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LE PRÉSIDENT +

10 Nov

Dans ce film d’Henri Verneuil très diffusé à la télévision française dans les décennies qui suivirent, Jean Gabin incarne un ancien Président du Conseil charismatique. Désespéré par la laborieuse IVe République en place, il est en semi-retraite politique, gardant un pied au Parlement. Sinon, il s’occupe d’écrire ses mémoires au sein de sa tour d’ivoire provinciale. Lorsque le député Chalamont est sur le point de devenir le nouveau chef de l’Etat, il s’interpose et s’en prend à l’ensemble des acteurs politiques présents.

Avec ses parti-pris oscillant entre socialisme et populisme, asséné avec discernement mais un refus de s’étiquetter, Gabin renvoie pourtant à une tradition politique française : le républicanisme, de gauche (dans la séquence à l’Assemblée Nationale, son fauteuil se situe légèrement à gauche du centre – où se trouveraient aussi les radicaux de gauche, courant vraisemblablement trop mondain pour lui). Il se qualifie de « mélange d’anarchiste et de conservateur » avec raison également car il partage un certain regard critique sur les autorités sociales indignes et lâches de son temps, mais son logiciel ne relève pas de l’anarchisme de droite véritable (même si le public républicain américain des Pleins pouvoirs pourrait apprécier ce Président républicain français). Son orientation est clairement collective et ses cibles sont les dominateurs financiers et technocratiques.

À cela s’ajoute un ton et une attitude réactionnaire, au sens du sceptique campant sur des références éprouvées (et non au sens marxiste). À travers Emile Beaufort, Jean Gabin incarne un certain idéal français que le gaullisme a pu consommer. C’est une figure paternaliste, un sage capable de s’enflammer : un gaullois mesuré et vigilant, incorruptible et fort, un leader fiable et humble. Henri Verneuil cède à ce fantasme et présente un ancien Président pleinement indépendant, sans contraintes ni affiliation, pas même de parti. Il est au-dessus de tout cela et cette position transcendante reflète encore les idéaux gaullistes et républicains.

Ce paradoxe entre absence de détermination et orientation idéologique pourtant claire se justifie par le manque dans l’offre politique. Le film de Verneuil et Gabin montre la France prête à se faire engloutir par une Europe fantôche ; et la politique prise en otage par des « élus du peuple » désintéressés des affaires publiques, arrivistes et sans conviction. Le Président Beaufort en arrivera à un monologue tonitruant d’une dizaine de minutes face au Parlement. Ç’aurait été un suicide social s’il avait été plus jeune, c’est une mise au point audacieuse où il interpelle les députés directement assis et livre son point de vue sur des sujets cruciaux.

Ce monologue assez fameux permet aujourd’hui une certaine visibilité au film, car les enjeux qu’il soulève sont des fondamentaux pour la France et plus que jamais au moment des transferts de souveraineté des états-nations vers l’Europe dans les années 2010. Si Gabin/Beaufort est un défenseur d’une Europe unie, il se heurte à des projets antagonistes autour du même objet ; l’Europe est au cœur des débats et Gabin/Beaufort fait coup double. La politique-fiction de Henri Verneuil reflète clairement la médiocrité des gouvernements de la IVe République et la lâcheté des dirigeants français et européens qui reculèrent devant la constitution d’une Communauté Européenne de défense, tout en sachant s’activer pour une union économique.

Il montre aussi le détournement de ce rêve d’États-Unis d’Europe (exprimé dans les années 1950, concrétisé avec la création de la CEE) au profit d’ambitions appauvries. Il envisage la fonction future de cette Europe promue par son adversaire Beaumont et voit une administration étouffante au service d’intérêts objectifs privés qu’elle entretiendra ardemment. Une Europe dont la seule vocation supérieure consisterait de fait à aliéner les démocraties et contraindre les peuples. Enfin, il dénonce l’annexion du politique en soi, instrumentalisé par des « affairistes » qu’il cite concrètement, avec faits, affinités et individus. Il évoque vaguement les « missionnaires » (l’extrême-droite et les hégémonistes) qu’il blâme de la même façon mais cette espèce fait alors déjà parti du passé.

