Tag Archives: .70

VICTOR VICTORIA =+

27 Nov

victor victoria

Dans les années 1930 à Paris, une chanteuse d’opéra (Julie Andrews) ne trouvant plus de contrat commence à sombrer en dépit de son état d’esprit positif. C’est alors qu’elle fait la rencontre d’un quinquagénaire (homosexuel) encore plus aventurier : Carol Todd alias Toddy, qui la pousse à se faire passer pour un homme travesti en femme. Victoria Grant connaît alors un immense succès dans les cabarets parisiens en tant que Victor Grazinski, comte polonais et surtout personnage totalement inventé par Toddy. Victor rencontre King Marchand, producteur américain macho et leur attirance pose de sérieux problèmes aux plans et aux acquis de chacun.

Victor Victoria reprend doublement un cadre ancien (le Paris des artistes dont French cancan est censé être une synthèse, les comédies avec Marilyn ou celles de Billy Wilder) pour déniaiser les représentations véhiculant à son sujet. C’est un revival de la screwball comedy sans faux affronts et dévergondés mielleux, jouant avec les perceptions liées au genre [sexué]. À l’occasion il vise bas et gras (pas dans le répertoire ‘folle’ à disposition), mais comme toujours avec Blake Edwards même les pires moments sont sophistiqués dans leur domaine, ou du moins joliment enrobés ; Edwards est alors dans sa période des pantalonnades scabreuses (comme SOB). Le côté vaudeville troupier du début rayonnera jusqu’au-bout mais le goût du trivial partage la vedette avec une certain raffinement, une maîtrise éblouissante et un entrain insatiable.

D’ailleurs l’ambiance ne pâtit pas de la tendance, pourtant marquée, aux étirements inutiles. Victor Victoria pourrait largement être taillé pour plus d’efficience, mais ce serait contrarier le génie qui l’habite. Les dialogues sont malicieux (surtout les one-line de Toddy), les protagonistes attachants, certaines ambiguïtés savoureuses ; Edwards pousse toujours tout à ses limites, épuise les ressources et les opportunités. Émotionnellement c’est les montagnes russes, avec quelques décompressions, beaucoup de confessions et de surprises dans les portraits. Ce n’est pas nécessairement fin mais ça reste pertinent, quoiqu’on puisse toujours, comme King Marchand mais pas sur les mêmes motifs, douter de la validité d’une telle supercherie.

Du remake d’un film musical allemand de 1933 (Viktor und Viktoria), Edwards fait un film tendre et euphorique, préférant les faux-semblants en écho aux mœurs du spectacle et aux normes sexuées, plutôt que de faire fructifier des mystères et des jeux de dupes à l’intérêt plus sommaire. En somme il réinvente jusqu’aux registres bouffons qu’il exploite pour se lancer. C’est en tout cas avec cet opus (1982) qu’Edwards va revenir à l’avant-scène, après plusieurs échecs commerciaux. Il s’agit du dernier triomphe de l’auteur de La Party, Diamants sur canapé et des adaptations de La Panthère Rose, sa carrière s’achevant onze ans plus tard avec le 9e volet de cette saga. Une comédie musicale inspirée du film sera produite à Broadway 738 fois de 1995 à 1997, avec Julie Andrews puis Lisa Minelli dans le rôle de Victor/Victoria.

Note globale 70

Page Allocine & IMDB   + Zogarok sur Sens Critique

Suggestions… Cabaret/Bob Fosse + Boys don’t cry + Phantom of Paradise + Mary Poppins + La Mélodie du Bonheur + Un Américain à Paris

 

Scénario & Ecriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (3)

Voir l’index cinéma de Zogarok

.

LA GUEULE OUVERTE ***

3 Mar

la gueule ouverte

3sur5  Maurice Pialat s’applique à mettre le spectateur face à la mort, de la façon la plus directe et plate possible, sans expressions artificielles. Pas d’art ni de productions de l’esprit, pas de religion ou de promesses non plus, les choses telles qu’elles sans tout ce qu’on pourrait mettre par-dessus. Suivant l’agonie d’une femme entourée de son mari et de son fils, La Gueule Ouverte n’a cinématographiquement pas de qualités ou de défauts saillants, rien de spécifique dans sa mise en scène en-dehors de l’épure radicale. Parti-pris observateur et réaliste pour point de vue d’une morosité absolue.

