MERCI POUR CE MOMENT *

4 Avr

2sur5  Neuf mois à peine après sa rupture avec François Hollande (consommée en janvier 2014), Valérie Trierweiler publiait aux Arènes le témoignage de ses neuf années de concubinage avec le Président le plus ramolli depuis René Coty. Les résultats sont fracassants : ‘tout le monde’ a son avis sur le sujet, les médias n’en peuvent plus de relayer les ‘informations’ du livre, les retombées politiciennes sont assez importantes (notamment à cause de l’expression des « sans-dents » attribuée à l’ex-premier secrétaire du Parti Socialiste) ; enfin, les chiffres des ventes sont astronomiques (meilleures de l’année avec plus de 603.000 exemplaires, devant Fifty shades of grey et le dernier Musso, Central Park). Merci pour ce moment est le torchon enflammé de son temps.

Le style est quelconque, la qualité générale faible, même si le niveau reste décent, au niveau d’une série de notes impulsives ou de mails recueillis. En revanche le livre est complètement déstructuré, le plan certainement bâclé s’il a existé. Sauf anecdotes (ou mise à quai sur la fin), il n’y a jamais de nouveautés au fur et à mesure, de montée ou changement de ton. Les répétitions sont courantes, dans les réflexions, à l’égard de François et son caractère, ou ce qui ne pouvait plus tenir. De plus, le ton outrancier et la composition d’une multitude de petits blocs ne permettent pas toujours de maintenir le divertissement. Ces trois cent pages virulentes, souvent putassières et toujours ‘grasses’ ne sont pas faciles à avaler ; la chose se fait tout de même en quelques rafales, grâce à l’amoindrissement par la fatigue, les médicaments ou l’usure de ses médiocres échappatoires habituels.

Si le livre peut nuire à François Hollande voire à la classe politique dominante du moment, c’est de manière finalement bien superficielle. Ce qu’il génère de plus flagrant, c’est de la gaudriole empoisonnée, salissant Trierweiler elle-même – à moins de la considérer, avec ses écrits, de manière particulièrement candide et complaisante. C’est d’ailleurs bien possible puisque le niveau de langage et d’esprit est exclusivement émotionnel, le filtre toujours personnel. La lecture amuse et assomme : elle inspire surtout une certaine consternation, voire de la pitié. Comme toujours lorsqu’elle gère son image, Trierwieler met l’accent sur ses valeurs de gauche ‘partageuse’ (la gauche poussiéreuse et puant du bec, mais toujours stockée dans les rangs du PS) et fait dans la surenchère populo, en dépit de l’image de nantie qui lui colle à la peau depuis qu’elle est affichée publiquement auprès d’Hollande.

Et l’ex-première dame (jamais intronisée – c’est la première  »squatteuse » sous la Ve République) n’est pas malhonnête lorsqu’elle s’acharne à casser cette représentation : c’est une ambitieuse plutôt qu’une héritière. Elle n’a donc pas la décence ni le respect des formes des croulants établis, ni la conscience de classe dont elle se repaît, ni le respect des symboles et des combats de ses camarades de surface (qui eux ne l’ont jamais reconnue). Trierweiler c’est l’arriviste superbe pointant à gauche, n’ayant au fond que les démonstrations humanitaires et les origines modestes pour asseoir un engagement politique artificiel, tenant plus de l’étiquette voire de la ‘carte de secours’ en cas de confusion. Le parcours personnel de Trierweiler est aussi dense que ses vues politiques vulgaires et approximatives. En lisant Merci pour ce moment, on est moins tenté de croire à un étalage de mensonges qu’à la mise en scène exacerbée d’une ogresse avouant sa part d’innocence pour mieux punir l’adversaire, amadouer le chaland et désarmer les critiques.

