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WEEK-END A ZUYDCOOTE =+

11 Juin

Les détracteurs du Dunkerque de Nolan ont trouvé dans ce film une vengeance. Basé sur le premier roman (homonyme) de Robert Merle, Week-end à Zuydcoote représente les allées-et-venus d’un groupe de soldats français et britanniques pendant la bataille de Dunkerque (juin 1940). Il déploie des moyens importants, visibles lors des scènes de bombardements. Belmondo (déjà dirigé par Verneuil deux ans avant pour Un singe en hiver), alors acteur très populaire en passe de devenir emblématique, joue un sergent-chef détaché au maximum dans pareilles conditions (il rate même des occasions de fournir ses cascades typiques).

C’est la principale référence du spectateur et une manière pour lui de traverser ces plages sans se laisser accabler. À Julien comme à nous d’apprécier l’abondance d’ironies tragiques offertes par les circonstances. Cette distance ne gâche ni l’intensité ni la pertinence du film ; l’interprétation de Belmondo porte ses limites. Ses laïus d’humanitaire gouailleur et de sceptique gentil ne poussent jamais bien loin. Même traitement pour ses accès héroïques, possiblement contradictoires. Il se met bientôt à éprouver Dieu de ses sarcasmes, toujours nonchalamment, en s’échauffant lentement face au curé engagé ; c’est comme s’il liquidait ses stocks. À force de survoler la situation (sans aller jusqu’à entrer dans le déni joyeux façon La vie est belle) son personnage manque de naturel et de consistance, reflète mal les émotions fortes, les drames ou les urgences.

Le réalisme du film est contrarié non par la légèreté, mais par des écarts symboliques ou démonstratifs. Le comique est omniprésent mais ne relève pas du troupier habituel – quand il se fait franc, il s’exprime par exemple au travers de Dhéry (Pierre Mondy), au fort instinct de conservation à la tournure grotesque (surtout en instants de paix), ou encore en rabaissant sèchement les anglais (avec leur thé, leur suffisance et leur rigidité). Le spectacle est fluide et un peu random, sans fil narratif interne ; les hommes et leurs décisions sont déterminés par le flot d’événement ; la menace constante est ce fil conducteur au-dessus de tous les autres, rationnel mais imprévisible.

Loin des élucubrations pacifistes ou des poses de désabusés, le film conforte l’idée qu’on ne fait pas la guerre sans se « salir les mains » et montre quelques exactions de l’équipe locale sur son propre terrain. La plupart sont mineures et même banales ; en relève, le cynisme face aux macchabées tout frais, qui est aussi une façon de relativiser l’horreur et d’ailleurs ne pousse pas à trahir l’effort d’encadrement civilisé (concrètement, les passages de camions pour débarrasser proprement le chantier). Enfin il peut être compliqué de démêler ce qui relève de l’éventuelle hystérie de Jeanne ou d’une mollesse de direction d’acteurs ou d’écriture. Les dernières scènes avec Catherine Spaak sont à la limite du théâtre ‘low-cost’ ; mais cette note improbable aussi a son charme, bien que contrairement aux autres dans le flou, celle-là semble purement et strictement opportuniste – comme une fantaisie réconfortante.

Note globale 62

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Suggestions… L’Homme de Rio + Les Égarés/Téchiné + Les Mariés de l’an II

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (-), Esthétique/Mise en scène (3), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (3), Ambition (4), Audace (3), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (3), Pertinence/Cohérence (2)

Note arrondie de 61 à 62 suite à la mise à jour générale des notes.

