Des films portés aux nues de manière si absolue et anonyme, il n’y en a pas dix par décennies. C’est une regrettable erreur de jugement, mais elle est tellement facile et pratique que sa généralisation est malheureusement une fatalité. Comme dans Inglourious Basterds, Tarantino prend le parti d’opprimés du passé et s’empare de leur souffrance pour habiller de légitimité sa passion pour la violence gratuite.
Le cinéma de Tarantino n’a toujours eu qu’un objet : ré-écrire les films. Et au fur et à mesure qu’il avançait dans sa carrière, Tarantino s’est décidé à ré-écrire l’Histoire au milieu. Le cinéaste-cinéphile est inattaquable parce qu’à ce stade chacun de ses plans est devenu un hommage au cinéma et que désormais il s’attache à de justes causes. Consommées, forcément. Un film de Tarantino est comme une visite au musée, où tout est aseptisé et validé par les instances morales et esthétiques supérieures qui trouvent là l’occasion de s’encanailler enfin.
Grossier (Tarantino n’est pas une lumière et il se laisse aveugler par celles qu’on lui tend) et vulgaire dans ses intentions, son prétexte et ses manières, Django Unchained est moins irritant que son prédécesseur Inglourious. Il est simplement d’un ennui profond et d’une vacuité mortelle, avec des arrières-plans soignés pour occuper la photo, quelques tueries éparses et ponctuelles pour maintenir l’ambiance. Plus calme que d’habitude, relativement dépouillé même, Django adopte un rythme rappelant vaguement Jackie Brown, où Tarantino se faisait plus directement l’héritier dévoué de la blaxpoitation.
Ici, il s’agit d’investir tout un genre, le western, celui des grands, notamment de Sergio Leone, avec bien sûr des citations explicites et des re-pompages criards saupoudrés de longs dialogues plus ou moins ergoteurs et fantaisistes. Mais Django Unchained est un produit de mijaurée, un Rio Bravo grandiloquent et hautain. L’esprit du western en est absent : la virilité, la solitude, l’horizon à conquérir, tout ça n’a aucun semblant d’existence dans Django.
Tarantino préfère les numéros d’acteurs et gags appuyés, multiplie les séquences interminables où lui et son équipe font les malins en dissertant autour de choses anodines et contemplent leur propre vanité, tout en glissant des remarques à connotation sociale ou culturelle primaires. Pour situer le degré de grossièreté, on peut évoquer la BO, composée essentiellement (hors de reprises de Ennio Morricone et Luis Bacalov) de morceaux de rappeurs US et black (les défenseurs les plus grossiers, en plus d’être soumis et instrumentalisés dans les faits, de la communauté afro-américaine aux USA). Voilà la façon de Tarantino de montrer qu’il est du côté des Noirs, de préférence ceux qui émettent un son virulent voir controversé sur le papier, tout en étant parfaitement ingéré par la société contemporaine. Tarantino est une sorte de Nabe, en pire.
Et comme dans Inglourious, il y a nécessairement en face d’odieux méchants à dégommer. Leur mesquinerie est prétexte à des performances censées exalter, tout en demeurant objectivement condamnables – mais l’imminence de la revanche permet de passer malgré tout un bon moment et déjà pouvoir l’assumer. Viendra naturellement l’ultime feu-d’artifice, consistant à retourner le lattage de gueule contre les méchants, de manière plus féroce que jamais. Voilà la catharsis tarantinienne classique, avec son sujet facile et ses protagonistes en toc lustré.
Mais il y a de la nuance dans le cartoon ! Une ou deux, bien sûr que si ! Regardez donc ce bon blanc (l’allemand – oui, il faut réparer la condition de l’allemand après Inglourious) ouvert au progrès de la condition des Noirs. Comme dans American Horror Story, les ordures sympathiques sont au service de la bonne cause ; donc leurs meurtres à elles sont fun, comprenez. Si vous avez quelques vertus progressistes ancrées dans votre cœur, vous êtes un homme cool et transgressif, un bon freaks.
Le cartoon démagogique n’est pas un bon soutien à la cause annexée par Tarantino. Il n’y a pas de quoi reconnaître ses ancêtres héroïques dans Django Unchained. Au contraire, ceux-là sont encore une fois enchaînés, de façon sinueuse et mesquine, puisqu’ils sont utilisés sans être honorés. Si Tarantino avait réellement quelque considération pour l’émancipation des Noirs dans le contexte des Etats-Unis esclavagistes du XIXe, il ne pourrait pas créer de tels personnages.
Le rôle de Jamie Foxx reflète à la perfection cette réalité : Django l’affranchi doit voir sa race et les siens humiliés, chahutés, diffamés en permanence, sans réagir. Parce qu’il n’en a pas l’énergie et parce qu’il est supplanté par sa position. Bien sûr, Tarantino est probablement inconsistant, mais s’il n’exprime pas de positions conscientes (ou alors à un niveau tellement laborieux), il affiche des schémas obscènes de la façon la plus décomplexée. Belle manière de nous faire contempler son cynisme et sa bêtise ; de percevoir l’arnaque aussi, à laquelle on est libre de ne pas consentir.
Note globale 32
Page Allocine & IMDB + Zoga sur SC
Suggestions… There Will Be Blood + Case Départ
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