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L’OMBRE ET LA PROIE –

21 Oct

Stephen Hopkins est un roi du bigmac cinéphile. On lui refile le commandement de séries B industrielles (Les Châtiments), sous-blockbusters des familles (Perdus dans l’espace) et suites superflues (Predator 2, Freddy 5). L’objectif est toujours le même : remplir des cases, rejouer des formules sans états d’âmes, pour livrer du divertissement se donnant des airs intenses ou ambitieux. L’Ombre et la proie confirme et chevauche deux domaines : le cinéma à base d’animaux tueurs, en général assez discount (pas le cas ici, le ‘film de genre’ ou le ‘bis’ intègre sont d’un autre monde) ; l’escapade en costumes, désuète et sentimentale, domaine sous le joug de quelques références ‘nobles’ ou sophistiquées, mais rempli de sur-téléfilms kitschissimes (genre Lean des maisons de retraite).

Le spectacle est centré sur un ingénieur britannique débarqué en Afrique pour la construction d’un pont ferroviaire. La présentation est pachydermique (mais est une des rares portions joyeuses du film, avec les moments de fraternité au coin du feu) : voilà l’ingénieur b-g., sûr de lui et encyclopédique, sobre et énergique ; l’homme fort apaisé et non châtré par la science ou crétinisé par le naturalisme. Son Pont de la rivière Kwai présente peu d’intérêt, contrairement aux parasites foulant cet effort de civilisation : les lions, motivation du chaland, venu chercher un Dents de la mer de la savane. Les grosses bêtes (recrutées l’année suivante pour George de la jungle) auront leurs moments de gloire (lors d’attaques puis de chasses), où le film gesticule plus qu’il ne montre. L’Ombre et la proie fournit de jolis fonds d’écrans potentiels en capturant des morceaux de jungle, échoue en terme d’animation, est nul en terme de réflexion et à peine au-dessus en terme d’explorations.

Les traditions tribales sont comme les guerriers Maasai : en arrière-plan, bonnes pour le pittoresque de surface. Les qualités sont évidentes : photo, décors, éclairages, figurants, tous classiques et performants, malgré leur enrobage dans une mise en scène en manque de goût et de repères. Le reste est en friche, à cause d’un manque de soin sur le fond et de congruence dans la narration. L’Ombre et la proie est sûrement une commande justifiée par le ‘based on a true story’ (les aventures du Charles Ryall avec les lions de Patterson) et n’a pas été réfléchi, se reposant sur ses atouts techniques et physiques, puis son tandem de prestige Kilmer/Douglas. Les traques réunissant les deux stars sont systématiquement dépourvues d’intensité et de progrès : reste l’attractivité du contexte (la grotte ou la brume bleue). L’entrée en scène de Michael Douglas (au bout de trois quarts d’heure) a au moins le mérite de ne pas tromper sur la marchandise, son décalage stérile excluant une relance sérieuse ou solide.

Cette prestation de Douglas (Basic Instinct, Harcèlement) en chasseur intrépide est plus embarrassante que l’inanité des autres personnages, car le costume est flamboyant et la vacuité qu’il se traîne d’autant plus lourde à porter. Pour rabaisser un acteur, ce genre de coquille vide ultra-typée est un poison efficace. L’odieux super-patron et le narrateur en voix-off se liguent au départ pour balancer quelques énormités appétissantes (les non-blancs se détestent entre eux ; il faut aider l’Afrique et les africains, malgré les africains), malheureusement le cahier des charges exclue tout approfondissement (et oublie même en route de recycler le premier, de donner autre chose qu’un mot de la fin au second – une espèce de réclame niaise et indirecte pour les parcs d’attraction). L’Ombre et la proie reste supérieur aux émanations de la fosse remplie de requins et d’insectes mutants (ou simplement méchants), mais est également un piteux wannabe-Wolfen/Loup-garou de Londres version roi de la savane.

Note globale 38

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Suggestions… Peur bleue + La Féline + La Crypte

Scénario & Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (1), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (2), Audace (1), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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LA MULE **

31 Mar

3sur5 Sans reproches ni grandes vertus. Cette Mule ne vaut pas grand chose dans l’absolu et nous paraîtrait probablement fade (pas ‘molle’ malgré la lenteur et l’absence de surprises) sans Clint – et la conscience que lui aussi fait un de ses derniers tours de piste. La condition même d’Earl Stone est triviale – ses fardeaux familiaux remontant à loin, les pesanteurs relationnelles, son éternelle décontraction minée par les faiblesses présentes et des prises de conscience (brutes, peu remâchées par la réflexion).

