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LA FUREUR DE VIVRE =+

1 Août

la fureur de vivre

Sinon quatre films un peu plus tôt dans lesquels il faisait des apparition non créditées, James Dean n’a tourné que dans trois : A l’est d’Eden, La fureur de vivre puis Géant. Les deux premiers sont sortis en 1955, l’année de sa mort, un mois avant la sortie de La fureur de vivre. Avec ces deux rôles, James Dean devient une icône présumée incarner le désarroi de la jeunesse occidentale. Ils sont tous les deux nommés aux Oscars, fait doublement unique en raison du caractère posthume et la précocité de la nomination (tous premiers rôles).

La Fureur de Vivre est le plus représentatif. Alors qu’A l’Est d’Eden d’Elia Kazan suit son héros dans les rues, ici le rebelle aux tourments existentiels vit dans les beaux quartiers. La représentation de la délinquance dans ce film du cinéaste ‘liberal’ Nicholas Ray (Johnny Guitar) peut sembler d’un non-sens affolant et d’une bêtise socio-politique à toute épreuve. Mais ce réel grotesque est en plein dans son sujet : Rebel without a cause met en relief les rebellocrates de son temps, c’est-à-dire les rebelles de confort, dont les tourments sont tout à fait authentiques par ailleurs.

Leur expression pourrait même être facilitée par ce vide entre liberté et conformisme que peuvent alors éprouver les jeunes générations appartenant aux classes non-exclues aux USA. Non seulement Jim n’est pas un dur, mais en plus c’est un faux rebelle : c’est un idéaliste, rebelle dans les circonstances et presque par maladresse. Il aimerait être vertueux dans un monde qui le serait également et porte sur lui une espèce de culpabilité universelle. En même temps il refuse la résignation adulte, comme il refuse les masques sociaux. Il est en dissonance avec ses parents fuyards, lesquels déménagent constamment, affirmant que c’est à cause de lui et ses petits délits, ou bien de la faute des voisins.

Face à lui, Jim fait face à une bande de bourgeois assumant clairement leur position et jouissant de repères clairs. Un petit gang de vainqueurs sociaux aux tentations criminelles est mené par Marlon Brando, le représentant de la jeunesse rebelle d’alors (bien qu’âgé de près de 40 ans). James Dean apportait justement un contraste, opposant à la puissance univoque et abrasive de celui-ci ses traits d’introspectif torturé. Jim est souvent en train de s’excuser car il est foncièrement gentil, limite faible de caractère. Se tenant à l’écart des jeunes de son âge, il est bruyant lui aussi, mais plus sensible et ses refus sont bien plus larges, car il n’a pas de pilier ni d’espoir : aussi il n’a aucun plan.

La Fureur de vivre est assez déroutant, à la fois aberrant et audacieux. Il semble être déconnecté des réalités sociales parce que son optique est inhabituelle, puisqu’ici les voyous sont nantis : ce sont des étudiants vivant à plein leur jeunesse avant de rentrer dans le rang, alors que déjà ils ne défient aucune forme d’autorité, tâchant plutôt de s’aligner et de la récupérer à leur profit. Marlon Brando est un héritier, c’est un fils à papa, dont on ne voit pas le père, parce que celui-ci n’a d’ailleurs aucune importance : il attend son heure et sa vie sera celle d’un vainqueur, c’est tout.

la fureur de vivre 2

 

Quand à Jim, son portrait est paradoxal. C’est un jeune perdu et pourtant il attire deux âmes féminines en quête d’un papa de substitution. Et pourtant il est à un moment qualifié de « petit garçon » par Judy (Natalie Wood), la fille éprouvant un amour excessif envers son papa. D’ailleurs les trois personnages principaux aimeraient plaire à papa et attirer sa reconnaissance, voir simplement sa présence. Cela concerne aussi ce brave Plato, personnage totalement foutraque, autre gosse nanti mais orphelin de père légèrement efféminé et totalement dévoué. Le film est à la limite de la subversion et de l’étude de mœurs borderline : ironiquement tout passe proprement grâce à la limpidité de ses symboles (tous reliés à l’Oedipe), mais aussi ses approximations pour tous les éléments les relayant.

