LIVRES 2023 (Bilan)

3 Jan

Virginie Despentes =– Les jolies choses (France 1998) : Des choses justes, triviales et profondes, au milieu d’un tombereau de surenchères superficielles. Impression de parcourir une littérature discount avec son supplément d’âme léger, jeune et un peu ‘faux’. (44)

Agatha Christie – Le crime de l’orient express =+ (UK 1934) : Découvert immédiatement après l’adaptation de Brannagh, sans quoi je l’aurais lu avec peine. Conclusion précipitée et difficile à avaler. Les détails de caractère et les réactions pendant les entretiens me paraissent plus intéressants que l’enquête. (58)

Tristan Egolf – Le seigneur des porcheries =+ (USA 1998) : Des scènes d’errance, de marginalité et d’injustices poignantes. Une tendance à ‘teaser’ régulièrement et presque à soutenir une trentaine de premières pages avec cet effet… puis surtout à étaler la montée de sauce lors des pages 400, où la collectivisation du point de vue galvaude la force du récit. Ces pages 400 m’ont déçu aussi à cause du défaut de vraisemblance : l’absence de réaction coordonnée, de recherche concrète même pataude d’arrangement de la situation et surtout l’oubli des fauteurs de trouble (à une minuscule incartade près, peut-être incrustée pour rappeler que nous sommes ici aussi pour les éboueurs et John, ou bien pour parer au reproche dont je me fais le relais) sont soit le fruit d’une maladresse soit d’une complaisance… ou d’un forçage que je m’explique mal. Sinon par la volonté de donner dans la satire, si étroite qu’à la fin elle laisse sur le côté. J’ai parfois été passionné par ce livre mais la rage de l’auteur l’a probablement floué. Et poussé à un recours abusif au terme « mépris » (lu en VF, bien sûr). (68)

André Malraux – La tentation de l’Occident – (France 1926) : Après être sorti un peu perplexe de La condition humaine, j’ai voulu re-tenter Malraux… Je m’explique mal qu’un tel tissu de finasseries venteuses passe à la postérité ou même que d’autres individus puissent sérieusement apprécier et estimer une telle prose. Je ne comprends pas – ces commentaires élogieux, ces remarques énamourées, ce respect et cette admiration pour l’homme et ses exploits publics. S’agit-il d’une expérience sociale malheureuse ? D’hypnose collective ? D’hypnose française ? Cette Tentation de l’Occident ne fait que broder autour de l’opposition entre un Occident malade de son rationalisme et de son désir de conquête [‘malheureusement’ rassasié] versus un Orient d’une léthargie souveraine et vaguement animiste – oui je caricature, oui il est temps de grossir le trait et aller droit au but, après ces pages imbitables de démonstration par le truchement de la haute verve de Malraux de la saveur humide de l’eau mouillée tiédie à la source. Ce livre est comme tout Ministère de la Culture : bon pour les flammes. (22)

Michel Houellebecq – La possibilité d’une île + (France 2005) : Le meilleur de Houellebecq, auprès des Particules élémentaires (deux fois plus court, donc peut-être à recommander en priorité pour avoir un aperçu le plus ‘exhaustif’ possible de l’univers houellebecquien) ; légèrement derrière ce tandem, Extension. Je devrais peut-être revenir sur Soumission et La carte (notés 7 et 6) pour inverser leurs notes. Soumission était mal écrit et serait le Houellebecq ‘chatGPT’ s’il en fallait un ; La carte m’apparaissait comme une farce dont il y avait moins à tirer ‘concrètement’ qu’ailleurs. (82)

Madame de La Fayette – La princesse de Clèves (France 1678) : Le ‘premier roman moderne’ doublé de ‘premier roman psychologique’ est d’une inanité insoutenable. C’est un amas de qualificatifs pompeux ou énamourés, si à ce niveau de courtoisie et de bienséance on peut encore s’approcher d’un sentiment réel. L’intégralité des personnages sont l’objet de descriptions creuses et ne se distinguent que par leurs positions dans des jeux d’intérêts, jamais par leurs caractères (seule la mère est un peu définie) ; or les intérêts eux-mêmes sont abordés avec finasserie telle que tout se confond. Cette princesse commet une double faute à mes yeux : c’est une intégriste de la ‘vertu’, ce qui est indigne d’une adulte (mais justement ‘la femme’ est une ‘mineure’) ; elle reste accrochée à ce monde – tout comme Madame de La Fayette, laudative et tragique tout en dénonçant l’hypocrisie de ce système humain… mais sans savoir le charger – il y a à peine de défauts dans cette galerie d’humains, encore moins de vices ; il n’y a que des insuffisamment vertueux c’est-à-dire enrégimentés, cérémonieux et inertes – voilà ce qui affecte notre pauvre autrice et sa princesse. Cette autrice est un complément à Malraux pour incarner la France dans ce qu’elle a de ‘hors-sol’ sans rien de charmant ou appétissant ; une tour d’ivoire où on a pas envie de grimper, mais qui vient à agacer à force de vouloir ériger sa passion de finasserie en avant-poste de la civilisation. (28)