À la fois visionnaire et démagogique, Le Président est un essai concluant de politique-fiction en France, balayant catégoriquement ceux expérimentés dans les années 2000, comme Le Candidat de Niels Arestrup. Il concurrence également Mr Smith au Sénat, ce dernier pêchant par sa naïveté et sa grandiloquence, là où ce partial Président se montre lucide et affirme émet des considérations de long-terme. Toutefois, son président est un monstre sacré, un modèle de vertu (courage, conscience, franchise) tout à fait vraisemblable mais dont la nature amène forcément à un mouvement de recul envers l’œuvre. Ce mouvement, le caractère brillant des réflexions émises l’apaise, mais aussi la qualité des dialogues. Ils ne sont pas seulement spirituels et musicaux, ce sont des punchline philosophiques remarquables, où Michel Audiard ose accessoirement de vrais commentaires politiques, avec un degré de précision et de pertinence rarement atteint.

Note globale 75

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LE COLLIER ROUGE (Rufin 2014) **

19 Juin

3sur5 Jean-Christophe Rufin fut l’auteur d’essais sur des sujets internationaux, avant de s’abonner à la forme romanesque. Ancien ambassadeur de la France au Sénégal (2007-2010), médecin avant de s’engager dans l’humanitaire (au sein de la MSF, Croix Rouge, Action contre la Faim), académicien depuis 2008, il a obtenu le prix Goncourt en 2001 pour Rouge Brésil (et le prix Maurice Genevoix pour Le collier rouge). C’est un multi-décoré, un admis, sans entrer franchement dans la catégorie des ‘experts’ souverains perpétuellement convoqués dans les médias. Tout le long de sa carrière, il porte un regard critique sur l’action humanitaire et ses effets (Le Piège humanitaire dès 1986, Les Causes perdues en 2001) sans pour autant s’en désolidariser.

En 2014 il s’inspire de l’histoire racontée par un ami photographe (pour Paris-Match), à propos de son grand-père, pour écrire Le collier rouge. Un héros de l’armée française y est menacé de bagne pour outrage à a nation (le collier rouge étant la médaille remise à son chien Guillaume en pleine cérémonie) ; le point de vue se forge aux côtés du juge chargé de l’interrogatoire. Le roman est émaillé de réflexions générales laconiques, d’ébauches de portraits fluides et perçants, donnant un peu d’ampleur à un programme très léger (comme le livre avec ses 153 pages de récits – en gros caractères et format de poche).

Le style est vivant et efficace, l’investigation est fade, tout se livre avec une belle transparence compensant la nonchalance. Un peu de rouille et cet opus ferait ‘scolaire’. Rufin est limpide mais garde toujours une espèce de détachement, sonnant comme une démission factice ; il se tient à la surface et commente de très loin, peut-être pour éviter de troubler l’esprit. Il ne faut pas aller à l’aventure, même si des petits ponts vers l’abstraction sont autorisés. Le livre regorge d’images élégantes et pertinentes et convainc surtout dans le registre émotionnel – même si la pudeur restreint la pénétration des situations plus noires.

Le commentaire d’ordre social et politique est permanent mais évanescent, sauf dans le dernier chapitre (IX) avant l’épilogue en deux temps. La confrontation du juge et du prisonnier permet de disserter sur la valeur du sacrifice, sur le peuple « fatigué de se battre même contre la guerre ». L’indifférence, mollesse et impuissance du peuple sont donc aperçues ; ce qui est présent aussi, mais que Rufin délaisse, c’est le pouvoir confondu avec des grands mots, d’autant plus inatteignable qu’il n’est pas désigné ni incarné (les symboles d’usage étant somme toute étrangers : ils ne déclarent pas la puissance de tel ou tel, le principe ou l’intérêt profond). À ces considérations il préfère une évocation nuancée de la fidélité et porter des conclusions humanistes.