Naturellement cette vieille mule ressemble à son interprète, vieil actif, modérément taciturne, installé sur une pente ataraxique, passe-partout – grâce à ses restes d’ambition et de bon sens commercial, aussi car il a la santé pour jouir des privilèges de l’âge, se rapprocher de l’état de mascotte. Au plus cynique il est encore sans méchanceté, alors on lui pardonne tout. Y compris son racisme, sans haine ni discriminations [conséquentes]. Qu’il soit largué par l’époque contribue sûrement à cette candeur, puis surtout c’est l’heure des comptes – donc de se ramasser sur l’essentiel, plutôt que s’abîmer à jouer un rôle ou s’insérer dans un temps qui n’est pas le sien. Dans ce cas l’approche de la mort décuple une tendance naturelle : les bonnes raisons de vivre encore et d’avoir vécu sont la famille et le plaisir ; Earl Eastwood n’est pas venu sur Terre pour la changer !

Rien de fulgurant ni de déshonorant là-dedans. Autour de cette trajectoire tout est net, précis, sans doute trop privé. Les personnages sont habilement pris en charge par un casting de qualité (le héros d’American Sniper joue un flic traquant le passeur), mais eux-mêmes resteront pauvres – pour laisser toute la place à celui de Clint ? Comme précédemment chez lui (Gran Torino notamment), la photo n’est pas nécessairement jolie, les décors se situent dans le monde réel du commun des spectateurs ruraux (car finalement l’essentiel sur grand écran se passe en ville et/ou dans des conditions atypiques et/ou vernies), la séance est mielleuse sans relever de la niaiserie. Ne donnez pas sa chance à la VF, elle sonne trop série méchamment bisse, seul le sérieux la sauve.

Note globale 62

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Suggestions… The Mule/Border Run + Breaking Bad 

Scénario/Écriture (5), Casting/Personnages (6), Dialogues (5), Son/Musique-BO (6), Esthétique/Mise en scène (6), Visuel/Photo-technique (7), Originalité (3), Ambition (6), Audace (4), Discours/Morale (7), Intensité/Implication (7), Pertinence/Cohérence (6)

Les +

  • casting excellent ou joliment exploité
  • séance aimable
  • point de vue positif

Les –

  • alentours et personnages pas fouillés
  • sans originalité ni scénario musclé

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L’EXORCISME D’EMILY ROSE **

28 Avr

exorcisme emily rose

2sur5  À l’instar de Requiem qui sortira un an plus tard (2006), L’exorcisme d’Emily Rose s’inspire de l’histoire d’Anneliese Michel, jeune allemande décédée à la suite d’une série d’exorcismes en 1976. Le film relate le procès de l’exorciste, entrecoupé de flash-back rapides. Le résultat est mitigé car si l’enthousiasme des auteurs est manifeste, leur produit mal défini, laissant un sentiment de surcharge et de brouillon : sa spécificité en devient presque obsolète.

En effet tout procède par à-coups et la distance demeure permanente sur le sujet. Les élans plus passionnés s’éteignent rapidement quand ils ne sont pas simplement zappés par le flux droit et mollasson rendant ce film aimable et d’une platitude étrange, impropre. Cela n’a pas empêché cette série B de devenir un énorme succès, puis rester l’un des films les plus vus et connus des années 2000-2010 sur l’exorcisme. Elle sait gérer un certain suspense judiciaire et charrier des sujets lourds sans s’engager elle-même, jouant à bon escient de l’ambiguité entre épilepsie ou début de psychose et manifestation surnaturelle.

Au-delà de la réception critique positive mais timide, ce troisième film de Scott Derickson permet à sa carrière de décoller et le remake du Jour où la Terre s’arrêta lui est confié. En 2012 il s’illustre à nouveau dans l’horreur avec Sinister, produit banal mais très réussi. L’intérêt pour les âmes torturées et les réalités invisibles booste manifestement Derrickson (réalisateur auparavant d’Hellraiser V), même s’il ne s’exprime pas en génie dans ce domaine et ne déclame rien de bien valable. Emily Rose a également révélée Jennifer Carpenter, laquelle allait devenir un an plus tard Debra, la sœur de Dexter.