En raison de cette optique réaliste, il y a des choses supplémentaires, inutiles au récit, mais inutiles surtout au même titre que nos moments de solitude, nos petites transactions quotidiennes, le sont. Pialat infiltre la France rurale, enfin une partie, celle qui meurt -et ceux qui se flétrissent avec elle. L’humilité et le stoïcisme règnent, mais aussi les gens cons ou trop ‘simples’ à l’âme minuscule, qui pourrait même pas être en miettes. Le mari de l’agonisante s’inscrit parmi ceux-là, en plus grivois, avec ses résidus de vitalité dégueulasses. C’est comme un reportage pathétique, avec un film pour le noyer et un ton se voulant restitutif, neutre, mais acide : montrer les choses, pas comme un voyeur alléché, mais comme un romancier rigoureux, quitte à nier le cinéma.

C’est le plus naturel possible, sans rien de théâtral ou alors dans la mesure où les gens le sont spontanément (contrairement à Sous le soleil de Satan 13 ans plus tard). Toutefois La Gueule Ouverte n’a pas l’intensité de L’enfance nue. C’est un film un peu fantôme, comme ces gens. Pénible pour le pire, c’est promis : pas ‘le pire’ comme dans les tragédies ou même les drames atroces, non, le pire minable, le pire de l’homme ou de la femme ordinaire et insipide, qui se noie dans sa petite flaque, dans un coin perdu et insalubre où l’Humanité est à son degré le plus plat et misérable. Y a de la substance. Elle est lourde, elle ne diverti aucunement, elle nous plonge dans la réalité le plus concrètement possible ; comment est la vie quand on est sur la dernière pente, ou qu’on accompagne quelqu’un. Il fallait qu’un film l’expose, au moins un bout, un essai.

Note globale 70

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Amour/Haneke + Cris et Chuchotements  

 Voir l’index cinéma de Zogarok

.

SOLITAIRE/ROGUE =+

4 Août

solitaire

Malgré ses crocos tueurs au casting, Solitaire aka Rogue n’est pas du tout un film d’horreur bourrin ordinaire. C’est à la fois une grosse série B et un film d’auteur au panthéisme agressif et décontracté. La séance est généreuse et drôle, simultanément brutale et aérienne. Rogue ne se départ pas des ‘clichés’, pour fonder quelques personnages secondaires et leurs relations, mais prend toujours de la hauteur sur eux.

L’humour lui-même est assez pittoresque et l’ensemble bien écrit, malgré quelques flottements dans le deuxième tiers (quand le groupe tombe dans le piège). Pas original sur ce point, le film est en effet divisible en trois temps et le second est le moins fort, alourdi par une surenchère normative le contrariant dans son épanouissement. Il fallait la dose de gore et de moments d’émotion apocalyptiques mais les auteurs ne maîtrisent pas si bien les grossièretés trop conventionnelles. En tant que film gore animalier, Rogue est de toutes façons atypique.

Dirigé par le réalisateur de Wolf Creek, il a quasiment l’approche d’un documentaire ; non un de ces faux documentaires fainéants ou vulgaires pullulant dans tous les archipels de l’Horreur ; pas non plus un docu-fiction taillé pour le service public. C’est plutôt une sécheresse fondamentale résultant d’un recueillement face à son sujet. La Nature est donnée à contempler de la façon la plus optimale possible selon les moyens en présence ; elle est le vrai sujet et les pseudo-aventuriers potentiellement dévorés ne sont que des passagers servant de repères et de distraction.

Rogue séduit également par sa précision et son honnêteté. Il n’y a pas de ‘second degré’, de surprises grotesques ou de surgissements gratuits, il y aura bien en revanche cette idylle décalée. Issu de la patrie de Crocodile Dundee, Rogue prend à revers et envisage son folklore à disposition avec un maximum de réalisme, y compris sur le plan humain et pratique ; ce dépouillement ne lui interdit pas d’être ludique. Voilà un happening reptilien détonnant, appelé accessoirement à régner sur la branche crocodilienne de l’horreur animalière.