La dévotion est louée mais tenue pour insuffisante ; bornée, elle appartient aux bêtes et non aux Hommes, qui se définiraient donc par leur capacité à fraterniser au-delà des groupes immédiats et en dépit des codes de conduite. Rufin envisage la loyauté à une échelle inter-individuelle où il la respecte (le juge, l’exemple de Morlac et même celui du chien Guillaume), tout en la refusant comme valeur cardinale. Il souligne son absurdité et son inévitable corruption lorsqu’elle pousse à se ranger derrière l’autorité ou les institutions (conforme à idée que « l’ordre se nourrit des hommes » – au lieu de l’inverse qui serait louable) ; la fougue des contestataires devient sous sa plume la cousine orgueilleuse de la soumission active (et ‘noble’). Une cousine plus sophistiquée, donc plus édifiante, mais mesquine et hypocrite. L’orgueil est identifié comme la source des conflits, des postures insincères (des romantiques par exemple) ou d’ambitieux.

Ce roman semblera certainement désuet aux rouges carabinés, qu’ils soient vieux gardiens ou de type Usul/fan de Lordon. Ils pourront y voir de la bonne volonté niaise de dominant, une liquidation pas trop coûteuse de culpabilité bourgeoise. En revanche ce Collier rouge endormira les bruns avant de parvenir à les fâcher. La fibre brune en chaque humain risque d’être assommée par ces gentils constats et ces espoirs, les coups portés sur le plan philosophique étant peu perturbants. C’est surtout le gêne totalitaire et policier que ce Collier rouge défie. Il retrouve ses traces dans la sacralisation de l’armée, l’héroïsme pour le compte de la nation, la mobilisation des forces vives vers une fin unique et décidée loin d’elles.

Rufin émet un point de vue de modérateur, manifeste une sorte de vieux centrisme, raffiné mais marqué par des schémas et des rêves épuisés. À la lecture se devine un auteur complaisant avec la douceur de l’establishment (ou agissant à cette fin), sceptique envers les idéologies franches et les grandes valeurs conservatrices ou nationalistes, pragmatique tout en étant fleur bleue. Profil négociable ; recevable même s’il contrarie par endroits, grâce à la capacité de Rufin à glisser entre les préoccupations et les points de vue. Au moins par les mots ou dans les buts abstraits, Rufin s’engage pour l’apaisement et l’équilibre. Après la sortie de ce livre puis celle de Check-point (avril 2015), Rufin aura une parole publique plus incisive, où la stratégie et une pointe de cynisme l’emportent sur sa tendance à vouloir sauver la neutralité de façade.

Note globale 56

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Note ajustée de 57 à 56 suite à la modification générale des notes.

MERCI POUR CE MOMENT *

4 Avr

2sur5  Neuf mois à peine après sa rupture avec François Hollande (consommée en janvier 2014), Valérie Trierweiler publiait aux Arènes le témoignage de ses neuf années de concubinage avec le Président le plus ramolli depuis René Coty. Les résultats sont fracassants : ‘tout le monde’ a son avis sur le sujet, les médias n’en peuvent plus de relayer les ‘informations’ du livre, les retombées politiciennes sont assez importantes (notamment à cause de l’expression des « sans-dents » attribuée à l’ex-premier secrétaire du Parti Socialiste) ; enfin, les chiffres des ventes sont astronomiques (meilleures de l’année avec plus de 603.000 exemplaires, devant Fifty shades of grey et le dernier Musso, Central Park). Merci pour ce moment est le torchon enflammé de son temps.

