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DEUX HOMMES DANS LA VILLE =-

28 Mar

deux hommes ds la ville

Troisième et dernière réunion à l’écran de Jean Gabin et Alain Delon (après Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens), Deux hommes dans la ville est la réalisation de loin la plus connue de José Giovanni. Ses 14 autres films (dont La Scoumoune) jouissent d’une faible notoriété, certains étant parfois carrément tombés dans l’anonymat. Giovanni est pourtant un personnage d’une influence considérable et le principal géniteur des univers de mafieux dans le cinéma français des années 1960-1970, en tant que scénariste et dialoguiste : cela commence en 1960 avec l’adaptation de son roman Le Trou par Becker, puis comprend pour les plus fameux Le Deuxième Souffle de Melville, Les Grandes Gueules d’Enrico, Le Clan des Siciliens.

Plaidoyer progressiste tourné par un homme de droite ambigu et avec deux stars plutôt réactionnaires, Deux hommes dans la ville est un objet pour le moins curieux et sans doute, plus que bancal, troublant par ses postures. Il est retenu comme un hymne contre la peine de mort (huit ans avant son abolition en France) et en faveur de la réinsertion des délinquants. Ces positions sont défendues de façon cohérente et cette consistance justement donne au film l’essentiel de son intérêt ; si cette intelligence est là, l’habileté fait défaut. Le discours n’est pas simplement lourd, il est parfois carrément pataud (surtout dans la première moitié) ; on parle comme des tracts, des phrases peu cinématographiques en plus d’être peu crédibles s’abattent.

L’éducateur interprété par Gabin relativise ridiculement certaines exactions, sa défense du faible et ses amertumes sont souvent grossières, avec une sorte de posture habitée par le déni, recourant à l’idéologie pour simplifier et peut-être dénier une complexité dont on est pas dupe par ailleurs mais tourmenterait davantage (que la simple opposition ou indignation). C’est très significatif justement : à la vision de ce long-métrage, se sent l’auteur luttant contre son pessimisme anthropologique. Sans donner de vertus au ‘marginal’ en général, le film en accorde à un certain idéal d’homme, individualiste par nature, prêt à être en adéquation avec la société si en lui en laissait l’opportunité, au lieu de s’acharner comme cet inspecteur au zèle froid et quelque peu vicieux.

Le personnage de Delon n’a pas spécialement de vertus définies, mais c’est théoriquement un représentant de cet idéal incompris, parasite aux yeux de la société et des foules médiocres et malveillantes, en dépit et même à cause sa force et celle probable de ses contributions si on le laissait faire. Giovanni croit à la rédemption pour ces âmes trop viriles, trop indépendantes et trop graves en somme ; mais la société comme le système judiciaire souvent ne sont pas ouverts à cette reprise. Dans le contexte du film, cela s’exprime de la façon la plus correcte possible, car ici le rapport à la pègre est paradoxal, régressif ; on en importe la morale mais jusqu’à un certain point, d’ailleurs la vendetta est impulsive et non soutenue par le code.

Par ailleurs Delon/Gino tache effectivement de se réinsérer, plaque son monde d’origine ; en dernière instance il n’a eu que des ennemis ou des fardeaux pour l’empêcher de vivre, lui, prédateur certes mais surtout prédateur à cause des circonstances n’encadrant pas sa nature. Il y a quelque chose d’insoluble face auquel on s’emmêle (parce qu’on s’accroche à la vie et à la loi malgré tout) ; et pendant que Gabin/Cazeneuve déroule ses critiques de vieil éducateur écœuré, anti-autoritariste et humaniste dans la mesure de ce que le bon sens autorise ; l’action elle-même vire à la caricature ad hoc, voir à la niaiserie. C’est comme si des hommes au bord du nihilisme voulaient soutenir des idéaux d’optimistes compassionnels, en éprouvant somme toute qu’une timide connivence, mécanique et vite balayée par le poids de l’expérience et du désenchantement. Et pendant ce temps les valeurs ne sont pas claires. Mais de toutes façons le vraie justice perd, comme elle perd toujours dans un monde où il faut composer.

