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LE LIMIER =+

25 Déc

Dernier film de Joseph Leo Mankiewicz (le Cléopâtre de 1963), son chef-d’œuvre pour la plupart des adeptes de ce cinéaste américain dont la particularité est la prépondérance des dialogues, au détriment de l’action spectaculaire au sens hollywoodien. Le Limier n’en est pas moins un film de gadgets. Fantaisie en huis-clos, Le Limier est un tour de manège dialectique et pratique entre deux hommes : un noble exalté et l’homme qu’il a commandité pour exécuter chez lui un cambriolage. Andrew Wyke (Laurence Olivier) touchera l’assurance et se débarrassera de son épouse Marguerite, dont Milo Tindle (Michael Caine) est l’amant. Cet aventurier aura les moyens d’entretenir Marguerite et tout ira pour le mieux, chacun à sa place.

Dans un premier temps, tout consiste à préparer le crime dans les moindres détails et à appliquer les méthodes savamment étudiées. Le doute s’insinue à un degré supérieur et naturellement un grave rebondissement surviendra, pour créer une spirale aux contours incertains. Est-ce un snob aux occupations pittoresques ou un dissimulateur anxieux ? Est-ce un otage, un arriviste ou un envahisseur ? Le spectateur est amené à s’interroger avec les deux hommes à l’écran et s’implique dans leurs plans et leurs mises en scènes. Il en résulte un divertissement très mental, entre la comédie verbeuse et le thriller décontracté – mais pour combien de temps ? Le Limier se nourrit de ces attentes et ces projections, toujours récompensées et relancées.

Mankiewicz parvient à éviter l’usure et jamais la machine ne faillit. Dans cette avalanche d’artifices très drôle, les mécanos de la fourberie expriment une certaine manière de concevoir l’individu. Pour Andrew Wyke, c’est un pion plus ou moins élaboré, disposé à croître ou soigneusement rangé dans la fosse par son genre social (les étrangers ridicules, les policiers débiles, les pirates du fisc, les racailles à l’énergie vitale si insignifiante). Pour Milo le parvenu maladroit, tout ça n’a rien d’un jeu et le riche vaniteux croyant s’exposer sans crainte verra bien si sa notion de la hiérarchie est valide face à un témoin de la réalité concrète. Ce policier de 1972 a eu un remake en 2009, avec Michael Caine, côté châtelain cette fois.

Note globale 70

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SOUND OF MY VOICE =-

4 Déc

sound of my voice

Imaginant l’infiltration d’un couple de journalistes dans une secte, ce film américain sorti en 2012 s’est taillé une réputation modeste mais positive ; et intriguante, même s’il n’a pas su attirer les foules (il ne sort pas en salles en France). Par son programme, c’est un petit film divertissant et ambitieux. Son absence de génie et d’originalité va le tenir à l’écart d’une prise de hauteur sur son sujet. Le déroulement est exagérément prévisible et il n’y a aucune graduation entre les événements.

L’évolution dans la perspective des infiltrés est quasi nulle en-dehors du double retournement convenu. Les grandes lignes sont là pour entamer la route avec les armes de base, puis tout élan est cassé car ramené au conflit idiot : d’un côté, il faut montrer la nocivité des sectes et leur bêtise. La prêtresse de service tient des discours anti-intellectuels, appelle ses fidèles à oublier qui ils étaient pour se fondre dans le groupe canalisé par les soins de sa doctrine, use de sophismes assez violents afin de justifier l’aberrant.

D’un autre côté, il faut douter, montrer que la prêtresse croit bien à ses bullshit et peut-être même, qu’elle a raison ; Peter porte cette charge, intello ruminant humilié par Lorna et en totale remise en question. C’est le seul symptôme mis en avant dans le film et il est tenu à un niveau aussi confus que son état manifeste, le minimalisme et l’apathie du regard en plus. Sound of my Voice ne pas loin. Dans tous les domaines, il emploie des pancartes et recule, allant jusqu’à régresser vers les situations de couple dignes de telenovelas, où là encore il s’en tient à des déclamations très définitives et généralistes.

On dirait un film forgé sur un diagnostic-slogan ; assorti d’un « mais peut-être que » trimbalé avec une fausse discrétion perpétuellement surlignée. Au pire, toute cette mise en scène est nourrie et motivée par le petit twist ending éventé. Alors il faut préparer la petite pirouette et en chemin aligner les petits passages obligés. Au mieux il s’agissait de raconter une nouvelle un peu piquante à décorer avec un bon sens saupoudré d’objectivité de premier de la classe rachitique. Et la nouvelle n’avait pas vocation à être étirée.

Note globale 42

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LE RÊVE DE CASSANDRE =+

31 Oct

Sorti entre Scoop et Vicky Christina Barcelona, le cru allenien de 2007 est l’un des plus mal-aimés. C’est même un des rares opus où la critique est prête à lâcher le névropathe new yorkais. Il faut dire qu’il est d’un abord assez trivial, avec des flottements dans l’écriture se répercutant sur la pertinence de personnages secondaires. Malgré sa nonchalance Le rêve de Cassandre s’avère une virée maline, lucide sur ses tourments. Il est un peu brouillon mais entretient la force des premiers élans, leur naïveté payante, pour raconter une tragédie contemporaine ancrée dans un monde crûment réel et palpable.

