ONLY GOD FORGIVES +

8 Août

Jusqu’au-boutiste voir suicidaire, c’est probablement un film malade ; en tout cas un véritable petit film-monde, une bulle autarcique, alliant thérapie flamboyante et projection des sensations occidentales sur l’Orient. La réception a été désastreuse pour cet opus surgissant après le Drive sacralisé. Cette histoire de vengeance autour de Bangkok en Thaïlande a plus à voir avec Valhalla Rising qu’une nouvelle hagiographie de Ryan Gosling.

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Les intentions de Only God Forgives sont explicites. Malgré une écriture subtile (la trilogie des Pusher), Winding Refn ne filme pas de scénarios (sauf peut-être dans Inside Job) ; il plonge dans les entrailles de ses personnages, se laisse guider par des fantasmes animés, a foi par-dessus tout dans les idées. Avec férocité, il manifeste dans Only God cette volonté d’ancrer les émotions et les situations au travers des symboles (renforcée par la collaboration avec le chef opérateur de Eyes Wide Shut) ; tout est en place pour la convergence vers la représentation parfaite. Les scènes paroxystiques se succèdent ; on peut y voir du vide, il n’y a pourtant qu’à sentir tout ce qu’elles exultent. Les personnages sont précipités sur le ring et à chaque instant nous partageons leurs vertiges ou cédons à leurs caprices.

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C’est naturellement l’œuvre stylistique ultime ; différente du portrait à la Bronson et de son euphorie notoire, elle montre un chemin vers le renoncement et la sublimation. De son archétype de mutique, Winding Refn ne fait qu’un héros inexpressif, témoin d’une mythologie qui l’écrase et dans laquelle il cherche à se fondre… et qui pourtant, toujours, le renvoie à sa coquille impuissante. Les véritables piliers du film sont Chang le justicier jouant les prolongations (Vithaya Pansringarm) et la mère de Julian (Kristin Scott Thomas, plus sexy et torturée que d’habitude, toujours en Cruella blasée), sorte d’associé condescendant, d’accompagnatrice défaillante, tutrice désincarnée et démoralisante, malgré son sens de la famille. Derrière eux Ryan Gosling s’efface, tout dépendant qu’il est face à ces deux figures d’autorité, ces monstres enragés et mélancoliques, chacun à leur façon, gérant leur sortie de piste. Only God Forgives a l’ampleur et la solennité outrancière d’une tragédie grecque ; et tous ses protagonistes s’y trouvent impliqués, par un glissement défiant notre attention, mais s’amarrant logiquement dans nos esprits.

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On peut détester Only God Forgives. Toujours est-il qu’on tient avec Winding Refn un formaliste au talent inédit, soumettant l’écrin cinématographique avec une témérité et un goût du cauchemar sur pellicule équivalent à celui de David Lynch ; peut-être, avec la fureur explicite, la violence et le romantisme, plutôt que l’étrangeté et le sacrifice pur, pour différence fondamentale.

Note globale 81

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10 Réponses to “ONLY GOD FORGIVES +”

  1. Voracinéphile août 8, 2013 à 01:02 #

    Valhalla Rising is back ! Refn revient aux affaires tripantes sous l’angle d’un symbolisme puissant, accompagnée d’une bande son toujours aussi entraînante (avec, dans ce cas, une prédilection pour les grosses percussions et les sons métalliques tonitruants annonçant le choc des géants qui va avoir lieu). Léché, minimaliste dans son intrigue et baigné dans une atmosphère immersive, le film qui se fout complètement de nos attentes pour épouser chaque personnage en profondeur. Bien vu pour le chef op, la photographie est magnifique elle aussi, et d’ailleurs, la façon qu’a Refn de concevoir ses plans est parfois très kubrickienne (Bronson en est le meilleur exemple). Un réal au style inimitable en tout cas. Je remarque que tu ne fais aucunement mention de la dédicace à Jodorowsky qui nous avait valu un beau débat lors de sa sortie…

    • zogarok août 8, 2013 à 01:51 #

      C’est juste : aussi vrai que l’influence est inexistante. Pour Bronson, c’est du Kubrick d’accord, dans une version charnelle, bouillonnante : il y a beaucoup de points communs mais le souffle du personnage chasse complètement la recherche conceptuelle.