À cause de ces écartèlements, il faut un arbitre épais, un peu bête ; par conséquent la séance tire vers le mélo paresseux, avec beaucoup de scènes fortes habillant un squelette moral engourdi. Film assez pittoresque donc, plus confus et laborieux que véritablement raté ou même maladroit. Film important dans la carrière de Delon, défenseur de la peine de mort et plus univoque dans ses idéaux que Giovanni (dont le sens de l’ordre et de honneur implique l’éloge de la vengeance et de la répression malgré le plaidoyer en présence ici) ; et dernière apparition dans un succès commercial pour Gabin (seulement deux films ensuite : Verdict en 1973 et L’année sainte en 1976, année de sa mort). On notera aussi les présences très secondaires de futurs acteur acclamés : Bernard Giraudeau et Depardieu ; tandis que Victor Lanoux apparaît, conforme à ses rôles de salauds opportunistes du début, loin du Louis la Brocante de sa fin de carrière.

Note globale 54

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Suggestions… Le rouge est mis + La Vérité/1960 + Le Samouraï + Garde à vue + Le vieux fusil + Dancer in the Dark + Funny Games

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (2), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (3), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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HELEN =-

21 Mar

Helen

Ce film avec Ashley Judd dans le rôle principal n’a pas trouvé un grand écho. Il arrive à amener à lui quelques curieux grâce à son sujet, somme toute peu traité au cinéma : la dépression. Sandra Nettelbeck et son équipe exposent les symptômes, tout en restant dans l’observation. Pas de voyage intérieur ni d’épaisseur psychologique, les informations sur Helen et les aperçus de son psychisme manquent. L’approche est empirique, triste sans devenir repoussante. La mise en scène et la photo sont adaptées : douces, feutrées, moroses.

À défaut de faire sentir son personnage, Helen est une démonstration limpide, établissant avec probité les effets d’une vraie dépression. La mise en porte-à-faux avec les proches et les obligations sociales, la solitude profonde, l’incompréhension à laquelle elle se heurte. L’absence d’individualité d’Helen rend la séance assez aride, mais consacre l’intransigeance du parti-pris : peu importe comment cette femme en est arrivée là, l’essentiel est sa pathologie qu’elle vit de façon exemplaire. Or en écartant au maximum la subjectivité sur son sujet, ce programme ne se prive pas seulement de ‘chair’, il reste au stade du compte-rendu.

Le parcours d’Helen peut certes affecter, mais son malaise se présente sans identité, sans âme. Helen en tant que telle n’existe pas, seul le résultat de ses tourments et de son expérience de la vacuité est communiqué. Helen n’a pas de raison ni de destination ; à l’hôpital on est enclin à en faire un légume ; après tout, elle n’a pas d’autres projets et elle en prenait le chemin toute seule. Comme le personnel hospitalier ou Helen elle-même, le film ne sait pas maîtriser son objet ni lui trouver du sens. Imiter le dessèchement ne permet pas de le pénétrer ou de mieux le comprendre ; cela en donne une image, probablement un aperçu fiable de la dépression, dont on expérimente l’ineptie, depuis un point de vue qui pourrait être celui de n’importe quel proche d’Helen.

Note globale 51

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THE INTRUDER ***

20 Mai

Film politique donc atypique de la part du bisseux Corman, en tant que réalisateur (alors attelé à la confection de l’improbable Créature de la mer hantée et surtout à son cycle Poe avec L’enterré vivant). Nous sommes quelques années avant les rafales massives (avec en tête Dans la chaleur de la nuit en 1967) mais il y a encore peu de films sur la ségrégation (The defiant ones aka La chaîne en 1958). Celui-ci est un film de blanc, pas charlie-charlie, pas débile, même largement lucide, pas paternaliste à l’égard de ceux qu’il défend (mais ne donnant aux noirs qu’une faible part d’exposition et d’expression) ; simplement candide, manquant de perspective historique sérieuse, enchaîné à une conscience raciale médiocre qui ne permet pas de voir au-delà des disharmonies présentes et de vouloir aplanir la table.

Néanmoins c’est prenant et sur le plan humain assez génial. Malgré un certain grotesque pour les anonymes voire pour les principaux, les personnages sont multidimensionnels, représentés au-delà de la morale, embarrassants pour la cause propre du film (comme dans le réjouissant échec Scandale/Bombshell). L’orientation politique et l’idéal sont flagrants, mais ne servent pas une chape abrutissante, ne deviennent pas un outil punitif ou simplement écrasant. Les caractères se révèlent sans devenir aberrants : comme dans les meilleurs moments dramatiques, ils s’affinent brutalement, redeviennent entiers et sincères sous la pression. Notre salaud est une pieuvre narcissique mouton VRP d’abord, tribun ensuite, loup perdu au fond. Il y a chez ce type une déraison vivifiante, ou simplement séduisante ; son respect des codes et sa politesse s’évanouissent pour laisser place à une individualité affirmant ‘tout haut ce que chacun pense -ou ressent- tout bas’. Il pousse à la faute celles et ceux qui n’en peuvent plus de se contenir et d’honorer le consensus ; ceux qui respectent leurs serments et la loi mais en crèvent doucement.

