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HABEMUS PAPAM –

28 Août

À travers cette papauté en déconfiture on sent l’expression d’un blues démocratique. C’est comme si cette volonté de désacralisation s’auto-invalidait fatalement, que la volonté de s’en prendre à l’autorité était devenue aussi sénile et débile que sa cible. La présentation de ces hommes d’Église et même de l’héritier de Saint-Pierre comme des papys routiniers, faibles ou simplets, instille un climat un peu absurde et lénifiant. C’est censé être une comédie piquante et compassionnelle, on assiste à une démonstration engourdie et pataude ; hormis le fantasme de progressiste étroit ou d’anticlérical vieillissant, il est difficile d’y trouver une quelconque motivation – sinon la revendication bizarre d’une joie piteuse à l’égard d’un pouvoir évanoui et de l’horizontalisation des rapports humains.

Mais le fond est trop mesquin. Qu’un pape soit une petite personne avec des envies enfouies et de la fatigue est recevable, mais qu’il soit présent exclusivement à la médiocrité, à l’ordinaire, ou à ses souvenirs et ses rhumatismes, tandis que sa religion et son esprit sont à ce point absents, est dans tous les cas délirant. À l’égard de ces hommes et de leur incarnation d’une institution fantomatique, le film semble avoir pour seul cap clair de ridiculiser, ou simplement tenter l’humour – avec cette ‘vibe’ à la fois agressive, obtuse et insipide propre aux gesticulations de Moretti, toujours prompt à accuser en jouant à celui qui doit partir et n’a donc pas le temps d’étayer. Nous sommes aux antipodes du Young Pope de Sorrentino, encore plus brutalement sceptique concernant la santé et l’intégrité du Vatican, mais qui, par fascination esthétique et par inclusion pragmatique [ou simplement considération des impératifs, opportunités et privilèges d’élites d’une cité-état par exemple], donne à voir une décadence catholique autrement pertinente – et tout simplement, malgré le mélange de déviance et de complaisance, réaliste.

Toute cette platitude servait mieux Mia Madre avec sa réalisatrice en plein réveil, mais aussi parce que le ressentiment et la vanité y étaient davantage mis à distance ; ou bien j’ai encore essayé de me convaincre de l’honnêteté de ce que produit Moretti et il ne m’aura pas trop ennuyé (La chambre du fils) ni lassé qu’avec ce film-là, ou son documentaire sur l’élection interne du Parti communiste italien en 1989 (La Cosa).

Note globale 28

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Suggestions…

Les-

  • La méchanceté débile sous les apparences de la bonhomie relativiste.
  • Plat, laid, triste.
  • Paradoxalement plus improbable que Young Pope.

TERRITOIRES (2011) =+

4 Juin

territoires 2010

Thriller psychologique franco-canadien empruntant les sentiers du torture porn pour délivrer une copie originale et peu absconse. Un petit groupe de trentenaires est capturé puis séquestré dans une forêt proche de la frontière états-unienne. Les deux douaniers s’avèrent d’anciens soldats envoyés par les USA en Irak, mais également d’anciens de Guantanamo. Ils vont torturer leurs victimes et leur faire subir des interrogatoires musclés, en prétextant des soupçons de connivence avec les ennemis de l’Amérique.

Refléter les peurs du terrorisme dans le monde post-11/09, c’est un peu lourdaud comme postulat. Territoires n’est pas vissé à cette idée ; tant mieux car c’en est une de faux malin. Cette perspective est plutôt le support d’un déversement de troubles sévères ; les deux bourreaux sont davantage dans leur monde que concernés par le reste, devenu assez abstrait. La seconde moitié du film se détache des canons de l’horreur (survival spécifiquement) et fait entrer un autre personnage à l’excès d’indépendance plutôt mortifère, quoique plutôt vertueux en soi.