En effet il y a trop d’inconsistances dans le scénario, dans les personnages. Tirer une sève toujours cohérente et achevée de ce film est difficile, car il y règne une certaine confusion, dans les valeurs prêtées à ses héros comme dans ce qui est censé être démontré. Ce côté lacunaire n’est cependant pas un hasard, c’est même une trace d’accomplissement pour le film. Il sert à merveille le point de vue sur une adolescence particulière, idéaliste, dans un monde à la fois oppresseur et démissionnaire en raison de son cynisme mou, de ses habitus plombants et trivialement conservateurs. Rebel without a cause s’installe dans une zone bizarre entre l’irrésolu flirtant avec l’ineptie et le génie. La séance est fascinante, inspire méfiance, douce consternation tout en titillant une ivresse de l’âme significative et assez intrigante chez ses personnages.

À l’est d’Eden employait des paraboles lourdes ; ici elles sont pachydermiques mais peuvent se rétracter ; enfin, la confusion s’ajoute à la grossièreté (obscurcie, donc). Mais ça a le goût et l’esprit d’un conte adolecent et c’est peut-être représentatif socialement. Après tout viendront les hippies ensuite pour enfin apporter à l’Amérique post-1945 des rebelles avec une cause, or ce mouvement perdra rapidement sa substance idéologique pour s’embourgeoiser, sauf pour quelques chapelles de puristes, puis avant de susciter des réactions autrement violentes, philosophiquement parlant en premier lieu (l’ère punk). L’absence de cause collective en tout cas a bien gagné et la solitude morale de l’adolescent accroché à l’idéalisme enfantin peut s’étaler, tandis que la crise d’adolescence devient une philosophie.

La société nouvelle de la jeunesse en rupture n’a pas de plan et ne se réalise pas, ou finalement de façon douce et tiède, un peu compliquée en vain, or c’est conforme à sa nature. Elle a un manque viscéral et celui-ci est contenu dans Rebel without a cause, frappé peut-être par la grâce et sûrement par les vices et vertus du  »flou artistique », dans un cadre à l’intersection du vieux monde (et du vieux cinéma) et d’un élan réformateur mais dont les valeurs profondes sont chétives. Ce manque de solidité permettant justement à l’ordre établi de persévérer bien qu’il ne déchaîne plus d’enthousiasme profond.

Note globale 68

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Suggestions… Steak + Pas de printemps pour Marnie

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POTICHE =+

27 Déc

Farce complaisante et sophistiquée, Potiche renoue avec le kitsch et le féminisme paradoxal de 8 Femmes et des débuts d’Ozon, après quelques incursions vers les études de caractères égocentriques (Le Refuge, Le Temps qui reste), à la dimension plus concrètement sociale (Ricky). Adaptation d’une pièce de théâtre des 80s, Potiche trompe largement son support-prétexte pour dresser un tableau de la France pré-mitterandienne (1977) digne d’un roman-photo totalement désinhibé. On a dit que Ozon se moquait de ce qu’il montrait ici, ce n’est pas tout à fait vrai : il adhère à cet univers, il aime être le chef-d’orchestre de ce théâtre flamboyant. Il est complice de cette outrance. La différence, c’est qu’il est conscient et revendique cet abandon. Et surtout, il démontre par l’absurde l’échec et la facticité d’un certain féminisme, cette croyance mensongère consistant à espérer une politique différente sur la base totalement arbitraire du sexe et du style. Les artifices et apparences sont menteurs, même si Ozon garde toute son affection pour eux.

Toute la dynamique de Potiche consiste à révéler cette modernité somme toute chancelante, mais néanmoins vivifiante. Il ne s’agit que d’esquisser la réalité, en tirer l’essence sirupeuse mais aussi les pastiches délicieux ; et la fuir, s’y soustraire finalement, par la constitution d’un catalogue hystérique. La conséquence de cette cécité romanesque amène à sortir de la politique, des rapports de force (ou plutôt, de leur visibilité, mais à l’affiche, l’effet est le même), des logiques ancrées dans la société, les survoler de façon semi-lucide, en faisant semblant de croire à un monde simple, scintillant et agréable, où tout se joue sur l’avant-scène et se règle à l’écart de tout risque. Contourner la mise à l’épreuve en somme ; avec, pour réprimer cette impuissance, une foi et des icônes ravissantes, vraisemblablement un peu éméchées.

