Tag Archives: OCNI

INK =-

21 Déc

ink

Ink est réputé en tant que film sorti de nulle part ayant finalement acquis une notoriété importante auprès des cinéphiles. Production indépendante, il a connu une destinée impressionnante en devenant l’un des films les plus téléchargés en 2009. Ce micro-budget est l’oeuvre de Jamin Winans et son épouse Kiowa ; Jamin avait été remarqué en 2005 pour son court Spin, mais son premier long, 11:59, n’a pas rencontré le succès et les studios se sont donc désintéressés de ses projets futurs.

Si Ink est une expérience singulière et probablement dépaysante, il n’est pas génial pour autant. Il y a clairement deux temps. Pendant toute la première moitié, Winans veut tout mettre sans rien déflorer et le résultat est assez indigent. Au lieu de tracer un univers, il est dans l’émulsion, l’overdose d’images embrouillées. Dans la seconde moitié, il travaille et éclaircit ses intentions, allège la forme. Originalité et sensibilité clarifiée se conjuguent enfin et Ink devient alors un produit plus attachant.

Dans la galaxie des OCNI, Ink est effectivement un bon compétiteur. Il est plus propre que les travaux étranges d’Iskamov comme Nails, il est aussi nettement moins accrocheur et intriguant. Il faut trop de temps à Winams pour sortir de l’hystérie : pendant toute cette première moitié, le montage n’est fait que de coupes franches et il n’y a pas une scène dépassant les cinq secondes. La seconde ne s’en libère pas totalement, mais lorsqu’il laisse allez ses idées en musique, Winams présente de très jolies scènes (« one two three four »).

Sur le fond, le gros concept n’est pas transfiguré et le mythe taillé pour l’occasion n’est réellement approfondi que lors d’un final hautement lyrique. Certaines influences évidentes se font sentir, comme celle des Wachowski. Souvent Ink l’américain imite Tsukamoto. L’étrange déchirure entre la réalité et celle des personnages n’est jamais vraiment conceptualisée et ne gagne en épaisseur qu’au service des élans sentimentaux du géant au nez difforme ou de ses acolytes. Le jeu sur la lumière et le rythme évoquent souvent une tentative d’immersion simulant le rêve et le jeu vidéo.

Note globale 52

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Suggestions… Sucker Punch + Le Labyrinthe de Pan + Moon + V pour Vendetta + The Conspiracy   

Note arrondie de 51 à 52 suite à la mise à jour générale des notes.

 

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EDEN LOG ***

20 Jan

3sur5  Dans la foulée de Chrysalis et Dante 01 est sorti cet autre essai français radical à l’esthétique audacieuse et la réception catastrophique. Eden Log est le premier film de l’assistant réalisateur Franck Vestiel, réputé dans sa profession et qui a travaillé sur des projets expérimentaux (Blueberry, Saint Ange) ou des produits de genre (Nid de guêpes, Ils) relativement importants dans l’Hexagone, même si là encore leur cote n’est pas flamboyante.

L’immersion dans un certain Enfer fait la force de Eden Log. Aux côtés de Clovis Cornillac, le spectateur se retrouve enfermé sous une montagne de décombres apparemment organisés, contraint d’errer dans ce monde sans fin, avec ses promesses en écho. C’est bien une idée de l’Enfer : un endroit chaotique, cauchemardesque, sans nuance véritable, sans une seule zone d’ouverture et de repos ; sans aucune satisfaction ni aucun possible.

La démarche est radicale, perfectionniste (même si fauchée) et aborde la science-fiction avec une certaine pureté, rappellant Le dernier combat de Luc Besson voir THX 1138 de George Lucas, tout en s’inspirant probablement des travaux d’Aronofsky comme The Fountain ou Pi. Eden Log, c’est aussi le cyberpunk importé et Tetsuo après la fin des temps. Mais si le film est visuellement intéressant et la quête obscure fascinante, sa puissance est régulièrement plombée par la rigidité extrême de la narration.