Olivier Abbou souhaitait peut-être que son film soit une critique cinglante des débordements sécuritaires du gouvernement américain, en tout cas Territoires n’exprime rien de structuré là-dessus. Il se reporte à bon escient sur une plongée dans les ténèbres, où les désaxés se consument et mettent les habitants d’un monde perçu comme corrompu face à leur complaisance et leur inanité morale. Le carnage est surtout celui des repères, de la confiance et des fonctions ‘vitales’ pour s’épanouir paisiblement dans un monde duquel les bourreaux et le type célébrant Ganesh n’attendent rien.

Dans cette configuration l’autarcie est impossible, sauf si on fait le choix de la fuite perpétuelle ou de l’entrée en guerre. Il s’agissait peut-être avec Territoires de donner corps à une aspiration secrète au détachement profond, ou même à une tendance subie, parcourant les occidentaux esseulés par une société absurde et incertaine. Dans ce cas c’est réussi, mais peut-être que l’échelle socio-politique n’entre pas tellement en compte, sinon comme gadget ; en tout cas le propos vaut sans elle.

C’est l’angle mort parcourant globalement cette œuvre ; les velléités de Territoires sont cryptées, peut-être inachevées. Néanmoins la séance est plutôt percutante avec ses élans froids dignes d’un Dupieux (Rubber, Réalité) nerveux. Les atrocités plus traditionnelles sont abordées avec réalisme et crudité, rendant ces moments dérangeants et intenses. C’était plutôt troublant, parfois magnétique, mais trop opaque et laconique pour marquer franchement l’esprit.

Note globale 56

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Suggestions… Cannibal/2010 + Ils + Eden Lake + Martyrs + Massacre à la tronçonneuse   

Scénario & Ecriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (4), Ambition (3), Audace (4), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (2)

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EXTRATERRESTRE (2010) *

28 Juin

extraterrestrial

1sur5  Nacho Vigalondo est connu pour son court-métrage 7:35 de la manana, en compétition pour l’Oscar du court-métrage et surtout pour Timecrimes/Los Cronocrimines, thriller conceptuel très efficace. Jouant sur les paradoxes temporels, il faisait la démonstration d’un grand brio, tout en se fondant sur des prémisses boiteuses. Le résultat était donc simultanément captivant et frustrant. Rien de tel avec Extraterrestre, affreux mélange des genres réalisé un an plus tard.

Vigalondo fabrique une comédie romantique qui virerait au drame psychologique, comme un Polanski inquiétant mais ludique, limite rigolard. Partant d’un contexte SF qu’il snobe allègrement, Extraterrestre trouve finalement sa place dans le jeu de dupes au ton improbable, ultra-glauque mais sans le faire exprès, agrémenté de discussions censées réfléchir les sentiments des personnages, ainsi que des divers complots ou projections d’un nombre très resserré de protagonistes.

Désorganisé, Extraterrestre aimerait se balader entre les registres, or il reste à un degré zéro bizarre où tous les éléments préalablement installés semblent être tout simplement zappés par le scénariste et le metteur en scène. On avance dans la nuit, en ne voyant que ses pieds, allant d’un rebondissement saoulant à l’autre. Si on est d’humeur à jouer les inspecteurs flegmatiques mais très très sérieux, ça peut le faire. Comédie grivoise surgonflée ou errance d’un auteur goulu au ventre mou ?

Extraterrestre n’est somme toute qu’une comédie de boulevard inassumée et poseuse, omettant les rires gras qui lui permettraient pourtant de concrétiser sa vocation. En cherchant à intimider le spectateur, le cinéaste adopte une attitude très regrettable. Il n’a pas forcément tort cependant, puisque ce produit récolte de bonnes voir très bonnes appréciations ; à nuancer toutefois par son caractère confidentiel au-delà des frontières espagnoles.

Note globale 32

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Suggestions…  La nuit a dévoré le monde

Note arrondie de 31 à 32 suite à la mise à jour générale des notes.