Le style est quelconque, la qualité générale faible, même si le niveau reste décent, au niveau d’une série de notes impulsives ou de mails recueillis. En revanche le livre est complètement déstructuré, le plan certainement bâclé s’il a existé. Sauf anecdotes (ou mise à quai sur la fin), il n’y a jamais de nouveautés au fur et à mesure, de montée ou changement de ton. Les répétitions sont courantes, dans les réflexions, à l’égard de François et son caractère, ou ce qui ne pouvait plus tenir. De plus, le ton outrancier et la composition d’une multitude de petits blocs ne permettent pas toujours de maintenir le divertissement. Ces trois cent pages virulentes, souvent putassières et toujours ‘grasses’ ne sont pas faciles à avaler ; la chose se fait tout de même en quelques rafales, grâce à l’amoindrissement par la fatigue, les médicaments ou l’usure de ses médiocres échappatoires habituels.

Si le livre peut nuire à François Hollande voire à la classe politique dominante du moment, c’est de manière finalement bien superficielle. Ce qu’il génère de plus flagrant, c’est de la gaudriole empoisonnée, salissant Trierweiler elle-même – à moins de la considérer, avec ses écrits, de manière particulièrement candide et complaisante. C’est d’ailleurs bien possible puisque le niveau de langage et d’esprit est exclusivement émotionnel, le filtre toujours personnel. La lecture amuse et assomme : elle inspire surtout une certaine consternation, voire de la pitié. Comme toujours lorsqu’elle gère son image, Trierwieler met l’accent sur ses valeurs de gauche ‘partageuse’ (la gauche poussiéreuse et puant du bec, mais toujours stockée dans les rangs du PS) et fait dans la surenchère populo, en dépit de l’image de nantie qui lui colle à la peau depuis qu’elle est affichée publiquement auprès d’Hollande.

Et l’ex-première dame (jamais intronisée – c’est la première  »squatteuse » sous la Ve République) n’est pas malhonnête lorsqu’elle s’acharne à casser cette représentation : c’est une ambitieuse plutôt qu’une héritière. Elle n’a donc pas la décence ni le respect des formes des croulants établis, ni la conscience de classe dont elle se repaît, ni le respect des symboles et des combats de ses camarades de surface (qui eux ne l’ont jamais reconnue). Trierweiler c’est l’arriviste superbe pointant à gauche, n’ayant au fond que les démonstrations humanitaires et les origines modestes pour asseoir un engagement politique artificiel, tenant plus de l’étiquette voire de la ‘carte de secours’ en cas de confusion. Le parcours personnel de Trierweiler est aussi dense que ses vues politiques vulgaires et approximatives. En lisant Merci pour ce moment, on est moins tenté de croire à un étalage de mensonges qu’à la mise en scène exacerbée d’une ogresse avouant sa part d’innocence pour mieux punir l’adversaire, amadouer le chaland et désarmer les critiques.

Pour arriver à ses fins, Trierweiler essaie de se faire passer à l’écrit pour un modèle plus intense et résilient de la mégère affable ; une femme ordinaire et émotive, simplement engagée dans des processus exceptionnels, face auxquelles elle déploie ses forces (cette puissance manifeste qui rend dérisoire les aveux de fragilité, humiliants s’ils étaient seuls). Peu importe la sincérité, le résultat est crédible et pathétique. Le livre regorge de moments grotesques (surtout ceux où la femme agitée est postée devant un amant taciturne et indifférent) aptes à nourrir une romcom d’une tristesse et d’une platitude hilarantes. Souvent en s’écartant du récit pur, les généralités imbéciles s’accumulent. Bouger avec passion et doper sa carrière ne laissent pas beaucoup de temps pour mûrir ses pensées, surtout lorsqu’on est une femme de tripes et de cœur ? C’est à un point tel que Manuel Valls et ses réactions paraissent modérés (d’ailleurs, ses deux apparitions donnent l’impression d’un type sincèrement ‘droit’, au moins dans son manège intérieur).

