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BARBE-BLEUE +

27 Juil

Dans les années 1860, Pierre-Jules Hetzel commande au sculpteur et dessinateur Gustave Doré une série de gravures pour une édition de luxe du recueil des Contes de Perrault. Cette série fascinante, enchanteresse et pourtant réaliste, aspirée par le versant ténébreux suggéré par les contes, accompagnera les représentations des générations suivantes. Méliès s’en inspire pour adapter Barbe-Bleue à l’écran en 1901. Il y utilise un grand nombre de trucages et renouvelle ses deux fondamentaux, la surimpression et l’arrêt-caméra, notamment pour obtenir six ‘expositions multiples’ (comme dans L’homme-orchestre ou Le mélomane, avec cette fois la tête de Méliès et non des corps entiers). La scène où sa 8e femme est secouée et traînée par Barbe-Bleue est simulée grâce à un arrêt-caméra parfaitement précis car invisible – succès un peu gâché par la raideur ‘flasque’ du mannequin.

En introduction, Méliès présente un Barbe-Bleue charmeur et affable, quoique son extravagance embarrasse ; un jeune et exalté papa noël, généreux pour les dames, bon avec les domestiques. Conformément au conte ‘de Perrault’ (au XVIIe, il faisait passer ces histoires orales à l’écrit, leur origine étant indéterminée et située dans le peuple), le mari ne montre son visage effrayant qu’après la découverte de ses anciennes femmes. Cependant Méliès traite le sujet de façon légère, atténuant l’horreur en gardant jusqu’au-bout le caractère de l’ogre superficiel. L’exposition des six pendues est le seul ‘viol’ de la bienséance : il est frontal, de l’ordre du grand-guignol ‘soft’, exécuté à distance. Cependant les heurts ne sont que physiques. La violence morale et sentimentale sera forgée par l’imagination du spectateur, notamment les plus jeunes ou les éventuels découvreurs.

Avec ses 10 minutes, ce film est l’un des plus longs de son temps, quand ses concurrents plafonnent pour l’essentiel à 2 minutes. Méliès s’était déjà frotté à cette longue durée pour L’Affaire Dreyfus (1899) et Jeanne d’Arc (1900), là encore sur deux thèmes ‘objectifs’, connus de tous – le premier en tant que film d’actualité montre que Méliès était un innovateur au-delà de sa contribution majeure, les trucages. Ce temps est employé avec succès grâce à une multitude de petites animations et interactions, ce qui n’est pas toujours le cas chez Méliès : Le Voyage dans la Lune et celui à Travers l’impossible, si brillant soient leurs dispositifs, ont tendance à grossir l’insignifiant en le remplissant avec les gesticulations des personnages. Ici Méliès a encore sa tendance à étirer et l’applique aux scènes collectives, surtout la première. Elles permettent d’afficher le grand nombre de décors peints, au raffinement naïf proche de l’Art nouveau (présent également mais modestement dans Le diable au couvent).

Enfin Méliès arrive à casser un peu de la distance propre à son cinéma, défavorable à l’impact émotionnel, due à son attachement au dispositif théâtral, qui lui-même handicape le développement fictionnel. Pour souligner le détail crucial (la tâche de sang sur la clé) de l’histoire (sans recourir aux intertitres ni se reposer sur les acquis du voyeur), Méliès a recours à un grossissement étape par étape de la clé – substitut du gros-plan, technique encore exceptionnelle (The Big Swallow la pousse à l’absurde la même année) : dans la foulée Méliès en trouvait un autre pour L’Homme à la tête en caoutchouc. Le cauchemar avec les clés dansantes permet de conforter la dimension poétique de cette apparition, balayant l’éventuelle suspicion sur la brutalité du procédé. En revanche, le jeu médiocre de la femme (pourtant interprétée par Jeanne d’Alcy, la dame vite escamotée) abaisse un peu le charme d’ensemble. De plus, l’issue est rendue confuse (avec un trop-plein de personnages et de démonstrations au monte-charge) et fait l’erreur d’excentrer ses éléments dramatiques pendant la cohue.