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MEGAN IS MISSING **

11 Juin

2sur5  Ça va trop loin, oui, ça va trop loin. Megan is Missing a troublé pas mal de monde et est souvent évoqué comme un film très dur, parfois même comme un choc. Le film a de franches qualités mais c’est un uppercut en mousse. Il surfe sur les paniques morales concernant Internet et alimente une paranoïa disproportionnée, se trompant surtout d’objet, comme d’autres se tromperaient de colère. Michael Goi aura réussi à alimenter les débats sur des sujets impliquant le commun des mortels, mais sa contribution sur le fond est faible.

La demi-heure d’ouverture se déroule avec Megan et Amy, deux adolescentes de 14 ans, meilleures amies, la première étant sûre d’elle, populaire et active. Elles rejoignent quotidiennement des chatroom sur internet et se montrent à la webcam, parfois pour discuter entre amis, parfois avec des inconnus. Surgit Josh, avec sa caméra cassée. Il noue des liens avec Megan sans se découvrir lui-même, puis l’invite à le rejoindre. Megan disparaît. Amy s’entretient à son tour avec Josh et ils évoquent ensemble cette disparition. Peu à peu Josh tient des propos avilissants, mais Amy maintient le contact.

Utilisant la forme du found-footage, Megan is Missing et bien plus intelligent et construit que la moyenne : c’est-à-dire qu’il a l’intérêt objectif d’un film normal. Contrairement à l’essentiel de ses navrants homologues, Michael Goi se comporte comme un metteur en scène et effectue un travail optimal, dans les proportions permises par le principe. Il se permet le split-screen, rend lisible chaque plan et n’introduit que des séquences réfléchies pour son objectif, évitant les logorrhées stupides en caméra cachée.

Il nous implique en nous mettant dans la position de l’interlocuteur ou récepteur, notamment pour le fameux Josh, dont n’existera que la voix. L’essentiel du long-métrage est partagé entre des conversations webcam et des scènes IRL en caméra à l’épaule. Les reportages d’une chaîne info locale viennent s’ajouter dans la seconde partie, après la disparition. Enfin les 22 dernières minutes marquent le basculement dans l’horreur, où Goi s’étend en plans-séquences superflus pour faire sentir le drame, ménageant ses effets par ailleurs. Se prétendant inspiré de faits réels, Megan is Missing apporte une illustration concrète des cas de détournement de mineur par des pédophiles sur internet.

Comme bienveillante propagande de service public, c’est une sérieuse réussite car il installe une grande proximité avec le spectateur et surtout les adolescents. En-dehors de son utilité auprès des enfants (qui ne le verront pas) ou jeunes adolescents, le film revêt cependant peu d’intérêt et demeure un tissu d’amalgames, faisant d’un cas unique et extrême une généralité universelle. Surtout, la personnalité malveillante reste inconnue, or le réalisme cru tant revendiqué s’en trouve entamé, puisque derrière l’écran, il n’y a pas un fantôme ou une abstraction, mais un individu de chair et de sang. Ne pas allez au bout de la paranoïa permet de jouer à se faire peur et faire la leçon. Hormis agiter les parents anxieux et les mégères phobiques, quel est l’intérêt ? Hormis la prévention brutale à coups d’amalgames, quel éclairage ?

Note globale 51

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Suggestions…

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MINI-CRITIQUES MUBI 3

7 Avr

Une session en retard, car la 4e a déjà été publiée. Les films concernés ont été vus d’octobre à décembre 2017. Leurs notes ont été mises à jour (la limitation aux paires n’avait pas encore cours). 

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Opera Jawa * (Indonésie 2006) : Film musical décousu, volontiers loufoque voire régressif, assez mou à force de planer doucement et malgré les gueulantes. Pour les gens épuisés et réceptifs appréciant d’être dépaysés et surpris tant qu’on ne les bousculent pas.

