LES HEURES SOMBRES **

13 Avr

3sur5 Darkest Hour est un biopic efficace, capable de susciter la joie et l’indulgence, sans intérêt documentaire. Il ne ment pas ou jamais de façon flagrante. C’est une représentation idéaliste, au sens où elle veut tirer la réalité vers le haut, en trouvant des arrangements pour éviter de la nier carrément (à l’instar de Churchill lui-même concernant les informations à transmettre au public). Pour peindre un chef charismatique bien que faillible et lointain, c’est une réussite. Le contexte devient presque dispensable, même s’il est scrupuleusement respecté pour et dans la forme. C’est aussi un film partisan de l’effort – de guerre, de cohésion, d’enthousiasme ; presque un hommage à la ferveur militante et grégaire dans l’absolu, en outrepassant les motifs clivants.

Le film sait balayer les différentes échelles, se référer aux manigances de partis, à la place des personnes. Aucune interaction avec les décideurs étrangers n’est à l’écran, à l’exception d’une délégation française au champion mal bâti. Le déroulement est habile et conventionnel, on laisse une petite place aux antagonistes. Les pacifistes ou Conservateurs hostiles tiennent le mauvais rôle mais ont le droit de placer, très vite, leurs arguments (la petite sentence sceptique du vicomte d’Halifax au moment où Churchill est acclamé unanimement au Parlement est une souillure dérisoire).

L’exercice, ici comme en général, n’est pas exempt d’admiration béate, donc d’un certain esprit de servilité, ou du moins d’enfant optimiste et confiant. Les enjeux le justifient mieux que pour Pentagon Papers (où l’absence de toute ‘crise’ dans le regard est le plus grave). Ce ne sont pas juste les observateurs encartés du pouvoir ou les représentants de ces derniers qui tremblent et sont en effervescence ; la nation est menacée et l’avenir complet du (‘Vieux’) continent dépend de sa réaction. Darkest Hour prend sa part de larbinisme mais celui-là est positif, sert la communauté, donne au minimum l’illusion d’une cohésion, d’un destin historique incluant les forts comme les faibles, au profit d’un ‘quelque chose’ qui les dépassent – le commun des mortels s’évite une prison de plus et ses dirigeants visibles gagnent une entrée dans la légende et une multiplication anormale en démocratie de statues à leur effigie. The Iron Lady sur Thatcher est également loin, car Darkest Hour reste concret et sur-politique (ou politique au sens fort du passé). Il n’a surtout pas besoin de sublimer son champion, qui a déjà la popularité et le bilan en sa faveur (pas la peine de faire un grand plongeon façon Nixon de Stone, il n’y aurait que de la frustration et de l’incompréhension à récolter).

Ce film constitue donc une propagande bénéfique à un niveau global, idéologique, comme à un niveau restreint, portant sur une page précise de l’Histoire à faire fructifier. Avec Dunkerque de Nolan, sorti l’été précédent, il apporte un témoignage favorable au Royaume-Uni concernant son rôle dans la seconde guerre mondiale. Avec l’escapade de Churchill dans le métro, un certain populisme libéral ou de doux centriste atteint son paroxysme. Dupont-Aignan était le cœur de cible de ce film et voilà qu’on utilise les arguments d’Alexandre Jardin (ou de Kociusco-Morizet quand elle a retrouvé la forme). Il y a même un noir cultivé pour clore la réplique pendant une citation de Hamlet (de quoi soulager la BBC).

En contrepartie, Churchill a ses faiblesses. C’est un homme parfois buté, même renfrogné, pas toujours éloquent, rattrapé par le doute, capable de perdre de sa force y compris celle des convictions. Il ment par pragmatisme et parce qu’on lui souffle que c’est préférable (sa femme notamment : « Il y aura un temps pour la vérité »). Il semble sentir le devoir d’y croire, mais le franc-tireur sous le fonctionnaire n°1 s’en veut (il est revenu des Libéraux peu avant de devenir le locataire du 10 downing street – un de ces détails cités et peu étayés dans le film). L’effet du pouvoir est souvent négatif sur lui. On voit plutôt son poids – autrement dit, il est absout de ses fautes. Au départ il apparaît plus ouvertement méchant, puis est secoué par l’ampleur de sa tache et de ses engagements. Son impulsivité d’abord aggravée se trouve mieux cadrée. La narcotisation la dissipe probablement – elle doit avoir boostée son image pour la postérité (il est bon d’aimer un « petit porcelet » impérial et généreux, par rapport à toutes ces figures sèches et manifestement autoritaires). L’alcoolisme et l’exhibitionnisme font partie de ces défauts qui au fond n’en sont pas tant, surtout s’ils appartiennent à une personnalité énorme ou brillante.

Note globale 58

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (6), Casting/Personnages (7), Dialogues (7), Son/Musique-BO (6), Esthétique/Mise en scène (7), Visuel/Photo-technique (7), Originalité (5), Ambition (8), Audace (5), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (7), Pertinence/Cohérence (6)

Ennea : Tritype 874 (‘Le messager’). Le 8 et ses deux ailes sont visibles.

Note arrondie de 60 à 58 suite à l’expulsion des 10×10.

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