercier ces pédés, dont elle accueille des exemplaires pour « les vacances », de lui avoir permis de sortir du bois.

Alors que les chrétiens-démocrates classiques, qui ont dominé le centre et la droite modérée pendant l’après-guerre (le parti d’Angela Merkel, le CDU, reste ancré dans cette mouvance) étaient pragmatiques et traditionalistes, mais aussi proches des  »conservateurs compatissants » ; Boutin elle, rejette des valeurs plutôt qu’elle n’en défend. Cette attitude participe d’ailleurs à la déliquescence du christianisme en tant qu’agent social ; indirectement, Christine Boutin amène un dernier petit fagot et exclue la représentation religieuse et sa parole du sérieux politique.

Le confort de l’esclave

Ce qui frappe chez certains anti-Mariage pour tous de la droite littéraire façon Zemmour, ou des activistes apolitiques comme Frigide Barjot, c’est à quel point leur vision du gay est réactionnaire : elle en revanche ne contient plus un soupçon d’homophobie (ou si peu), mais exalte la grandeur d’un folklore et préfère l’homosexuel soit en  »zaza » soit en  »privé », soit en artiste torturé. Ils promeuvent un gay demeurant  »différent », à la marge de la société où il est très bien loti, pour le bien de tous. Un gay non-revendicatif, un fêtard voir une folle amusante, inconsistante et amicale.

Ce qu’ils aiment, c’est un gay liquéfié, pathétique, grossier, prévisible donc manipulable et duquel il n’y a rien à craindre. Ils aiment le pire du gay, car ils ont besoin du pire de tous les hommes, afin de l’instrumentaliser et de maintenir un désordre mesquin ; tout comme les vieux communistes académiques profèrent les louanges d’une classe ouvrière dont ils exploitent et affichent le plus laid et le plus trivial, afin de le garder dépendant et hors-d’état de nuire.

Ils n’aiment l’homosexualité que pour ce qu’elle a de criard et dégueulasse ; tout comme eux-mêmes sont grotesques et répugnants, entre la nonne recalée (et manipulée par Sarkozy) pour sa bêtise et sa mesquinerie ; et la vieille people délabrée et parasitaire.

Alors ils citent les vieilles figures, des auteurs du passé, dont l’homosexualité n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui ; et qui, croyez-le bien, jamais n’auraient adhérés à toutes ces manifestations, voir auraient préférés qu’on les « laisse tranquille », ou encore rejetteraient à leurs côtés les pro-Mariage pour Tous.

Voilà une posture entre nostalgie et fantasme d’un passé parfaitement structuré et ataraxique. Du reste, certains  »gays » s’y retrouvent, ou au moins essaient effectivement d’apporter un renfort ou une voix dissonante en s’opposant à la loi. Ainsi le gay-conseiller de Boutin ou le collectif  »+gay sans mariage ».

Dégénérés opportunistes de toutes les corporations, unissez-vous !

C’est une vision totalement compatible avec celle de Frigide Bardot (qui la rejoint par intérêt et expérience plus que par idéologie ou sens commun). Elle a depuis toujours fréquenté la communauté gay, non pour la valoriser ou l’élever, mais pour la rejoindre et s’adonner avec elle à la cuite et les parades vulgaires.

En effet, c’est là qu’on retrouve de façon paroxystique cette collusion amusante entre  »gay passéiste » et  »gay hédoniste aveugle », communautaire replié et outrancier. Certes, ces derniers ne revendiquent pas tellement, ni ne cherchent un regard spécifique ; en revanche, entre folle réformée, jouissance monomaniaque. Ils sont obsédés par leur orientation bien qu’ils s’en défendent ; et se vivent essentiellement par là. Ils sont tout à fait à l’aise dans un contexte officieusement permissif et officiellement conformiste comme le nôtre (pour n’importe qui, s’il y a sa place, ce n’est pas une mauvaise formule, c’est même une certaine organisation sociale fonctionnelle). Dès lors, qu’ils soient inclus dans la société, sans plus pouvoir être des anomalies de confort est agaçant pour eux. En effet, ils y perdent le seul marqueur de leur consistance, la compensation à leur absence mortifère d’intériorité. La crainte d’être exposé dans le débat n’est rien, par rapport à celle de perdre le plus précieux des acquis : une identité exotique et affranchie, ou sa parodie.