Note globale 73

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LE LOCATAIRE DIABOLIQUE ***

16 Juin

4sur5 Après quelques années de succès dont Le Voyage dans la Lune (1902) est l’emblème, Georges Méliès connaît des difficultés. En France, les studios Pathé et Gaumont dominent le marché et produisent les nouveaux défricheurs (Louis Feuillade en fera bientôt partie). C’est dans ce contexte que Méliès réalise Le Locataire Diabolique (1909) où il joue lui-même le personnage-titre (il joue dans la moitié de ses films). Pendant six minutes ce personnage fait un coup à la Mary Poppins, en plus boulimique. Après avoir baratiné ses nouveaux propriétaires, il tire de sa petite valise des dizaines et des dizaines d’accessoires, puis encore d’autres d’une valise plus grosse et en passant il sort même toute une maisonnée, des enfants à la servante en passant par la femme et le bon ami. Le propriétaire découvrira cette diablerie à ses dépens en s’attirant l’hilarité des meubles et la circonspection de ses proches.

Ces six minutes sont efficaces et intrigantes, grâce à la pagaille semée et à tout le dispositif déployé. Méliès s’autorise presque les largesses qu’Emile Cohl n’a pu accomplir qu’en dessin animé, avec son Fantasmagorie l’année précédente (premier film d’animation élaboré à ce degré – il y eut avant les pantomimes lumineuses et The Enchanted Drawing accouchant de la stop-motion). Méliès utilise comme presque toujours l’arrêt caméra, avec désormais une profusion et une virtuosité considérables (c’était encore minimaliste dans Un homme de têtes, vu d’ici). Il a également recours à la pyrotechnie en fin de séance, procédé qu’il a toujours exploité avec modération. Les effets spéciaux utilisés pour la danse des meubles sont propres au théâtre. Les six minutes se déroulent dans le même espace à deux exceptions près, Méliès proposant comme toujours des plans longs et peu (ou pas) d’interruptions (négligeant en cela les possibilités du montage indiquées par Le baiser dans un tunnel – et d’autres procédés raffinés par l’école de Brighton).

Le rythme n’en souffre pas grâce à la malice et aux ressorts mis en œuvre – et parce que l’humour guilleret et cruel de l’œuvre de Méliès atteint son paroxysme. Robert W.Paul indiquait (en pionnier) le grand potentiel du hors-champ dans A Chess Dispute (1903), Méliès montre qu’il peut faire le maximum en un lieu. On peut y voir une métaphore du cinéma ou des arts ‘forains’ (le premier serait alors une sorte de tremplin ‘final’ du second), traînant avec eux une panoplie phénoménale de gadgets et de tours de magie. En outre, Méliès montre ici que l’immobilisme de ses cadres ne barre pas la route à un cinéma riche et expressif. Enfin au rayon anecdotes : l’enfant du locataire est André Méliès, fils de Georges, déjà engagé par lui pour Conte de la grand-mère et rêve d’enfant (1908) ; il aura plus tard quelques apparitions au cinéma, notamment dans Casque d’or (1952).

Ce sera le dernier film ’emblématique’ de Méliès, avant une baisse de productivité puis l’abandon forcé de son activité de réalisateur. Il ne sort plus qu’un film en 1913, Le Voyage de la famille Bourrichon, son dernier. Dix ans plus tard il devra vendre à la société Pathé son cabaret d’opérette, triste date à l’occasion de laquelle il vend, détruit (à des fins d’exploitation, non émotionnelles) ou brûle des caisses entières de films. En 1925 il retrouve son ancienne comparse Jeanne d’Alcy, le cobaye d’Escamotage d’une dame (où il effectuait son premier trucage pour l’écran) et d’Après le bal (première vue quasi-nue au cinéma – hors but documentaire, comme pour Eugen Sandow d’Edison en 1894). Ils se marient, elle lui survit après 1938 et participera en 1952 au Grand Méliès, hommage signé Franju.