Ce coup-de-pouce n’était sûrement pas prévu (et pas nécessaire : Manu est positivement plombant lorsqu’il passe à la télé, on en oublierait presque les déviances de son gouvernement), mais il faut réaliser qu’Hollande en profite aussi. Sauf pour la mégère aux idées courtes, le crétin limité au réactif ou le sous-idéaliste soucieux de se blottir dans un cadre mental coutumier et ronronnant : les principaux acteurs de ce livre en sortent presque ragaillardis. Certes, par le bas, par le vil, comme de médiocres croque-morts ou flambeurs de comédies. Mais l’apathie systématique d’Hollande face à sa compagne, son cynisme toujours tempéré par cette compulsion à protéger sa propre paix et sa situation (et parfois des scrupules d’allure enfantine) ; toute cette froideur et ce conformisme las le servent. Loin du bouffon joyeux (‘monsieur petites blagues’ chef de cantine) immortalisé par les Guignols (la satire de gauchistes ‘gentils’ et fatigués sur Canal+), il apparaît plutôt comme un pseudo-roi fainéant vif d’esprit et pauvre en ambitions pour son pays : un passager loyal assurant le service minimum pour se maintenir, dans sa vie personnelle comme à la tête de l’État.

Si on a jamais éprouvé pour lui d’estime ou d’intérêt particulier, le personnage inspire une pitié cordiale ; il peut même réjouir comme le ferait un méchant navrant mais efficace dans une fiction grossière. Valérie elle-même peut plaire au fond, flattant autant les instincts animal du lectorat s’identifiant à la bo-beauf impériale cachant une ‘vraie’ femme, les attentes mesquines des vicieux en général et des nobodies en particulier, mais aussi cette fibre compassionnelle un peu sordide qu’on peut éprouver envers les semi-délirants (authentiques ou chiqués) tendance attention whore en train d’exécuter leur numéro. Merci pour ce moment est un glaviot efficace, fougueux et nullement perfectionniste, rapportant à merveille la banalité de ces gens vulgaires en vadrouille dans la cour des grands : ces méga-notables, traditionnels et épris de dépassement ‘propret’, cristallisant et réalisant parfois les fantasmes débiles et so cool imprimés par les médias de masse (les exaltations sur le couple Obama – au moins Martine n’aurait pas ce genre de fixettes, ou liquiderait la comédie en moins de temps qu’il n’en faut pour classer une interview ou planquer un ‘cadavre’).

En fermant le livre on se dit que Valérie n’est qu’une fille rentrée dans les hautes sphères sans avoir rien à y faire, sans avoir les lunettes pour capturer des informations politiques sérieuses, ou l’énergie de les décoder – la faute à son focus ‘people’ (c’est de là qu’elle vient en tant que journaliste, de là qu’elle a abordé la vie politique) plutôt qu’à une éventuelle incompétence intrinsèque. Malgré les nombreux déballages privés, il n’y a pas d’affaires ou d’intérêt politique ‘dur’ ; sauf peut-être avec les petites révélations du dernier chapitre sur l’engagement d’Hollande (son entrée en politique forcée et contrariée par Ségolène, son rapport au mariage pour tous). Mais là encore, ce n’est que cuisine et arrière-cour ; c’est le poids des intrigues romanesques accompagnant les grands acteurs de l’Histoire, ne la stimulant que dans l’œil des hystériques obsédés par la tapisserie.

Note globale 40

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FILM SOCIALISME –

21 Déc

Sinon deux documentaires, Godard n’avait pas délivré de long-métrage depuis 2001 et son Éloge de l’amour. Connu pour Pierrot le fou, A bout de souffle et Le Mépris, le cinéaste est devenu plus confidentiel dès les années 70, continuant à être suivi par une poignée d’adorateurs. Son œuvre s’est faite toujours plus expérimentale et isolée, devenant incompatible avec une large exposition, au point que ce réalisateur au nom si connu est devenu un fantôme non seulement pour le grand-public mais aussi pour la majorité des cinéphiles. Film Socialisme, sorti en 2008, a connu un certain retentissement, à sa petite échelle, grâce à la presse culturelle le relayant largement. Godard réapparaît alors pour un spectacle absurde à tous les degrés.