Les parallèles aux acteurs du monde politique immédiat (sortie en 2010) sont évidents : le personnage de Robert Pujol, l’industriel marié à Deneuve, sorte de vieux Picsou misogyne et grotesque, est férocement chargé et prend même pour lui les références à Sarkozy (dont le slogan  »Travailler plus pour gagner plus »). Le personnage de Deneuve, avec son tailleur blanc et sa conception spécifique de la justice, fait évidemment référence à Ségolène Royal. Tout ce manège et ces parallèles ne font que mettre en exergue la dépolitisation de la politique, sa mutation dans le spectacle ; et les candidats de l’élection présidentielle de 2007 furent les meilleurs artisans (par-delà leur propre volonté) de ce nivelage people.

Les enfants de ces réactionnaires burlesques et chics (ils le sont tous deux, simplement l’une a un costume post-moderne, et c’est ce qu’aime Ozon) sont eux-mêmes les quintessences de certaines attitudes socio-politiques. Le fils, petit dissident de confort, évoque le « sens de l’Histoire » dans lequel sa mère s’inscrirait – en étant une femme prenant le pouvoir, à l’image du mouvement du monde. Avec une certaine complaisance et une résignation complice à ce sujet, le partisan du progrès explique « le paternalisme c’est fini, si on veux réussir aujourd’hui il faut être une ordure, c’est le libéralisme et le capitalisme sauvage ». Dans sa bouche, c’est même assez glorieux, comme un signe d’acquis de conscience. Quand à la fille, authentique  »fille de » abrasive et planquée, elle raille le mode de vie désuet de sa mère, qu’elle considère piégée et humilie ouvertement ; dans le même temps, la jouisseuse individualiste se révèle autoritaire sans retenue.

Elle est la première à vomir les revendications sociales et à dénigrer les ouvriers en les considérant comme une cohorte de tarés, surfant de façon totalement cynique sur sa position et la jouissance d’être née du bon côté. Un conservatisme de soi, repoussant toutes les entraves, s’habillant de modernité et d’impertinence mais seulement pour servir un individualisme primaire et pratique ; voilà la caricature de la libertaire accomplie, opportuniste absolue, incapable haïssable, grimée comme une femme libre alors qu’elle n’est qu’une héritière indigne. Voilà la pure arrogance de classe, la vanité de la femme moderne ingrate, piteusement narcissique et déguisant sa médiocrité.C’est elle aussi, qui panique finalement lorsque tout se délite et que les choses évoluent, car, comme elle semble l’adorer, le monde change et offre de nouvelles perspectives… face auxquelles elle se retrouve finalement toute petite et désemparée, lorsque les vieilles reliques ne sont plus là comme un filet de sécurité, lorsqu’il faut choisir aussi entre une vie non-préméditée et la pilule pour se débarrasser.

Enfin, Deneuve a rarement été aussi bien exploitée qu’ainsi : elle apparaît en bourgeoise sympathique, un peu dissociée et mélancolique, désespérée mais foncièrement revêche, stoïque et habituée à être pragmatique et imperméable, réprimant ses désirs et aménageant sa frustration. Ainsi elle se montre avide d’histoires sensationnalistes ou rêvées, les fabriquant même dans son entourage proche. Et puis la ménagère endormie devient une progressiste formelle, floue et passe-partout politiquement. Une maman venant remettre de l’ordre, avec fougue et émotionnalisme. Dans l’entreprise de son mari, avec sa méthode douce, elle passe plus facilement, tout en restaurant cohésion et dynamisme : pour autant, le dialogue social n’est pas plus actif, les revendications trouvent simplement une réponse fataliste, vaguement décalée et formulée dans un ton bienveillant. Et la voilà bientôt gagnée par le délire, proclamant les femmes au pouvoir et invoquant la montée sur l’estrade des amazones. Tout se termine en chantant pour agrémenter une vision doucereuse et utopique, délibérément sucrée et parfaitement grand-guignolesque, pour fantasmer un pouvoir sympathique et dépolitisé, ouvert et non-partisan.

