KILLERS OF THE FLOWER MOON ++

5 Jan

Je crains que ce film sur l’accumulation primitive en soit un d’anticipation – et qu’il le sera encore dans cent, puis deux cent ans… pour d’autres, aux yeux desquels nous pourrions être ces amérindiens (le plus inquiétant à ce stade étant l’envergure de ce ‘nous’), encore qu’eux osent à l’occasion brandir leur héritage et leur capacité à répliquer – qui ne peut être mise à exécution sans que cela revienne à de l’auto-destruction.

Techniquement irréprochable, flanqué d’une ambiance sonore et de caractérisations individuelles aussi proches que possible de la perfection, Killers of the flower moon est une représentation fine et implacable de ce qu’est l’Humanité : une masse de gens susceptible d’être trompée, abusée, prostituée, sans relâche, par un tout petit nombre – tant qu’elle se sent dépourvue d’alternative ou est suffisamment déracinée et aliénée pour s’interdire de dire ‘non’ (et tant que les ‘corps intermédiaires’ aux plus gros leviers, autrement dit les notables, ont leur part du gâteau – ou des vanités, mais l’univers historique de ce film n’est pas à ce point dégénéré que les collaborateurs s’y contenteraient de satisfaire leur vanité).

Les cajoleries même non crédibles sont essentielles pour huiler la machine, tout comme quelques gains réels en qualité de vie ou en sophistication des divertissements – qu’importe leur caractère illusoire ou transitoire ! Car les sujets doivent pouvoir se raccrocher à quelques points positifs – sans avoir trop à inventer, se faire un récit pas trop déshonorant ; les victimes ici ‘ne savent pas’ qu’elles en sont. Pourtant tous savent – et ne savent pas, simultanément ; j’ai vu que beaucoup de spectateurs misaient sur la faible intelligence du personnage joué par DiCaprio pour expliquer son attitude ; ces gens sont-ils irréprochables ou dans le déni – ou d’une vanité telle à cause de leurs quelques points de QI supérieurs à ce type mal nourri, gâté en rien, donc qui n’aurait pu se développer brillamment ni même développer une indépendance hors de la sauvagerie ? Collaborer car on est tenu, c’est ce que fait à peu près tout le monde, à peu près à chaque interaction – les plus mal lotis, comme les membres du couple à l’écran, le font jusque dans l’intimité (et ce n’est même pas ‘au couple’ qu’ils collaborent !). Collaborer ou se taire – qui revient à collaborer tant qu’on est dans le jeu et Ernest y est car il est embarqué ; les indiens y sont car ils sont cernés.

Et puis la contribution de ce patriarche est réelle ; il n’a probablement rien inventé, mais il a pris l’innovation à son compte ; ce psychopathe avide (aux mimiques de Balkany – surtout Isabelle) est un accélérateur – du progrès d’abord ; puis, une certaine stabilité atteinte, la conquête étant faite, le temps de ponctionner et purger venu, c’est un accélérateur de la restructuration démographique. Il faut probablement sacrifier ce genre de diable à temps (à moins qu’on estime que sa violence contre les corps et un peuple soit la suite logique et nécessaire de sa brutalité ‘sociale’) ; la civilisation se donne ce beau rôle, via le FBI (à ses débuts, forcément lui aussi une force de progrès [‘humanitaire’ cette fois] et de pacification) qui à la manière de L’homme qui tua Liberty Valance vient tempérer les ardeurs féodales et culpabiliser le goût du sang.

Écriture 8, Formel 9, Intensité 8 ; Pertinence 9, Style 8, Sympathie 8.

Note globale 86

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