Ce n’est pas si fréquent de retrouver des gens socialement normaux (classe moyenne anglaise), aux caractères limpides et vraisemblables, alors que l’enjeu est lui-même social et économique. Les deux frères interprétés par Farell et McGregor sont des trentenaires en pleine expansion, du moins ils y aspirent. Ils sont donc tournés vers les affaires matérielles, où ils ont tout à prendre bien que déjà quelques bricoles à perdre. On parle sans cesse d’argent, d’investissements, de réussite relationnelle, d’image sociale, de propriété. Les retrouvailles avec Howard seront un ticket potentiel vers la prospérité. Cette initiation ressemble à un choc de la vie plus profond que celui de l’entrée ou la sortie de l’adolescence ; c’est le moment où le jeu se découvre vraiment, où le pilotage de sa vie s’apprivoise et se négocie, dans un couloir entre le règne de la foi pure et celui où la nécessité dicte l’ordre et la morale.

La modestie du film lui profite ; il s’agit bien de raconter, remonter toute la sombre entreprise, faire résonner les voix autour. Le rêve de Cassandre ne refait pas le monde, il en prend acte : comme pour ses protagonistes, il accepte les contraintes et dompte les situations ; il laisse ses sujets se débrouiller avec la morale et lui tourner le dos, sans prendre lui-même position. Le point de vue est cynique et mobile. Globalement la synthèse fonctionne bien, à quelques redondances près. Et surtout le spectateur est exposé ; jouer les tueurs à gages, même pour un one shot, c’est une chose étrange pour des types normaux, des flambeurs se voyant déjà loups froids ou bons petits chefs de famille.

La subtilité manque souvent et jusqu’à la rencontre avec le fameux oncle Howard, les défauts de ce mauvais Rêve sont accentués : montage (sonore notamment) à la hache, enchaînements d’idées oscillant entre pachydermique et décousu, poignée de dialogues carrément niais et amphigouriques (la comédienne). Pourtant la séance est déjà prenante à ce moment-là : si l’état des lieux est lourdingue, c’est parce que sa richesse se dispute à sa grossièreté. Les acteurs sont excellents, les deux têtes d’affiche trouvent des costumes à contre-emploi les rendant bien plus passionnants qu’à l’accoutumée, Tom Wilkinson (Gerald de The Full Monty) et Clare Higgins (Julia de Hellraiser) sont remarquables malgré leur fonction d’une moindre importance.

Note globale 66

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L’ORIGINE DU MAL +

6 Mai

Un des meilleurs films où le méchant est une victime entourée de vermines plus rassasiées. Des mystères et compétitions relatifs à la naissance et la filiation, une grande fille intimement et apparemment perdue mais fondamentalement solide et prête à tout, un patriarche bourgeois infect doublé d’un demi-obèse désinhibé, des combats de lesbiennes en prison, des secrets, impostures et jeux de dupes, des appétits égoïstes et de la frustration omniprésentes, une violence perpétuellement différée ou transformée nourrie par le ressentiment lui-même soutenu par l’inaptitude de chacune à prendre le large… le tout servi par une mise en scène et un casting ne craignant ni l’excès (ces split-screen sont probablement grossiers, s’avèrent utiles) ni le ridicule (à force le bluff et l’hypocrisie sont toujours drôles) ou les transitions bizarres (Stéphane hébétée face à une révélation… puis un chien de garde) ; je n’avais pas besoin d’une liste si fournie pour être séduit.

Pourtant à l’ouverture on sent les clichés du film social en embuscade, couplés au polar français commun déjà indiqué par l’affiche stylistiquement cheap et chabrolienne. Très vite on est plongé dans un doute stimulant car on se sent débarqué dans ce tableau ordinaire comme le ferait un cafard écrasé dans la vie mais déterminé à retourner vers la lumière ; comme si l’affreux et ingouvernable de Seul contre tous rassemblait ses esprits (ce qui consiste à liquider les ruminations et tous les produits de la conscience) depuis sa chambre miteuse pour rejoindre le monde avec une composition décente. Le jeu de Calamy est d’abord un peu saoulant (et suspect, mais de maladresse de la part de l’actrice) tant on nous la présente comme une pauvre gourde malmenée et toujours prête à faire des efforts pour se faire pardonner sa gaucherie ; puis rien ne paraît plus juste et spontané que ce ‘masque’ pour une victime réelle dont la condition (pleine de limites) contre-indique toute sorte d’interaction directe (car elle est en position de faiblesse et car sa déconstruction identitaire s’est imposée avant qu’elle aborde le monde social).