Note globale 76

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Suggestions… Le Locataire/Polanski + L’Appartement/Svankmajer

LE VOYAGE DANS LA LUNE ***

9 Fév

4sur5 Méliès fait partie des pionniers du cinéma et a contribué à en faire un art. Dans les années 1880, ses géniteurs y voyaient un intérêt scientifique ou naturaliste. Après 1895, les Lumière s’en servent essentiellement pour des micro fictions, parfois des gags, rapportant des scènes de vie en extérieur avec peu ou pas de valeur ajoutée. Prestidigitateur, Méliès importe son savoir-faire à l’écran et propose des ‘vues’ pleines de trucages et d’astuces de montage. Le cinéma comme divertissement ou relais d’une créativité débridée pourra devenir une norme.

Le Voyage dans la Lune est sa réalisation la plus connue. Elle fait écho aux rêves d’exploration spatiale qui seront réalisés après la seconde guerre mondiale. C’est la première référence forte de la SF au cinéma (quelques essais antérieurs sont à noter, comme X-Ray Fiend ou Over-Incubated Baby), avec un univers inspiré de Jules Verne (De la Terre à la Lune – 1865) et des Premiers Hommes dans la Lune (1901) d’H.G.Wells. Elle contient des images séminales du cinéma, à l’instar des ‘premiers’ films des Lumière (Sortie d’usine, L’Arroseur arrosé, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat) : l’alunissage avec la fusée dans l’œil de la Lune ; dans une moindre mesure, les confrontations avec les Sélénites (en référence à la déesse grecque Séléné).

Un grand nombre de techniques, gadgets et figurants (dont les danseuses des Folies Bergères lors du chargement de la capsule) sont déployés. Le film a nécessité trois mois de préparation et cumule les trucages déjà exploités par Méliès, qui les a raffinés depuis son lancement en 1896 (Escamotage d’une dame donna le coup-d’envoi). Le support est toujours théâtral mais les proportions élargies, ce qui permet à cet opus de rester éloquent sur des formats plus modernes – en Cinémascope par exemple, où Un homme de têtes n’a rien à gagner. Cette variété d’effets en fait un peu le Tueurs nés de 1902, forcément moins turbulent. Voyage dans la Lune est surtout l’opus où l’esthétique de Méliès exulte ; la Lune est une figure omniprésente dans son œuvre, malveillante dans au moins deux cas (La Lune à un mètre et Le Cauchemar en 1898-96), louée avec une malice assumée plus tard dans L’Éclipse du Soleil en pleine Lune (1907).

Voyage dans la Lune est également le témoin d’une ascension chez Méliès, de plus en plus attelé à s’approcher de l’épopée, ce qui aboutira sur À la conquête du Pôle en 1912. Avant cela, Voyage à travers l’impossible (1904) ressemblera à une extension de celui dans la Lune, puisqu’il en partage presque à l’identique l’ambition, le principe, les vices et les vertus. Il jouit donc d’une ‘longue’ durée, ses personnages s’expriment par des gesticulations constantes et exclusives ; et le point de vue collectif fait office d’objectivité. Ces choix réduisent l’efficacité, le charme et le pouvoir du film, dans les deux cas – là où des tribulations individualisées, ou en petit groupe, génèrent bien plus d’amusement ou d’empathie (même avec un plan-séquence comme pour Le Mélomane). Au demeurant, les longs préparatifs du voyage, lequel prend au final moins de la moitié du temps, sont assez frustrants – oublier de nous convier dans le vaisseau également. Enfin du haut de ses quatorze minutes, ce Voyage bat ou égale les records (dont celui de Méliès pour L’Affaire Dreyfus, tourné à chaud en 1899). La seule exception venait alors du documentaire, puisque The Corbett-Fitzsimmons Fight (1897) de Dickson/Edison (tenus pour inventeurs du film 35mm), enregistrement d’un match de boxe, serait le premier long-métrage. En tout cas le record pour la fiction sera pulvérisé dès 1923 par La Vie et la passion de Jésus-Christ (coordonné par Zecca, le perché d’À la conquête de l’air) avec ses 44 minutes.