Malheureusement ces vertus contradictoires ne suppriment pas les défauts de fabrication : le cadre reste limité sur tous les plans, tout se passe ou semble se passer en une poignée de jours et la situation change drastiquement en un clin-d’œil à plusieurs reprises. Le sacrifice probable de l’incendie d’Église et la mort du prêtre, quelquefois évoqués et laconiquement montrés sur la copie distribuée par Carlotta (diffusée sur arte), n’aident pas [à garantir l’irréprochabilité de la seule narration ; mais la démonstration n’en est pas gênée, au contraire elle s’épargne un excès] – effet d’une censure, des petits moyens (responsables de cette conclusion sous la balançoire ?) ou bien cette séquence a simplement été bâclée en raison des ambiguïtés du tournage dans une ambiance sudiste authentique ?

Et surtout l’alchimie repose sur un mélange de cheap et d’intelligence, des considérations générales toutes en distanciation mais un lot généreux d’amalgames des ‘mauvaises’ orientations. Finalement l’incapacité à entrevoir la vérité du camp honni l’emporte comme dans n’importe quelle pensée ou production militante commune ; en contrepartie pour tenir cet angle mort à sa place, The Intruder compte sur la déresponsabilisation des gueux et un beau transgresseur pour diable. Comme toute bonne œuvre progressiste ou complotiste, elle prétend que les succès d’un ou de l’autre ‘camp’ ne peuvent être dues qu’à des arnaques ou des accidents mais pas des formes inférieures d’humanité (ou d’une infériorité essentiellement ‘éthique’ ou de surface, culturelle à la rigueur) ; l’évitement de ce biais courant atteste d’une générosité humaniste.

Note globale 66

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Suggestions… Naked Kiss/Police Spéciale + Mississippi Burning + Naissance d’une Nation + Blackkklansman + Body Snatchers

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SUR MES LÈVRES =+

16 Mai

sur mes lèvres

Troisième film de Jacques Audiard (fils de Michel) et début d’une série de succès, avec à venir : De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète, De rouille et d’os. Le postulat est très classique : rencontre de deux abîmés ou exclus, lui socialement, elle sur le plan affectif. Employée sous-estimée et malmenée, célibataire passive à la vie sans relief, Carla est sur la voie de l’aigreur. Elle prend un secrétaire, espère un homme : Paul Angéli lui est envoyé, c’est-à-dire Vincent Cassel, avec une prothèse en guise de nez et un air un peu shooté. Prolo ultra-typé, ce paumé-là est fraîchement sorti de prison.

Leur histoire se déroule d’abord sans surprises, leur relation est bourrue et maladroite, ils sont loin de s’aimer et sont plutôt conduits par leurs besoins, leur existence ne prenant de direction que sous la pression : lui est endetté, elle est fatiguée de se noyer dans sa tristesse et ses obligations ingrates. Une certaine intensité caractérise Sur mes lèvres, jusqu’au-bout, même quand le manque d’originalité est éclatant. L’écriture est parfois très brutale, impérieuse, les personnages secondaires assez caricaturaux, mais c’est aussi ce qui fait la force de la séance. Lorsque s’ouvre la deuxième heure, un tournant assez boiteux s’opère. Le spectateur plonge avec Paul et Carla dans des aventures criminelles où leur lien, déjà si crispé, est étouffé, réduit à une collaboration sèche et sauvage.

Au départ, Carla aimerait sans doute faire de Paul ‘sa chance’, puis elle se retrouve à s’enfoncer dans ses embrouilles davantage pour être dans l’action et éviter de tranquillement s’affadir. Elle est portée par l’espoir, puis une espèce de devoir et enfin par le seul intérêt. Il fallait sans doute cette transformation pour qu’elle accède enfin au cœur de Paul, qu’elle soit de son monde et ‘vraiment’ de son existence ; que lui n’ait plus à faire à un gadget ou un inéluctable futur antagoniste. Cette phase de latence implique cependant un engourdissement général pendant quelques temps, où Sur mes lèvres prend des airs de film policier un peu à l’ancienne, sans que sa sève vienne de là ; cela donne des séquences potentiellement très fortes, dans le contexte un peu creuses. Le conflit couvert entre Carla et Paul, puis leurs manigances ambiguës, redonnent au film une unité ; s’ouvre un chemin tortueux et violent, débouchant sur un happy end poisseux. Sans sombrer ni s’émanciper, les dominés prennent leur revanche.