Attention spoiler : dans les derniers moments une fille se fait planter (c’était un sous-Parapluies de Cherbourg à Java ?) ; le panneau d’avant-générique nous averti que nous venons de voir un requiem contre les violences domestiques. On retiendra plutôt ses efforts et ses effets esthétiques – si les tissus et les plages vous donnent des vapeurs, ça pourra marcher. (42)

Enfance clandestine ** (Argentine 2011) : Dans l’Argentine sous dictature des années 1970. Autour du fils d’un couple de rebelles. Fibre mielleuse, accent sur les rêves du garçon et ses privations. Les passages violents ou avec les antagonistes sérieux passent sous format BD. Apport faible au niveau politique, sans toutefois dénigrer le travail des résistants ou la résistance en elle-même. Peut séduire grâce à son prisme subjectif voire romantique, son primat aux émotions (la musique lève toutes ambiguïtés sur les intentions) et son cachet nostalgique. Seule la scène avec la grand-mère remue franchement la matière à questionnements. (52)

À nos amours * (France 1983) : En découvrant le film le plus connu et reconnu de Pialat, certaines critiques corsées que j’avais lues contre le réalisateur s’expliquent soudain. À nos amours est à la limite de l’amateurisme, racoleur sans fournir de contreparties ni même combler les attentes qu’il souhaite inspirer, tout en étant une bonne caricature de l’existentialisme merdeux à la française. Que le cinéaste ait convaincu les critiques en les intimidant devient une rumeur fortement crédible.

Le film est plein de drames surfaits, de poussées hystériques soudaines, dignes d’un Tellement vrai crasseux et laborieux. Bonnaire livre un jeu calamiteux. Pialat apparaît en se donnant un beau rôle, mais en tant que directeur d’acteurs, il semble un petit exploiteur, voire un vicieux ou un cynique – sûrement à raison, puisque le monde suit. Le recours à Klaus Nomi est aberrant. (28)

Sans Soleil *** (France 1983) : Probablement un des meilleurs films de voyage. Maelstrom d’images, sensations et réflexions fluides sans suivre de programme précis. Parfois des sentences de nature idéologique ou ‘gratuites’ – effet malheureux d’une tendance à absorber l’information vers un noyau subjectif, au lieu d’explorer de façon brute ou simplement ‘ouverte’.

Les parties en Guinée-Bissau semblent d’une moindre importance et sont intéressantes dans ce qu’elles ont d’abstrait (par opposition aux témoignages concrets). (74)

Le Retour *** (Russie 2003) : Découverte de Zvyagintsev. Montre une virtuosité qui serait peut-être vaine s’il n’y avait pas un ‘sens esthétique’ si fort. Le film reste dans le mystère, pas sur tout et pas sur l’état des enfants, mais sur ce père et ses motivations. Les émotions et surtout les passages aux actes sont refrénés, l’action ‘couverte’. Le plus jeune des deux enfants essaie la résistance passive-agressive (avec option sabotage) mais comme le reste, elle est intériorisée plutôt que mise en œuvre. Le film cherche à illustrer une tension éclatante mais toujours floue dans ce qu’elle pourrait avoir de particulier. A pu inspirer Mud. (64)

Tapage nocturne * (France 1979) : Second film de Catherine Breillat dont j’ai vu Anatomie de l’enfer. Un exemplaire d’existentialisme français verbeux et random – version féminine et plus ‘sanguine’, ça change. Histoires d’amour, de culs et de baratins. S’élève un peu par ses choix musicaux, sinon est perdu dans la glue. Ancêtre de Solange te parle ? Tout de même pas si poseur et grotesque. (28)

Elena ** (Russie 2012) : Zvyagintsev (auteur du Léviathan de 2014) fait partie des élus du moment sur Mubi, peut-être à cause de son récent Faute d’amour. Je laisse de côté Le Bannissement pour directement aller à Elena. Photo impeccable encore une fois, avec un focus plus concret – sur le quotidien et les détails. Mais s’il n’est plus tellement mystérieux, la tendance à compliquer et prendre des détours inutiles ou ralentir demeure. Beaucoup de musique de Philip Glass pour peu de drames. Plus chaleureux que l’Amour d’Haneke – par défaut, car en vérité, simplement moins courageux, pénétrant et donc moins anxiogène. (48)