Note globale 70

Page Allocine & IMDB   + Zoga sur SC

Suggestions… Borderland + Piranhas 3D + Black Water + Primeval

 Voir l’index cinéma de Zogarok

.

ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX =+

26 Mai

Inspiré du roman éponyme de Horace McCoy (1935), On achève bien les chevaux a deux grandes démarches. D’abord c’est un témoignage sur la Grande Dépression et une de ses surprenantes répercussions : les marathons de danse organisés dans les 30s, sortes de nouveaux jeux de cirque où des prolos venaient tenter leur chance pour obtenir une récompense.

Par extension, le film se présente comme une parabole violente de la déshumanisation induite par cette logique. Les plus démunis se retrouvent mis en pâture : naturellement on pourra plaider leur libre-arbitre, arguer que personne ne les oblige. Néanmoins les conditions de leur existence justifient qu’ils en arrivent à une telle situation. Qui est venu spontanément aux marathons de danse, pour y briller par ses performances étonnantes ? Personne, tous sont là par nécessité.

Très démonstratif, le film les montre donc complètement ratatinés, continuant encore, résignés, comme des morts déférents. Très moral et critique aussi, il nous montre comme les effets de l’appât du gain et met en lumière l’individualisme réduisant à la bestialité (c’est le parti-pris politique du film, il a une illustration appropriée mais le prisme est déformant). Sydney Pollack porte un regard désespéré sur l’Humanité et semble tenir la nature humaine comme viciée, égoïste, voir malfaisante mais souvent par omission.

C’est le plus explicite chez les producteurs de l’émission, se cachant toujours derrière l’argument du  »show must go on ». S’il y a vice, c’est chez le spectateur, dont on est forcé de respecter la loi. Dénoncer cette cruauté est une chose, mais On achève bien les chevaux a tendance à confondre les faiblesses de l’Homme et sa vulnérabilité à la négligence avec une mesquinerie intrinsèque, comme si les individus en tant que tel n’existaient pas, qu’ils n’étaient que ces troupeaux agglutinés.

Si le manque de conscience ou l’empathie perverse des spectateurs est évidente, l’Humanité toute entière n’est sans doute pas responsable d’une telle déroute. En revanche, The Shoot Horses, don’t thy ? est juste dans sa dénonciation du divertissement plébéien et sacrificiel, montre toute sa dimension mammalienne horrible. Le contexte est proche de celui de la télé-réalité qui occupe cette fonction aujourd’hui, puisque le marathon se déroule sur plusieurs semaines et qu’on peux avoir des échos des aventures et ébats dans les loges des artistes.

Toutefois, en plus de pêcher par ses excès et l’univocité de son propos, le concept ne peut soutenir le film tout entier. Il finit par sonner juste et creux, tout en profitant de qualités plus traditionnelles : en tête, l’interprétation de Jane Fonda en garce amère, battante acceptant d’être au crépuscule ; et de Michael Sarrazin, sosie de Nicolas Bedos, grand garçon un peu rêveur et beaucoup niais. Côté narratif, c’est moins évident, car les lignes sont un peu lourdes. Pour la technique, Pollack ne se montre guère inventif.

Reste qu’en dépit des limites posées par son idéalisme, On achève bien les chevaux pose un constat nécessaire. Il expose le sort des damnés de la Terre et de leur vulnérabilité face aux exploiteurs, alors que les mieux lotis se montrent apathiques à l’égard de leur détresse.

Note globale 70

 

Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC

Suggestions…

 

 
Voir l’index Cinéma de Zogarok

.

EVOLUTION (2016) =+

23 Déc

Lucile Hadzihalilovic est une réalisatrice se produisant rarement. En vingt ans elle a laissé La Bouche de Pierre et Innocence, puis quelques courts et livraisons de second ordre. Productrice et monteuse de Carne et Seul contre tous (une descente illuminée par un monologue nauséeux), elle est devenue la collaboratrice à temps plein de Gaspar Noé via leur société Les Cinémas de la zone. En 2015 elle tourne aux îles Canaries le film Évolution, nageant entre l’épouvante, la science-fiction et le body horror.