Forcément, que ce théâtre laid s’arrête, que les pédés deviennent des individus libres et responsables est un crève-cœur pour Frigide, qui risque d’y perdre ses compagnons de dissolution et d’avilissement.

D’un autre côté, les pro-Mariage gay sont énormément plombés par les libertaires dégénérés, dans et hors de leurs rangs ; pendant que leur vision petite-bourgeoise de la saine homosexualité intégrée file de l’urticaire à n’importe qui évaluant le sujet depuis une distance moyenne, qu’il soit concerné ou pas, phobique ou empathique. De la même manière que les réactionnaires aveugles et pseudo-réalistes comme Christine Boutin se rassurent en faisant des individus les esclaves de formes rigides dont l’arbitraire est un moyen et non une fin ; les progressistes conformistes écrasent les individus sous le poids des catégories lisses et rabougries qu’ils cherchent à instaurer, dans un réel toujours insuffisamment discipliné et ouvert à leur conception horizontale de la matière humaine.

Par-delà toutes ces considérations, on oublie qu’il a longtemps s’agit de « mariage gay », label toujours utilisé, de tous bords. Pourtant voilà un terme déshonorant, relevant du ségrégationnisme bienveillant ; il est digne de la  »discrimination positive » de la droite paternaliste pressée de s’ouvrir au monde. La requalification en « Mariage pour tous » fut tardive et emmène d’une aberration sémantique à une éructation pas moins révélatrice ; le caractère grégaire et aveugle de la formule tend à subordonner une institution aux désirs de chacun. Comme si le progrès était dans l’abattement de toutes les frontières, la remise au niveau de chaque égo et chaque demande des constructions manifestes ; c’est une certaine définition de la Gauche.

La brimade progressiste

Le premier problème du projet de loi est sa confusion, car on ignore où s’arrêtent ses engagements. En vérité, nous savons tous qu’une petite majorité de la population est favorable au mariage, dans l’acceptation ou l’indifférence ; mais qu’une un peu moins courte majorité est plus sceptique sur l’adoption ainsi que sur l’autorisation du recours à la PMA. C’est la position d’un bloc important de l’opinion, tout comme de personnalités publiques à l’instar d’Alain Juppé.

L’autre grand problème posé par cette loi, c’est qu’elle bouscule la société à un moment inopportun ; en temps d’agitation et de frustration sociale, une telle réforme sociétale est vécue à la fois comme un mépris de la condition des masses, un cache-misère de la part du gouvernement, mais aussi pour certains comme une façon de priver des repères sécurisants ; et là aussi, de formes identitaires constitutives d’un mode de vie, d’un code social, d’une interprétation des rapports entre les hommes, qui est une richesse première. Si les élites ne perdent rien lorsque les traditions sont chamboulées, les catégories plus démunies elles, en revanche, se voient soudain culpabilisées et mises à l’écart pour les conceptions demeurant rennes chez eux. Certains progrès peuvent ainsi, à tort ou à raison, être ostracisant pour les populations qui elles, n’ont pas intérêt à remettre en doute l’ordre établi, car elles n’ont pas de parachute pour se prémunir de l’incertitude et que leurs valeurs y sont ancrées.

Par ailleurs, le projet n’est pas simplement en faveur d’un mariage assorti éventuellement d’une adoption sous condition ; il révise effectivement la notion de famille. Et à ceux qui se sentent ainsi floués, citoyens inaudibles dans une société civile confuse et anémiée, s’ajoute un mépris pour leur cadre de vie.

Ainsi, les Manif pour tous ont cristallisées ces angoisses ; il y a, par-delà toutes les réformes engagées, la colère d’être ainsi abandonné par le pouvoir, les autorités publiques ; et l’horreur de réaliser que la politique devient sa parodie.

Les représentants politiques jouent avec cela : la droite s’est trouvée un cheval de bataille ; la gauche fait s’éterniser la mise en œuvre et ces professionnels retrouvent ainsi une contenance, par la clivage artificiel.