À son moins bon, Eden Log gomme la nuance entre vice régressif et style extatique façon Stalker. Le vice consiste à s’attarder sur des situations déjà réglées. La dynamique de jeu vidéo s’en trouve anémiée. L’impression d’un aboutissement impossible est illustrée à merveille, elle rend aussi la séance douloureuse par endroits. Le spectateur est plongé dans l’état d’esprit du héros hagard et se noie avec lui dans des séquences comme la visualisation de la mémoire, mais des moments intenses (l’ascenseur) et un lot de surprise (le concepteur, la force vitale, l’arbre) viennent compenser.

Note globale 67

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Suggestions… Necromentia + 28 semaines plus tard + Resident Evil 

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ALICE – SVANKMAJER +

1 Fév

Milos Forman l’a vu et a parlé de la rencontre entre Disney et Bunuel. Alice est le premier-long métrage (1988) de l’artiste multiforme Jan Svankmajer, après une vingtaine de courts d’une originalité affolante. On y retrouve les animaux et marionnettes omniprésents jusqu’à cette période dans ses courts, ainsi que les objets dissidents à leurs fonctions présumées et des assemblages artisanaux (certains de ces monstres sont composés à partir de chaussettes).

Dans la filiation du surréalisme, Alice démarre sur une présentation excentrique, annonçant en fait que ce qui va suivre est l’accompagnement d’un processus introspectif (Kristina Kohoutava alias Alice sera d’ailleurs seule humaine en scène). La petite fille dit : « Alice se dit en elle-même : je vais vous montrer un film. Un film pour les enfants. Peut-être… Peut-être si on se fie au titre. Pour ça, il faut fermer les yeux, ou sans cela vous ne verrez rien du tout ». Par la suite, la parole est rare. Le lapin se libère de sa cage, Alice (qu’il appellera Marie-Anne) le suit, se retrouve dans un champ désert où la terre sèche craquelle. Elle passe par le tiroir de la commode se trouvant là et après un saignement de doigt pas innocent, l’aventure commence, dans les pas de l’empaillé lunatique déambulant avec son horrible ciseau.

En adaptant Lewis Carroll, Svankmajer nous précipite dans un monde totalement inconnu, où les repères du quotidien abondent mais ne répondent plus de façon commune et prévisible. Procédant par emboîtements, la narration soutient cette déroute organisée. À l’instar de Mars Attack, c’est une incursion dans un folklore monté de toutes pièces, trahissant la logique et les références culturelles, qui terrorisera les enfants ou au contraire les enchantera par ses transgressions et son onirisme fulgurant. Tous ces éléments de l’enfance sont transformés de façon fantasque ou sinistre et cette version du conte choisit l’angle de la prise de conscience physique de soi, de la complexité du monde indifférent à nous et de la présence des éléments véritables de la vie : la liberté, la mort autour, la frustration. En même temps, Svankmajer raconte le Pays des merveilles en restaurant son sens, son identité profonde : c’est un rêve, une aventure intérieure et non une cascade de pérégrinations exotiques (angle de l’adaptation burtonnienne).

Si révolutionnaire soit-il, Alice apparaît, aussi, comme une synthèse pour l’observateur averti de l’œuvre de Svankmajer, que tous les nouveaux curieux doivent dévorer. Dans le style et le concept, cette version d’Alice est ainsi anticipée par Dans la Cave, évoque les sensations oppressantes du prisonnier connues avec Le Puits, montre à nouveau le corps comme un fardeau trop volumineux dans une petite pièce à l’instar de Obscurité lumière.

Note globale 81

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BAXTER ++

2 Avr

Baxter est fondé sur un principe extrêmement original, puisqu’il met en scène, avec le courage ultime du premier degré absolu, un chien dont la bande-son transmet l’intégralité du monologue intérieur. Le bull-terrier Baxter, avec son allure ingrate mais pittoresque, permet un regard totalement étranger sur la banalité : il n’y a rien de plus exotique, fascinant, rien qui remette mieux en question le sens profond des attitudes, des pratiques ; rien de plus révélateur aussi.

Déversant ses considérations existentielles et réactions immédiates, ce chien terre-à-terre est ballotté de maîtres en maîtres, d’abord avec une femme d’âge mûre, puis un jeune couple et enfin, un enfant bien sinistre, archétype vivant de l’ingénieur psychopathe (productif, visionnaire, dominateur et dérangé). C’est pourtant de lui que Baxter se sent le plus proche. Le film opère un glissement de fond du chien observant de très loin le monde vers ce petit garçon étranger à la morale humaine, tous deux  »sans peur ni amour », observateurs orientés vers l’action et la satisfaction.