Umoregi / La forêt oubliée ** (Japon 2005) : Inspiré par son amie la baleine, un trio de lycéennes forge un récit fantastique. Gentil, plein de beaux décors et parfois un peu insolite (puisqu’il y a cette forêt souterraine), mais mollasson et soit peu généreux, soit borné dans sa créativité. Rempli de nostalgie (peut-être imaginaire ou générée par la compassion pour les anciens) et d’une sensibilité exacerbée qui semble étouffer la clarté de l’expression, sans entamer un sens certain de l’organisation, de la mise en forme. De bonnes initiatives, des buts ‘nobles’. (42)

Le Filmeur * (France 2005) : Plusieurs évolutions par rapport à La Rencontre ; les protagonistes apparaissent régulièrement frontalement à l’écran (jamais ensemble) ; confectionné sur une longue durée (entre dix et onze ans) et plus éclaté, délié ; pas cantonné aux gros plans et s’autorise le mouvement, donc plus ‘normal’ a-priori. Le couple reste au centre mais partage l’affiche. Le film est parfois drôle, très aléatoire ; l’exercice sûrement généreux et parfaitement vain.

Pour les fervents et la famille de Cavalier ; pour les amateurs d’insolite ou de grosses farces peut-être (ce n’en est pas une) ; sinon, à qui s’adresse le film, à qui cherche-t-il à se rendre utile (ou divertissant, ou instructif) ? Reste l’entrée dans la réalité sensorielle d’une personne réelle ; et parfois, un intérêt plus technique ou cinéphile, puisque Cavalier nous place derrière lui en train de préparer ou d’absorber des sujets (d’actualité, de réflexions, de mise en boîte). (32)

Au hasard Balthazar ** (France 1966) : Pauvre âne dans le monde tenu par une humanité aveugle et cruelle. Un des fameux opus du réalisateur à la direction d’acteurs anti-‘naturaliste’, anti-spontanée, anti-incarnée (Pickpocket, Le diable probablement, Les dames du bois de Boulogne). Certains acteurs ne sont pas à leur place dans leur costume ; quelques-uns arrivent à communiquer de l’intensité ou sembler ‘vrais’ malgré le principe de Bresson. L’âne semble plus vif, sauf lorsqu’il est soumis à des numéros très arrêtés ou répétitifs, où il se fond dans la représentation artificielle généralisée. Parfois bien fourni dans les dialogues – avec un laïus du cynique face à la grand-mère d’Adèle. Parfois seuls les mots permettent de comprendre la gravité voire peut-être l’existence de certaines situations. (52)

Still Walking ** (Japon 2008) : De Kore-eda, réalisateur de Nobody Knows et Distance (ce dernier vu sur Mubi). Les retrouvailles annuelles d’une famille, occasion de revenir sur le deuil jamais achevé d’un fils et frère mort prématurément (Junpei). Un peu assommant avant de devenir plus intéressant. Doux, son excellent. Mère mesquine et pathétique. (58)

Le pays où rêvent les fourmis vertes *** (Australie 1984) : Fiction tournée par Herzog, avec des apparences documentaires et quelques intervenants théâtrals. Prend le parti des aborigènes, largement lésés et sans droits à l’époque. Suit le représentant de la compagnie minière chargé de leur faire abandonner une de leur terre sacrée. Non-jugement face à l’infériorité manifeste, en terme de créations et de modélisations du monde, de ces tribus ; comme Bruce Spence (le géologue) on est plutôt sensibilisés à la disparition de leur culture et de leurs traditions. La remise en cause des normes occidentales et des poursuites des ‘blancs’ provoque une espèce de sidération de basse intensité ; le cynisme légal et industriel n’échappe pas à notre conscience, mais les arguments des aborigènes restent dérisoires. La magie à laquelle ils sont attachés peut cependant happer et amener une ‘ouverture’ – qui provoquerait une remise en question (dans ce sens et pas l’inverse). (72)