Note globale 52

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Suggestions… Le Dernier Exorcisme + Poltergeist 

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BULLY +

4 Sep

Après Kids et Another Day in Paradise, Larry Clark réalise Bully, inspiré d’un fait divers survenu sept ans et demi auparavant. En 1993, sept jeunes se retrouvent impliqués dans le meurtre d’une de leurs connaissances, Bobby Kent. Larry Clark raconte les jours précédant ce crime, prémédité et chapeauté par Marty Puccio (Brad Renfro), le meilleur ami officieux de Bobby mais aussi son souffre-douleur.

Pas de lecture morale de la part de Larry Clark, c’est l’avantage de son éternelle attitude irrationnelle : dans le sens où chez lui les faits sont contemplés pour ce qu’ils sont. Cela confine le spectacle à une sorte de vide éthique compensé par la saine et vilaine manie de plonger au cœur de situations déviantes, mais bien réelles, vives, capables de parler à tous même à ceux qui ne connaissent rien des univers s’imposant à eux sur l’écran.

Le spectateur est impliqué au maximum et reçoit tous les faits. Au début du film, Bobby se comporte comme un vampire et un manipulateur narcissique. Il exploite les autres et leur fait payer ses fantasmes et son homosexualité mal gérée. Il maintiens sous son emprise Marty, lequel n’arrive pas à vivre sans lui bien que la rancoeur l’envahisse. Il sait que Bobby est toxique, mais ce dernier a une place trop importante, lui a trop pris : sans lui il perdrait certaines de ses forces, que Bobby retiens.

Et en même temps, il s’épanouirais enfin, lui dont le fort caractère reste brimé, comprimé, gâchant son potentiel d’expression et de réussite. Alors, à peine poussé par une amie, il décide de tuer Bobby. Le rejoindront tous ceux qui l’ont subi et dont il contrarie l’existence – contrariétés objectivemes surtout, car Bobby est bien le salaud initial de l’histoire, même si son hostilité est canalisée.

Commence l’ivresse collective au terme de laquelle, personne n’est responsable, mais tout le monde est coupable. Larry Clark filme le basculement dans ce projet dans un style vif, ultra-réaliste, très proche du spectateur, communiquant agressivement et avec précision l’ambiance portant ces jeunes. C’est une folie à sept, prenant des proportions insensées, car jamais l’idée n’est totalement mesurée par ces jeunes. Ils la suivent sans avoir la capacité de projeter les conséquences : il sera mort, point, il l’aura bien mérité, la vie continuera.

Et ça ne se passe pas ainsi. Leur réalité émotionnelle est rattrapée par la réalité physique implacable, celle qui pose un constat définitif si frappant, si inédit, qu’elle force à la prise en conscience. Mais en quelques secondes et alors que toute action ne consistera qu’à planquer l’événement. De plus, la cible n’est pas docile : Bobby ne devient pas de suite un mort, il souffre et titube, il implore même la clémence. Il était fort mais le voilà révélé dans toute sa faiblesse ; et humain, comme on ne lui l’accordait plus.

Bully est une catharsis impossible, frustrante et un choc violent. Malgré son propre manque de jugement, il montre bien des jeunes sans structure morale, sans boussole. Il les montre sans inventer des caricatures grimaçantes ou des criminels nés : ce sont des individus qui se sont laisser bercer par un enthousiasme morbide, partant d’un désir de vengeance parfaitement cohérent compte tenu de leur vécu avec la victime, indépendamment de l’ampleur de cette vengeance. Il n’y a pas d’autre responsable qu’eux-mêmes (pas de défaut d’éducation particulier ; un milieu modeste ou ordinaire, ni plus ni moins sain, riche qu’un autre) et surtout cette croisade collective qui leur a fait oublier toute lucidité.

Larry Clark touche des sentiments profonds, surtout adolescents mais pas seulement. Il montre où mène l’ennui et l’absence de distance à une réalité pauvre en sens, horizontale mais bouchée, grégaire mais inerte. Il est décidément très supérieur à Gus Van Sant (Elephant, Paranoid Park), où jugements fatalistes et accusateurs (de l’Amérique, des institutions) diluent l’effort de vraisemblance dans une représentation chic au moralisme de nourricière éplorée et vaniteuse.

Note globale 74

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Suggestions…  Ken Park + Mysterious Skin + Thirteen

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TU NE TUERAS POINT ++

19 Mar

Après une décennie de démêlées judiciaires ou ‘morales’ le fou furieux de L’Arme fatale se rachète avec un nouveau film retenu pour les Oscars 2017 : Hacksaw Ridge, judicieusement baptisé ‘Tu ne tueras point’ pour l’exploitation française (reprenant le cinquième des dix commandements). Une nouvelle fois Mel Gibson derrière la caméra orchestre une œuvre imprégnée de christianisme, sans aller dans la polémique frontale comme il l’avait fait avec La Passion du Christ.

