BRONSON ++

5 Jan

Bronson n’est pas un film sur Charlie Bronson, le prisonnier le plus violent d’Angleterre. Ce cas social flamboyant n’a pas grand intérêt et même si Winding Refn est passé le consulter dans sa cellule pour l’occasion, il ne donne rien de ce ‘vrai’ Charles Bronson. Il n’y a finalement que le nom et la référence à l’IRL pour faire de ce Bronson un biopic, pour le reste il est tout autre chose : le portrait d’un narcisse absolu, violent et maniéré, d’une ironie burlesque incroyable (par défaut, entre Lynch et Woody Allen) et d’une franchise divine.

Bronson est un miracle et notamment un miracle esthétique. La BO est employée avec un génie dépassant la notion de bon goût, mêle new wave, classique et Glass Candy. Chaque instant est précis et virtuose, le spectacle a un charme magique sans jamais relever de l’illusion ou de l’artifice vide. Pour Winding Refn, la mise en forme de sa créature passe par un lyrisme total et pourtant distancié ; paradoxe kubrickien, il est donc naturel que le cinéaste se retrouve dans l’auteur de Eyes Wide Shut. Il faut ce genre de fureur glacée pour obtenir une telle complétude et s’attaquer à des sujets si forts que le scénario ou les paroles y deviennent de petits outils dérisoires.

Michael Gordon Peterson a un destin, une vocation, mais il ignore dans quelle voie s’engager pour exprimer ce Moi grandiose. C’est tout le problème du réel : il faudrait s’intégrer dans une case et exceller, or il n’y a pas de sur-mesure. Chaque opportunité mène à cadenasser sa personnalité, avec pour conséquence de galvauder voir gâcher son âme – et pour Bronson, sa puissance, sa virtuosité (plus qu’une vaine prétention au ‘génie’). En vérité, il n’y a pas de possibilités : et comme tous, Michael va filer s’endormir dans une petite vie banale. Et comme les jeunes de sa condition, ce sera pour une existence un peu médiocre, sans les satisfactions de la marginalité ni celles de la richesse, juste une vie plus confortable que celle des miséreux, mais quand même celle d’un petit prolo ; et un jour d’un sous-bourgeois s’il s’est bien fait suer à la tâche.

Ce n’est pas une vie pour un individu avec une vocation. Attention, Bronson n’a pas d’ambition au sens social, il ne cherche pas à obtenir du pouvoir, ne serait-ce que pour se protéger ou jouir aux dépens d’autrui. Son ambition est bien plus profonde et égocentrique : il veut être une forme en perpétuelle exaltation. Il aspire à la célébrité sans le moindre souci de reconnaissance, mais pour renverser la table : il n’a pas à être l’otage de la réalité, c’est les autres qui vont devoir accepter ses conditions ; et s’ils ne sont pas là, peu importe, l’essentiel n’est pas d’épater la galerie.

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L’essentiel c’est de faire de sa vie une œuvre. Bronson est inlassablement en représentation, sacralise les élans de son égo, repousse les limites objectives, triviales mais aussi celles internes ; il est donc un vrai artiste. C’est un méga troll lyrique à ses heures mais il n’a pas de déguisement : la violence est sa voie naturelle, une réponse méthodique et spontanée à la réalité. Elle démontre l’authenticité de ses performances. Il est son œuvre en action, il n’y a pas de masque, les costumes sont soumis à sa volonté, jamais l’inverse. Nicolas Winding Refn a envisagé son sujet, soit le personnage dont on lui avait confié d’accomplir le portrait, d’une façon voisine à celle d’Oliver Stone sur The Doors : le film est une immersion dans la vision du personnage de sa légende en marche, pour laquelle toute son existence est consacrée, presque sans autoriser de déviations. 

Par rapport au Morrison de Stone, Bronson est plus agressif et son identité conceptuelle. Le Bronson à l’écran est un cafard et se vit comme une star. Michael Petterson, le poussif écrin initial, n’était qu’un préambule brouillon à Charles Bronson [que le personnage éponyme considère, textuellement comme son  »nom de scène »]. Les esprits frivoles (ou blasés) disent que la vie est un théâtre ; Bronson ne caresse pas cette idée, il passe sa vie à disserter autour au premier degré de sa personne. Le ton du film est souvent théâtral, le film lui-même s’offre à tous les degrés à Bronson comme l’espace de sa représentation perpétuelle, suivant ses élans où il devient une bête sacrée [les couloirs de la prison, l’achèvement de son body painting], où il se mue en orateur, développant sa pensée, narrant ses exploits fantasmés et effectifs à un public placide (il ne lui prête aucune personnalité), ponctuellement ravi.

