NAISSANCE D’UNE NATION =+

2 Déc

Dans les vingt premières années, le cinéma est surtout un art européen, bien qu’il doive beaucoup à Thomas Edison. Les premières super-productions sortent vers 1912 et sont généralement des péplums italiens. Cabiria est le plus illustre. La première guerre mondiale amplifie le tassement de l’industrie française, alors que les suédois (comme Sjostrom) et les américains croissent rapidement. En 1915 les États-Unis d’Amérique mettent au point une première super-production, en battant un record de longueur (hors-serial ou feuilletons type Les Vampires, projeté plus tard la même année). Le représentant de cet exploit est Birth of Nation.

Pour beaucoup de commentateurs même très avisés, l’Histoire du cinéma commence (ou commence ‘véritablement’) ici. Birth of Nation est techniquement prodigieux pour son temps, mais il est massif plutôt que novateur. C’est un point culminant des origines, rassemblant et perfectionnant les procédés et les ressources déjà explorées. Nous ne sommes déjà plus au temps de l’invention pure ou de la conceptualisation ‘zéro’, y compris concernant le montage parallèle ou le montage alterné : Griffith en a fait sa marque de fabrique depuis Les Spéculateurs (1909). Avec ce second long-métrage (La conscience vengeresse fut un coup-d’essai plus modeste, en 1914) Griffith pousse à son paroxysme tous les éléments de langage visuel fondateurs pour le cinéma mondial, de divertissement et de propagande en particulier – c’est-à-dire l’essentiel du cinéma.

Ce qui frappe à la vue de Naissance d’une Nation c’est d’abord le perfectionnisme des compositions, de l’organisation. Les séquences de bataille, réduites à un passage laconique dans le livre (de Thomas Dixon) pris comme base, sont les exemples les plus bruyants ; les scènes de drames en famille sont tout aussi éloquentes. La boussole est épique, un fond de lyrisme est tapis même dans les scènes du quotidien. Le premier souci concerne les aspects spectaculaires, les façons de représenter au détriment de l’approfondissement. Les émotions individuelles ou du petit groupe sont reliées à la marche de l’Histoire. Le film est toujours en mouvement, ne laisse rien passer entre les lignes ; c’est un mastodonte creux et raffiné, étalant beaucoup les idées et situations (fortes ou au moins saturées de symboles et d’assertions), toujours avec une grande énergie ou au bord d’éclats.

Cette grandiloquence accomplie aurait suffit à conforter Birth of a Nation dans son statut de ‘chef-d’œuvre’ séminal, où il pourrait se fossiliser tranquillement mais en relief, contrairement au Vol du grand rapide et à l’instar du Voyage dans la Lune (avant sa restauration de 2011). Mais le film a toujours une vie intense et suscite encore des passions, au point d’être un catalyseur de rejets ‘a-priori’ poseurs. C’est même un champion dans cette catégorie, bien malgré lui (et plus encore que Le Triomphe de la Volonté, qui n’a pas son importance historique, ni sa source aux USA et donc pas sa notoriété). Sa valorisation du Ku Klux Klan (comme sauveur des Blancs du Sud), qu’il a d’ailleurs permis de remettre au goût du jour, est la principale responsable de cette hantise. Le racisme du film est indéniable et, comme le reste, peu étayé mais exprimé par des démonstrations ardentes.

Si le propos était plus large et analytique, par exemple pour expliquer en quoi les conditions des Noirs sous l’esclavage leur étaient préférables tout comme ce régime l’était aux exploiteurs (il y a ici les germes des réflexions menées dans Manderlay), il aurait donné plus de prise à ses laudateurs comme à ses pourfendeurs. Le film se veut une expérience affublée de lunettes subjectives, veut parler au cœur ou à la foi, aux enthousiasmes, plutôt que convaincre et disserter ; il fait voir un moment de l’Histoire par un groupe social donné, de colons blancs établis, puis introduit dans leurs fantasmes redoutés, avec une déférence qui fait connivence, mais ne jure pas par la raison. La deuxième moitié, « Reconstruction », donne une vision très partiale de cette période (1865-1877) de suspension de l’esclavage (suivant la guerre de Sécession et précédant la ‘Rédemption’), marquée effectivement par l’intégration des noirs à la vie publique. À l’écran cela se traduit par une démocratie hédoniste contrôlée par les noirs, à la gestion despotique et irresponsable.

Les conflits internes chez les noirs, généralement puérils voire pas plus valables que ceux de bêtes avinées, sont mis en exergue. La scène au Parlement est la plus grotesque, celles des danseurs est au choix bon enfant, violemment mesquine ou d’une extrême mauvaise volonté. Les noirs eux-mêmes ne sont pas conviés à la représentation de leur Histoire, au contraire d’autres fractions elles aussi mais moindrement défaites. Figurants mis à part, tous les personnages noirs sont joués par des acteurs blancs maquillés. En son temps le film provoque de vifs débats sur la liberté d’expression. De nombreuses séances sont annulées et la NAACP (défenseuse des ‘Colored People’) mène la fronde sur le plan juridique. Les protestations embarrassent Griffith qui par la suite présentera Intolerance, aux intentions humanistes, pour tordre le cou aux malentendus – ou aux vues unilatérales à son sujet, omettant la part pédagogue, compassionnelle puis carrément opportuniste (au sens vertueux cultivé chez le créateur – Cœur d’apache) de sa sensibilité.

Note globale 68

Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (2), Dialogues (-), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (4), Ambition (5), Audace (4), Discours/Morale (2), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

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