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LES 120 JOURNÉES DE SODOME (Sade) =+

21 Mar

Le sadisme n’est pas si effrayant, l’auto-sadisme est bien plus dérangeant ; si ce livre a de quoi glacer ce n’est pas (ou pas tant) à cause de ses descriptions de méfaits, c’est plutôt pour celle des ordures et l’obsession de dégradation dont se délectent ses protagonistes. Et quand ce goût les poussent à se souiller eux-mêmes et se transformer en carcasses, alors on tombe dans un registre des plus répugnants et démoralisants – à côté, les meurtres inéluctables ne sont rien et on comprend trop bien qu’ils aient perdus de leur valeur puisque la vie déjà, du moins la vie saine ou innocente, n’en a aucune – elle est devenue une aberration révoltante, une incitation à renchérir la souillure.

Mais et c’est un comble, la lecture est déplaisante pour des raisons autant triviales que morales ; ces 120 journées de loin inachevées (ou pour être précis, aux trois quart survolées) sont terriblement redondantes et laborieuses. Beaucoup de choses sont en suspens, celles relatives aux ‘cabinets’ ne seront pas éclairées ; celles tenant des narrations seront résumées ou suggérées dans les plans des trois derniers mois [quarts]. Aucun risque d’éprouver des sympathies particulières – les personnages sont passifs et aliénés, les révoltes des victimes sont minimales, leur expression à peu près inexistante ; et la litanie de leurs supplices ordinaires est un marécage de confusion permanente (culminant avec les diverses tortures incohérentes de Narcisse dans les dernières pages, où ses membres disparus sont à nouveau sacrifiés !?). Souvent l’approche tient de la comptabilité, les présentations des quatre salauds puis une partie des histoires de Duclos limitant l’abrutissement – et livrant, notamment lors du déluge de merde des pages 200, des saillies presqu’aussi drôles qu’écœurantes (comme ces clients dans leurs tonneaux d’étron avec le « vit » dépassant).

Les nouveautés aux abords de la page 300 s’avèrent rapidement décevantes ; les passages philosophiques où sont célébrés les principes d’injustice et la tyrannie croulent à leur tour sous la répétition, de même que ces passions autrement excentriques relevant de la nécrophilie. S’il y a une volonté supplémentaire à celle de salir, c’est celle d’avachir. Et même si Sade reconnaît que la première partie (c’est-à-dire l’essentiel de ce qui nous est parvenu) est trop longue, ses 120 journées finales se seraient étalées sur au moins 2.000 pages. Or l’hilarité est bien trop modérée et la nausée l’emporte à la lecture du plan non-réalisé, spécialement lors de la partie « criminelle » [la troisième], moins dans l’ultime ‘meurtrière’ car l’imagination y redouble et justifie l’affiliation aux surréalistes. Dans le meilleur des cas, cette lecture aurait été régulièrement ennuyante puis assommante ; sinon elle devenait gravement démoralisante et amenait le curieux dans un état proche de celui qui aurait passé trop de temps à se griller l’âme, la tête encerclée de snuff ou de black metal trve tournant en boucle dans sa prison passée d’imaginaire à constitutionnelle.

Le lecteur découvre une littérature des caniveaux et de dépravation avant une de souffrances et jouissances raffinées ; la réputation du ‘Divin Marquis’ est manifestement tronquée et cette portion de son œuvre est en de nombreux endroits digne des rêveries de Jean-Louis Costes, sans en avoir l’écoulement facile, sans profiter du panache de la bêtise revendiquée – mais en déployant infiniment plus de méchanceté et de détermination ! Finalement le réhabilitateur Apollinaire a livré une abjection supérieure avec ses Onze mille verges (plus ramassée, consistante, aussi transgressive et à peine moins fantaisiste – grâce notamment à sa scène du train). Quand à Sade qui vénérait cette œuvre par-dessus ses autres, il a fait mieux par la suite avec sa série Justine & Juliette – en soulignant le désespoir et montrant les coups de la vertueuse Juliette. Par contre il a dû atteindre ici son sommet dans l’horreur – et peu de créateurs, d’assassins ou de dictatures sont parvenus à le rejoindre. Dans ces 120 journées nous sommes accablés unilatéralement – pas de lutte, pas de nuances, pas le moindre conflit – nous sommes en cellule, pour abandonner toute estime et toute candeur envers nos prochains.