Note globale 61

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Suggestions… Les rivières pourpres + Un son qui déchire

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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L’HOMME DE LA CAVE -°

23 Nov

Je voulais voir cet Homme dans la cave pour me moquer de son délire et de sa mauvaise foi, j’en suis sorti triste – à la fois blasé d’une telle sur-confirmation miteuse et satisfait de trouver une démonstration de cet extrémisme devenu visible depuis mars 2020 : l’extrême-mou, ou la radicalisation des mous dont le logiciel idéologique demeure vide ou contingent et superficiel (car les mous, se sachant peu polarisés par rapport aux conflits politiques classiques et visibles, ou peu autonomes par rapport au consensus, se croient incapables d’erreurs fatales et donc sont d’autant plus tranquilles quand ils ‘dérapent’). Ce film dégage une chose délicieuse mais dure à juger : une sensation d’évidence. Dans son cas ça ne fait pas une œuvre percutante ; peut-être une œuvre pauvrement remarquable (c’est tellement le brûlot des mous que vous pouvez le consommer dans la léthargie la plus complète). Car cette évidence est celle de la nullité – la nullité devenue oxygène et foi aveugle.

Naturellement on y parle peu du judaïsme et à peine des camps d’extermination ; on vise les déviants – et de la même façon qu’un démagogue va filer droit sur les thèmes faciles imposant l’acceptation (ou un progressiste s’appuyer sur les minorités pour vernir son désir de tyranniser au moins la majorité), ce film se saisit du thème qui en France met tout le monde d’accord, ou plutôt les yeux au sol, l’âme engourdie et le cerveau en miettes, car il y a une gêne collective constituant finalement la seule preuve d’un ‘couple franco-allemand’ : la honte d’un épisode de collaboration, dont il faut bien faire quelqu’un responsable – c’est la forme de déni autorisée, le déni pur et simple de l’épisode étant justement impossible pour les faux victorieux vraiment honteux. Difficile pour un peuple si gavé de prétentions universalistes de se savoir au moins aussi rampant et lâche que les autres. C’est le seul point où ce film a raison : le potentiel de collaboration avec le pire ne disparaît jamais, nous sommes tous ses ouailles en sommeil ; là où ce film ne peut qu’avoir tort, c’est en soustrayant sa petite population de l’équation – ce déni prend des proportions dramatiques.

Tout en étant parfaitement terne et bête ce film n’est pas de ceux qu’on jette à la poubelle en les oubliant déjà car leur partisanerie est transparente et l’exécution ordinaire ; il reste un goût étrange, celui d’un message qui viendrait démolir ses fondations au moment où pourtant il se prétend plus urgent que jamais. L’homme de la cave donne une impression de parodie qui se dégonflerait à force de sérieux (et de prétendre exister pour le salut commun). Il pratique un curieux renversement au point que si on voulait alerter sur ces anti-fascistes devenus fascistes pourchassant les bêtes immondes, on reprendrait ce film à l’état de squelette en rendant les choses plus expressives. Car la bande-annonce annonçait une mascarade, mais la séance entière est plusieurs tons en-dessous ; seuls les clichés viennent en renfort, jamais la fièvre militante. C’est d’ailleurs le point qui rend le film définitivement nul : tout ce qu’ont à sauver les ennemis de Fonzic est moche et doucement démoralisant ; pendant qu’ils n’ont rien à conquérir, sinon toujours plus de paix et de mise au pas. Les pires tracts BLM aujourd’hui, staliniens hier, nazillards de tous temps, appellent à une mobilisation enthousiaste, au pire à une joie destructrice ; L’homme de la cave en appelle au désir de chacun d’hiberner avec une meute docile. À l’image des mous politiques il est habité par ce conservatisme si absolu qu’il ne défend même pas de nobles acquis, mais seulement l’inertie – cette attitude de gardien d’un temple qui doit demeurer vide, mais le temple doit recouvrir tout l’espace possible et imaginable. Il y a de l’agressivité, de la culpabilisation, des remontrances ; mais pas d’émotion ou de détermination vraie, rien de fort, rien de vif – que du stress, de la suffisance et de la confusion. Il y a bien de la violence (« l’arme de ceux qui ont tort » estime Fonzic, décidément pas un pragmatique) mais c’est celle à reculons des bons petits soldats poussés à bout – les mous n’ont pas besoin de sentiments religieux pour devenir sectaires : c’est toujours les déviants du monde qui sont ineptes et méchants, eux n’aspirent qu’à partager le paradis ! Effrayés par la contamination qu’exercerait un individu pourtant isolé et contraint à se cacher, nos crypto-fascistes anti-nazis, qui doivent surtout rester incompatibles avec les nazillons et toutes les étrangetés malsaines qui peuvent éclore sur ce monde, font face à un antagoniste digne d’un film d’horreur de la belle époque (les années slasher – les allées-et-venues dans les couloirs semblent un pastiche des Halloween ou Vendredi 13). C’est d’ailleurs l’effort de mise en scène qui aurait pu rendre L’homme de la cave pertinent comme spectacle (et qui le rendait attractif a-priori, certes à son détriment ou avec ironie, mais un film idiot et abusif peut être formellement ‘édifiant’, l’essentiel à l’écran n’étant pas le discours mais la cohérence et le style) ; mais il n’y a qu’à proximité de la cave et notamment la séquence d’initiation de la gamine (si ce n’est ça elle est absurde) pour faire vaguement décoller le thriller horrifique ; tandis que la performance d’acteur est plus picturale que dynamique, puisque le rat d’égoût n’est là que pour prendre des coups et doit rester sous contrôle.

