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Voltaire – TRAITE SUR LA TOLERANCE –

18 Fév

Le promoteur du despotisme éclairé n’imagine pas la possibilité de libanisation de la société quand il affirme « plus il y a de sectes, moins chacune est dangereuse » comme si une inflation de contraintes et de tensions ne pouvait en découler. Peut-être car libérer les esprits, du moins ceux du peuple, de l’emprise religieuse n’est pas sa préoccupation ; il raille les conflits entre religions et s’en fait historiographe, mais ne s’intéresse jamais aux nécessités ou aux élans auxquels ces cultes ont répondu. C’est l’emprise du religieux sur le pouvoir qui le dérange. En occidental normalement éduqué et éclairé à outrance du XXe ou XXIe, on est enclin à penser comme lui (c’est mon cas particulièrement lorsqu’il suggère [chapitre 9] que les martyrs sont surtout politiques), ou vouloir croire comme lui (et laisser moisir ces chaînes et phares obsolètes), mais l’approche et l’argumentaire sont aussi [délibérément ?] superficiels que la narration est famélique dans ses contes Zadig et Micromégas.

Je ne peux me défaire d’un sentiment de foutage de gueule en parcourant ces gymnastiques déistes. Il y a trop de propos bizarres (chapitre 21 : « Moins de disputes, moins de malheur ; si cela n’est pas vrai, j’ai tort ») et de jugements gratuits (petit dégueulis en passant sur les égyptiens) pour sortir de ce Traité sans prendre Voltaire pour un charlot ivre de confiance. Il loue la tolérance des juifs dans deux chapitres lunaires, tout en mettant en avant les angles d’attaque pour apparemment les désamorcer : c’est soit un calcul (nécessaire ou simplement intéressant à ce moment de la vie et carrière de l’homme ?), soit de l’ironie si complète qu’on ne sait plus… Le catholicisme est naturellement la cible préférée ; les catholiques seraient les plus ardents et constants persécuteurs, en étant eux-mêmes peu persécutés.

Et puis il y a ce numéro d’équilibriste ou de pseudo puriste, d’un bon sens, d’un libéralisme, mais aussi d’une hypocrisie modernes : toutes les exactions seraient des nuisances à la foi véritable, il faut donc de la parcimonie (chapitre 10) ; il ne faut pas tolérer les intolérants (car ils passent à l’action) ; la superstition est le brouillon de la religion, c’est le moindre mal en guise de ‘garde-fou’ quand une religion structurée ne remplit pas le vide (chapitre 20 : « les lois veillent sur les crimes connus et la religion sur les crimes secrets »). En somme il est question de dosage, jamais de sens ; il s’agit d’atténuer le poids du religieux, pas de l’évacuer – sauf quand il ne partage pas notre culte de la tolérance (or régner quasiment sans partage depuis des siècles, peu importe la virulence ou le pacifisme de ce règne, revient à être intolérant), comme le catholicisme.

La prose de Voltaire est assez bonne et recevable dans l’ensemble si on est agnostique, religieux ‘libéral’ ou laïc ; mais le malaise typique pour du ‘correct en théorie, bancal en pratique’ bat des records ici. Si la chapelle pour laquelle Voltaire se battait avait un nom, ou n’était pas simplement les cours des puissants (pourtant il se moque des modes spirituelles ridicules chapitre 5-6), peut-être que ce Traité gagnerait en sérieux et en vérité – et pourrait plus facilement être attaqué, plus sincèrement être loué. Probablement à l’époque, un traité contre l’absolu (ou pour la société laïque) et l’obscurantisme était pertinent simplement en existant ; aujourd’hui le message est si galvaudé qu’une défense primesautière rend la lecture futile et pénible.

Note globale 34

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LIVRES 2024-1 : Janvier

17 Fév

Découvertes et rattrapages massifs pour commencer l’année ; le stock est si important (37, soit plus que les trois précédentes années cumulées) qu’un bilan s’impose déjà. En fonction du rythme et du nombre de découvertes à venir, j’aviserai – le bilan annuel traditionnel, ou des bilans récurrents (mensuels parfois). A priori, je penche pour des bilans trimestriels désormais.

Deux commentaires ont dépassé le seuil où je m’impose de passer à la critique.

 

Milton Friedman – Capitalisme et liberté =+ (USA 1962) : Entamé il y a deux ans et traîné pendant tout 2022, repris de A à Z en quelques jours. Cet ouvrage a eu un énorme retentissement et légué des ‘idées’ essentielles comme la flat tax, le chèque-éducation, le taux prédéfini (de 3 à 5% annuels) de croissance de la masse monétaire. Typiquement une lecture assommante mais pas ennuyante. Friedman n’y apparaît pas comme une figure terminale du capitalisme sans entraves, ce que seraient davantage Rand ou Rothbard. En principe puisque ce n’est pas un puriste ; il accepte régulièrement des concessions à ses dogmes, suggère en restant ouvert (à des actualisations ou exceptions). Dans le ‘programme’ aussi : ce n’est pas un ‘austéritaire’, il prône la fiscalité pour parer aux ‘externalités négatives’, propose un impôt négatif (dans son résultat apparenté au revenu universel). Mais il plaide pour la suppression des monopoles publics ; quant aux autres… c’est une affaire délicate ! Il commet une proposition fiscale lunaire ciblant l’actionnaire (p.201) digne du commun des socialistes en roue libre. Finalement cette découverte de Friedman dans le texte est décevante car si les principes peuvent séduire (notamment l’affirmation de règles générales pour contrer la tyrannie de la majorité comme celle des minorités), les démonstrations sont rarement convaincantes ; des raisonnements circulaires se veulent des précisions, des formulations ampoulées servent à donner des apparences de ‘factualité’ à des préférences ou même pétitions de principe. Friedman va peut-être au cœur de ses idées mais ses idées sont hermétiques et autour d’elles rien n’est bien défini ; son évocation de la folie n’est même pas floue, elle est inexistante. Je sort de ce livre en me disant que les économistes sont à placer en bas de la pile d’attente pour le prochain arche de Noé. (62)