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THE INTRUDER ***

20 Mai

Film politique donc atypique de la part du bisseux Corman, en tant que réalisateur (alors attelé à la confection de l’improbable Créature de la mer hantée et surtout à son cycle Poe avec L’enterré vivant). Nous sommes quelques années avant les rafales massives (avec en tête Dans la chaleur de la nuit en 1967) mais il y a encore peu de films sur la ségrégation (The defiant ones aka La chaîne en 1958). Celui-ci est un film de blanc, pas charlie-charlie, pas débile, même largement lucide, pas paternaliste à l’égard de ceux qu’il défend (mais ne donnant aux noirs qu’une faible part d’exposition et d’expression) ; simplement candide, manquant de perspective historique sérieuse, enchaîné à une conscience raciale médiocre qui ne permet pas de voir au-delà des disharmonies présentes et de vouloir aplanir la table.

Néanmoins c’est prenant et sur le plan humain assez génial. Malgré un certain grotesque pour les anonymes voire pour les principaux, les personnages sont multidimensionnels, représentés au-delà de la morale, embarrassants pour la cause propre du film (comme dans le réjouissant échec Scandale/Bombshell). L’orientation politique et l’idéal sont flagrants, mais ne servent pas une chape abrutissante, ne deviennent pas un outil punitif ou simplement écrasant. Les caractères se révèlent sans devenir aberrants : comme dans les meilleurs moments dramatiques, ils s’affinent brutalement, redeviennent entiers et sincères sous la pression. Notre salaud est une pieuvre narcissique mouton VRP d’abord, tribun ensuite, loup perdu au fond. Il y a chez ce type une déraison vivifiante, ou simplement séduisante ; son respect des codes et sa politesse s’évanouissent pour laisser place à une individualité affirmant ‘tout haut ce que chacun pense -ou ressent- tout bas’. Il pousse à la faute celles et ceux qui n’en peuvent plus de se contenir et d’honorer le consensus ; ceux qui respectent leurs serments et la loi mais en crèvent doucement.

Malheureusement ces vertus contradictoires ne suppriment pas les défauts de fabrication : le cadre reste limité sur tous les plans, tout se passe ou semble se passer en une poignée de jours et la situation change drastiquement en un clin-d’œil à plusieurs reprises. Le sacrifice probable de l’incendie d’Église et la mort du prêtre, quelquefois évoqués et laconiquement montrés sur la copie distribuée par Carlotta (diffusée sur arte), n’aident pas [à garantir l’irréprochabilité de la seule narration ; mais la démonstration n’en est pas gênée, au contraire elle s’épargne un excès] – effet d’une censure, des petits moyens (responsables de cette conclusion sous la balançoire ?) ou bien cette séquence a simplement été bâclée en raison des ambiguïtés du tournage dans une ambiance sudiste authentique ?

Et surtout l’alchimie repose sur un mélange de cheap et d’intelligence, des considérations générales toutes en distanciation mais un lot généreux d’amalgames des ‘mauvaises’ orientations. Finalement l’incapacité à entrevoir la vérité du camp honni l’emporte comme dans n’importe quelle pensée ou production militante commune ; en contrepartie pour tenir cet angle mort à sa place, The Intruder compte sur la déresponsabilisation des gueux et un beau transgresseur pour diable. Comme toute bonne œuvre progressiste ou complotiste, elle prétend que les succès d’un ou de l’autre ‘camp’ ne peuvent être dues qu’à des arnaques ou des accidents mais pas des formes inférieures d’humanité (ou d’une infériorité essentiellement ‘éthique’ ou de surface, culturelle à la rigueur) ; l’évitement de ce biais courant atteste d’une générosité humaniste.

Note globale 66

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Suggestions… Naked Kiss/Police Spéciale + Mississippi Burning + Naissance d’une Nation + Blackkklansman + Body Snatchers

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HARAKIRI =+

24 Mar

harakiri

Hara-kiri se déroule vers 1630, au début de l’ère Edo (1603-1868), période de paix et d’isolation pour le Japon. À cette époque, la dimension guerrière du samouraï tombe en désuétude, un samouraï devenant l’équivalent d’un fonctionnaire ; ou un ronin, c’est-à-dire sans maître et donc vivant dans l’exclusion. Paradoxalement c’est à ce moment qu’est instauré le Bushidō, code d’honneur instaurant le suicide rituel du suppuku (« coupure au ventre »). Celui-ci s’impose en cas de faute grave ou de déclassement, mais peut aussi être décrété par un maître insatisfait.