Note globale 69

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Aspects défavorables

Aspects favorables

* à cause de son mélange de premier et second degré, entre fatalisme (résignation aux artifices) et fièvre progressiste et disco, Ozon noie le poisson et son propre sujet

* farce complaisante : mise en scène d’un théâtre factice mais tellement chatoyant et aimable

* caricatures avisées et précises

* une méchanceté sourde, une esthétique kitsch

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LE FANTÔME DE LA LIBERTÉ +

6 Avr

Ceux qui s’aventurent à sa découverte doivent être prévenus de la nature profondément déroutante du Fantôme de la Liberté. C’est un inclassable authentique. Il est passionnant mais pas plaisant. Il ne faut pas l’aborder comme un divertissement ou un passe-temps quelconque sous peine d’être trahi, peut-être dégoûté. Quoiqu’il arrive on sera médusé, mais quitte à se pencher sur un objet si curieux, autant être prévenu qu’il ne saurait être avalé tout cru ; savoir rend disponible à la rupture.

Vers le surréalisme explicite et ultime
Avant-dernier métrage de Bunuel, lequel y introduit des éléments biographiques (les cheveux dépassant du cercueil, le sophisme grossier d’un moine) ; c’est un film à la narration non-linéaire, alignant plusieurs saynètes liées à la scène d’ouverture, une adaptation directe du tableau Tres de Mayo de Goya (fusillade par des soldats napoléoniens de prisonniers espagnols). La séquence s’achève avec le cri « à bas la liberté », qui revient à la fin de la poignée de sketches. Quand au titre, il est tiré de la première phrase du Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels, « Un fantôme (le communisme) parcourt l’Europe ».

Le Fantôme de la Liberté est fondamentalement une prise de conscience de Bunuel sur lui-même, de l’effet de son art et du détournement de son nom. A titre extérieur, c’est la perception de l’annexion des valeurs contestataires par le pouvoir ou les normes besogneuses : là où 1984 montrait la résistance organisée par un pouvoir omnipotent, Le Fantôme de la Liberté établit un constat plus subtil mais aussi plus représentatif de l’ère contemporaine : tout ce qui dérange peut être liquéfié ; la contestation est corrompue malgré elle. Les retournements surréalistes du Fantôme de la Liberté, comme celui de la scène où toilettes et salle à manger échangent leur fonction, mettent en relief comme on peut troubler la forme sans contrarier l’ordre établi ; ce n’est pas simplement un propos sur le pouvoir et ses abus. C’est au contraire l’expression d’un éternel retour à l’ordre (ou à l’endroit, selon votre sensibilité), quelque soit les manières empruntées par le contexte. Troubler la forme sans contrarier les structures établies ; voilà ce que tolère une société nonchalante et rigide. Plus terrifiant, l’idée que les Hommes renoncent toujours et ne peuvent se défaire des mêmes habitudes crasses et stériles lorsque leur situation est trop facile.

Monstrueusement ironique, parfois hilarant (il l’est de toutes façons dans son état d’esprit), rempli pourtant d’amertume, mais une amertume salvatrice, rassérénante. Avec Le Fantôme de la Liberté, le Bunuel adolescent en colère et vieillard blasé font fusion. Et c’est ça aussi, une pensée intégrale et vivante. Naturellement, Bunuel écorche au passage la bourgeoisie, la religion ; et Le Fantôme de la Liberté peut être vu comme une synthèse des grands attributs de son œuvre, une sorte de carrefour en fin de piste. Toutefois ces critiques s’opèrent à l’intérieur de la philosophie propre à ce film ; c’est la même chose pour les personnages, qui n’ont pas d’existence intrinsèque et se donne à la représentation d’archétype sociaux. Et ce manque d’indépendance est à l’image de la confession terrible du Fantôme : la liberté ne sert qu’à encadrer ce qui pré-existe, ne laissant d’autonomie qu’au niveau de l’enveloppe.