Khalil Gibran – Le prophète =+ (USA/Liban 1923) : L’introduction est assommante, des sentences claquent et brillent dès que les paradoxes s’espacent, la profondeur est pour le moins ‘mobile’. Prescriptif mais vaguement, responsabilisant et déchargeant simultanément, hymne à l’amour raisonné, moraliste sans gronder, modérateur plutôt que contraignant : voilà du centrisme spirituel à l’égalitarisme méthodique et aux dualismes heureux, qui ne se risque qu’exceptionnellement à heurter les préjugés et le ‘business as usual’ (mais semblera insipide et venteux à ceux qui sont consciemment dans une religion, ou se trouvent justes ou à l’aise en-dehors). Ces quelques cas sont : la partie sur les enfants [appartenant à tous] et celle sur les crimes [dont tous sont responsables en dépit des apparences] et punitions, où s’exprime la mise à plat typique des utopistes souhaitant que tous soient confondus et enchaînés mais dans la joie et la rémission. (48)

Arthur Rimbaud – Une saison en enfer =+ (France 1873) : Un jeune homme prend soin de liquider son âme afin d’aller libéré dans la vie. Hormis ça et les projections, le reste de ces diatribes finit toujours par touiller dans son obscurité qui ne m’intéresse pas. (62)

Gustave Flaubert – Madame Bovary + (France 1857) : Je venais confiant vers ce classique grâce au cas Bovary et ne trouve aucune surprise. Mon léger malaise à l’égard de l’auteur aussi est confirmé (renforcé ensuite au contact d’Un cœur simple), huit ans après la seule approche jusqu’ici – via Bouvard et Pécuchet, son roman inachevé, débordant de mépris. ‘L’ironie flaubertienne’ n’est pas si distanciée ; elle est signée d’un empathique qui se ‘dominerait’, peut-être au-delà de ses espérances grâce à l’amertume et une conscience hypertrophiée du sentiment social. Bovary est justement celle qui souhaite ardemment s’en libérer, tout comme elle veut s’arracher à la banalité, à l’absence de destin – mais c’est une naïve auto-centrée intoxiquée par l’esprit romantique… et confortée par ses lectures. Si elle juge mal les intentions des autres, ses critères esthétiques sont ceux du narrateur : son mari est un prototype de ‘petit bourgeois’ sans aucune grâce (ponctuellement, Emma lui trouve de belles dents) et de provincial insipide ; il n’est même pas méchant, il ferait mieux ! Il n’est surtout pas à la hauteur de ses espérances – ni fort ou sensuel, ni brillant ou ingénieux, ni un alpha devant les autres, en société ou dans sa profession. Mais c’est aussi un aimant sincère, méprisé pour son ego terne, alors que cette modestie est justement ce qui garantissait à Bovary une place dans son cœur et dans son esprit – avec faible intensité, mais à perpétuité. En plus de sa richesse psychologique, ce roman touche à la perfection formelle : la langue est admirablement claire, synthétique, les scènes sont pleines et le récit léger (qualités retrouvées chez Maupassant mais pas chez Balzac). (78)

Gustave Flaubert – Un cœur simple =+ (France 1877) : Empathie froide sans l’ironie de Madame Bovary, ou alors émoussée à l’extrême. À nouveau cette capacité à générer des images claires, peindre avec précision en peu de mots les perceptions et les rapports avec les autres de son héroine. Ça demeure le survol d’une vie sans crises ni péripéties, c’est donc difficilement intéressant et pas plus riche que ce que le sujet, triste et commun, permet. (62)

Stendhal – Le rouge et le noir + (France 1830) : voir la critique. (78)

Balzac – Le père Goriot + (France 1835) : Regorge de phrases géniales, dont plusieurs citations connues et discutées (notamment « Tous les crimes se sont fondés sur de grandes fortunes »). Par contre et malgré l’affection que je sent naître pour ce roman, je dois dire une chose grossière : il y a un bon lot de passages futiles et répétitifs (en descriptions un peu, dialogues surtout). (82)

Jean Giraudoux – Amphitryon 38 + (France 1929) : Dieu tombe amoureux d’une épouse incorruptible. Jongle entre le drôle et le sublime. Langue raffinée sans mots creux. Peu de superflu. Mise en scène parfois gourmande soit en petits effets soit pour éviter de trop éprouver la ‘suspension d’incrédulité’. (72)

Maupassant – La main d’écorché =+ (France 1875) : Nouvelle trop expéditive (et prévisible – l’était-elle à l’époque ?) pour passionner, mais la qualité ‘graphique’ des scènes et l’ambiance générale donnent de quoi l’aimer. C’est la première publication de Maupassant. (7-)

Annie Ernaux – La place – (France 1984) : Ce n’est pas que le style soit le critère absolu, mais là on atterrit au niveau de la prise de notes. Quelques remarques sociologiquement exploitables [portant sur les prolos embrumés de campagne] sauvent ce rapport ; comme roman c’est nul, comme analyse psychologique ou sociale c’est trop minimaliste pour parvenir à être considéré comme médiocre – puis à son meilleur, essentiellement à l’approche du départ de la fille, on atteint cette médiocrité. En-dehors des souvenirs et quelquefois d’émotions ou d’observations de ses proches, Ernaux n’apporte rien, probablement par méthode et conviction, peut-être aussi par impuissance. Ce livre a beau être vaguement émouvant à l’usure, il démontre l’inanité d’un parti-pris ; à notre empathie, ou notre volonté d’en avoir, ou nos souvenirs ou intuitions, d’apporter l’épaisseur refusée par principe. Mais pourquoi lire Ernaux dans ce cas ? Et que vaut ce qu’elle produit par rapport à un documentaire patient ou un essai ? (26)