Dans le film Harakiri de 1963, un samouraï se présente dans la résidence du puissant clan Li afin de commettre un harakiri en bonne et due forme. Saito, le maître, lui raconte les précédents faits du genre et notamment celui concernant Motome. Mais contrairement aux autres, Hanshiro Tsugumo vient bien pour se suicider. Il est déterminé et n’a qu’une exigence : raconter son histoire jusqu’au-bout. Ce personnage est interprété par Tatsuya Nakadai, la star du chanbara autour des années 1960 et l’acteur principal de nombreux films de Kurosawa.

Ce film réunit justement plusieurs grands noms du cinéma japonais, avec le scénariste Shinobu Hashimoto, lui aussi souvent affilié à Kurosawa, manifestant une préférence pour les narrations non-linéaires dans cet Harakiri et Rashomon en particulier. Ensuite le réalisateur de Harakiri/Seppuku est Masaki Kobayashi, auteur deux ans plus tard du fabuleux Kwaidan. Son œuvre, très consciencieuse, met en valeur les différents arts du spectacle tout en posant des jugements ambivalents envers les traditions. Ses films versent souvent dans le moralisme, Harakiri étant humaniste là où Kwaidan est plus cruel et peut-être plus profond dans son regard sur les Hommes.

Harakiri justement s’attaque violemment à l’époque Edo puisqu’il dénonce l’absurdité du rite seppuku et l’hypocrisie l’entourant. Par ailleurs Kobayashi présente les ronin/samouraï sous l’angle du ‘chômage technique’. Ces hommes sans travail ni ressources sont des otages du système féodal dont la situation est particulièrement ironique. Kobayashi ne s’écarte pas de son chemin : il est spécifique et réaliste (contrairement à Lady Snowblood), modéré dans son regard (à l’inverse du Sabre du Mal) et ne fait pas du héros le défenseur d’un véritable sens de l’honneur bafoué.

La réalisation est minimaliste et extrêmement sèche, fondée sur de nombreux flash-back et un processus implacable. La démonstration est parfaitement limpide, sans fioritures et hautement morale, ce qui explique le succès dément connu par ce film. C’est pourtant un spectacle d’une lourdeur éreintante, aux contours peut-être trop simples et dans un continuum propre entre la tension extrême et l’évanouissement. La lente et minutieuse construction débouche sur une révélation simple et puissante ; puis le film s’achève dans une tempête.

Note globale 68

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Suggestions… Sanguro + Ran

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LES CANONS DE NAVARONE =+

20 Fév

Énorme succès en son temps, Les Canons de Navarone respecte les conventions en vigueur [dans le cinéma de guerre] en discutant vaguement les lignes. Ce film de commando typique est tiré d’un roman de l’écossais Alistair MacLean, corrigé par le scénariste Carl Foreman, un des black-listés du maccarthysme. Malgré le laïus explicatif d’ouverture donnant l’illusion du sérieux historique, Navarone n’est pas réelle, mais semble faire référence à la bataille de Leros (1943). La mission implique le petit peuple grec (mais seule Maria Pappadimos/Irène Papas aura une présence significative), dont les autorités sont remerciées au début avant d’envoyer le générique.

Blockbuster de 1961, ‘all-star movie’ et taillé pour les Oscars, Les Canons de Navarone est un produit carré et efficace, un film d’aventures affable et en couleurs toujours très prudent. Il donne une impression de massivité par ses décors et ses postures, déballe ses moyens avec une force tranquille, refusant le clinquant. Le déroulé est assez penaud et la longueur en rajoute : 2h30 aux abords de la léthargie magnifiée. Au départ ces Canons ont plus de substance que les équivalents contemporains comme ceux de Sturges (La Grande Évasion, Les Sept mercenaires, etc), mais cette vertu s’oublie rapidement, au profit des nécessités et des manèges caricaturaux (les nazis-démons version demi-molle).