Magique et trivial, l’ensemble s’inscrit dans un registre de thriller réaliste, émaillé d’échappées fantastiques. Jérôme Boivin a réalisé un film particulièrement audacieux et surprenant. Au-delà du principe, c’est toute son ampleur psychologique qui capture intensément l’attention du spectateur. Baxter parle bien sûr de la condition du troisième âge ; des jeunes amoureux confrontés à la fin de la jeunesse et à la parentalité. Il le fait avec brio et intuition.

Il a également des allures de conte grave, avec des épreuves et des héros manichéens, ou plutôt aux fonctions manichéennes qu’ils ignorent, faibles récipients qu’ils sont. Pour mettre ce monde en marche, Boivin s’affranchit des impératifs conventionnels (c’est un reportage cruellement adulte, un peu à la Angst, où l’humanité se repent d’elle-même) et trahit les heureux repères, comme celui amalgamant l’enfance et l’innocence. Le seul recul moral qui soit inclus dans cette démonstration est une incitation mélancolique à assumer ses instincts.

Note globale 86

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Suggestions… Barracuda + Seul contre Tous + Willard

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HOLY MOTORS +

27 Mar

Le Edward de Cosmopolis a consommé la décadence sans sacrifier les bijoux : et il en profite pour vivre toutes ses vies possibles, en une journée et une nuit. Monsieur Oscar (Dennis Lavant, avec parfois un petit air de Kinski) est un millionnaire déambulant dans la ville grâce à sa limousine, avec l’appui de la sage et dévouée Céline (Edith Jacob). Il se prête mille vies, pas les plus prestigieuses, mais souvent luxuriantes et raffinées, même dans les catacombes ou les trottoirs de nuit. Il se déguise en mendiante répugnante, pratique une motion capture lascive avec une complice tout aussi mutique, conduit un orchestre d’accordéon dans une église. Il retrouve ses doubles qui parfois le tue. Et pendant ce temps la limousine avance comme un vaisseau, un convoi vers le sommeil ; avec escales et morceaux de mondes choisis au programme.

D’une certaine manière, c’est un film à sketches, avec la succession de rendez-vous auxquels s’ajoute quelques autres séquences. Leo Carax façonne une mise en scène terrestre, où se pressent les révélations existentielles, les moments de fatalité ou d’expression radicale. C’est exactement ce que recherche son héros. Il y a toujours un sens métaphorique soigné et renforcé dans ce défilé de scènes bizarres, mais le film ne cherche pas à se justifier explicitement, se contentant, dans le champ du degré zéro pur, de déclarations d’intention prônant « la beauté du geste ».

Le synopsis officiel signe d’ailleurs les tenants et aboutissants revendiqués, énonçant les notions-clés qu’on retrouvera pendant le spectacle (le « moteur » et « l’action »). Holy Motors peut sembler gonfler artificiellement un propos, mais c’est plutôt qu’il en néglige la pertinence, pour lui préférer sa traduction loyale et dès lors, carrément fantasque. Le film se place a aussi une dimension patchwork, s’immisçant dans tous les genres (avec des références manifestes, par exemple au Cabinet du docteur Caligari) comme Monsieur Oscar s’invite dans tous les mondes (le voilà avec sa fille associable), voir les fabrique si nécessaire (le lit de mort avec une confesseuse de circonstance).

En dernière instance c’est un film arrogant, déversant sans prendre de précautions l’imaginaire de son auteur, mais sans crisper car il exulte. On peut penser à la démarche de Jodorowsky sur La Montagne Sacrée, encore que celui-là ait quelques intentions claires et didactiques. Holy Motors n’avoue rien mais montre tout. Il célèbre l’artificialité significative du cinéma (son héros ne vit que comme acteur), sans aucune pédagogie mais de façon entière et généreuse. Voilà un trip communicatif et virtuose, mais pas moins opaque (et certainement léger dans le fond) pour autant.

Note globale 74

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Suggestions… Hôpital Brut

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