Annie Ernaux – Passion simple – (France 1992) : Confidences d’une ménagère, anti-romanesque conformément aux résolutions de l’auteure. Accablant. A le mérite de la sincérité et de savoir s’introspecter (« j’étais heureuse d’être unie à lui dans un début d’abjection »). Mais comme l’atteste la distinction foirée entre l’auto-fiction et l’exhibitionnisme : pour la lucidité, ne comptez pas sur Ernaux. Je n’approfondirais pas l’oeuvre de cette nobélisée aux opinions calamiteuses. (16)

Maupassant – Qui sait ? + (France 1890) : Confession d’une sorte de Gogol à l’ego acculé. Ses meubles, sans devenir ses extensions, constituent son lien à la réalité – c’est tout le décors ‘vivant’ et familier qu’il tolère. Fantastique et psychologique, cette nouvelle a dû plaire à Topor, aux surréalistes et en général devraient embarquer les amateurs de réalisme magique. (78)

Jean Giono – Le hussard sur le toit =-+ (France 1950) : J’espérais aimer Giono avec cette troisième approche (après Un roi sans divertissement et Que ma joie demeure), aux ingrédients attractifs (aussi sur le fond : plaidoyer contre l’orgueil et doutes concernant l’engagement – intéressé ou vaniteux sans avoir nécessairement le mérite de l’efficacité). Ce roman d’aventures est de loin plus abordable et une adaptation pour le grand écran ou déclinaison en série pour la télé apparaît évidente. C’est aussi un conte moral et il nous concocte une révélation sur la nature de l’épidémie qui confirme le déploiement d’une construction savante – mais le développement est trop léger, ou trop poétique probablement, pour moi. Je suis à nouveau dubitatif devant ce mélange de panache et de lenteur, cet acharnement à ne faire que croiser les êtres – qui rend difficilement puissante l’épopée, car elle flirte avec l’intensité par bribes avant de revenir à une espèce de légèreté compulsive, charmante et souveraine, fatalement frustrante. Tout est cohérent mais volatile – la fuite en avant légitime cette façon de suggérer sans approfondir (le personnage n’est pas du genre à s’appesantir ou prendre le temps de souffrir – c’est un vrai héros, mais ce qu’il gagne en qualité préservée pose des limites au récit). Peut-être une valeur stylistique ou des références pour initiés m’échappent. J’aurais préféré une traversée avec cette vieille religieuse à cette histoire romantique impossible, avec ces deux âmes nobles donc immunisées ; ou que la déception engendrée par cette masse de rencontres soit plus nourrie et nuancée, que les mobiles eux-mêmes soient davantage mêlés. (52)

Honoré de Balzac – Gobseck + (France 1830 ou 1855) : Gobseck exerce une emprise totale : sa mentalité se diffuse auprès de ses proies comme de ses partenaires en affaire (dont le narrateur Derville). Ainsi la comtesse s’accroche au souffle de son époux et guette son départ pour éviter tout ruissellement hors du foyer. Ses coups de pression, fermes et flegmatiques, crispent jusqu’à la racine ; le besoin met les individus à nu, les contraint à se donner ou à livrer toutes leurs forces. Les passages où Gobseck dégueule sa philosophie sont géniaux. Ceux où Balzac s’étend sur les considérations financières sont bien lourds ; tout passe mieux par le filtre de l’usurier, averse au flou et aux bavardages. (86)

Théophile Gautier – Le pied de momie =- (France 1840) : Plus orné que captivant. À la limite de la blague fantaisiste avec des aperçus inspirants (principalement le vol à travers les temps) ou du moins avec un grand potentiel visuel. (52)

Truman Capote – A christmas memory =+ (USA 1956) : Lue car c’est une nouvelle d’un auteur fameux (j’ai In cold blood en ligne de mire depuis longtemps, mais loin des priorités). Jolie histoire mais il faut pour l’apprécier pleinement un niveau de glucose dans le sang que j’évite de m’infliger. (58)

Théophile Gautier – La cafetière =+ (France 1831) : Rêverie romantique. Droit au but contrairement au Pied de la momie, quoique toujours avec la tentation de la digression et la galerie d’ancêtres à caser. La valeur sentimentale est finalement plus forte que celle du fantastique dans cette nouvelle. J’aimerais connaître l’opinion de Théophile Gautier sur l’Alice de Lewis Caroll. (58)

Théophile Gautier – Omphale =- (France 1834) : Narrateur coquet avide de séduire les dames, quoiqu’ici la fluidité s’applique aussi aux genres. Écriture fine, évanescence exagérée, mais tout est remarquablement aligné. (48)

Théophile Gautier – Arria Marcella =- (France 1852) : D’une préciosité insoutenable (y compris dans son opposition romantique aux bourgeois, aux pédants et aux âmes ‘d’universitaires’ anglais). La longueur accrue n’apporte rien de bon par rapport aux trois nouvelles [que j’ai lues – Le pied de momie, La cafetière, Omphale], toutes antérieures. Cette fois Gautier se soucie de défendre ‘rationnellement’ la rencontre : les personnages s’accordent sur langue la plus appropriée. (42)

Voltaire – Micromégas = (France 1752) : Conte laborieux et vain, ouvrage philosophique proclamant l’impuissance de la philosophie et de ses radotages métaphysiques (ce qui n’a pas empêché Voltaire de pondre un pavé sur la tolérance). Hormis le décalage et le vertige des proportions, le conte est insipide ; l’intérêt du livre tient dans la partie où sont alignés les représentants d’écoles philosophiques majeures (occasion de se ranger aux côtés de Locke et de ridiculiser les platoniciens). Voltaire n’est finalement valable qu’en sortant de ses jeux – même si c’est pour affirmer que ces choses qui nous dépassent tellement seront mieux, pour elles peut-être et certainement pour nous, laissées à l’abri de nos approximations et de nos convictions. Évidemment ce relativisme est préférable a-priori comme arbitre et par prudence (contre des vérités universelles ‘révélées’ – donc aucune école, aucune église, ne doit pouvoir imposer de discours ‘surnaturel’, donc de programme échappant ainsi au contrôle humain et personnel) ; mais cette posture risque aussi de faire tourner en rond et de ne répondre que par une surenchère de scepticisme à chaque question, nouvelle ou ancienne. L’écueil scientiste est tout près, de même que le ‘pragmatisme’ qui revient à suivre la pente actuelle sans s’embarrasser des thèses soit fondatrices soit à la mode – ou alors, en s’en accommodant mollement, ‘bourgeoisement’. Du bon sens qui avait probablement besoin d’être imprimé à l’époque… Pour le style et la narration, le divertissement, les idées : je préfère de loin Gulliver. (5-)

