YOJIMBO / LE GARDE DU CORPS +

4 Mar

À partir de Rashomon, Kurosawa touche un large public, au point d’être ponctuellement intégré à Hollywood à la fin des années 1960. Cette décennie marque un ralentissement des productions (après les hyperactives années 1950), pour des opus au succès retentissant. Parmi eux, Yojimbo/Le garde du corps, seconde création des Kurosawa Productions. Son influence sera considérable, sur le western comme sur le film de sabres, au Japon et à l’étranger. C’est un paroxysme de violence physique explicite (mais sarcastique) chez Kurosawa, ouvrant la voie à la mise en scène de samouraïs cyniques et à des représentations sophistiquées de la barbarie.

Inspiré de romans de Dashiel Hammett et de La clé de verre, Yojimbo se déroule au XIXe siècle (à la fin du shogunat Tokugawa) et est centré sur Sanjuro Kuwabatake, interprété par Toshirō Mifune (collaborateur précieux depuis L’ange ivre). Au fil de ses pérégrinations ce rōnin fait étape dans un village près d’Edo (future Tokyo), pris en otage par les luttes entre deux clans. Indirectement Sanjuro va voler au secours des habitants. Il pactise avec les deux groupes, les trahit et confronte, au bénéfice d’une population jusque-là terrorisée par les querelles entre deux commerçants et leurs armées personnelles, faites de mercenaires et de vauriens. Sanjuro agit moins par charité, même si c’est bon à prendre, que pour se tenir en forme et toucher quelque gain. Là où un héros opère, il n’y a qu’un virtuose sinistre alliant plaisir et challenge pour conserver la santé.

Car malgré ses engagements et les nécessités, Sanjuro est toujours en mesure de passer son chemin ou d’éviter les combats. Le véritable danger dans un monde corrompu est l’engagement moral ; ainsi il paie cher le moment où il cède. Pour avoir délivré une femme et mère, il finit en prison ; pour ses agressions, il obtient le respect, attire des portefeuilles (quand il ne force pas la main) – et accessoirement, réveille l’espoir pour toute une population. Par là Kurosawa confirme et nuance son pessimisme anthropologique galopant depuis le crasseux Donzoko, ainsi que sa défiance envers les autorités féodales ou leurs équivalents contemporains, comme le signait le précédent opus Les Salauds dorment en paix. Sanjuro est un antihéros remarquable : vertueux dans ses résultats malgré ses moyens et son absence de foi.

En cela Yojimbo est comparable pour les japonais aux ‘films noirs’ (nommés ainsi ultérieurement) pour les américains, quoique son personnage central ait des mérites : c’est un sale type positif, quand les américains accumulent les égoïstes mesquins et les falots ombrageux. Ce Sanjuro sera au cœur d’autres films, notamment de Pour une poignée de dollars (1966, avec Eastwood) reprise très fidèle (qualifiée parfois d’imitation) par Leone. L’italien lançait alors la série de films qui allait quasiment engendrer le western spaghetti et régner sur ce sous-genre, dernier sursaut du western en général, façon la plus teigneuse et superbe d’enterrer ses formes et ses lignes classiques. Yojimbo aura aussi une influence plus directe sur les films d’aventures en général, tout en bousculant les codes du chambara et des films de samouraïs.

Il connaîtra également un autre remake, hollywoodien celui-là (le blockbuster Dernier recours avec Will Smith), ainsi que des décalques bâtards et un cross-over avec Yatoichi : Kurosawa entre bien dans le cinéma populaire (et flirte avec l’exploitation), même si les difficultés arriveront bientôt (dès Barberousse). En attendant Yojimbo aura également sa suite, Sanjuro, où le personnage éponyme offrira cette fois ses services à des apprentis et non à de vulgaires civils. En troquant les trognes patibulaires de Yojimbo pour un groupe juvénile et propret, Kurosawa signait son ‘film de commande’, effectué à partir d’un scénario remanié pour l’occasion. La condamnation de la violence prend le pas sur la mise en scène de celle-ci : la fréquentation des bons petits fait prendre conscience à Sanjuro de l’imbécillité de toutes ces rodomontades. Bien qu’il aille au bout du propos de Yojimbo, ce second opus tient du dérivé au rabais. Feutré sur les considérations graves, il est lourdaud dans ses énoncés comme dans son humour.

Note globale 76

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario & Écriture (3), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (4), Originalité (5), Ambition (4), Audace (5), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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