      « Les affaires tripantes », on va le dire ainsi. Drive aura été une parenthèse. Je suis tout de même curieux de la suite…

  2. 2flicsamiami août 8, 2013 à 10:13 #

    On aime ou pas. Même si j’ai totalement compris le film et son symbolisme, je suis resté un peu en retrait de cette aventure, l’impression que rien ne se passe, que rien avance, alors qu’il y a bien une progression dramatique dans cette aventure. Trop abstrait pour moi sans doute. Cela dit, je lui reconnait volontiers une certaine virtuosité.

    • zogarok août 15, 2013 à 22:04 #

      Je comprend totalement : il faut dire que Winding Refn ne fait aucun effort pour « s’ouvrir » -à part reprendre Gosling. Pour les initiés ou simplement ceux qui sont sensibles à ces voyages extatiques et (bourrins ?), c’est génial. Mais c’est aussi risqué, parce que effectivement, la virtuosité ne fait pas tout. Et c’est peut-être trop autistique (on accroche ou pas très rapidement, ensuite ça ne fait que « couler » dans tous les cas), avant même d’être éventuellement abstrait.

      As-tu vus les « Pusher » ? Je ne peux apporter aucune garantie pour toi, mais ça en vaut mille fois le coup (et c’est un cinéma qui refuse la moindre abstraction).

      Mais malgré mon « mauvais goût » (! – voir le dernier message sur V pour Vendetta), je n’ai que confiance en lui pour l’avenir… pour le voir consacré par le public, j’ai des doutes.

      • 2flicsamiami août 16, 2013 à 08:27 #

        Non, mais il faudrait de toute façon que je me penche un peu plus sur la filmo de Refn avec les Pusher, Bronson et Vahalla Rising. Je mettrais de côté Inside Job qui, si ma mémoire est bonne, ne t’avais pas beaucoup plu.

        • zogarok août 23, 2013 à 01:21 #

          Je pense que « Inside Job » est le pire film qui soit pour découvrir Winding Refn – d’autant plus qu’il est en total décalage avec les Pusher, Bronson & cie. A la rigueur, on peut le rapprocher de « Valhalla Rising »… C’est tout de même un film de qualité (finalement assez génial sur les bords) mais bien trop sec (pas loin de « Sleepwalker »).

          Mon article de l’époque – qui pourrait probablement être corrigé suite à une seconde vision (et j’ai pu être plus dur par principe à ce moment-là) => http://videodrome.over-blog.net/categorie-11918160.html (très drôle, tu y interviens déjà justement ^^ !)

          Bref : vois BRONSON et les PUSHER !! Le reste, c’est à tester ensuite.

  3. NeoDandy août 12, 2013 à 10:02 #

    Un film tout de même très particulier – effet ressenti dans cette critique – où l’appréciation vient surtout après le visionnage. On ne sort pas indifférent suite à la séance, mais tout comme 2flicsamiami, en sortant de la salle, on se dit : « Il ne s’est pas passé grand chose ».

    Les multiples interprétations sont intéressantes; la violence à certains moments est très particulière et, malgré tout ça, on sent qu’il y a des émotions derrière le film.

    De là à l’élever comme un incontournable du cinéma, peut-être pas. Mais il y a de bonnes idées et une impression trop récurrente de vide : dialogues en tête.

    Un esthétique cependant très particulière et … Un parfait « Contre-Drive » : un inverse presque parfait.

    • zogarok août 15, 2013 à 21:55 #

      Un « contre-Drive », carrément… c’est possible, quoiqu’il y ait une continuité dans la BO – et aussi dans certaines séquences de déconnexion (…sur musique électro).

      C’est en cela que Selenie est juste lorsqu’elle évoque ce manque d’ « âpreté », car oui, il se passe peu de choses. Curieusement c’est presque un aspect contribuant à me séduire si fort : d’un côté, le travail de mise en scène ; de l’autre, un scénario minimal, cohérent mais petit, simple. On est là pour voir ces personnages se donner, à un moment où eux-mêmes sont portés par une certaine transe en raison des circonstances ou de leur vocation. C’est comme s’ils étaient auscultés, mais avec emphase ; et ça a toujours été le style de Winding Refn, ça l’était déjà avec les « Pusher » qui mélangeait neutralité absolue, engagement et portrait total, coloré par les personnages eux-mêmes.

  4. selenien août 12, 2013 à 12:21 #

    Beaucoup aimé également mais attention aussi, NWR perd un peu de son âpreté au profit d’un esthétisme qui peu s’avérer, à force, un problème… 3/4

    • zogarok août 15, 2013 à 21:47 #

      C’est partiellement vrai. Il réussit à combiner esthétisme pur et immersion ; et les personnages sont accessibles, le style ne les dissout pas, au contraire il leur rend service.

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