Balzac – Adieu =+ (France 1830) : Trame excellente et descriptions immersives. Les trois temps ont une grande force émotionnelle, la séquence post-bataille se démarque par sa violence extrême (les deux autres me font penser à Wells). La rapidité de la phase Good bye Lenin risque de réveiller l’incrédulité du lecteur lors de la conclusion. (8+)

Voltaire – Zadig ou la destinée =- (France 1747) : Je me le suis infligé deux fois à une semaine d’intervalle. Voltaire est un mauvais conteur et un penseur soit dilettante soit court et calculateur (je crois à la deuxième option) : une collection d’aphorismes le mettra davantage en valeur que ses textes (je suis en train de terminer un cinquième, son Traité de la tolérance) – d’ici on pourra tirer des remarques sur la jalousie et le malheur (notamment du chapitre ‘Le pêcheur’). Ce Zadig est (outre un Sherlock) un prophète des cours royales ou institutions (prophète mondain devant quelques gloires et miracles aux femmes) doublé d’un ‘Candide‘ des Lumières – il convainc facilement, contre les traditions millénaires. Que les peuples se laissent influencer est une chose, qu’ils s’emballent comme un homme pour de nouvelles idées pour quelques démonstrations… une cour de happy few, peut-être, pourrait commettre ce genre d’égarement. Les passages sobrement larmoyants contre la ligue de méchants accablant les justes et notamment le prophète désintéressé sont la seule possible surprise de cet opus – l’éloge de la bonté et de la candeur dans le chapitre du Ministre ressemble à du Rousseau froid, emprunté. Après l’indigent combat, on se réveille face à l’ange… mais cette antithèse (ou Némésis étonnement ‘lisse’) disparaît avant une véritable confrontation ; donc Voltaire nous déroule sa philosophie, trouve un contradicteur sublime passant comme un météore, son Zadig enjambe cette contrariété et triomphe. Sans doute estime-t-il avoir comme d’habitude mis à nu l’absurdité des justifications religieuses [de la mise à l’épreuve de Job dans la Bible] et achevé le travail en montrant son Zadig indigné. Cette demi-mesure était probablement le maximum qu’il pouvait se permettre. (4+)

Arthur Conan Doyle – Une étude en rouge / Sherlock Holmes tome 1 + (UK 1887) : J’avais terminé sans passion Baskerville (tome 5), puis Le monde perdu m’avait rendu Doyle attractif. Cette Étude en rouge est à la hauteur du bien que j’en ai lu et entendu. L’enquête, la narration, les caractérisations sont efficaces ; les sentences de Sherlock distinguent définitivement le roman, qu’il s’agisse de sa méthode (propos sur l’approche analytique vs synthétique au chapitre 14) ou de la vie humaine (la politique en début chapitre 6, « Un sot trouve toujours un plus sot pour l’admirer »). (72)

Arthur Conan Doyle – Le signe des quatre / Sherlock Holmes tome 2 + (UK 1890) : Pas au niveau du premier roman, car Sherlock s’y épanche moins et la longue explication malgré son aspect ‘épique’ a une faible ampleur émotionnelle. Mais si on vient pour l’enquête, ce Signe des quatre devrait satisfaire. (58)

Molière – Amphitryon =- (France 1668) : Humour bas-de-gamme à quelques répliques près (comme celle sur la conception des enfants), mélo amoureux insignifiant, intrigue bizarrement plate, joutes lourdes. Pour éblouir comme pour faire rire la version de Giraudoux éclipse celle-ci – peut-être car dans tous les cas c’est avec légèreté, en restant limpide et sans que les trois quarts des répliques puissent être omises sans dommages. Amphitryon 38 doit poser quelques défis de mise en scène, Amphitryon de 1668 condamner à l’aventure. (52)

Voltaire – De l’horrible danger de la lecture – (France 1765) : Peinture au vitriol du fondamentalisme. Comme une blague de Laurent Ruquier : lourd avec un rythme foireux et aucun élément original ou spécialement analysé. (4-)

Arthur Conan Doyle – Un scandale en Bohême =+ (UK 1891) : Sherlock Holmes bousculé par un possible alter ego féminin. Après l’introduction de la cocaïne pour parer à l’ennui entre deux enquêtes, on trouve maintenant un Sherlock ouvertement roublard et enclin aux déguisements pour accélérer ses enquêtes. Première nouvelle du premier recueil, sorti après deux des quatre romans Sherlock Holmes (Étude en rouge puis Signe des quatre). (68)

Agatha Christie – Le miroir se brisa =- (UK 1962) : Je n’ai pas raffolé d’Hercule Poirot (Mort sur le Nil et Crime de l’orient-express), mais c’était prodigieux par rapport à Miss Marple… du moins pour ce premier contact et alors que j’ai aimé le film avec Hudson et Taylor. J’étais peut-être indulgent ; pour ce court roman foisonnant de futilités et de répétitions, pas moyen de l’être – quoique la dernière ligne droite limite la casse. (38)

Agatha Christie – Cinq petits cochons =- (UK 1942) : Nouvelle inférieure aux deux romans phares, mais tout de même au-dessus du Miroir se brisa (l’enchaînement de témoignages autour des mêmes faits est ennuyeux, mais c’est déjà plus de matière, avant même la conclusion). Le problème vient peut-être de Marple vs Poirot et 1962 vs 1942. Il vient probablement du manque de place accordée aux personnages, jamais passionnants. Ils ont perdu le soupçon d’épaisseur et de ‘surprises’ en réserve dans les romans. Ici, au mieux collent-ils avec leur archétype, sinon ils s’évaporent en-dessous. (44)

