Rousseau – LES CONFESSIONS =+

19 Déc

On peut douter de la véracité de ces confessions mais pas de leur sincérité. Cette sincérité inclût ce qu’il y a de faux ou arbitraire en lui et dans ses perceptions. Son masochisme et son arrogance marchent ensemble. Il exagère, de bonne foi ou du moins avec conviction : « Je passai de l’héroïsme à la bassesse d’un vaurien » alors qu’il n’a du premier que sa belle âme, en théorie ; du second, des larcins innocents. Si on se fit à son jugement qui n’entend que les raisons du cœur, Rousseau paraît l’être le plus moral, pur et lumineux qui soit ; un Butters qui n’irait pas réclamer une médaille pour sa beauté intérieure – mais s’il vous en venait l’envie en le lisant, ce ne serait que justice.

En lisant Rousseau j’ai tout sauf l’impression qu’il souhaite se préserver des hommes, ou même combattre leurs mauvais penchants (ce qui me l’aurait rendu sympathique pour des raisons ‘intellectuellement’ coupables) ; je le soupçonne plutôt de vouloir rester en état de minorité. Toute sa vie il refuse le passage à l’acte, refuse de trancher sur ses passions – pourtant il va bien vers le monde et il y retourne tant que possible, tant qu’il y sera demandé. Il donne le change sur le terrain mondain, avec des succès et des frustrations – et des humiliations plus savoureuses pour lui que pour le lecteur. Les transformations sont hors de son champ de conscience : il tient à déclarer sa valeur ‘éthique’ et intérieure davantage qu’à l’exercer ; sa sensibilité fière et victimaire affichée dans les premiers livres abouti dans les derniers à des multitudes de conflits et précisions mondaines, où il se montre sévère et méfiant probablement à raison mais trop tard. Ses surprises malheureuses avec ses connaissances reflètent la tragédie d’un homme toujours enclin à s’illusionner ; tragédie d’un égocentrisme qui se raffine et rend son hôte impuissant. Typique des enfermés en eux-mêmes, il pèche par naïveté, par gaucherie ; en vieillissant, il gagne en assurance mais surtout en amertume et renforce sa mentalité anti-dynamique, fixe. Et ses accès d’assertivité bouillante, toujours très vite refroidis, le rendent plus honteux encore – ou se cristallisent en un idéalisme vain.

Finalement il y a deux choses choquantes avec le Rousseau de ces Confessions : d’abord, il évoque toute personne en terme moraux et sentimentaux (et les deux sont toujours amalgamés chez lui), moindrement sur le plan social et celui du statut ou de la fonction ; souvent et en complément, sur l’intelligence, la qualité de l’esprit ; très rarement sur le plan physique. Puis surtout et c’est la mauvaise surprise de ce livre : on y trouve la doctrine de Rousseau qu’à l’état de sentiments, au détour de remarques impétueuses ou blessées. Ses comptes-rendus factuels sont guidés par des jugements moraux et états d’âmes, avec une place mineure pour la philosophie ou ses idées pour elles-mêmes – mais une place démesurée pour ses propres intentions. Le cœur du rousseauisme c’est la fétichisation d’une vertu qui n’accepte de se voir impuissante que pour mieux se revendiquer ; de quoi adoucir les mœurs et mal guider.

 

p.69, Livre premier : « Aucun de mes goûts dominants ne consiste en choses qui s’achètent. Il ne me faut que des plaisirs purs, et l’argent les empoisonne tous. »

p.75, Livre premier : « On verra plus d’une fois dans la suite les bizarres effets de cette disposition si misanthrope et si sombre en apparence, mais qui vient en effet d’un cœur trop affectueux, trop aimant, trop tendre, qui, faute d’en trouver d’existants qui lui ressemblent, est forcé de s’alimenter de fictions. […] un penchant qui a modifié toutes mes passions, et qui, les contenant par elles-mêmes, m’a toujours rendu paresseux à faire, par trop d’ardeur à désirer. »

p.99, Livre 2 : « Mon enfance ne fut point d’un enfant ; je sentis, je pensai toujours en homme. Ce n’est qu’en grandissant que je suis rentré dans la classe ordinaire ; en naissant, j’en étais sorti. L’on rira de me voir me donner modestement pour un prodige. Soit : mais quand on aura bien ri, qu’on trouve un enfant qu’à six ans les romans attachent, intéressent, transportent au point d’en pleurer à chaudes larmes ; alors je sentirai ma vanité ridicule, et je conviendrai que j’ai tort. »