Le Voyage dans la Lune connu un immense succès à sa sortie, dont Méliès fut d’ailleurs victime. Le copyright ne se généralisera qu’après Ben-Hur en 1907 et Le Voyage eu donc le temps d’être adulé en copies-pirates. Le lancement de Méliès aux USA devait être un échec et Le Voyage est l’occasion de porter le coup de grâce. Thomas Edison décide alors de ‘reprendre’ ses droits et saisit les copies du film français, afin de faire payer les diverses récupérations de son Kinétoscope et de ses pellicules (précédant le cinématographe des Lumière) – il fut en effet le plus pillé des pionniers, également celui qui négligea la projection sur grand écran à cause d’une mauvaise intuition commerciale. Edison brise ainsi dès le départ la carrière états-unienne de Méliès, de toutes façons mal engagée au point de vue gestion.

Le film existe en version colorisée et restaurée, présentée au Festival de Cannes de 2011 et assortie d’une bande-son composée par le groupe français Air. Cette musique spéciale dénature le film. Elle n’est même pas en contrepoint, juste en disharmonie, travaillant sûrement des sensations hors-sujet (sauf pour ironiser sur les caquètements des exaltés, sinon dans l’omission totale des côtés comiques du film). La reprise d’une bande-son d’époque aurait peut-être été tout aussi inadéquate pour le spectacle, mais aurait eu le mérite de simuler les conditions d’origine de sa diffusion. Car le problème du son n’était pas ignoré : afin de remplir le silence au temps du muet, pour les courts/moyens comme pour les longs, des musiciens jouaient un même air pendant toute la durée de la séance. L’Assassinat du duc de Guise (1908) s’est alors distingué grâce à une composition spéciale de Camille Saint-Saens. Pour le reste, la restauration exécutée par Lobster est sublime et les couleurs respectent les tons présents sur les films ultérieurs de Méliès (peints à la main comme la plupart des exceptions sous le règne du noir & blanc). Pour vérifier que leur éclat ne corrompt rien, il faut revoir Le Voyage de Gulliver.

Note globale 72

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Suggestions…

PRINCE OF PERSIA : LES SABLES DU TEMPS ***

30 Sep

4sur5  Éblouissant sur le versant vidéo, plus mitigé s’agissant de jouer. Les concepteurs maîtrisent brillamment le passage à la 3D et en tirent un gameplay enrichi. Les acrobaties sont toujours crédibles et remarquables sur la forme. Le recours à la caméra est constant, le joueur peut admirer au lieu de simplement jauger le paysage.

L’expérience est donc immersive, les options vastes même si le cheminement est exclusif ; la limite n’est pas tant dans cet enfermement que dans l’omission du joueur. Ces Sables du Temps donnent souvent l’impression de se donner à admirer plutôt que se prêter à jouer. Les mouvements intempestifs alourdissent des scènes triviales et peuvent anéantir quelques efforts.

L’aléatoire a peu de place mais certaines logiques sont improbables ou trop spécifiques (certaines orientations n’ont aucun sens lors des escalades du niveau 95-98%, ni en fonction du panorama, ni en fonction du joueur, ni de notre angle de vue ; une corde peut se mettre à partir en biais ou dodeliner sans explication). Les énigmes relèvent plus de l’ésotérisme ou de la fouille laborieuse que de l’invitation à la réflexion – la séquence des portes « devient ridicule » bien avant l’arrivée au premier étage, la purge des miroirs à suivre est presque aussi absurde.

Heureusement le jeu est stimulant, à contempler comme à pratiquer, avec tous ses pièges retors, ses combats nerveux, ses décors somptueux. Il n’y aura pas le temps ni l’occasion de s’ennuyer ou s’égarer. L’exploration gratuite serait dispensable. N’importe quel public devrait pouvoir l’essayer et y trouver son compte, par contre, la prise en main sera facilitée sur console.