Sophocle – Antigone =+ (Grèce 441 av.JC) : Démocratie ‘populiste’ (le tyran parle pour le peuple) vs la morale des hommes et la volonté divine ; autrement dit, l’arbitraire du gestionnaire (ou de la tribu, ou de la cité) versus l’idéal (ou le religieux). Et un combat d’orgueilleux, l’une aveugle et ‘robespiérriste’, l’autre cynique masqué et surtout mondain avide, tempéré par la ‘raison d’état’ et le sens commun, par une morale conservatrice et terrestre. J’ai préféré cette version à celle d’Anouilh dont le défaitisme comme sagesse ne peux conduire qu’à rien (du tragique au-delà du tragique). (68)

Voltaire – Traité sur la tolérance – (France 1763) : voir la critique. (3+)

Georges Simenon – Maigret se défend =- (Belgique/France 1964) : Assez bien concernant les personnages et motivations. Un peu fragile concernant l’enquête et l’organisation du traquenard. (52)

Georges Simenon – La boule noire =+ (Belgique/France 1955) : Un (court) roman psychologique en-dehors de la série Maigret. Monologues intérieurs d’un type tenté de bazarder sa vie sociale car il touche un plafond de verre. La façon de présenter l’histoire de la mère est pour le moins ‘facile’. (6-)

Georges Simenon – La neige était sale =- (Belgique/USA 1948) : Roman moral. Personnage intéressant, développement décevant mais toujours cohérent. Fatigue de vivre précoce due aux conditions de vie ; à 20 ans celui qui ne ‘saurait’ devenir un homme baigne dans trop de facilités et de ‘corruption’, sans incitation suffisante, sans envie ni force vitale capables de l’arracher à son mépris généralisé. Plaira aux existentialistes et amateurs de Camus. (6-)

Marguerite Duras – La douleur – (France 1985) : Après avoir vu deux essais navrants au cinéma (India song et l’aberrant Mains négatives) je découvre Duras dans son foyer, en littérature… nous n’irons pas loin ensemble. Elle cherche une intensité maximale dans l’immanent dépouillé mais ça sent l’apoplexie engendrée par la biture. Sa posture de franchise ‘organique’ est contredite par une complaisance nébuleuse. Pourtant l’écriture s’anime ponctuellement en osant saisir des objets concrets – les passages politiques (où De Gaulle est chargé de façon convaincante a-priori) et surtout ceux où l’auteure exprime sa peur et son état de ‘morte vivante’ face à Rabier. Le chapitre consacré à ce dernier est de loin ce qui rend ce livre récupérable, avec celui concernant l’épreuve de la torture (les deux petits derniers sont des conneries). Toutefois, il y a des contradictions étonnantes dans ces témoignages romancés (comme le sort prévu par les résistants à Rabier). En reprenant ses textes de l’époque [fin de la seconde guerre mondiale] dans les années 1980, Duras n’évite pas un petit parfum de ‘révisionnisme’ et de prophétie d’arrière-garde (texte daté 28 avril). (4-)

{théâtre] Jean Anouilh – Antigone =+ (France 1942) : Désacralisation du théâtre antique et surtout hymne dépressif à l’égoïsme pragmatique et au fatalisme en politique ; je ne dis pas que c’est une fausse voie, mais je ne peux pas dire que c’en est une bonne. C’est profond et au mieux décliniste, au pire ‘capitulard’ par principe (avec une ambiguïté : la révolte futile doit-elle être esthétisée ou méprisée, tenue pour un débordement de jeunesse ?). Malgré la qualité du face-à-face Antigone/Créon, quelques drôleries (avec les gardes et le prologue), l’originalité du principe, je comprends mal pourquoi (ou par quoi – le matraquage scolaire aurait suffit ?) cette œuvre a atteint ce niveau d’estime et de notoriété. Ou bien c’est le signe d’une conviction consensuelle contre toute tentation idéologique ou utopiste – il reste alors le droit au bonheur (un bonheur lavé de tout soupçon d’absolu, d’épique, d’espoir), à la coopération tranquille et/ou à la déconstruction. (58)

{théâtre] Jean Anouilh – Le voyageur sans bagage =- (France 1937) : Concept attrayant. Beaucoup de trivialités. (5-)

 

 

Relus :

Je tiens à épuiser la petite liste de livres notés mais pas lus depuis trop longtemps. À l’ouverture du ‘Journal de lectures’ sur SC (1er octobre 2015) j’avais 14 de ces titres, composant ma « préhistoire de lecteur » (quatre ont été rapidement relus dans les semaines suivantes, puis un est venu s’ajouter ; à l’ouverture de 2024, reste donc dix titres). Un petit nombre de lectures non intégrées (Thérèse Raquin et La Nausée ; possiblement d’autres mais perdus dans les limbes, donc probablement insignifiants) devrait revenir au titre de « préhistoire de lecteur ».

Les relus sans cette mention ont été découvert en 2015 ou après, soit le moment où je me suis mis sérieusement à la lecture (en incluant davantage de romans et surtout en lisant de A à Z).

 

Nabe – L’enculé =+ (France 2011) : Dans la tête de DSK, en direct, au moment de la fameuse affaire du Sofitel. Cette tête est saturée de libido ; reste un peu de place pour la conscience sociale. Un des livres les plus drôles et probablement le plus gras que j’ai lu. Pour autant je n’irais pas chercher un autre livre de Nabe, car malheureusement dès qu’il sort de la comédie (ne serait-ce que pour la performance) il n’inspire que de pauvres et sombres sentiments. Son esprit pourri et méchant ne peut donner de merveilles que dans la farce – ou la haine théâtrale, peut-être. Le ‘people’ devient envahissant lors de la période Elkabbach (sur la fin). (68)

Écouté sur Dailymotion (6h15 en huit vidéos), pas fini à l’époque (probablement 2012, au maximum 2013). Faisait partie des 14 titres notés sur SC mais lus lors de ma « préhistoire de lecteur » soit avant l’ouverture du Journal de lectures (1er octobre 2015) ; il reste 10 de ces titres aujourd’hui (celui-ci inclus).