Cette manière de se présenter toujours sinueuse et vulnérable s’accorde avec un tempérament ‘inhumain’ et des aspirations affectives finalement peu élaborées (c’est une machiavel avec des désirs enfantins), avec peu de tendresse ou de haine envers les gens – elle est un pion dans un monde de pions souvent plus forts mais plus naïfs qu’elle. Or la manipulation est la meilleure arme d’une victime donc celle-ci charme les femmes, se soumet aux supérieurs, pour obtenir ce qu’elle veut – elle s’avilira volontiers tant qu’on ne l’empêche pas de prospérer, ce qui signifie, dans son cas et à ce niveau de croissance, prendre une place stable (en gardant cette petite dignité de façade, qui la rend si manifestement humble). C’est pourquoi dans les premiers instants elle entre en conflit avec la domestique tout en semblant (et en ‘étant’) neutre voire trivialement bienveillante dans cette relation : elle vient pour la place du parasite ou du vampire en échange du rôle de soutien. Qu’elle occupera le plus candidement et probablement servilement tant qu’elle sera acceptée, logée à tous degrés – il ne s’agit même pas d’amour, encore moins d’affirmation de soi, à peine de sécurité financière, c’est avant tout une recherche de bien-être.

Si on vient pour l’intrigue, on sera probablement diverti comme espéré ; mais si on vient pour des rebondissements concernant la nature des individus, alors on risque de trouver le suspense faible une fois l’essentiel éventé. Cette Origine du mal est une comédie de mœurs – une comédie sombre. Verbalement elle en fait le travail, avec ces dialogues où chacun s’applique à casser l’autre, sèchement ou en douceur ; aussi avec le personnage de la vieille, si ordinaire et élitiste même dans son extravagance. Elle se voudrait épanouie dans la mesquinerie mais n’est qu’une variation dorée de rombière au foyer pleine d’amertume ou de femme lésée, négligée, se donnant des allures de vieille pute insoumise pour effacer le désespoir charnel et moral qui crève les yeux et gêne un peu. Mais le plus drôle reste les pauvres interventions pour tempérer ou faire bonne figure de cette ‘Stéphane’, ces phrases toutes faites et cette politesse exagérée usantes en première instance, mais aussi savoureuses que pathétiques lorsqu’on réalise que cette tempérance compulsive n’est qu’une façon de paraître saine et inoffensive tout en s’économisant. D’ailleurs sous stress, son pilotage automatique déraille ; la réponse (reptilienne) qu’elle apporte à sa partenaire lors d’une scène finale est proche de celle donnée par la créature de Creep. Le caractère sous cette carapace a un grand pouvoir de fascination : celui d’une petite vipère prolétaire capable de réaliser ce qu’une personne trop pleine de sa dignité ne commettra jamais.

Écriture 7, Formel 7, Intensité 8 ; Pertinence 7, Style 7, Sympathie 8.

Note globale 82

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Suggestions… Irréprochable + Le jardin des délices + Seules les bêtes + Parasite + Inexorable + La Cérémonie + 8 femmes

LE MENU –

23 Avr

L‘intérêt de la manœuvre est laissé en suspens… jusqu’à la sortie ; entre-temps sont ajoutés des ingrédients qui ne serviront à rien, ne font qu’intriguer ou animer… ou simplement meubler ? Car en conclusion il n’y avait même pas des fausses pistes, mais du pur remplissage (incroyablement balourd et opportuniste comme ce poignardage par l’employée sexuellement abusée par son patron) ; un méli-mélo piochant parmi les clichés de thrillers de la dernière quinzaine. La suggestion magnifique en conclusion (il faudrait savoir apprécier les choses simples ?) est un comble du foutage de gueule. Y a-t-il plus snob que ce genre d’oeuvres opaques, dont l’ambition manifeste et l’étrangeté n’ont d’autre but que flouer et intimider le chaland – qui aurait l’audace de passer pour un arriéré en rejetant ouvertement ce film ?

Hormis la curiosité et l’attentisme dans lequel il nous plonge, ce Menu n’a rien pour lui : il est invraisemblable et inutile, peuplé d’individus apathiques aux caractérisations infantiles, son humour absurde et sa médiocrité puent la prétention et le cynisme paresseux, le chef est une sorte d’Hannibal sado-maso sur-vendu qui mériterait le goulag tant il se donne pour peu tant d’importance. Je sent ce film comme une expérience ‘sociale’ type Funny games ; l’invitation à fuir lancée aux hommes otages plaide en ce sens, puisqu’à la fin le chef lance à la bourgeoise lasse qu’ils n’ont jamais été retenus – bien que ce soit hypocrite, comme l’invitation à fuir qui relevait de l’invitation à être la proie d’une chasse à l’homme expéditive.

Le film se plaît trop à saboter tout ce qui viendrait l’élever dès que l’effet d’un retournement a été consommé (comme il termine cette scène du sauveteur qui a aimé le film blâmé par le chef, on s’attend à un basculement hargneux… puis les affaires reprennent). Trop de gens le gobent manifestement (car aucun commentaire positif ne semble voir ce que je pointe ici), je suppose donc que de tels ‘exercices de style’ continueront de saturer nos écrans avec l’assentiment de crétins soit demi-, soit sur-, en tout cas cultivés en vain puisque ça ne les protègent pas des blagues vaseuses produites à leur dépens.

Écriture 3, Formel 6, Intensité 5 ; Pertinence 2, Style 3, Sympathie 2.

Note globale 26

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