Et surtout, si les sauts et plus encore doublés de courses vous déplaisent, le jeu risque de vous exaspérer régulièrement. S’habiter ne suffit pas toujours, même si la progression est rapide lorsqu’on a assimilé les contrôles, y compris face aux pires pièges ou aux ‘Gardiens’ (les adversaires les plus difficiles, aussi forts que le roi du boss à 14%). Pour ma part, la durée de vie normalement modeste a été décuplée par de fréquents (mais pas nombreux) blocages (cordes ou wall run).

Technique : Visuellement splendide, avec de beaux effets et un travail sur le son formidable. Peut s’apprécier comme une espèce de film d’action à l’environnement somptueux – pour une fois les walkthroughs peuvent avoir une valeur intrinsèque. Le doublage français est plus agréable que la VO. Le seul défaut remarquable apparaît lors des (éventuelles) chutes de Farah du pont à 55% de la progression – d’une laideur et d’une fausseté incompréhensibles. (9)

Jouabilité : Limpide, fluide. Des options motivantes avec la dague (l’absorption, la ‘gélification’ et l’immobilisation), enrichissantes car la progression autorise le ratage sans trop vous plomber [si vous êtes bons et réceptifs, grâce aux sables et aux ralentis]. Les ennemis ont des sorts et failles différentes, les bleus sont redoutables. Les mouvements de caméra lors de déplacements ou combats peuvent être insupportables. Semble pas destiné aux joueurs PC initialement (eux n’ont pas accès à POP1).

Sinon le jeu n’est pas traître (sauvegardes omniprésentes, fontaines presque toujours lorsque c’est indispensable – rendant plusieurs Fontaines Magiques obsolètes, sauf pour d’hypothétiques succès) mais certains choix ou hasards restent douteux (la puissance des oiseaux m’a paru aléatoire, quelques contrôles ont bizarrement mal répondus à la fin de passages comme celui des interrupteurs à 62%, le sort ‘méga gel/immobilisation’ ou d’autres mesures normalement géniales placent souvent dans un embarras fatal à la fin de l’étape). (7)

Univers : Qualités d’un blockbuster, avec peu de ses vices, sauf si la lourdeur de l’histoire dérange. Les adversaires ont du style. Humour un peu misérable mais passable. Musiques bien dosées, celles lors des combats sont à la fois envoûtantes et énergiques. Positivement kitsch, ne pas en attendre de ‘l’informatif’. (8)

Ludique : Peut devenir lassant, qu’on y arrive facilement ou qu’on galère (des moments répétitifs ou ni utiles ni intéressants). La volonté de nous en mettre plein la vue gêne parfois l’expérience et peut même gâcher notre jeu sur les plus rudes épreuves. Les effets liés à la dague ou à d’autres exécutions ne sont généralement pas contrariants. Les FPS old school et d’autres jeux plus rudes me semblent moins ingrats. (7)

 

Note globale 72

 

Critique sur SC

SOMA ***

13 Août

4sur5  Après les Penumbra et Amnesia, Frictional Games (studio ‘indé’ suédois) a présenté SOMA, toujours son dernier jeu à ce jour. Comme eux il relève du survival et de l’horreur, mais cette fois c’est un substrat, au profit d’une science-fiction ambitieuse. La conscience n’est plus altérée ou soumise à des vibrations mystérieuses ; elle est copiable à défaut d’être transférable. Sa définition et ses garanties vont travailler le joueur pendant son expédition, dont dépend l’éventuel salut d’une relative Humanité largement décimée.

SOMA n’est pas unique comme Amnesia. Il en rappelle forcément d’autres, ne serait-ce que par le contexte (en offrant des aventures dans un vaisseau ‘hanté’ comme dans Dead Space). System Shock a un descendant de plus ; Bioshock et Alien Isolation sont souvent cités par les commentateurs et prescripteurs, certains chemins (comme la tour) évoquent des passages périlleux de Half-Life.

Les options de contrôle sont les mêmes que dans Dark Descent. Un point blanc au milieu de l’écran nous guide au milieu de fréquentes ténèbres (jamais complètes), la sauvegarde est automatique (heureusement multiple, on peut reprendre en une dizaine de points précédents), nous restons sans armes contre les monstres. Un mode « Sûr » est disponible pour les rendre inopérants (quoiqu’ils puissent encore vous cogner).