Frédéric Beigbeder – Nouvelles sous ecstasy =- (France 2000) : Spleen d’un membre de la team happy few. Fait sourire et s’oublie instantanément, à quelques surenchères près ; Beigbeder a de la lucidité sur sa condition mais un point de vue vide sur le reste. Il concocte des chutes souvent foireuses au lieu de simplement étoffer ses questions. Les trois dernières histoires sont misérables, sur quatorze (pour un recueil d’à peine 85 pages avec gros caractères) c’est embêtant – pour nous qui perdons l’envie et les moyens d’excuser cette déchéance. (42)

Pierre Choderlos de Laclos – Les liaisons dangereuses + (France 1781) : ‘Lu’ grâce à l’école (seule note dans ce cas et quasiment seul souvenir) ; mon vif intérêt pour l’univers ‘Liaisons dangereuses’ était essentiellement nourri par le film avec Close et Malkovich. Parmi les lectures très lointaines c’était l’une des plus enclines à être réévaluée de façon flatteuse ; finalement non.

Certaines polarités empêchent ce roman de devenir captivant ou globalement fascinant autrement que cérébralement. C’est une œuvre morale ‘aveugle’ sur la pourriture de l’esprit libertin (factuellement, des membres des classes dominantes environnés par trop de ‘civilisation’ et pas assez de danger, qui vont donc s’en créer) mais aussi sur les multiples égarements s’offrant aux femmes. J’ai moins savouré l’ironie que trouvé des sentiments glauques (mortifications de Tourvel incluses – mais c’est le personnage naturellement touchant et estimable, rationnel aussi dans la défense de ses réactions et sa recherche d’équilibre, avec pour seul vice de mettre en scène ses résolutions – or même ce vice vient avec de la vertu). Le style est étonnamment moderne et accessible. Laclos a su donner à chaque personnage son style avec une certaine élasticité (spécialement Cécile et Valmont). Le climax est terrible. (72)

Stendhal – LE ROUGE ET LE NOIR +

16 Fév

Travaillé par des valeurs héroïques, rêveries de gloire et une sensibilité d’ambitieux jeune et pur, Sorel est pris par des questionnements sur le support de son destin, cherche à ménager ou associer sublime et authenticité. Comme les honneurs de toutes sortes, les femmes sont sujettes à ses appétits tourmentés ; il ne sait plus s’il les aiment, doit les aimer, veut les aimer, doit se servir cyniquement d’elles. Les personnages cherchent comment se frayer un chemin vers la reconnaissance et un sommet (social, matrimonial, professionnel, amoureux) ; l’auteur, comment tous dealent avec la réalité, alors que souvent manquent les outils – ou que les sujets sont pris d’assaut par des émotions nouvelles ou trop ardentes, rendant obsolètes les outils habituels.

La teneur psychologique est rebattue vu d’aujourd’hui, ce qui peut limiter l’enthousiasme à la découverte ; cette fois, voilà probablement un ‘classique’ à lire tôt. Il n’est pas ‘dépassé’ pour autant – donne plutôt une impression de ‘déjà digéré’, marque d’un classique réel et influent (nous sommes quelques années avant Illusions perdues de Balzac, plusieurs décennies avant Flaubert et Maupassant) ; est toujours vrai sur les comportements, les apparats idéologiques, les différentes sortes de jalousie et de quête d’absolu, la part disproportionnée du besoin de consentir, plaire ou manœuvrer pour un semi-prolo avide qui ne serait sans ces recours qu’une étoile morte-née.

Les commentateurs et spécialistes attribuent à ce roman de devancer la psychanalyse ; effectivement les personnages sont ‘incarnés’, la narration est fixée sur ce qui les habite et peut contredire leurs assertions ou comportements, les événements sont au second plan ; il est vrai que l’intériorité individuelle a peu de place dans les textes antérieurs qui ont passé l’épreuve du temps et de la sélection ‘culturelle’ (et probablement peu d’importance dans un monde pré-moderne où le destin individuel est moins mobile), mais j’ai du mal à croire qu’on ne rend pas cet hommage au Rouge et le noir à cause de sa qualité et de la place acquise dans l’histoire littéraire, plutôt que pour une réalité de pionnier. Après tout l’insoutenable Princesse de Clèves allait déjà sur ce terrain, avec ses moyens restreints par le moralisme ; il doit aussi y avoir des feuilletons perdus, méprisés peut-être à juste titre à l’époque.

Note globale 78

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Suggestions…

LIVRES 2022 (Bilan)

9 Jan

Pas de sous-notes pour les livres, romans, journaux comme essais, car le fossé entre œuvres est trop grand. Il faudrait de multiples grilles adaptées (même pour les seules appréciations ‘objectives’), ce qui est insensé compte tenu de la vocation d’une échelle de notation (comparer, situer sur une échelle commune).

Les critères jouables sinon seraient : Style, Pertinence, Impact, Sympathie. Pour les romans : Créativité, Scénario. Pour les essais : Force de conviction, Solidité, Adhésion personnelle.

Ce bilan 2022 est publié en retard à cause de mon hésitation à finir et publier le commentaire pour Le premier sexe ; et des Confessions de Rousseau alors inachevées.