Humpday * (USA 2009) : Deux bouts de lards hétéros-mâles crypto-niquent pour l’amour de l’art. Sorte de mumblecore du premier rang. Les personnages sont hystériques et multiplient les effusions – tout est motif à montrer sa beauferie d’américain neutres/bohèmes mais positif et à l’écoute. Potache et pas antipathique, pas nécessairement pertinent mais se tient, adroitement écrit. Gros postulat et gros bavardages pour peu. Reste régressif comme tous les films de son courant et dépendant de la connerie du programme – comme Shrooms pour la drogue. Reste aussi une illustration appropriée pour un bon morceau du troupeau humain, ses valeurs, ses normes, ses façons de s’illusionner, de remplir le vide, ses défis désespérants. (28)

Curling ** (Canada 2010) : Très lent et d’aspect impénétrable, mais d’une patauderie calculée, parfois théâtrale et maîtrisée. Ne sonne pas ‘gratuit’, plutôt un peu ‘alien’, mais finalement se fait bien terrasser par la léthargie. Réalisé par un documentariste québecois. La manière dont le père gère sa fille ressemble à une version soft et sans réinvention de la réalité de Canine. (52)

Level Five *** (France 1997) : Deux films s’encastrent : une anticipation de l’ère internet (avec ses rencontres et ses façons nouvelles, économiques, d’aborder le monde) et un reportage thématique sur la purge d’Okinawa. Le premier versant est assuré principalement par les monologues de Catherine Belkhodja, qui peuvent être pertinents ou régressifs (« Coco »). Le second implique images d’archives en noir et blanc avec commentaires existentiels plutôt qu’historiques ou politiques. Les méditations sur le temps et la mémoire sont une constante chez Chris Marker. (64)

La vida util * (Uruguay 2010) : Sorte de comédie pathétique (pachydermique) pas nécessairement vécue comme telle au moment du démoulage, à destination des cinéphiles, versant allègrement dans l’auto-complaisance et le masturbatoire. Noir et blanc, bavard par intermittences, avec beaucoup de pistes sonores renvoyant à des séances ‘classiques’ et de courtes citations esthétiques du muet. Dans la seconde moitié, le gardien de cinémathèque, rendu à lui-même, est ‘manifestement’ sous influence de ses souvenirs (jusqu’à danser dans un escalier).

Le physique lourd et morose de Jorge Jellinek est la seule véritable contribution en propre du film – avec son passage en classe où il déblatère sur le mensonge. Comme ce cinéphile débauché, La vida util remplit avec les fantaisies des autres et se contente de ses démonstrations fétichistes. Il n’y a quasiment rien d’autre dans sa vie et peut-être dans sa conscience (au détail trivial de service : il a rencontré une femme). Mais les joies ‘d’enfance’ du spectateur suffisent à combler cet homme et la dissertation à vide ainsi que les petits éléments relatifs aux salles obscures pourront plaire au cinéphile rigide et averti. Il y a un laïus de spécialiste sur ce qu’est le cinéma, pendant une émission radiophonique, juste avant la mise au ban des employés.

Federico Verjoj n’est pas non plus totalement irréaliste (lui ou ses sponsors) puisque la torture dure moins de 70 minutes. Sur des thèmes/configurations approchantes, essayez Dernière séance, Mary & Max, Human Centipede II. (28)

Sérail * (France 1976) : Premier film d’un scénariste (l’argentin exilé Eduardo De Gregorio, a travaillé pour Rivette et Bertolucci). Serait un prolongement de Céline et Julie vont en bateau qu’il a écrit (pour Rivette). Rappelle parfois Adolfo Arrieta, mais beaucoup plus volubile – ou à Raoul Ruiz, mais carrément plus limpide. Avec Bulle Ogier et Marie-France Pisier en occupantes mystérieuses du château convoité. Esprit de film érotique oubliant de bander. Coloré et ambitieux, mais encore un peu cheap et futile, entre la fantaisie, le théâtre et le film ‘d’initiés’ mollement décadents. A le mérite de chercher l’originalité et un langage érotique et fantastique se passant de formes explicites. (38)