Par conséquent, les adultes sont des enfants perdus, s’accrochant par réflexe aux rituels extérieurs rendus inertes et idiots. Ils sont dans le dépit et croient que c’est lui qui les rend grands. En fait, ils sont juste de trop et leurs effets sont de trop eux aussi ; pour leur personne d’abord, puis pour cet environnement que leur somnolence entretient ; mais qui, enchaîné à leurs errances, semble perdre de son sens. A l’extrême, c’est comme si ces humains flottants, ces fantômes à la liberté futile, détruisaient le charme et la valeur organique de ce qu’ils aliénaient ; comme si leur confort excessif couplé à leur mental trivial et fonctionnel, sapaient la moindre parcelle de fluidité et finalement, excluait l’exercice d’une liberté réelle, instinctive, élégante.

Le flash final de Bunuel
Au moment où il est adoubé, Bunuel devient lui-même une institution, pire : une référence lénifiante. Il assume aussi et c’est une pensée qui, si elle était comprise, ne saurait être défendue par tous les amateurs de sa prose « libertaire » et « anti-bourgeoise », que la liberté présumée et proclamée est toujours un vœu creux. Et Bunuel affronte alors le réel enjeu de son époque, au moment de la chute des idéologies : l’hégémonie d’une morale pessimiste (elle aussi, mais par choix et non par analyse) et conformiste, opérant par l’annexion des valeurs dissidentes, relativisant au point de cacher la nature de la situation. La liberté, le concept vide, le masque des renoncements ; mais aussi, l’impossible conquête de la vérité, intrinsèquement liée à la liberté ; car chaque prise de conscience intense met face à sa propre aliénation, ou au moins à la fatalité de toutes conditions : ainsi, il n’y a pas de possibilité de dépassement (sauf par des montées au créneau héroïques – ou plus encore, dans un dépouillement sélectif) ; et finalement, la fameuse bourgeoisie ne fait que s’accommoder d’une place intermédiaire entre le manque (de ressources) et la profusion délétère de sens (c’était particulièrement le cas dans Le Charme discret, mais ça l’était déjà dans Belle de Jour). Personne ne sait s’emparer de la liberté ; la promettre ne peut donc qu’être une farce ou une manipulation.

Souvent perçu comme une figure de gauche, en tout cas et à juste raison comme un dissident, Bunuel souligne pourtant avec Le Fantôme de la Liberté l’échec constant des Hommes à s’émanciper ; échec surtout à s’approprier leurs esprits, à s’assumer rationnellement. L’absence d’usage de l’intelligence est compensé par une rigueur, l’adoption psychologique et physique de postures conventionnelles ; et les nouvelles générations sont aliénées par ce spectacle. Et tandis qu’on prétend se préoccuper d’elles, on nie leur existence propre, on l’enchaîne à des lubies adultes qui ne sont en fait, eux-mêmes, que des enfants desséchés en plein délire.

Maturité et pessimisme amusé
Bunuel voit les hommes comme les pions de leurs destins ; les rites sociaux comme une fatalité. Il voit que l’appel de l’homme, c’est de se liquéfier ; et trouver la satisfaction dans l’aberration, car plus il est loin de la vérité, plus il se tient au chaud en sécurité ; et plus il peut se leurrer sur sa liberté. Sur le plan artisanal et spirituel, c’est un Bunuel annonçant sa retraite ; qui regarde les hommes comme des animaux crispés imitant le sérieux. Mais leur erreur n’est pas d’être nés ; c’est d’être voués à accepter d’intégrer cette marche unique, cet élan vital cadenassé, vicié par la paresse et l’indifférence.

La démonstration est géniale, le propos est brillant (comprendre que la liberté est un simulacre est un aspect essentiel de la maturité – pas nécessairement de la résignation, elle en revanche est un choix), l’humour permanent ; peut-être, la seule limite tient à la mise en scène parfois traînante. Si elle évite de s’appesantir sur des détails superflus, elle peut montrer trop d’emphase à ausculter l’absurdité des agissements de ces animaux fonctionnels et rébarbatifs ; la cruauté et la profondeur en sont redoublées, la farce aussi, en revanche, le film en devient encore plus hermétique (ce n’est pas un défaut qualitatif, mais strictement pédagogique). C’est aussi une forme radicale de méta-language : le film se consacre à mettre en scène le fil d’une pensée, avec cet indicible mélange de froideur et de facéties.