À plusieurs reprises Fonzic s’exprime comme un possédé, un mix entre un xénomorphe, un charmeur de poules et un dandy d’extrême-droite contraint à l’exil (éventuellement dans son propre pays) ; il a ce regard et ce débit d’hypnotisé détraqué par la folie qu’il tente de propager ; ce n’est plus un être humain, même pas un abîmé, ou s’il en est un c’était avant – sa rigidité n’est pas celle d’un type théâtral mais d’un raisonneur fanatique. D’ailleurs un raisonneur peut-il être autre chose que dangereux ? Impossible selon ce film, à moins qu’il soit habilité. La stricte légalité est la seule saveur qu’un esprit sain doit reconnaître ! La soumission à l’autorité est telle qu’il faut des avocats (ou un policier) pour montrer une capacité à objectiver – absente ou réduite aux faits bruts (enrobés par un script moisi) le reste du temps. Heureusement l’autorité condamne fermement le méchant – c’est ce qu’on lui demande (c’est tout ce qu’on a le droit et le devoir d’oser) ; mais elle n’en fait pas assez (c’est exactement la caricature des ‘populistes’ mais comme ici nous avons à faire à celui des gentils, soyons indulgents et ne relevons pas). Néanmoins l’avocate (après avoir commis l’inénarrable amalgame des extrême-droite et gauche) évoque les droits pour s’exclamer qu’heureusement ils sont là même s’ils profitent aux salauds ; cette idée persistante nourrit justement le cœur de l’idéologie spontanée des mous. Les non-mous ne méritent pas notre légendaire tolérance – ils jouent avec nos généreuses règles, bâties pour les humains dignes, éclairés et insérés – alors qu’eux sont hors-circuit, ténébreux, au mieux ils sont le pire de ce que peut être un humain. Voilà ce qui se raconte dans l’âme sordide des mous, dans laquelle plonge ce film écoeurant, débile et sûr de sa petite morale – ce film est parfaitement raccord et donc confus avec sa plèbe stupide, proprette et méchante. C’est peut-être car cette plèbe minable est incapable d’avoir des préjugés sans passer au préjudice qu’elle croit que tout ‘préjugé’ est nocif ?