Le socialisme, serait-ce se palper le menton sur la marche du monde, tout en faisant de la merde sur son paquebot ? Voilà en tout cas le socialisme actuel pour Godard et la vocation des socialistes, en tant qu’intellectuels, militants ou même aspirants. Le film rassemble les idées travaillant Godard, qui ne changeront pas dans les années à suivre au vue de son testamentaire Adieu au langage de 2014. Godard évoque notamment l’Europe et étale son amertume. Il en fait un fétiche des salauds contemporains en répétant que les salauds sont sincères aujourd’hui. Dialoguant avec ce cynisme, il trace plusieurs grands constats : d’abord, le socialisme a gagné comme tous les grands perdants marquant l’Histoire.

Il a gagné en contaminant les esprits, même s’il a échoué concrètement et politiquement. Ce socialisme victorieux est cependant celui de la consommation et du divertissement, celui de la bassesse et des médiocres. Le monde est un espace géant désenchanté et grotesque (l’est-il devenu?), mais rempli de gratifications variées ; selon Godard, dont les intuitions sous le dégueulis sont parfois plus que valables. Ensuite, Godard refile à ses personnages quelques saillies attirant la curiosité, des embryons de discours : « ce qu’on fait est pitoyable : on distribue, alors qu’il faut produire ; avant on savait produire ». Les propos circulant seraient facilement assimilés à des laius de bistrots, s’il n’y avait pas le contexte – les gens y voient principalement de l’intelligence cryptée, une farce arrogante quitte à s’échouer comme un nanar outré.

Enfin Godard mise sur le rêve : les rêves socialistes ont gagnés, pour de moche c’est vrai, mais le rêve en ressort bien conforté, c’est une dynamique valide ! Alors, en marge de ses délires opaques sur l’islam, il fantasme sur la Palestine et la réconciliation des peuples, il prend des apparats mystiques tout en restant évasif, comme tous les illusionnistes perdus dans leur idéalisme incertain, parfois plus soucieux de singer l’idéalisme que véritablement en marche. Le chaos se déverse en deux temps, le premier étant celui de la croisière (le socialisme de la consommation, le socialisme des imitateurs vulgaires de l’extase et du développement), le second un reportage de FR3 Régions (c’était déjà France3 et non ‘F-R-3’ à l’époque) sur une famille tenant une station d’essence. Des monologues sont perdus là-dedans, parfois valant le coup, la seconde partie en abonde.

À sa sortie Film Socialisme divise beaucoup, mais reçoit des éloges et en particulier chez les critiques officiels, ceux des Inrocks, des Cahiers, etc, mais là encore en poussant un bon nombre à rester froid ou prendre des distances. Il y a de quoi jauger Film Socialisme comme un pur foutage de gueule et se braquer est légitime, d’ailleurs le filmne mérite pas mieux. S’il est une belle représentation d’un socialisme gâteux et dégénéré, il discourt laborieusement. Entre les phrases byzantines débiles, les emprunts et les citations, Godard lui-même ne semble trop savoir ce qu’il a à dire. En tout cas, il nous laisse parler d’un film où se glisse une conversation de chats, reprise par une jeune fille derrière son écran.