La première heure donne une impression de relative maturité, la suite fait montre d’une science du récit compromise par le manque de passion de la mise en scène et de l’écrit. Gregory Peck incarne quelques élans pacifistes de blasés de la guerre et des agitations humaines, puis se fond dans le décors et le devoir comme il le doit (par sa fonction) et comme il se doit (dans un tel film – Docteur Folamour est le comble de la subversion et une anomalie à cette époque). Cela donne par endroits un côté Costa-Gavras vidé et ‘divertissant’ au film. Guy Hamilton (Meurtre au soleil et 4 James Bond) sera en charge d’une suite tardive (L’ouragan vient de Navarone – 1978) largement oubliée mais un peu fétichisée.

Note globale 56

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Suggestions… L’Aigle s’est envolé + Le pont de la rivière Kwai

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (3), Dialogues (3), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (2), Ambition (4), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

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LA CHUTE DE LA MAISON USHER =+

11 Nov

la chute maison usher

En 1960 Roger Corman, réalisateur prolifique de films d’épouvante très désuets, réalise pour la première fois un film de studio avec un budget conséquent, en tout cas par rapport à ses moyens quasi amateurs jusque-là. Il tourne donc une adaptation de La chute de la maison Usher, nouvelle de l’auteur pionnier Edgar Allan Poe. Elle fut déjà traduite à l’écran notamment par Jean Epstein en 1928 pour une sorte de cauchemar lorgnant vers le délire, digne des surréalistes ou d’Eraserhead.

Cette adaptation-là est bien plus sage, mais elle engendre en revanche un univers que Corman va très rapidement affirmer et exploiter par la suite. Sans le savoir, il vient de lancer une série de huit films inspirés de Poe qu’il tournera avec Vincent Price dans le rôle principal (sauf pour le 3e). La même équipe sera généralement au rendez-vous, y compris au-delà de cette saga pour le réalisateur. Cependant à ce stade les moyens sont encore étriqués, d’où le statisme de la mise en scène. Il est compensé avec élégance et sophistication.

Les dialogues sont abondants et volontiers lyriques, tâchant de restituer l’ampleur psychique des écrits de Poe. Les paysages, montés en studios et quasiment tous en intérieurs, sont déclinés sous tous les angles et l’illusion fonctionne bien, même si le sentiment d’assister à un dérivé de pièce de théâtre peut s’imposer et résister. Corman arrive à dominer toutes ces limites et déploie son ambiance à fond. Tout est très calculé et ‘lourd’ à un degré transcendant la caricature, car simultanément la gravité et l’urgence du phénomène est pleinement ressentie, les personnages intenses.

Malgré sa rigidité, la séance est donc un régal, mais pas armée pour délecter comme le feront La Malédiction d’Arkham ou Le Masque de la Mort Rouge. Corman et son équipe jouent habilement sur la nature ambiguë de la malédiction et le film ne basculera jamais clairement dans le fantastique. Folie ou possession réelle, les deux restent probables : mieux, les frontières sont gommées, surtout grâce au personnage de Lord Roderick et à la prestation de Vincent Price. En tout cas, la maison s’agite anormalement et son identité trouble est révélée, tant par la présence de cette famille d’aristocrates malades que par l’ingénieuse introduction de gimmicks (les peintures).

Corman se permet de verser dans la démesure dans la dernière ligne droite : après une scène de cauchemar bien troussée, il achève le film sur un carnage propre et violent. Cet House Usher sera son premier grand succès public. La Chambre des tortures suivra rapidement, présentant un style assez proche, se montrant bien plus flamboyant. Tous les autres films du cycle Poe seront comme celui-ci des adaptations très libre, Arkham étant même davantage une reprise de Lovecraft.

Note globale 69

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Suggestions…

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