Définitivement, il faut aller vers Le Fantôme de la Liberté comme un accomplissement du surréalisme explicite ; n’écoutez pas ceux qui vous garantissent une comédie surréaliste. Le Fantôme de la Liberté est très drôle, mais pris comme tel, c’est juste une accumulation bancale et virtuose de gags proches de l’onirisme. Il prend sa valeur (et devient, accessoirement, d’autant plus amusant) pour le regard porté par un cinéaste au bord de la retraite (à tous niveaux) et de la conscience pleine. Dans l’autre cas, il ne serait qu’une répétition du Charme discret de la bourgeoisie, du Chabrol fou à psychanalyse ouverte, or : croire cela est une connerie. Quand on ne vous le dit pas et se contente d’acclamer la grandeur et la subtile drôlerie de ce film, on est justement dans ce dont Bunuel se moque ; cette complaisance, cette vanité, cet affichage ridiculement personnalisé d’un accessoire conformiste maquillé en parure de bon goût, ne consistant qu’à célébrer la surface d’un objet. Bunuel l’a compris ; lui aussi, avec son art sincère, devenait malgré lui un fournisseur de label de raffinement, employé par les esprits étroits et exaspérants… qu’il ridiculise pourtant dans ses film ! Et c’est bien le cas, il est un de ces cinéastes appréciés par principe tout en étant anesthésié par sa standardisation et l’ignorance de son propos (souvent réduit à des  »analyses » surfaites ou empruntées, des « c’est beaucoup plus que cela » ne renvoyant à rien) ; le pire destin pour une intelligence, un destin triste et sécurisant aussi. Et puis, si la mémoire reste, peut-être que le message pourra traverser les compte-rendus insipides pour que l’œuvre se revigore.

Note globale 80

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« CENTRO-HUMANISTES », LES LAQUAIS INDISPENSABLES

20 Mai

Fantômes dégénérés et accompagnants serviles, les centro-humanistes sont les pires planqués car ils sont stratégiquement sur une position réversible ; leur posture se plie à toutes les formes de gouvernements standards tels que les connaissent les démocraties occidentales aujourd’hui. Ils sont libéraux, républicains et démocrates, se glissent entre les étiquettes et affichent des signes ostensibles mais jamais ne s’investissent ou ne montent au créneau (merci à l’UMP ou même au PS d’aller en première ligne – pour mieux être accablé et servir de modèle à contester de l’intérieur).

Ils n’ont aucun parti-pris, prennent les armes de la gauche réformiste pour composer une droite molle (même pas tiède). Ce sont Borloo le pseudo-gaulliste, NKM et son front antinational (pas l’antiFront, l’anti-nation), Bachelot tellement dévorée par sa loyauté à la droite qu’elle doit bien finir par vider son sac, Rama Yade qui se faufile et esquive tout et tous en espérant trouver un tuteur politique…

Les centro-humanistes sont souvent des conservateurs : ce n’est pas conscientisé mais c’est une conséquence de leur rapport à la  »chose publique ». Ils n’ont aucune culture politique. Par exemple, Chantale Jouanno ne parvient qu’à avancer de pitoyables images pour illustrer, en creux, le concept de  »droite » (l’autorité, la sécurité, la confiance…) et ainsi se positionner ; mais cette femme est extérieure à la politique ; elle vient du monde associatif, où elle a sans doute officié avec brio, mais les enjeux tactiques, stratégiques, à échelle nationale et internationale, lui échappent complètement.

C’est ce genre de clowns, de briscards champêtres et cramoisis, ou d’assistantes sociales bling-bling, qui composent un « centre-droit » et une « droite » moderne, qui prend les traits de la gauche sociétale, les tics des libéraux-démocrates, pour se poser à droite et s’implanter là comme une force nouvelle, rénovatrice, alors qu’elle ne fait qu’importer des valeurs, des combats et des idéaux éculés et politiquement corrects, généralement pauvres et superficiels, centristes en tous points.

Mais c’est peut-être avec cette armée d’opportunistes et de passifs que Jean-François Copé devra composer pour arracher l’UMP ou la mener à la victoire dans les prochaines années… La droite mainstream cohérente, unifiée et déterminée n’est pas pour demain.