C’est drôle parfois (rarement), parce qu’il y a un gag intrinsèque à une scène, un autre ; mais ce n’est pas hilarant comme Adieu au langage. C’est le fruit d’une démarche paumée : Adieu au langage en est une en lui-même, active, si bien que le résultat est une énorme farce, une abomination et une délectation inouïe à la fois, aimable véritablement que si la l’odeur de mort la plus pestilentielle et scatologique nous excite. C’est une performance impressionnante même si elle est exécrable. Film Socialisme, lui, souffre de subir son lâcher-prise sans déjà s’y être identitifié pleinement. Il a peu de liant, sauf dans les  »idées », mais quelques scènes avec leur cohérence propre ou tendant vers un surréalisme rigolard (le vieillard et le gamin). C’est encore trop limpide, la logique est encore bien trop fabriqué, elle est nulle mais voyante et donc son éclatante nullité est gênante.

Autrement dit, on voit que c’est misérable, sans que cela devienne un trip. Adieu au langage lui marque une acceptation de la liquéfaction intégrale d’un être et du monde entier, en tout cas tel qu’il veut le voir, corrompu par la conscience. Il sera donc beaucoup plus drôle et accompli sur la mise en scène. Pour Godard il s’agira alors de faire de la merde, mais à fond, de la merde épileptique. Film Socialisme est assez dépaysant et modestement marrant, mais il apparaît rétrospectivement comme le germe fébrile et bloqué d’une excroissance malade (« un jour viendra où la langue se retournera contre ceux qui la parlent »), ce qui double alors son caractère minable d’un constat d’échec – un peu comme si un terroriste ratait son coup fatal à cause de l’indécision. Ça pourrait n’être que le happening d’une ancienne gloire venant de découvrir la caméra sur smartphone.

Note globale 23

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« CENTRO-HUMANISTES », LES LAQUAIS INDISPENSABLES

20 Mai

Fantômes dégénérés et accompagnants serviles, les centro-humanistes sont les pires planqués car ils sont stratégiquement sur une position réversible ; leur posture se plie à toutes les formes de gouvernements standards tels que les connaissent les démocraties occidentales aujourd’hui. Ils sont libéraux, républicains et démocrates, se glissent entre les étiquettes et affichent des signes ostensibles mais jamais ne s’investissent ou ne montent au créneau (merci à l’UMP ou même au PS d’aller en première ligne – pour mieux être accablé et servir de modèle à contester de l’intérieur).

Ils n’ont aucun parti-pris, prennent les armes de la gauche réformiste pour composer une droite molle (même pas tiède). Ce sont Borloo le pseudo-gaulliste, NKM et son front antinational (pas l’antiFront, l’anti-nation), Bachelot tellement dévorée par sa loyauté à la droite qu’elle doit bien finir par vider son sac, Rama Yade qui se faufile et esquive tout et tous en espérant trouver un tuteur politique…

Les centro-humanistes sont souvent des conservateurs : ce n’est pas conscientisé mais c’est une conséquence de leur rapport à la  »chose publique ». Ils n’ont aucune culture politique. Par exemple, Chantale Jouanno ne parvient qu’à avancer de pitoyables images pour illustrer, en creux, le concept de  »droite » (l’autorité, la sécurité, la confiance…) et ainsi se positionner ; mais cette femme est extérieure à la politique ; elle vient du monde associatif, où elle a sans doute officié avec brio, mais les enjeux tactiques, stratégiques, à échelle nationale et internationale, lui échappent complètement.

C’est ce genre de clowns, de briscards champêtres et cramoisis, ou d’assistantes sociales bling-bling, qui composent un « centre-droit » et une « droite » moderne, qui prend les traits de la gauche sociétale, les tics des libéraux-démocrates, pour se poser à droite et s’implanter là comme une force nouvelle, rénovatrice, alors qu’elle ne fait qu’importer des valeurs, des combats et des idéaux éculés et politiquement corrects, généralement pauvres et superficiels, centristes en tous points.

Mais c’est peut-être avec cette armée d’opportunistes et de passifs que Jean-François Copé devra composer pour arracher l’UMP ou la mener à la victoire dans les prochaines années… La droite mainstream cohérente, unifiée et déterminée n’est pas pour demain.