Van Gogh ** (France 1991) : Les deux derniers mois du peintre, incarné par Jacques Dutronc. Pialat (aspirant peintre avant de passer à l’audiovisuel) se fait plus sobre et rigoureux, le thème et la durée attestent d’une ambition supérieure. Il rejette le ‘sensationnel’ mais aussi l’analyse des caractères pour préférer l’intimité, les moments de joies et de conflits simples. L’approche reste primaire, le ressenti déterminant, la trame décousue. Au passage, quelques dialogues excellents et des bribes sur la place d’un artiste face à la société, à sa famille et à son entourage. La photo (anormalement ‘propre’ elle aussi pour du Pialat) reste le grand atout (pour son orientation, ses objets), dans une moindre mesure les interprètes. (48)

Les petites marguerites ** (Tchécoslovaquie 1966) : Film d’inspiration surréaliste, où deux filles se mêlent à ce bas-monde de dépravation en comptant bien être assorties. Place au n’importe-quoi doux-dingue, parfois agressif et toujours au moins un peu érotique. On assiste aux plaisirs destroy de deux filles infantiles déjà abonnées à la pop’culture, en train de revivre aujourd’hui de nouvelles ‘années folles’. Le travail des effets et des couleurs est relativement neuf. Ça rappelle les opus ‘classiques’ de Godard, en plus humain et coloré, sans plus tenir à ‘l’intellect’ ; c’est d’ailleurs moins hermétique que la plupart des autres productions excentriques de la Nouvelle Vague, simplement le style prend le pas et le random est érigé en principe. Vu d’après, c’est aussi une version gentille et sans hypocrisie du Sweet Movie sorti en 1974. Ce film sait aussi entêter (par ses musiques et certaines farces appuyées) même dans le cas où on l’aurait peu aimé ou désapprouvé (comme la censure nationale de l’époque). Ça reste un album de délires de jeunes ‘folles’, pestes insipides à l’occasion, pourries par la facilité à peu près tout le temps. (48)

Le Fantôme de l’Opéra *** (USA 1925) : Première adaptation [connue] du roman homonyme de Gaston Leroux (1910), avec une star de l’époque dans le rôle-titre : Lon Chaney, que j’ai d’abord adoré dans L’Inconnu de Browning (1927). Sonorisé à l’occasion de la ressortie de 1929 (l’officieuse désormais, plus courte) ; il aurait été en couleurs mais ne reste à ce jour que des copies en noir et blanc, sauf pour la fameuse scène du bal. Le voir sans musique m’a paru profitable. Souvent théâtral, sauf au début où il est bien lent. Les images avec ou sans le masque, la version ‘crâne’ dans l’escalier et dans une moindre mesure les séquences finales, sont plutôt marquantes.

Aucune suite n’a atteint à la grandeur historique. Elles sont même plutôt des échecs voire des désastres. Les cinéphiles en tout cas n’ont jamais ‘laissé passer’. Les versions d’Argento ou de Schumacher sont peut-être diffamées – pour cause de superficialité ; mais ce premier opus est-il spécialement profond ? Il l’est seulement par rapport à la moyenne de l’époque. En terme d’intensité dramatique, il est encore audible. Pour l’intensité horrifique, c’est fatalement mais raisonnablement obsolète ; il vaut mieux parler d’épouvante et sur ce plan c’est encore convaincant, sans théorie ni mise en contexte. Dans l’ensemble c’est aussi loin d’être assommant comme peuvent l’être, malheureusement, d’autres ‘classiques’ de la décennie. (74)

Anna / Anna : Ot shesti do vosemnadtsati *** (Russie 1993) : à revoir pour finir la critique engagée (‘mini’ devenue normale). (6+)