La polémique creuse des égoïstes

Par conséquent, le monde politique apparaît caché derrière une confusion auto-entretenue. Sous le bruit et les bavardages, on ressent le dénigrement d’une politique ambitieuse. Le Parlement se prête à l’empoignade de circonstance plutôt qu’à la mise en forme de la société, ou même à se faire son réceptacle, son écho. Dans le même temps, c’est l’abandon des populations inaptes au mouvement qui est scellé ; en parallèle de la consciencieuse et profonde démolition des identités et les institutions nationales, les cadres traditionnels sont démantelés, après que leurs figures aient perdue une guerre culturelle où elle n’avaient guère de représentants. Pour les forces dominatrices (extrême-centre, libéraux de gauche et libéraux de droite), la droite conservatrice est une tout aussi profonde entrave que la droite souverainiste et nationale, c’est aussi l’ennemie la plus pratique, un sparring partner facile.

A l’arrivée, la peur est autant dans cette horizontalité des modèles familiaux ; que dans la sensation de n’être plus qu’une « variable d’ajustement » (comme le dit si bien Christine Boutin sans assimiler le message), au regard de gestionnaires passifs et virtuoses usurpant la place de décideurs. La question qui se pose est  »moi qui n’appartient à aucune minorité, moi qui ne me distingue pas de la masse, ais-je une valeur sociale, suis-je l’objet ou la cible d’une réforme ? » et la réponse auto-administrée sera, plutôt à raison,  »Les élites ne répondent plus à mes préoccupations d’homme ordinaire ou de composante d’un ensemble social, d’une communauté par-delà les communautés et les intérêts particuliers ; elles m’approchent éventuellement, par clientélisme, de la même manière qu’une entreprise s’enquiert des segments du marché s’offrant devant elle. » Car la politique sans vision, sans principes ni dynamiques, n’est plus qu’une boutique.

Et effectivement cette caste politique est essentiellement peuplée de fantômes et de challengers ; d’ailleurs les aventures personnelles ont pris le pas, avec les polémiques proches de la farce, pour mieux excuser l’abaissement des confrontations politiques et l’évaporation des projets cohérents et soutenus. Il est naturel que le monde politique soit un nid à carriériste, mais il est inquiétant qu’il n’offre plus, pour l’essentiel, que des caricatures cyniques. Les quelques héros isolés (Montebourg, Peltier) et pantins rugissants ne font qu’insuffler un relief ponctuel à un paysage désenchanté.

Le caractère factice et bassement opportuniste de l’engagement politique fut parfaitement traduit par l’approbation de deux seuls votants UMP lors de la présentation du texte de loi du  »Mariage pour tous » (retour du texte au Parlement le 23 avril). Parmi eux, Franck Riester, gay lui-même, c’est-à-dire personnalité n’intervenant que pour ses intérêts propres (et ayant trouvé la notoriété par le coming-out), se plaçant servilement dans le sillage tracé par sa tribu copéenne pour le reste. D’ailleurs, on attend toujours l’intérêt de la présence de Riester, la particularité de son profil ou de son logiciel. Sinon le refus de dévoiler son patrimoine personnel lors de la loi sur la transparence de l’après-Cahuzac, rien ne le distingue de sa horde. Par extension, on peut se rappeler de Roger Karoutchi qui avait tenté par le coming-out de relancer sa campagne pour les régionales. Il n’a pas bénéficié de la prime aux innovateurs (premier ministre en exercice à se dévoiler sur ce sujet) et fut sèchement battu dans ce scrutin interne à l’UMP.

LINCOLN *

18 Fév

1sur5 C’est un programme transparent de storytelling à la faveur du Président Lincoln et de son combat pour l’abolition de l’esclavage, dont il pris l’initiative pendant la Guerre de Sécession. Spielberg prend en charge la volonté évidente et assumée de donner vie à une leçon de courage politique et illustrer un acquis progressiste à la gloire de l’histoire américaine. Les mauvaises langues et les américanophobes obstinés y verront du patriotisme déguisé, c’est leur erreur, technique certainement et éthique peut-être : justement, l’oeuvre cherche à cultiver cette noblesse d’esprit et cette fierté d’une Histoire. Malheureusement elle se fourvoie et s’attache à montrer une saine vague égalitaire que ne sauraient brimer les esprits rigoristes et les meutes mal éduquées. Lincoln pourrait flatter l’idéalisme socio-culturel et stimuler l’égo d’une nation, celle présumée de la liberté, en sublimant ses valeurs : il en sortirait tout à fait valide et louable dans l’intention, et ce serait à chacun de se positionner vis-à-vis de cette possible fanfaronnade organique. Mais son orgueil est ailleurs : l’entreprise Lincoln projette un saut de conscience pour se l’attribuer en retour, suspendre le jugement critique et surtout, plus grave, taire les contradictions d’aujourd’hui en procédant à l’OPA sur un label progressiste au service de la dépolitisation et de la déculturation (d’ailleurs, à la marge, le film se fout pas mal d’Histoire et de vérité).

