LINCOLN *

18 Fév

1sur5 C’est un programme transparent de storytelling à la faveur du Président Lincoln et de son combat pour l’abolition de l’esclavage, dont il pris l’initiative pendant la Guerre de Sécession. Spielberg prend en charge la volonté évidente et assumée de donner vie à une leçon de courage politique et illustrer un acquis progressiste à la gloire de l’histoire américaine. Les mauvaises langues et les américanophobes obstinés y verront du patriotisme déguisé, c’est leur erreur, technique certainement et éthique peut-être : justement, l’oeuvre cherche à cultiver cette noblesse d’esprit et cette fierté d’une Histoire. Malheureusement elle se fourvoie et s’attache à montrer une saine vague égalitaire que ne sauraient brimer les esprits rigoristes et les meutes mal éduquées. Lincoln pourrait flatter l’idéalisme socio-culturel et stimuler l’égo d’une nation, celle présumée de la liberté, en sublimant ses valeurs : il en sortirait tout à fait valide et louable dans l’intention, et ce serait à chacun de se positionner vis-à-vis de cette possible fanfaronnade organique. Mais son orgueil est ailleurs : l’entreprise Lincoln projette un saut de conscience pour se l’attribuer en retour, suspendre le jugement critique et surtout, plus grave, taire les contradictions d’aujourd’hui en procédant à l’OPA sur un label progressiste au service de la dépolitisation et de la déculturation (d’ailleurs, à la marge, le film se fout pas mal d’Histoire et de vérité).

Le traitement du personnage éponyme est fidèle à cette lâcheté et cet opportunisme insidieux. Lincoln y est une absolue baudruche, une âme vierge au service d’une image et d’une volonté vaporeuses. Daniel Day-Lewis apparaît nonchalant d’un bout à l’autre, dans le corps de l’homme sûr que les choses se feront ; en-dehors de sa réforme téméraire, aucune fulgurance, jamais un mot du cœur, un trait d’esprit ou un discours enflammé. C’est le roudoudou centriste, pragmatique et bon, raisonné et tourné vers l’acceptation. En d’autres termes, le sage moribond, affecté mais suffisamment cantonné à la surface (des éléments du monde extérieur comme de lui-même) pour ne jamais être pénétré réellement.

Même lorsqu’il touche aux enjeux et postures sérieuses, Lincoln s’inscrit unilatéralement dans le roman de l’Histoire ; de la même manière que la politique et les acteurs publics aujourd’hui se délivrent par le biais du roman plutôt que par celui de la décision ou du rapport de force ouvert. Spielberg ne livre rien d’autre que le roman de la réforme ; l’idéologie y est totalement subordonnée, c’est un pantin qui fait guise de prétexte ou d’illustration grandiloquente, selon la séquence, les besoins ou l’envie. A ce titre, le personnage de Tommy Lee Jones, le « republican radical » Thaddeus Stevens, campe le seul personnage exhaustif. Idéaliste et battant, volontiers paradoxal, il marie cynisme et activisme, apparaît comme un démocrate condescendant et simultanément le promoteur de l’égalité devant la loi, se montre dissident dans l’esprit et légaliste dans l’attitude. La manne iconique du film, c’est lui ; alors que Lincoln, le médiateur affable, est trop neutre pour stimuler la passion ou l’attachement, trop adapté cependant pour ne pas réunir les suffrages.

Tout entier consacré à valoriser une posture morale drapant ceux qui s’en approche de courage, Spielberg dans son emphase rétro-active ignore les nuances de l’Histoire ; au point d’oublier de faire des Noirs eux-mêmes un des moteurs de leur propre émancipation. Le fossé est considérable : alors que le film de Spielberg se confond en mythes passés et s’attribue des vertus acquises par d’autres et admises par tous aujourd’hui, jamais le produit ne se penche sur son sujet. Il s’agit de consacrer ces braves réformateurs dans lesquels il est bienvenu et aisé de se projeter. Le sujet, lui, n’est que l’otage de cette hagiographie de l’intelligence et de l’esprit éclairé des masses (au moins celles illuminées, agenouillées et suspendues devant « le progrès » de confort). Et alors le film réussit effectivement à refléter l’histoire américaine, y compris celle en mouvement : la cause des Noirs est le meilleur cache-sexe de progressistes d’étiquette, falots en tous points et dans toutes les circonstances.

C’est le parfait film pour l’humble homme lissé du quotidien, au racisme inconscient et à l’anti-racisme inconséquent, qui pourra célébrer son libéralisme vertueux tout en tenant un brave égalitariste sur sa gauche, histoire de posséder une bonne et teigneuse conscience à disposition et se flatter de ses idées, sans non plus s’y sacrifier au cas où on irait trop loin. Pathétique bouffonnerie lustrée et boursouflée, par une industrie de conservateurs masqués prêts à s’engager dans la défense du petit personnel, tant qu’il est et reste invisible.