C’est un cas remarquable de film hermétique et crypté, quoiqu’il se laisse découvrir à terme. Le ‘comment’ est accessible, le ‘pourquoi’ restera en suspens. La mise en scène joue sur une sorte de claustrophobie insulaire ; le ciel ouvert semble faux, le village a des airs de station balnéaire transformée en colonie d’avant-garde. Cette micro-société est le théâtre d’un constructivisme radical. Elle a ses charmes ésotériques, repoussants et sinistres, mais avant tout elle matraque les perceptions avec son organisation. Ses résidus de scientisme déluré et son fanatisme inédit n’ont pas aidés à dresser une civilisation des hauteurs, mais ont su interrompre la tyrannie de la Nature.

Au programme : négation de la mort et de la biologie élémentaire, mise hors-champ sinon oubli total de toutes les formations et les cultures qui ont pu l’accompagner, telles que la famille, le domaine des arts et de la philosophie. Évolution donne une fenêtre sur un monde alternatif, imagine un futur avec une tentative réussie de nouvelle espèce : pas tout à fait inhumaine, mais post-humaine, avec la jeunesse exclusivement mâle comme chair ‘à production’ (non plus à canon, il n’y a pas d’altérités à intimider en interne et à dégommer dans l’horizon). Le contexte et les rituels étranges renvoient à l’imaginaire lovecraftien et précisément à tout ce qu’a entraîné son Innsmouth, exprimé via le Dagon de Stuart Gordon par exemple ; la proximité avec l’italien Dark Waters, bobine assez confidentielle, est éclatante.

De manière plus indirecte, Évolution donne l’impression de voir Eraserhead approprié par une femme. Certains amateurs de ce genre de fantaisies se rappelleront L’Île du Docteur Moreau, Alien pour des éléments physiques précis ou encore Les révoltés de l’an 2000 (‘suite’ sale de Sa Majesté des mouches). Ces références sont globalement fondues dans un magma, décelables par les cinéphiles avec une mémoire commune à celle de la réalisatrice. Ce terreau explique l’originalité paradoxale d’Évolution, sur un continuum entre représentations excentriques pré-existantes et formulations à part. La limite du film c’est de rester quasi mutique comme ses personnages ; la réalisation, tout sauf plate, est cependant non-interventionniste face à ‘ça’.

Le film n’invite pas à une exploration. Il capture par touches, dans un espace apparemment clôt mais plein de trous. Des tableaux forts se développent dans un climat anxieux mais léthargique. Les prises de vue sont sournoises. Le décalage instinctivement ressenti par les enfants est peu mis en valeur, mais connecte à celui du spectateur, qui a une place de grand frère invisible et démuni. Si cette visite éthérée et corsetée plaît, c’est un cauchemar délicieux, parce qu’on ne s’y sent qu’à moitié. Comme la séance est courte et le développement clair en fin de compte, l’aridité, les arrangements excessifs, le manque d’approfondissement, deviennent des gênes mineures.

Évolution peut être une révélation pour des jeunes cinéphiles se lançant hors des sentiers rebattus ; ou pour de vieux éclairés qui auront le bonheur de retrouver quelque chose de radical et maîtrisé. Il laisse cependant peu de prises au spectateur, aucune attache franche vu ses personnages quasi nuls (comme le réclame leur fonction, sinon leur raison d’être). De plus l’approfondissement n’est pas son fort, le scénario peut laisser frustré. En revanche Évolution sera à retenir pour son habillage (photo de Manu Dacosse), ses détails d’atmosphère, ses déformations aquatiques (manifestes dès l’apparition des femmes avec leurs faces de clones).

Note globale 70

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Le Continent des Hommes-poissons + Under the Skin + Goodnight Mommy

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (3)

Note passée de 69 à 70 avec la mise à jour de 2018.

Voir l’index cinéma de Zogarok