Face à cette symphonie de petites ordures moyennes et bien sous tout rapport, il peut être difficile de ne pas éprouver de sympathie au moins théorique pour cet ambassadeur des asociaux non-gauchistes. Répand-il littéralement sa merde aux alentours avec rage ou insouciance ? Les inconnues à son sujet sont la seule matière à suspense. Ce qui est certain c’est que Fanzic est un homme calme mais inflexible, capable de sacrifices au nom de ce qu’il sent juste ou simplement de ce qui le passionne (et pas de ces sacrifices de misérables mammifères en besoin de se faire assimiler), capable d’endurer l’ostracisation et des conditions de vie minimalistes ; capable de renoncer aux vanités, sauf à cet orgueil de savoir ou d’essayer de savoir (ou du moins le prétendre mais c’est la même chose car il est sincère dans sa démarche) quand les autres « se contentent de la vérité officielle ». Le dernier des woke avec un tel refus de plier susciterait en moi un semblant de respect, une inévitable petite admiration pour un caractère aussi affirmé, capable de violer ce que la société a fait de la réalité (à condition de savoir articuler sa conviction folle et pas d’être un animal à grosses convictions, comme le sont les bourrins ‘de terrain’ ou les poivrots réacs sur petit écran) ; et peut-être que les mous et extrêmes-mous constatent aussi cette force et en sont impressionnés – mais verrouillés face à l’étrange ils ne peuvent pas laisser passer le début d’un raisonnement ou d’une sensation qui ne condamnerait pas fermement ce monstre absolu nommé Fonzic.

Fonzic est un négationniste et pour ça il va être compliqué de l’aimer ou d’être complaisant. Par contre ce qui en lui suscite la profonde angoisse (pas seulement l’alerte morale ou consciente) est bien trop estimable, tandis que l’essentiel des urbains qui l’entoure est si petit… que je ne peux m’empêcher de voir en ce film un lapsus. Ce qui devrait constituer une ambiguïté mais semble jamais perçu par les gens engagés dans ce projet se retrouve dans les propos de Cluzet en interview, où il blâme ce ‘pauvre type’ avec ses histoires d’indiens d’Amérique ! Rien d’aberrant pourtant là-dedans et les véritables bonnes âmes généreuses, les ‘bien-pensants’ logiquement devraient s’émouvoir de cet épisode historique et en tirer une leçon. Mais on ne doit rien voir ; le vrai, le faux peu importe : ce qui compte c’est d’éviter le trouble et aucun prix ne sera excessif. C’est à la fois la preuve qu’il y a un malaise qui n’est que révélé et projeté dans ce monstre qu’est Fonzic ; et la preuve que les gens qui peuvent concevoir et adhérer à un tel programme sont prêts à se conduire en persécuteurs persécutés, alors même qu’ils ne sont pas persécutés. Car le ‘based on a true story’ ne suffit qu’aux imbéciles ou aux consentants.

L’entourage de Rénier (culpabilisé constamment car il fait si facilement confiance alors que le monde est plein de prolos, de gens bizarres et même, mauvaise pioche, de fachos !) prétend régulièrement qu’on ne condamne ou attaque pas les gens sur leurs idées ou discours. Or si, en France comme quasiment partout. Et le film se fonde sur cet obstacle artificiel pour dérouler son appel à la dératisation ; on fait comme si la France était les États-Unis dans leur pureté (mais beaucoup de causes pleurnichardes agressives aiment cette lecture insensée), or s’il est vrai que cet immeuble devrait souffrir d’une présence malveillante pendant que le procès dure, il est faut de prétendre qu’il y ait en France des obstacles, de l’incompréhension ou de la légèreté face à un type qui répandrait des propos négationnistes. C’est pourquoi il ne faut pas bêler avec les moutons blancs méchants et les naïfs vrais ou feints aptes à recevoir l’immonde prêche de ce film ; il faut admettre que s’il ne tire pas sur une cible déjà cuite, il en vise d’autres et n’a pas peur de faire le pire des rapprochements (car il n’y a en France rien de plus infamant -et concrètement menaçant- que d’être accusé de partager les ‘ismes’ de Fonzic).

Et à quoi aspirent des persécuteurs ? À ce qu’on leur fournisse un motif pour passer à l’offensive avec bonne conscience ; que la communauté, le climat ambiant, les institutions de légitimation, les adoubent et donc portent avec eux la responsabilité des méfaits, des abus, des humiliations (et finalement peut-être des crimes) qu’ils s’apprêtent à commettre. Refuser l’accès aux soins, refuser la satisfaction des besoins élémentaires afin que la cible patauge le plus physiquement possible dans la honte et l’impuissance, que la vie lui devienne odieuse et construire soit pénible ; refuser le confort dont nous jouissons ; voilà ce qui fait bander cette population (et cette France) qui ne saurait trouver aucun autre plaisir ‘positif’, elle qui n’a que le repli pleurnichard et le mépris gratuit pour abri au quotidien quand se présente autre chose que le crétin moyen qui lui paraît le produit final de l’Humanité.

Note globale 14

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Écriture 3, Formelle 3, Intensité 3 ; Pertinence 2, Style 2, Sympathie 1.

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