 

Eric Zemmour – Le premier sexe – (2006) : Exceptionnellement je vais éviter tout commentaire (il dépassait le seuil à partir duquel je m’impose de passer à la ‘critique’, en fait un texte détaché d’une liste ; surtout il n’y a à dire sur ce livre que des choses… bonnes à taire). Ce n’est pas parce que je trouve aussi les anecdotes concernant Besancenot et Hollande déplorables (trop pour être encore drôles) que je vais me sentir solidaire de ce pamphlet. (36)

Jean-Jacques Rousseau – Les Confessions =+ (1782) : voir la critique. (58)

Honoré de Balzac – Le colonel Chabert + (France 1832) : Superbe personnage de sacrifié digne, endommagé mais déterminé, pourtant prêt à se contenter de presque rien, même d’une complaisance hypocrite à condition qu’on le reconnaisse. Les descriptions ont un caractère social, la lecture sans contrainte. Je l’avais entamé avant de voir l’adaptation avec Luchini et Depardieu, pour laquelle je me suis senti un peu indulgent (on estime pas ces adaptations en tout ‘littéraires’ pour l’originalité de la mise en scène), mais il me semble qu’il ne le trahit pas. (72)

Cizia Zyke – Buffet campagnard + (1992) : Roman jubilatoire qui semblait souvent taillé pour me plaire en particulier. Des scènes d’horreur mutique et/ou grotesque géniales. Peu de personnages dans ce huis-clos, mais ils sont énormes. Zyke comme toujours porte un regard brut et compréhensif sur ses congénères, régale avec des caractères vaniteux et minables, mais aussi cette fois plus qu’ailleurs avec des tordus ou simplets inquiétants. Contrairement à Paranoia ou certaines nouvelles, il n’y a ici aucun héros positif ou pour lequel on pourrait éprouver indulgence ou sympathie sans forcer ou sortir du ‘premier degré’. Peu de suspense quant à la finalité de l’histoire, à la faveur d’une tension d’autant plus grande ; on voit le cynique pris au piège, trompé par ses prétentions et son mépris, puis maladroitement négocier avec la réalité ou espérer une porte de sortie improbable. (84)

Michel Houellebecq – Sérotonine + (France 2009) : Un roman de la démoralisation ‘physique’ et totale. Le personnage est un damné jonchant parmi un monde verrouillé et sans mystère, sans charme et presque sans tendresse, un esseulé que plus rien ne peut relever, ironiquement sauvé de l’abîme finale par sa procrastination. Ce roman est plus fin et fluide que La carte et le territoire (son roman déjanté avec une une part d’auto-fiction) ou Soumission (provocation lucide à la forme bâclée). Houellebecq y est plus drôle que jamais, dans un style ravageur et toxique, où l’apathie morbide et le désir étouffé de ‘ressusciter’ s’empêchent par leur conflit (permanent mais tiède) de pourrir un individu. (72)

 

Bilan Livres : 2023, 2021, 2020, 2019, 2018 

LIVRES 2023 (Bilan)

3 Jan

Virginie Despentes =– Les jolies choses (France 1998) : Des choses justes, triviales et profondes, au milieu d’un tombereau de surenchères superficielles. Impression de parcourir une littérature discount avec son supplément d’âme léger, jeune et un peu ‘faux’. (44)

Agatha Christie – Le crime de l’orient express =+ (UK 1934) : Découvert immédiatement après l’adaptation de Brannagh, sans quoi je l’aurais lu avec peine. Conclusion précipitée et difficile à avaler. Les détails de caractère et les réactions pendant les entretiens me paraissent plus intéressants que l’enquête. (58)

Tristan Egolf – Le seigneur des porcheries =+ (USA 1998) : Des scènes d’errance, de marginalité et d’injustices poignantes. Une tendance à ‘teaser’ régulièrement et presque à soutenir une trentaine de premières pages avec cet effet… puis surtout à étaler la montée de sauce lors des pages 400, où la collectivisation du point de vue galvaude la force du récit. Ces pages 400 m’ont déçu aussi à cause du défaut de vraisemblance : l’absence de réaction coordonnée, de recherche concrète même pataude d’arrangement de la situation et surtout l’oubli des fauteurs de trouble (à une minuscule incartade près, peut-être incrustée pour rappeler que nous sommes ici aussi pour les éboueurs et John, ou bien pour parer au reproche dont je me fais le relais) sont soit le fruit d’une maladresse soit d’une complaisance… ou d’un forçage que je m’explique mal. Sinon par la volonté de donner dans la satire, si étroite qu’à la fin elle laisse sur le côté. J’ai parfois été passionné par ce livre mais la rage de l’auteur l’a probablement floué. Et poussé à un recours abusif au terme « mépris » (lu en VF, bien sûr). (68)

André Malraux – La tentation de l’Occident – (France 1926) : Après être sorti un peu perplexe de La condition humaine, j’ai voulu re-tenter Malraux… Je m’explique mal qu’un tel tissu de finasseries venteuses passe à la postérité ou même que d’autres individus puissent sérieusement apprécier et estimer une telle prose. Je ne comprends pas – ces commentaires élogieux, ces remarques énamourées, ce respect et cette admiration pour l’homme et ses exploits publics. S’agit-il d’une expérience sociale malheureuse ? D’hypnose collective ? D’hypnose française ? Cette Tentation de l’Occident ne fait que broder autour de l’opposition entre un Occident malade de son rationalisme et de son désir de conquête [‘malheureusement’ rassasié] versus un Orient d’une léthargie souveraine et vaguement animiste – oui je caricature, oui il est temps de grossir le trait et aller droit au but, après ces pages imbitables de démonstration par le truchement de la haute verve de Malraux de la saveur humide de l’eau mouillée tiédie à la source. Ce livre est comme tout Ministère de la Culture : bon pour les flammes. (22)

Michel Houellebecq – La possibilité d’une île + (France 2005) : Le meilleur de Houellebecq, auprès des Particules élémentaires (deux fois plus court, donc peut-être à recommander en priorité pour avoir un aperçu le plus ‘exhaustif’ possible de l’univers houellebecquien) ; légèrement derrière ce tandem, Extension. Je devrais peut-être revenir sur Soumission et La carte (notés 7 et 6) pour inverser leurs notes. Soumission était mal écrit et serait le Houellebecq ‘chatGPT’ s’il en fallait un ; La carte m’apparaissait comme une farce dont il y avait moins à tirer ‘concrètement’ qu’ailleurs. (82)