Cette cinquième réalisation se sert de l’attitude du caporal Desmond T.Doss et de ses exploits sur le terrain comme fondement. Ce soldat aurait sauvé 75 hommes pendant la guerre du Pacifique (série de combats des Alliés contre le Japon en 1941-45) après s’être fait enrôlé comme infirmier. Il est venu mains nues sur les champs de bataille afin de rester fidèle à ses convictions religieuses ; la reconnaissance officielle (Médaille de l’Honneur) obtenue par ce relatif dissident achève d’en faire un cas exceptionnel.

Par la voix d’Andrew Garfield cet adventiste se définit comme « un objecteur coopérant ». Au premier abord c’est un grand niais, une sorte de Forrest Gump chrétien. Son engagement est cohérent avec son tempérament, même s’il est étrange en pratique et contradictoire en principe ; ses attaches religieuses et son caractère candide génèrent une force insoupçonnable – et ne la cachent ou ne la trahissent pas, ce qui peut heurter une logique athée et certains préjugés (sur la puissance et le bon sens). Il n’a pas le pouvoir d’arrêter la guerre mais il a celui d’agir au mieux de ses capacités ; contrairement aux apparences il est ultimement réaliste et combatif. D’ailleurs il montre une bonne endurance malgré sa condition physique modeste (et carrément faible par rapport à ses camarades).

Dans le public, l’irritation et l’admiration inspirées par les gens trop près de la perfection seront à leur comble. La défiance et le mépris pourront être forts aussi, perçant même chez les bien disposés, car il est difficile de s’accorder avec des créatures aux allures et comportements si réduits et gênants – les maladresses de niaiseux étant le comble. Jamais Desmond n’est présenté comme un retardé, mais il a encore souvent l’air un peu simple, ou au moins d’un certain genre d’idiot (gentil exalté ou idéaliste carabiné en particulier). Ses crispations apragmatiques poussent à des situations absurdes, au mieux des pertes de temps, au pire des espèces de comédies pathétiques. Le film est loin de céder aux chausses-trappes aguichantes à ce sujet, qu’il s’agisse de caricaturer les positions, les êtres ou de jouer avec ces antagonismes.

Le point de vue est large (l’humour et même un certain sadisme ont leur place – séance Full Metal Jacket soft lors de l’arrivée à l’armée), amoureux de l’élan de Desmond et concentré mais pas crispé comme lui semble l’être. Malgré leur dureté les cadres militaires sont prêts à laisser partir Desmond plutôt qu’à s’amuser avec ce bouc-émissaire volontaire ; chez les futurs soldats comme chez les chefs, le scepticisme, l’embarras (et parfois le dégoût) sont généralement plus forts que l’hostilité pure et brute. Dès cette première heure où plane un soupçon d’imbécillité la foi emporte déjà le morceau, par la suite elle le fait tenir face aux horreurs. Il y aura de rares moments de doutes et jamais de tentation (ou pas à l’œil nu), un tel sentiment étant étranger à celui qui a su se dépasser – et s’abandonner à bonne adresse.

L’énergie du post-désespoir, précocement acquis, éclaire sur son chemin. Ses sauvetages sont parfois inventifs (la terre a des yeux) ou improbables (le dernier filmé), dévoilent les vertus d’un fanatisme serein et bien compris – les vertus de celui qui a fait le deuil de l’essentiel de ses mensonges, accepte sa part et ses limites, tient quoiqu’il arrive en se sachant toujours prêt à mourir. Quelques ralentis inutiles surviennent et le développement ne se fait pas sans coups de mous, mais c’est bien peu de choses par rapport à la profondeur émotionnelle dégagée par le film. Les scènes sur le champ de bataille sont impressionnantes, surtout l’attaque et mieux encore, quand il se plonge dans la guerre, ce film a le mérite de la netteté ; elle est double, morale et esthétique. Il montre la destruction en face (la violence extrême, les pelletées de cadavres, les monceaux de charognes, les pluies de projectiles) et propose des affrontements, des carnages, bref un chaos lisible (à l’opposé du fouillis des films d’action ou de guerre venant sur ce terrain).

Note globale 86

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Suggestions…  Silence/Scorsese + Comancheria/2016 

Scénario/Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (5), Pertinence/Cohérence (5)

Note passée de 85 à 86 avec la mise à jour de 2018.

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