Soleil trompeur ** (Russie 1994) : Se déroule sur une journée, avec la première heure entièrement autour de la maison puis l’après-midi au lac, avant un nouveau confinement où les tensions exultent – mais jamais pour longtemps ou pour sur-dramatiser. Beaucoup de sous-entendus relatifs aux coups de l’Histoire sur les vécus individuels. L’ère stalinienne et le grand chef lui-même, sans être entièrement idéalisés, semblent avoir de bons côtés – mais le ‘bon’ n’est pas nécessairement le bien et encore moins progressiste, concernant les femmes. Appuie aussi sur les contradictions du pouvoir et de son propre maintien. (56)

Hot thrills and warm chills * (USA 1967) : Présenté dans une sélection de « two obscure exploitation sex thrillers restored » by NWR. Sorti pendant la ‘libération sexuelle’ mais n’a pas ou plus de légitimité hors de ce contexte, où il n’avait déjà rien pour avoir du poids, hors de ses nombreux plans érotiques (au lit ou à terre pour les scènes de sexe mais sans porno, ou avec la danseuse au bar). L’approche est très triviale sinon (avec percussions cubaines monolithiques et vannes ‘tribales’), avec les trois filles dans leur salon pendant la première moitié du film, la séance entrecoupée par leurs souvenirs ‘X’ et challengée par un projet incertain (contre le ‘king of sex’ d’un bal masqué). Finalement il faut reconnaître à ce film sa générosité pour l’affichage de paires de seins, son laisser-aller pendant les scènes aguicheuses (longues, avec un montage qui ne sert jamais à cacher ou atténuer) et parfois même sa ‘recherche’ dans ce registre (car ce n’est pas que de l’étalage crû de corps dévêtus). Pour le reste, que des bavardages en noir et blanc, avec ce qui ressemble à des ajouts opportunistes et des ‘bouches-trous’ – et une post-synchro scabreuse et redondante. (32)

Urga *** (Union Soviétique 1991) : Troisième film vu de Mikhalkov, je souhaitais avant Mubi voir celui-là. L’essentiel se déroule dans la steppe en Mongolie intérieure (région du nord de la Chine). Le père de famille fera un détour en ville [dans la ‘civilisation moderne’]. Joli film mais pas générateur de réflexions ou d’enrichissements concrets. Remarquable pour les paysages et dans une moindre mesure pour son ambiance, ses sentiments. (68)

Shadows in paradise ** (Finlande 1986) : Film idéaliste, pratiquant le déni de réalité pour faire de son protagoniste un homme fort, à la mesure de ce qu’il pourrait se leurrer – ou simplement espérer s’il avait une sensibilité un minimum mature.

Ambiance fausse, théâtre mou, pour un résultat style Bresson romanesque, sans la thèse ni le propos. L’artificialité culmine dans les moments de violence (agressions du début). Nikander face à son concurrent : c’est plus ‘vivant’ mais encore faux – quoique sur le plan de la vraisemblance plutôt que sur la simple forme.

Comme toute création signée Kaurimaski celle-ci est misérabiliste, mais elle s’épanouit comme son ‘héros’ avec cette relation et les tentatives de s’échapper, de trouver du vrai, bon et beau temps. Spectacle prétentieux, menteur comme un pleurnichard agressif, mais avec un ton à lui, qui finit par plaire comme tout ce qui est entier – même quand c’est bidon. (48)

Hamlet liikemaailmassa / Hamlet goes business * (Finlande 1987) : Cinquième film de Kaurismaki, pendant des débuts très actifs. Noir et blanc, cultive son originalité, rigide mais pas forcément rigoureux, apprend et diverti au minimum (en plus la durée se rapproche de la normale, au lieu d’être très courte). L’influence de l’œuvre de Shakeaspeare paraît faible. Le réalisateur applique sa vision caricaturale, assortie à une volonté de ‘faire’ conte. Cet opus n’a pas le charme habituel car il est trop occupé à montrer des méchants, souligner leurs aspects négatifs. Note positive : les méchants se détruisent entre eux ! À voir : une mise à mort haute-en-couleur et des canards en plastique. (34)

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Autres Mini-critiques : 9, 8, 7654321 + Mubi 4, 3, 21 + Courts 2, 1 + Mubi courts 2, 1

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