Madame de La Fayette – La princesse de Clèves (France 1678) : Le ‘premier roman moderne’ doublé de ‘premier roman psychologique’ est d’une inanité insoutenable. C’est un amas de qualificatifs pompeux ou énamourés, si à ce niveau de courtoisie et de bienséance on peut encore s’approcher d’un sentiment réel. L’intégralité des personnages sont l’objet de descriptions creuses et ne se distinguent que par leurs positions dans des jeux d’intérêts, jamais par leurs caractères (seule la mère est un peu définie) ; or les intérêts eux-mêmes sont abordés avec finasserie telle que tout se confond. Cette princesse commet une double faute à mes yeux : c’est une intégriste de la ‘vertu’, ce qui est indigne d’une adulte (mais justement ‘la femme’ est une ‘mineure’) ; elle reste accrochée à ce monde – tout comme Madame de La Fayette, laudative et tragique tout en dénonçant l’hypocrisie de ce système humain… mais sans savoir le charger – il y a à peine de défauts dans cette galerie d’humains, encore moins de vices ; il n’y a que des insuffisamment vertueux c’est-à-dire enrégimentés, cérémonieux et inertes – voilà ce qui affecte notre pauvre autrice et sa princesse. Cette autrice est un complément à Malraux pour incarner la France dans ce qu’elle a de ‘hors-sol’ sans rien de charmant ou appétissant ; une tour d’ivoire où on a pas envie de grimper, mais qui vient à agacer à force de vouloir ériger sa passion de finasserie en avant-poste de la civilisation. (28)

Molière – L’avare + (France 1668) : Scènes truculentes grâce à Harpagon. La conclusion a une saveur inhabituellement triste. Cette pièce se prête à des interprétations pathétiques, ou glauques, ou anxieuses, ou mélo-dramatiques, en plus de celle simplement grotesque. Parmi les meilleures de Molière, avec Dom Juan et auprès du tandem Tartuffe/Misanthrope. (82)

Molière – Monsieur de Pourceaugnac =+ (France 1669) : Particulièrement bouffon, sûrement un excellent support à clowneries visuelles pour les metteurs en scène. J’en retiens la volonté de rendre fou le protagoniste et surtout la rhétorique totalitaire des médecins. Personnages et intrigue sans grand intérêt. On perçoit davantage la férocité à l’encontre de Pourceaugnac que l’infamie ou même le ridicule du personnage, dont le crime essentiel est d’être benêt – en somme c’est un Dîner de cons. (64)

Molière – Les précieuses ridicules =+ (France 1659) : Quasiment toute la pièce est sur la même note. L’intrigue est à la fois embrouillée et évanescente – manifestement on mise beaucoup sur les interprètes et le contexte de représentation. L’humour repose soit sur la raillerie de ces deux arrivistes maladroites, soit sur des gags très démonstratifs ; je n’ai été sensible qu’au premier, mais il donne à souffler du nez plutôt qu’à rire. La volonté d’humilier le protagoniste est plus ‘épanouie’ dans Pourceaugnac. Comme avec ce dernier c’est surtout la charge contre une ‘institution’ qui m’a plût (alors que je me suis infligé quelques jours avant La princesse de Clèves) ; mais cette fois, c’est à peu près tout ce que je trouve en sa faveur. (56)

Molière – Les fâcheux =- (France 1661) : Première ‘comédie-ballet’ soit comédie musicale pour cour royale. Série de portraits creux et ridicules ‘mais’ outranciers. Lourdingue et assommant, seules quelques sentences tirent de l’engourdissement. Mais qu’attendre d’une œuvre de lèche[-majesté], conçue à la va-vite et s’annonçant exaspérante dès le départ [puisqu’on va se farcir les récits et réclamations d’importuns] ? (42)

Madame de La Fayette – La princesse de Montpensier =- (France 1662) : À peine moins gonflant que celle de Clèves. Plus pragmatique et axé intrigues. (32)

René Barjavel – La nuit des temps =- (France 1968) : Impression de lire le plan d’un blockbuster ou d’une romance new age sauce nanar ampoulé. Des idées pour lesquelles on est prêt à s’enthousiasmer… toutes balayées, au mieux des accessoires. (48)

Edgar Allan Poe – La chute de la maison Usher + (USA 1839) : Addiction et réduction résolue d’un malheureux à ses chaînes – spécifiquement, son destin d’aristocrate impuissant. Même en versant dans la psychologie, Poe préfère la beauté et la suggestion à l’analyse (laquelle altérerait le pouvoir de séduction). Il y a assez de portes entrouvertes (refus de la vie, perceptions atypiques, impression des états mentaux humains sur l’environnement – la maison et la famille sont un vieux couple, terreur et aliénation consenties par fatalisme, inceste, nécrophilie) pour inspirer immédiatement des digressions à l’échelle individuelle, donc un appétit qui fera tenir en estime cette nouvelle ; puis pour inspirer plus largement des adaptations sur d’autres supports, ce que les cinéastes ont fait abondamment. (78)

Johan Norberg – Non ce n’était pas mieux avant =+ (Norvège 2016) : L’auteur a un positionnement (libéral égalitaire, matérialiste, optimiste) que j’aurais réprouvé il y a un peu plus de dix ans et qui dans les trois dernières parties commence à se prendre des murs (dont il tient compte mais sa foi dans le progrès exponentiel à long-terme lui fait balayer les menaces et les régressions forcément ponctuelles). Mais concernant son regard sur le passé et les progrès réalisés, aujourd’hui comme il y a dix ans, je suis évidemment d’accord. On sait ce qu’on a gagné matériellement ; les pertes spirituelles, culturelles, sont sujettes à interprétation et potentiellement à pure invention. J’aimerais tout de même voir une version de ce livre post-Covid et aussi post-dégringolade (au moins relative) de l’OCDE. Comme ce livre a une vision quantitative, peut-être que le déclin de nos vieux pays n’est pas un problème si l’ensemble connaît toujours une croissance de la qualité de vie… mais je suis un habitant d’un de ces pays fatigués et je refuse de relativiser à ce point. (68)

 

 

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