LES RAISINS DE LA COLÈRE +

22 Déc

raisins colère

Sauf pour le final, Les Raisins de la colère est l’adaptation fidèle du livre éponyme de John Steinbeck, sorti un an avant et vainqueur du Pulitzer. The Grape of Wraths suit la famille Joad dans son exode vers la Californie et se réfère aux crises des années 1930 suivant la Grande Dépression. Il montre les conditions sociales et matérielles dans lesquels ces gens humbles sont plongés. Souffrant des effets de la sécheresse et de la crise économique, ces agriculteurs se retrouvent proie des promoteurs immobiliers et sont jetés hors de chez eux.

Leur situation est partagée : les Joad connaissent les déchirements propres aux déracinés et déclassés. En même temps ils partent avec l’espoir de trouver une nouvelle place au monde et peut-être même un avenir meilleur. John Ford s’est engagé un an plus tôt dans le western avec La charge fantastique et va devenir le maître du western classique, livrant des produits souvent mielleux : Les raisins de la colère entre en totale dissonance et est bien plus profond, montrant l’ampleur de son talent et de sa sensibilité. John Ford est effectivement plus intéressant lorsqu’il réussit à alléger le poids des studios sur ses épaules, mais il n’en demeure pas moins l’otage et le serviteur, même pour son Liberty Valance, avant-dernier western plus complexe et réglant son compte à l’Ouest mythique.

Les raisins de la colère apparaît donc comme son film le plus engagé, voir subversif compte tenu de son populisme. Non seulement il désigne les opportunistes utilisant la crise, mais en plus il accuse la loi d’être à leur service. Il va même jusqu’à montrer les agitations organisées pour flouer les populations et les engager dans des petits énervements stériles dissipant leurs légitimes colères. La crise exacerbe la laideur des hommes et l’ouvrier venant détruire la maison des Joad pour le prochain propriétaire n’est qu’un exécutant cynique. Les différentes puissances, publiques et privées, abusent ouvertement de la crédulité ou du désarroi des gens. Le point de vue critique n’est pas seulement économique ou social, il est aussi moral et sociétal.

Le film évoque l’éclatement de la famille avec alarmisme et est relayé par Jane Darwell, matriarche lucide. L’attachement à son lieu d’origine est valorisé et combiné à l’humanisme de Ford, dont les films jouent sur une fibre tribale mais pacifiste. Dans sa carrière, ses expressions ethnocentriques sont des maladresses (La charge héroïque) et sont corrigées (Les Cheyennes) : il s’agit du cas des Indiens d’Amérique, sur lesquels Ford porte un regard plein de bienveillance et de paternalisme, même s’il reste réducteur ou aussi pertinent qu’un Sartre ouvriériste. De plus, un homme est envisagé comme « un petit morceau de la grande âme commune » et ce genre de propos est en décalage total avec l’idéal du self-made-man et une société fondée sur des principes individualistes.

Une profonde confiance anime également le récit, cette même confiance permettant de tempérer la pauvreté objective et les inquiétudes raisonnables face à l’évolution de la société ; ainsi les Joad trouveront sur le chemin une bonne âme, un bon patron, installé lui-même, relié à une terre et franc. Il y a une volonté de ne pas s’abandonner au pessimisme ni d’entrer dans un conflit musclé, en travaillant de façon ferme et paisible à l’harmonie. La hiérarchie sociale en elle-même n’est pas remise en question, mais le fantasme d’une absence d’intermédiaire entre le directeur et les dirigés, entre le sage et la masse, donne du sens à cet ordre spontané, issu de la tradition et assurant à chacun chaleur, sécurité et maturité.

Ce conservatisme social et profondément humaniste est une expression remarquable de l’héritage catholique, confession à laquelle Ford souscrit. Il en donne une vision authentique, puisant dans son imaginaire et l’actualisant, à contre-courant de l’image prédatrice ou répressive souvent donnée de cette religion. Si la candeur propre à cet idéal demeure présente elle aussi, le film la dépasse par sa lucidité absolue et l’intelligence de son écriture. La tolérance et la foi dans la rédemption sont au cœur du film et le héros est un ex-pénitencier, sorti grâce à une remise de peine. En dépit de cette situation et des frayeurs des commères à son passage, c’est un homme bon et éveillé. Cette idée que les circonstances peuvent pousser un homme à de mauvais comportements sans écorcher pour autant son âme est également au cœur du Fils du désert avec John Wayne.

Note globale 83

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

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