Note globale 58

Texte sur Sens Critique

JE PROMETS D’ÊTRE SAGE **

14 Août

3sur5 La conception n’a pas l’air éclatée mais le film semble au carrefour de plusieurs autres. C’est comme si un auteur avait voulu planter les graines de son œuvre à venir, en évitant de trop dépareiller, donc de prendre à bras le corps un de ces projets de film. Au départ la séance donne des indices de comédie familiale triviale (certainement le rôle de Magalie la sceptique maternante) correcte et garantie sans nervosité. Pourtant déjà on sent que le film va tourner mal ou à n’importe quoi (le four au théâtre en ouverture est aussi là pour ça). Tout est calme (et le restera) mais il flotte une petite odeur inquiétante en même temps que la perspective d’une libération.

Effectivement le film va prendre des tangentes, ou plutôt flirter avec et se rétracter. La fin en attesterait sommairement si elle n’était pas d’une immoralité et d’une envie de poésie si flagrantes. La comédie désuète est utilisée comme une espèce de matelas [de secours pour accrocher au film et le faire tenir debout] ; sur ce terrain, le travail est fait, les gags sont laborieux. Un humour atypique pointe constamment, un cynisme serein cherche à s’imposer. Le tandem le cristallise ; en-dehors de lui, on se sent dans une comédie dramatique tatillonne, avec la hauteur et les moyens d’un téléfilm.

Les personnages et interprètes sont de loin le point fort et le seul quasi uniforme (on peut préférer dire ‘mûr’). Le cadre et les gens sont normaux, leurs excentricités sont celles que chacun pourra croiser. Ils semblent avoir une vie en-dehors du film, ce que ne peut pas revendiquer toute la concurrence, même lorsqu’elle s’adresse aux adultes. Avec cette Sybille Je promets d’être sage aurait pu aller loin. Introduite comme une négativiste, elle s’avère une sorte de psychopathe proche de Marina Fois dans Irréprochable, elle aussi en lutte désespérée contre l’humiliation de sa situation. Mais c’est davantage une évitante agressive : elle a du mordant et apparemment de l’assurance mais pas de plan. Sa misère est plus profonde que celle de ces autres qu’elle méprise – et continuera à mépriser quoiqu’il arrive, car au-delà de la mise entre parenthèses (ou de la subordination) elle ne semble pas avoir d’autre façon d’encadrer l’altérité.

Le film ne cache rien de ses petites fourberies et ose les valider. Il souligne cet opportunisme propice à des lâchetés comme à du pur romantisme. Puis il s’y attache et se perd alors. On dirait la victime d’un de ces odieux connards en train de donner carte blanche – et se plongeant dans la rêverie ou l’abandon de soi pour s’assurer que tout ira bien. Jusqu’au-bout cette tentative curieuse en eaux banales semble rabougrir sa vocation pour s’inscrire dans un compromis qui, sans les qualités de jeu (ou de présence) de Léa Drucker et Pio Marmai, serait un film creux à l’improbable potentiel.

Il vaut mieux y aller sans rien en savoir. Dans ce cas on est baladé entre des trucs diversement réussis, assurés mais sans éclats, parfois poussifs (au rayon de la pure comédie, du conflit ordinaire). Si on en sait ne serait-ce que le synopsis entier, on verra simplement un film slalomer et finalement retarder le nerf de la guerre (c’est-à-dire le lancement des escroqueries), où il n’a pas grand chose à explorer ni raconter (les flash-back d’un épisode de Lost étaient déjà plus complets).

Note globale 56

Page IMDB  (vide à la publication)   + Zoga sur SC

Suggestions… Prête à tout + Jusqu’à la garde + Ober / Waiter ! + Chien/Benchettrit

Les+

  • les caractères
  • les deux principaux acteurs
  • relativement original et pas obnubilé par les supposées attentes du public

Les-

  • pas sûr qu’il ait trouvé le ton juste, régresse régulièrement
  • peut donner une impression de remplissage

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HITCHER +

22 Avr

hitcher

Hitcher est un thriller (tendant vers l’horreur) respecté, dont le nom est connu de la plupart des cinéphiles mais demeurant peu regardé et attirant peu de louanges. Cette destinée bizarre est probablement due à l’absence de saga autour de ce film, dont le concept ne saurait être décliné à l’infini ; de plus, le réalisateur Robert Harmon est très peu cité. Christine par exemple, si brillant soit ce divertissement, aurait peut-être connu le même sort s’il n’était pas signé Carpenter : toujours présent dans l’esprit des cinéphiles mais étrangement contourné, isolé.