p.107, Livre 2 : « Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur que j’avais peine à le cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison : il me semblait que je leur devais en tendresse de sentiments, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe, et la plus laide guenon devenait à mes yeux un objet adorable, par le souvenir de ce faux Africain. »

p.190, Livre 4 à propos du « juge-mage » : « Ce petit nain, si disgracié dans son corps par la nature. […] Sa tête, de grandeur naturelle […] semblait une postiche qu’on aurait plantée sur un moignon. Il eût pu s’exempter de faire de la dépense en parure, car sa grande perruque seule l’habillait parfaitement de pied en cap. »

p.294, Livre 6 : « Quoique sur ce point je ne fusse pas assurément de son avis, j’avoue que je n’osais le combattre, honteux du rôle peu galant qu’il m’eût fallu faire pour cela. »

p324, Livre 6 : « Les Français n’ont soin de rien et ne respectent aucun monument. Ils sont tout feu pour entreprendre et ne savent rien finir ni conserver. »

p327, Livre 6 : « Il était clair que mes médecins, qui n’avaient rien compris à mon mal, me regardaient comme un malade imaginaire […]. Tout au contraire des théologiens, les médecins et les philosophes n’admettent pour vrai que ce qu’ils peuvent expliquer, et font de leur intelligence la mesure des possibles. Ces messieurs ne connaissaient rien à mon mal, donc je n’étais pas malade : car comment supposer que des docteurs ne sussent pas tout ? Je vis qu’ils ne cherchaient qu’à m’amuser et me faire manger mon argent. »

p332-333, Livre 6 : « J’étais si bête et ma confiance était si pleine, que malgré le ton familier du nouveau venu, que je regardais comme un effet de cette facilité d’humeur de Maman qui rapprochait tout le monde d’elle, je ne me serais pas avisé d’en soupçonner la véritable cause si elle ne me l’eût dit elle-même ; mais elle se pressa de me faire cet aveu avec une franchise capable d’ajouter à ma rage, si mon cœur eût pu se tourner de ce côté-là […]Elle me fit entendre, en un mot, que tous mes droits demeuraient les mêmes, et qu’en les partageant avec un autre, je n’en étais privé pour cela. […] L’ardent désir de la voir heureuse, à quelque prix que ce fût, absorbait toutes mes affections : elle avait beau séparer son bonheur du mien, je le voyais mien en dépit d’elle. » mam (pages avt=puc-fidel et pur)

p.335, Livre 6 : « Prenez la femme la plus sensée, la plus philosophe, la moins attachée à ses sens ; le crime le plus irrémissible que l’homme, dont au reste elle se soucie le moins, puisse commettre envers elle, est d’en pouvoir jouir et de n’en rien faire. »

p355 (début Livre 7) : « Durant mes conférences avec ces messieurs, je me convainquis, avec autant de certitude que de surprise, que si quelquefois les savants ont moins de préjugés que les autres hommes, ils tiennent, en revanche, encore plus fortement à ceux qu’ils ont. Quelque faibles, quelque fausses que fussent la plupart de leurs objections, et quoique j’y répondisse timidement, je l’avoue, et en mauvais termes, mais par des raisons péremptoires, je ne vins pas une seule fois à bout de me faire entendre et de les contenter. J’étais toujours ébahi de la facilité avec laquelle, à l’aide de quelques phrases sonores, ils me réfutaient sans m’avoir compris. »

p362 : « Le défiant J.-J. n’a jamais pu croire à la perfidie et à la fausseté qu’après en avoir été la victime. »

p381 : « L’oeil intègre d’un honnête homme est toujours inquiétant pour les fripons. »

Livre 8: « Nous nous amusions plus agréablement peut-être que si nous l’avions possédée, tant il est vrai que ce qui nous attache le plus aux femmes est moins la débauche qu’un certain agrément de vivre auprès d’elle. »

Livre 8 : « Or moi je n’ai vu que lui seul de tolérant depuis que j’existe. »

Livre 8 : « J’ai pu me tromper mais non m’endurcir. »

 

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