Le traitement du personnage éponyme est fidèle à cette lâcheté et cet opportunisme insidieux. Lincoln y est une absolue baudruche, une âme vierge au service d’une image et d’une volonté vaporeuses. Daniel Day-Lewis apparaît nonchalant d’un bout à l’autre, dans le corps de l’homme sûr que les choses se feront ; en-dehors de sa réforme téméraire, aucune fulgurance, jamais un mot du cœur, un trait d’esprit ou un discours enflammé. C’est le roudoudou centriste, pragmatique et bon, raisonné et tourné vers l’acceptation. En d’autres termes, le sage moribond, affecté mais suffisamment cantonné à la surface (des éléments du monde extérieur comme de lui-même) pour ne jamais être pénétré réellement.

Même lorsqu’il touche aux enjeux et postures sérieuses, Lincoln s’inscrit unilatéralement dans le roman de l’Histoire ; de la même manière que la politique et les acteurs publics aujourd’hui se délivrent par le biais du roman plutôt que par celui de la décision ou du rapport de force ouvert. Spielberg ne livre rien d’autre que le roman de la réforme ; l’idéologie y est totalement subordonnée, c’est un pantin qui fait guise de prétexte ou d’illustration grandiloquente, selon la séquence, les besoins ou l’envie. A ce titre, le personnage de Tommy Lee Jones, le « republican radical » Thaddeus Stevens, campe le seul personnage exhaustif. Idéaliste et battant, volontiers paradoxal, il marie cynisme et activisme, apparaît comme un démocrate condescendant et simultanément le promoteur de l’égalité devant la loi, se montre dissident dans l’esprit et légaliste dans l’attitude. La manne iconique du film, c’est lui ; alors que Lincoln, le médiateur affable, est trop neutre pour stimuler la passion ou l’attachement, trop adapté cependant pour ne pas réunir les suffrages.

Tout entier consacré à valoriser une posture morale drapant ceux qui s’en approche de courage, Spielberg dans son emphase rétro-active ignore les nuances de l’Histoire ; au point d’oublier de faire des Noirs eux-mêmes un des moteurs de leur propre émancipation. Le fossé est considérable : alors que le film de Spielberg se confond en mythes passés et s’attribue des vertus acquises par d’autres et admises par tous aujourd’hui, jamais le produit ne se penche sur son sujet. Il s’agit de consacrer ces braves réformateurs dans lesquels il est bienvenu et aisé de se projeter. Le sujet, lui, n’est que l’otage de cette hagiographie de l’intelligence et de l’esprit éclairé des masses (au moins celles illuminées, agenouillées et suspendues devant « le progrès » de confort). Et alors le film réussit effectivement à refléter l’histoire américaine, y compris celle en mouvement : la cause des Noirs est le meilleur cache-sexe de progressistes d’étiquette, falots en tous points et dans toutes les circonstances.

C’est le parfait film pour l’humble homme lissé du quotidien, au racisme inconscient et à l’anti-racisme inconséquent, qui pourra célébrer son libéralisme vertueux tout en tenant un brave égalitariste sur sa gauche, histoire de posséder une bonne et teigneuse conscience à disposition et se flatter de ses idées, sans non plus s’y sacrifier au cas où on irait trop loin. Pathétique bouffonnerie lustrée et boursouflée, par une industrie de conservateurs masqués prêts à s’engager dans la défense du petit personnel, tant qu’il est et reste invisible.

Note globale 29

Page Allocine

Note ajustée de 29 à 28 suite aux modifications de la grille de notation.

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