ETHIQUE MONDAINE

15 Sep

→ Les bobos (c’est-à-dire les individus « libres », « ouverts », « innovants » et « de gauche » – soit bien plus que le bobo de fait) réussissant, acquérant un statut ou une aisance, par une carrière non-productive, facile ou opportuniste, sont faces à un dilemme :

  • Ils ont rejoint un camp malsain, décrié : ils sont bourgeois
  • Ils ne méritent pas forcément leur statut (car qui mérite les honneurs, ne serait-ce ceux d’une place confortable et discrète : ils sont toujours les premiers à décrier cette optique et ce formalisme hiérarchique)… or il faut bien être « de droite » pour s’accommoder la bouche en cœur d’une position qui ne nous revient pas pour notre intelligence ou notre contribution à la collectivité, mais simplement pour notre conformisme

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→ Il y a alors un problème à la fois d’ordre moral et social. Bien que parfois libertaires (au moins, c’est l’essentiel, dans les paroles et les postures), les « bobos » sont néanmoins, pour une majorité, des êtres pétris de soucis moraux, qu’il s’agisse de lubie, de conformisme, d’altruisme ou d’idéalisme.

C’est là un curieux mais faux paradoxe pour ces « émancipés » de tout absolu, de toute croyance, pour ces hommes et ces femmes reniant l’impératif de réel comme les tâches sombres de l’Histoire de leur pays ou de leur classe.

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→ Afin de se soustraire à la culpabilité, ils doivent donc assumer une image décente et flatteuse, non toxique pour le collectif : ils sont alors progressistes. Quelqu’en soit le prix, qu’importe les aberrations et les paradoxes qu’il faudra enfiler. L’inconséquence (face à la recherche de vérité ou de justice) et l’absence de réflexions ne sont pas des fardeaux pour un maillon de la gauche « moderne » et « éclairée ».

Cette attitude s’accompagne d’un refus de l’ambiguïté. Un tel réflexe amène à la défense compulsive des signes extérieurs de conscience politique. La plus flagrante manifestation de ce phénomène, la plus caractéristique et maîtrisée par le bobo, est l’affirmation d’un refus (très commun, très commode et très flou) du monde tel qu’il est (attitude profonde de toute « Gauche » politique) en se montrant outré ou concerné par des conséquences malheureuses ; en imaginant jamais allez à la source, penser en système : ce qui permet de ne pas troubler le statut quo et d’en devenir même le généreux héros (contrairement au bo-no-bo, ce vrai salaud mais avec lequel on peut néanmoins travailler, étant donné qu’il est rude mais juste et que lui accepte les valeurs de la gauche morale ou au moins ne les entravent pas). Voilà la posture salvatrice et largement compensatoire pour les âmes paresseuses refusant d’assumer leur complaisance.

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→ Sauf que ça ne suffit pas. Pour ceux qui ont tués les cultes anciens, les reliques archaïques (la Nation, la consultation populaire en sont – mais aussi la liberté d’expression, parfois même les opportunités publiques d’Internet – les gauches « morale » et « moderne » ne le savent pas, mais elles sont par endroits liberticides comme ses ennemis réacs n’oseraient pas) et le souci concret du social, il faut une justification gratuite mais résonnant comme un argument, une délivrance définitive permettant d’évoluer du flou progressiste vers un gauchisme matérialisé. La défense des sans-papiers est l’engagement criard, vain et vérifiable comme se doit d’être un engagement au profit de la valorisation, par l’assimilation à des nobles visées, de sa propre image.

Pourquoi les sans-papiers sont devenus, depuis l’ère Mitterrand-Chirac, les otages des bobos ? Parce que ceux-là sont loin d’eux, ils ne sont pas non plus sales et pouilleux, leurs attachements ressemble à l’urgence de survivre avec dignité, leur identité a cet exotisme que n’a pas la culture où la gauche inconséquente refuse de trouver ses propres racines, et la conscience politique de ces malheureux semble vierge donc inoffensive, voir modulable… contrairement au déclassé rural ou à la France catholique dont personne ne veut être au chevet. En parallèle, le souci de la détresse humaine est affirmé : l’esprit « de gauche » s’en trouve alors toujours valide. Ouf. Le bobo pourra pavoiser et évoquer ses affinités politiques indépendantes et audacieuses, sa foi anti-establishment.