Hitcher mérite davantage que son statut d’idole mineure. Dans la galaxie de l’Horreur et du thriller violent, il incarne ce mélange de subtilité et d’intempérance propre aux productions les plus corsées et impressionnantes, celles où la virtuosité technique et une inspiration maline sont mises au service du dépaysement (comme Haute Tension, The Incident). Le film s’ouvre sur la prise d’un auto-stoppeur par un jeune homme en route vers la Californie. Nous sommes dans le désert et le passager s’avère être un psychopathe. Jim réussit à s’en débarrasser, mais John Ryder le porusuit.

Il ne va pas le tuer tout de suite : il préfère rendre Jim coupable de ses crimes aux yeux de la poursuite, celui-ci étant alors doublement poursuivi, dans un univers hostile et aride où il n’a qu’une seule alliée. L’obsession de Ryder pour ce jeune homme cultive quelques ambiguïtés Les faux-semblants qu’il insinue rendent le film extrêmement tendu et intense, entraînant une cascade de rebondissements : les faits importent moins que la position dans l’environnement. C’est une descente aux enfers jubilatoire pour le spectateur.

La mise en scène est admirable et évoque le meilleur de Carpenter. Les plans d’ensemble ou de demi-ensemble sont somptueux et la course est dopée par un sens visuel percutant et raffiné. Hitcher ressemble souvent à un drame prenant les habits d’un conte sans embrasser ses illusions, flirtant au passage avec l’épique dans un cadre inattendu. Harmon et son équipe semblent plus mal à l’aise dans les espaces confinés, comme au tout début dans la voiture, leur talent s’épanouissant pleinement dès que les personnages deviennent les acteurs de tableaux somptueux.

Note globale 78

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Hitcher (2007) + Le peuple des ténèbres + Duel + Kalifornia + Point limite zéro

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SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN +

19 Juil

6 femmes pr

Mario Bava a signé le premier gialli avec La Fille qui en savait trop en 1963, mais c’est son Six femmes pour l’assassin en 1964 qui va véritablement installer le genre et ses repères. Il introduit le meurtrier ganté brandissant son arme scintillante et l’orne même d’un masque, comme dans L’Homme Invisible de James Whale. Les meurtres sont très violents, l’érotisme abondant.

 

Six femmes est une révolution dans la représentation du crime au cinéma. Mario Bava impose une combinaison unique d’abstraction et d’explicite.Paradoxale et puissante, sa mise en scène est en tout cas pleinement baroque. Son travail sur les couleurs est aussi impressionnant que sur celui du noir et blanc dans Le Masque du Démon, film monstre qui l’a révélé. Bava subverti les formes classiques du policier par l’extravagance et la virulence de son style.

 

Il dope les principes fondateurs comme le whodunit et les enrichit voir les supplante avec ses propres éléments. Il joue avec les identités et pas seulement celle de l’assassin ; les individus comme les lieux deviennent des objets sacrés, la traduction matérielle de forces invisibles mais implacables. Cette dimension animiste a toujours alimenté le suspense chez Bavo et donne un sens profond, instinctif et grave, à ce fétichisme généralisé. Elle sera poussée à son point de rupture avec La Baie Sanglante, hybride de giallo et de slasher incroyablement éthéré et pourtant d’une agressivité redoutable.

 

Sei donne per l’assassino n’est pas de ces vieilles  »références » que chacun vient adouber comme de pures reliques, tout en n’éprouvant rien à leur contemplation, sinon un grand effort. Il est clivant, comme tout Bava, mais si on y cède un peu, ce n’est qu’un plaisir inlassable. Ce que les moins réceptifs prendront comme des défauts les plus gros (liés à son ancienneté) sont des qualités miraculeuses. Six femmes est une véritable matrice, pour le genre du giallo mais aussi comme source d’inspiration de nombreux cinéastes s’employant à illustrer le crime.