Mais SOMA offre beaucoup plus de libertés. Il n’y a pas de gestion lourde type ‘RPG light’ où il faudrait rester attentif à ses fonctions vitales, s’optimiser. Dans Amnesia, il fallait surveiller sa santé mentale, les troubles pouvaient ralentir considérablement la marche. Rien de tel ici et d’autant plus de marge pour les explorations, qui virent souvent aux promenades dans un monde subaquatique effrayant et merveilleux. Une fois que la curiosité sera satisfaite, l’ennui ou l’impatience plus que les ennemis seront à craindre.

Absorbé par sa démonstration, SOMA en devient plus valable en tant qu’expérience visuelle et mentale, autrement dit expérience de spectateur, qu’en tant qu’expérience de jeu. Nos choix sont sans impact, tout le film est déjà écrit. Nous ne faisons que l’enclencher, comme des objets dépassés (mais gratifiés) par les événements, à l’instar de Simon avec l’ARK. Contrairement à lui le joueur-spectateur ne souffre pas nécessairement d’un esprit un peu lent. Nous avons donc une double chance : observer de près et participer à un projet formidable en le tirant des ruines ; ne pas être affectés par les réactions décalées de Simon Jarett.

Les énigmes parsemant notre descente cinq lieux sous terre ont toujours des solutions simples, souvent parfaitement logiques – il faut un déclic ou une grande attention. Quelques anecdotes égayent l’aventure, notamment les recharges dans des orifices (nous aurons droit à un love fist ‘Naked Lunch‘ au début de la fin – terminus d’Alpha) ou les retrouvailles avec le petit robot ‘serrurier’ (notre seul ami non-suspect ou purulent). Le jeu n’est pas passionnant avant qu’on se découvre sous l’eau et certains embranchements peuvent trop durer, mais dans l’ensemble l’investissement vaut le coup.

L’environnement et les dialogues soutiennent un propos fort, bien charpenté ; pour la profondeur, le travail est indirect et abandonné au spectateur. C’est dans ses méditations en direct qu’il aura son seul espace d’authentique liberté. Car le jeu a cette qualité d’inciter à la réflexion et nous laisser flotter, sans anesthésier ou même différer l’action, l’ascension vers de nouvelles étapes concrètes. C’est probablement car il est si inspirant que SOMA est tellement loué, ce qui n’en fait pas un jeu sur-coté, mais dont l’apport en propre sur ses thématiques est certainement surestimé.

Technique : Décors détaillés (et riches en garnitures), mise en scène exigeante, favorisant une immersion au moins cérébrale. Le travail sur le son est remarquable (pas toujours agréable). Un défaut néanmoins, l’optimisation modeste. (8)

Jouabilité : À cause de cette optimisation pas mirobolante, SOMA sera injouable sur un modèle ancien voire de quelques années et demandera probablement à la majorité des reconfigurations (sinon la vue trouble récurrente deviendra constante). L’interaction est possible avec presque tous les objets et s’avère presque toujours inutile. Pour ceux qui souhaitent s’imprégner à fond, il y aura satisfaction. Et la prise en main est facile : pas d’inventaire, pas de complication. (7)

Univers : De loin le meilleur atout du jeu, même si je ne raffole pas de sa façon d’alimenter un propos passionnant (le transhumanisme, la machinerie derrière l’intersubjectivité). Les dialogues restent prévisibles et certains sont même presque niais. Le scénario est de bonne tenue, carré et soutenu par des agréments précis, sans tricherie (la fin devait donc avoir d’autres qualités que la surprise, elle y parvient). La réflexion est induite et les considérations morales laissées au joueur (il ne peut les éviter lorsqu’il a le pouvoir de vie ou de mort). (8)

Ludique : Moins plaisant à jouer que la plupart des précédents que j’ai pratiqués (Condemned, South Park), en tout cas moins addictif (que Quake, les Wolfenstein 3D), mais nettement moins lourdaud que Resident Evil et les extensions de Half Life. (7)

Note globale 74

Critique sur SC