Molière – L’avare + (France 1668) : Scènes truculentes grâce à Harpagon. La conclusion a une saveur inhabituellement triste. Cette pièce se prête à des interprétations pathétiques, ou glauques, ou anxieuses, ou mélo-dramatiques, en plus de celle simplement grotesque. Parmi les meilleures de Molière, avec Dom Juan et auprès du tandem Tartuffe/Misanthrope. (82)

Molière – Monsieur de Pourceaugnac =+ (France 1669) : Particulièrement bouffon, sûrement un excellent support à clowneries visuelles pour les metteurs en scène. J’en retiens la volonté de rendre fou le protagoniste et surtout la rhétorique totalitaire des médecins. Personnages et intrigue sans grand intérêt. On perçoit davantage la férocité à l’encontre de Pourceaugnac que l’infamie ou même le ridicule du personnage, dont le crime essentiel est d’être benêt – en somme c’est un Dîner de cons. (64)

Molière – Les précieuses ridicules =+ (France 1659) : Quasiment toute la pièce est sur la même note. L’intrigue est à la fois embrouillée et évanescente – manifestement on mise beaucoup sur les interprètes et le contexte de représentation. L’humour repose soit sur la raillerie de ces deux arrivistes maladroites, soit sur des gags très démonstratifs ; je n’ai été sensible qu’au premier, mais il donne à souffler du nez plutôt qu’à rire. La volonté d’humilier le protagoniste est plus ‘épanouie’ dans Pourceaugnac. Comme avec ce dernier c’est surtout la charge contre une ‘institution’ qui m’a plût (alors que je me suis infligé quelques jours avant La princesse de Clèves) ; mais cette fois, c’est à peu près tout ce que je trouve en sa faveur. (56)

Molière – Les fâcheux =- (France 1661) : Première ‘comédie-ballet’ soit comédie musicale pour cour royale. Série de portraits creux et ridicules ‘mais’ outranciers. Lourdingue et assommant, seules quelques sentences tirent de l’engourdissement. Mais qu’attendre d’une œuvre de lèche[-majesté], conçue à la va-vite et s’annonçant exaspérante dès le départ [puisqu’on va se farcir les récits et réclamations d’importuns] ? (42)

Madame de La Fayette – La princesse de Montpensier =- (France 1662) : À peine moins gonflant que celle de Clèves. Plus pragmatique et axé intrigues. (32)

René Barjavel – La nuit des temps =- (France 1968) : Impression de lire le plan d’un blockbuster ou d’une romance new age sauce nanar ampoulé. Des idées pour lesquelles on est prêt à s’enthousiasmer… toutes balayées, au mieux des accessoires. (48)

Edgar Allan Poe – La chute de la maison Usher + (USA 1839) : Addiction et réduction résolue d’un malheureux à ses chaînes – spécifiquement, son destin d’aristocrate impuissant. Même en versant dans la psychologie, Poe préfère la beauté et la suggestion à l’analyse (laquelle altérerait le pouvoir de séduction). Il y a assez de portes entrouvertes (refus de la vie, perceptions atypiques, impression des états mentaux humains sur l’environnement – la maison et la famille sont un vieux couple, terreur et aliénation consenties par fatalisme, inceste, nécrophilie) pour inspirer immédiatement des digressions à l’échelle individuelle, donc un appétit qui fera tenir en estime cette nouvelle ; puis pour inspirer plus largement des adaptations sur d’autres supports, ce que les cinéastes ont fait abondamment. (78)

Johan Norberg – Non ce n’était pas mieux avant =+ (Norvège 2016) : L’auteur a un positionnement (libéral égalitaire, matérialiste, optimiste) que j’aurais réprouvé il y a un peu plus de dix ans et qui dans les trois dernières parties commence à se prendre des murs (dont il tient compte mais sa foi dans le progrès exponentiel à long-terme lui fait balayer les menaces et les régressions forcément ponctuelles). Mais concernant son regard sur le passé et les progrès réalisés, aujourd’hui comme il y a dix ans, je suis évidemment d’accord. On sait ce qu’on a gagné matériellement ; les pertes spirituelles, culturelles, sont sujettes à interprétation et potentiellement à pure invention. J’aimerais tout de même voir une version de ce livre post-Covid et aussi post-dégringolade (au moins relative) de l’OCDE. Comme ce livre a une vision quantitative, peut-être que le déclin de nos vieux pays n’est pas un problème si l’ensemble connaît toujours une croissance de la qualité de vie… mais je suis un habitant d’un de ces pays fatigués et je refuse de relativiser à ce point. (68)

 

 

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