 

Les scènes d’interrogatoires ou d’enquête sont certainement désuètes, mais jamais elles ne posent problème. Même au plus kitsch, tout est très vif : un demi-siècle n’a pas entamé sa puissance. La vocation de Six femmes est double : elle est esthétique (c’est un chef-d’oeuvre de maniérisme) et divertissante au sens noble (c’est une aventure où est corrompue la fade réalité). Voilà une romance tragique pleine de faux-semblants, de jeunes filles ambitieuses ou mystérieuses, avec certainement une drama queen et un sadique machiavélique à la source de toute cette agitation.

Note globale 80

 

Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC

Suggestions… Suspiria + Bloody Bird

Note ajustée de 80 à 82 suite aux modifications de la grille de notation.

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LA MAISON DES 1000 MORTS =-

10 Mai

Récréation outrée au pays de Rob Zombie. Avec La Maison des 1000 Morts, le chanteur et leader du groupe de metal éponyme livre son premier film. Il sera un cinéaste innovant, notamment dans sa reprise en main de la franchise Halloween dont il crée une troisième version. Rob Zombie est d’abord un performer et dans un premier temps, son cinéma reste dans la lignée du shock rock bien purulent exprimé sur scène ou au travers des clips, généralement avec une grande créativité.

Ce premier essai est très beauf, autant qu’on peut l’anticiper. C’est également un gigantesque foutoir où Rob repousse les limites du mauvais goût et s’amuse avec le montage et la mise en scène comme un monstre découvrant un jouet tout neuf. Split screen, flashbacks, corrections lumineuses, filtres rouges, se baladent sans trop de raison.

Dans la lignée du cinéma d’exploitation des 70s que Rob adule et qu’il commémore à sa façon, la liberté de ton est totale, avec de surcroît le goût de l’explicite qui s’est imposé depuis dans l’horreur. Violence extrême, perversions affichées (petit coup de nécropholie par-çi, galerie de psychopathes les plus dégénérés par-là), vulgarité épanouie au programme. Le spectateur est immiscé dans le monde de cette famille (pas la tribu du clown, qui n’apparaît qu’à la marge), en totale complaisance avec le pire, mais sans gravité, comme un jeu. La farce est morbide et bien crade, tout en se préservant d’aller trop loin.

Soit. Est-ce que tout ça est amusant ? Y a-t-il un  »délire » auquel adhérer ? Oui pour beaucoup de monde, le film est devenu culte, quoique dans l’ombre de sa suite The Devil’s Rejects. Mais le barbaque rigolard est un registre paradoxalement plus sordide qu’un A Serbian Film. Autant allez au drame glauque directement, ou vers Braindead. Le niveau présent est autrement dérangeant. C’est une curieuse poilade et franchement malsain.

L’hilarité de Sheri Moon quand sa famille s’en prend à une victime, c’est l’éclate ? La musique country alors que la sauvagerie se profile ; cette scène où on coupe le son et attend le tir sur un sheriff : c’est quoi le délire, au juste ? L’affreux cynisme final c’est cool ? Lolilol le Mal gagne et on va mettre une louche de disco là-dessus parce que c’est fun et so ironical ? Ce n’est pas que le film présente ces déviances le problème (d’ailleurs le montage dévitalise tout ce qui devrait être d’une noirceur infinie), c’est qu’il en fasse une gaudriole en célébrant ces anti-valeurs de façon grasse et puérile.

Il ne faut pas mentir : on est pas choqués. C’est juste qu’on est face à un genre d’univers et de passions regrettables. Un exutoire qui craint. Il y a là une fièvre d’adolescent anti-tout, envoyant au bûcher la moindre petite once de morale et de cohérence. Le satanisme des ploucs, en quelque sorte. Le but du film est d’être divertissant : un gros divertissement bourrin et WTF. C’est un échec à moins de s’extasier sur La Colline a des Yeux (spectacle laborieux de Wes Craven) et sa suite en mode trollolo trash.

Pour autant, Rob Zombie fait déjà ici la démonstration de son style et de son talent de créateur d’ambiances. Quand elles sont purement fantastiques ou horrifiques, c’est tout à fait stimulant, comme lors du final dans les galeries. Là, pas de tarantineries, un véritable tour de manège !

Note globale 41

 

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Suggestions…  L’Antisémite 

 

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