Note globale 29

Page Allocine

Note ajustée de 29 à 28 suite aux modifications de la grille de notation.

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8 Réponses to “LINCOLN *”

  1. 2flicsamiami février 18, 2013 à 09:26 #

    Si je suis d’accord sur le fait que ce film aurait dû aller plus loin dans la nuance (peut-être renforcé cette opposition que tu soulignes dans ta critique, à savoir l’activisme enflammé de Stevens et le coté pépère de Lincoln), il n’en demeure pas moins un beau film.

    • zogarok février 18, 2013 à 13:14 #

      Ce n’est pas seulement la nuance, c’est bien la nature du propos qui me pose problème. Sur le plan social, conceptuel, politique. En soi et hors-contexte c’est un joli film.
      Pour cette dualité entre Thaddeus & Abraham, le premier me semble être la caution « polémiste », affiliée au grand manitou, mais à la marge du pouvoir afin de le maintenir à l’écart de trop de risques, trop d’enfantillages peut-être. C’est une méthode on ne peut plus opportuniste et, politiquement, de « centriste » (le progrès avec nous, mais pas en nous – s’agirait pas de s’engager) pour les pires raisons.

  2. selenien février 18, 2013 à 19:46 #

    Wouah t’es vraiment dur… Pour moi c’est le meilleur Spielberg depuis des lustres… Son raccourci sur les causes de la guerre est dommageable, c’est sans doute bavard mais les ambiguités de Lincoln sont bien rendus, les dialogues ne sont jamais superflus et DDL est une fois de plus époustouflant… 3/4

    • zogarok février 20, 2013 à 23:10 #

      Je le sais trop bien… Je ne suis pas fan de Spielberg et sceptique sur son « retour » des années 2000s, notamment son approche de la SF : il y a eu méprise à son sujet, ce n’est pas le visionnaire qu’on nous a vendu. Pour « Lincoln » et si les dialogues sont assez incisifs, utiles au moins, le film reste à la surface ou dans les combats de chiffonniers.

      Félicitations tu as déposé le 1000e commentaire !

  3. film streaming février 21, 2013 à 09:00 #

    T’es un peu dure quand même, je trouve qu’il l’a quand même réussi son film, il est un peut trop bavard, les scènes de combats sont trop peu mais c’est surtout un film politique et quand on a fait le deuil de l’action, le film est digeste.

    • zogarok février 21, 2013 à 17:30 #

      Bonjour ; pour un message promotionnel (à moins que ce soit un masque ?), vous avez fait beaucoup d’efforts. Pour ça je vais cyniquement le valider (et puis il n’y a pas de raison de ne pas « faire du chiffre »), même si je n’ai pas tellement parlé… d’action pour « Lincoln ». La perspective de se réduire au champ politique était un gros atout pour me convaincre justement, mais il aurait fallu une démarche réellement politique, pas un catalogue aussi ostentatoire.

  4. arielmonroe février 24, 2013 à 12:23 #

    Un article dur et imprévisible, et ce n’est pas le premier. J’ai beaucoup aimé le film. Je m’attendais à ce qu’il soit bien reçu ici aussi, je me suis trompé. Je comprend les arguments « contre » mais pour moi c’est plus à rapprocher d’un documentaire que d’un film de combat. C’est peut-être pour ça que Spielby a pas mal négligé de nombreux aspects. Il raconte une histoire sans faire trop attention à ce que cela veux dire. C’est vrai que la défense d’un ancien acquis peut avoir l’air opportuniste si à côté de ça, il n’y a pas de réel bagage idéologique, ni de subjectivité. Je dois bien dire qu’en écrivant je relativise un peu mon enthousiasme parce que je n’avais pas tenu compte de ces aspects… oui mais le film reste un bon moment à explorer les arcanes du pouvoir et l’arrivée d’une grande réforme historique et pour ça, il a un intérêt, même si c’est très classique et qu’on peux trouver ça pompeux. Il faut entrer dedans et suivre les analyses sans trop se poser de questions.

    • zogarok février 26, 2013 à 13:57 #

      Un docu-fiction opportuniste, à la pensée politique puérile et démagogue, socialement hypocrite et condescendant. C’est un film pour se donner un label « progressiste » et soupirer sur ce peuple qui ne comprend rien – alors que nous, au contraire, nous comprenions tellement bien la marche du progrès (alors qu’en vérité nous ne faisons que soutenir UNE réforme isolée et que cette seule initiative nous permet de nous draper de noblesse).

      Je me suis déjà exprimé en détails sur le film, ici ou sur un ou deux autres blogs ciné.

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