Pour arriver à ses fins, Trierweiler essaie de se faire passer à l’écrit pour un modèle plus intense et résilient de la mégère affable ; une femme ordinaire et émotive, simplement engagée dans des processus exceptionnels, face auxquelles elle déploie ses forces (cette puissance manifeste qui rend dérisoire les aveux de fragilité, humiliants s’ils étaient seuls). Peu importe la sincérité, le résultat est crédible et pathétique. Le livre regorge de moments grotesques (surtout ceux où la femme agitée est postée devant un amant taciturne et indifférent) aptes à nourrir une romcom d’une tristesse et d’une platitude hilarantes. Souvent en s’écartant du récit pur, les généralités imbéciles s’accumulent. Bouger avec passion et doper sa carrière ne laissent pas beaucoup de temps pour mûrir ses pensées, surtout lorsqu’on est une femme de tripes et de cœur ? C’est à un point tel que Manuel Valls et ses réactions paraissent modérés (d’ailleurs, ses deux apparitions donnent l’impression d’un type sincèrement ‘droit’, au moins dans son manège intérieur).

Ce coup-de-pouce n’était sûrement pas prévu (et pas nécessaire : Manu est positivement plombant lorsqu’il passe à la télé, on en oublierait presque les déviances de son gouvernement), mais il faut réaliser qu’Hollande en profite aussi. Sauf pour la mégère aux idées courtes, le crétin limité au réactif ou le sous-idéaliste soucieux de se blottir dans un cadre mental coutumier et ronronnant : les principaux acteurs de ce livre en sortent presque ragaillardis. Certes, par le bas, par le vil, comme de médiocres croque-morts ou flambeurs de comédies. Mais l’apathie systématique d’Hollande face à sa compagne, son cynisme toujours tempéré par cette compulsion à protéger sa propre paix et sa situation (et parfois des scrupules d’allure enfantine) ; toute cette froideur et ce conformisme las le servent. Loin du bouffon joyeux (‘monsieur petites blagues’ chef de cantine) immortalisé par les Guignols (la satire de gauchistes ‘gentils’ et fatigués sur Canal+), il apparaît plutôt comme un pseudo-roi fainéant vif d’esprit et pauvre en ambitions pour son pays : un passager loyal assurant le service minimum pour se maintenir, dans sa vie personnelle comme à la tête de l’État.

Si on a jamais éprouvé pour lui d’estime ou d’intérêt particulier, le personnage inspire une pitié cordiale ; il peut même réjouir comme le ferait un méchant navrant mais efficace dans une fiction grossière. Valérie elle-même peut plaire au fond, flattant autant les instincts animal du lectorat s’identifiant à la bo-beauf impériale cachant une ‘vraie’ femme, les attentes mesquines des vicieux en général et des nobodies en particulier, mais aussi cette fibre compassionnelle un peu sordide qu’on peut éprouver envers les semi-délirants (authentiques ou chiqués) tendance attention whore en train d’exécuter leur numéro. Merci pour ce moment est un glaviot efficace, fougueux et nullement perfectionniste, rapportant à merveille la banalité de ces gens vulgaires en vadrouille dans la cour des grands : ces méga-notables, traditionnels et épris de dépassement ‘propret’, cristallisant et réalisant parfois les fantasmes débiles et so cool imprimés par les médias de masse (les exaltations sur le couple Obama – au moins Martine n’aurait pas ce genre de fixettes, ou liquiderait la comédie en moins de temps qu’il n’en faut pour classer une interview ou planquer un ‘cadavre’).

En fermant le livre on se dit que Valérie n’est qu’une fille rentrée dans les hautes sphères sans avoir rien à y faire, sans avoir les lunettes pour capturer des informations politiques sérieuses, ou l’énergie de les décoder – la faute à son focus ‘people’ (c’est de là qu’elle vient en tant que journaliste, de là qu’elle a abordé la vie politique) plutôt qu’à une éventuelle incompétence intrinsèque. Malgré les nombreux déballages privés, il n’y a pas d’affaires ou d’intérêt politique ‘dur’ ; sauf peut-être avec les petites révélations du dernier chapitre sur l’engagement d’Hollande (son entrée en politique forcée et contrariée par Ségolène, son rapport au mariage pour tous). Mais là encore, ce n’est que cuisine et arrière-cour ; c’est le poids des intrigues romanesques accompagnant les grands acteurs de l’Histoire, ne la stimulant que dans l’œil des hystériques obsédés par la tapisserie.

Note globale 40

Page Goodreads, Babelio  + Zoga sur SC

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