Les commentateurs ont souvent évoqué Orange Mécanique à la vue de ce Bronson, en raison de son amalgame de brutalité physique et de raffinement, de sa sauvagerie stylisée lors de séquences bercées par de la musique classique. Bronson n’est pas une œuvre politique ou une prophétie sombre comme ce rapprochement pourrait le laisser croire. Il ne se focalise pas sur la société mais sur un idéal tragique et hilarant de liberté totale (acceptant paradoxalement les barrières : la prison c’est l’endroit où soigner « ses outils »), liberté que s’octroie Charlie en dépit de son absence de ressources, de fonction sociale ; mais aussi en dépit de la satisfaction qu’il pourrait tirer d’une société ordonnée mais relativement permissive. Il n’y a pas de poids moral, de perversions ou de crasses sur ses épaules. Il ne devient pas un criminel à cause des contingences, il ne l’est pas en réaction à une situation d’abus, il l’est simplement parce qu’il ne renonce pas à son idée d’être un artiste.

Aucune contestation d’un ordre établi : la répression dont Bronson fait l’objet est toujours légitime, voir même assez douce, sauf dans le cas de l’internement psychiatrique où il trouve effectivement une réponse totalitaire et sordide. Finalement, si Bronson utilisait sa violence de manière plus structurée, il pourrait cohabiter avec la société, voir lui rendre service. Mais l’artiste ne veut pas prendre le risque de jouer en vain ni d’être perçu pour ce qu’il n’est pas.

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À la fin, alors qu’il est dans une voie sans issue, Charlie excelle dans la peinture. Dès que celle-ci est perçue comme son moyen d’expression dominant, celui par lequel il devrait enfin briller tout en étant accepté par la société, Charlie refuse. Son intégrité est menacée. Il ne saurait être condamné à s’affirmer dans un segment, il n’y serait dès lors plus à l’aise : il est artiste intrinsèque, il n’est pas artiste en vertu d’activités spécifiques. Alors il opte non pour un sabotage (même si c’est en chemin car c’est logiquement impliqué), mais une performance vraie, un dernier coup-d’éclat. Pousser les frontières extérieures à bout, s’afficher, s’approprier la liberté. Pourtant le prix de l’émancipation, c’est l’opposition. L’artiste est un suicidaire sublimé.

Des sommets Pusher 2 et 3, Winding Refn conserve l’énergie, la liberté et une intense empathie pour les personnages marginaux et ambigus. Avec Bronson il s’oriente vers une esthétique plus voluptueuse, glamour et froide, distinguant également ses films suivants, bien qu’ils soient très différents par leurs univers. Il est a-priori très étrange que l’emprunte unique de Winding Refn se distingue aussi bien dans les Pusher avec leur style documentaire que dans Bronson ou Only God Forgives au raffinement extraordinaire. Justement les Pusher, malgré leur manque objectif de manières, touchaient à la grâce et étaient sujets à une certaine démesure formelle. Ce n’est pas tant une question d’effets : Winding Refn met en scène des opéras. Cette chorégraphie des instincts est justement moins prégnante dans ses films plus mitigés, comme Drive ou Inside Job.

Elle exulte comme jamais avec Bronson, objet si fabuleux que Winding Refn pourrait très bien lâcher sa carrière ici. Lorsqu’on accède à une telle pureté, il n’y a plus de justification à apporter. Chercher encore la perfection lorsqu’on l’a tutoyé à ce point deviendrait presque obsolète. Bronson est un spectacle dément, positivement dément. Il n’a rien du film malade ou boursouflé qui échapperait à un auteur dépassé ou en retard sur ses aspirations ; rien du catalogue poli ou même tapageur d’une existence vénérable ou éclatante. C’est un mythe, fabriqué, déroulé, refermé, c’est le biopic de tous superlatifs hallucinés s’il en faut un, c’est pourtant un non-biopic et une vraie démonstration de sainteté. Bronson par Thomas Hardy c’est l’accomplissement des rêves d’un enfant pressé et intransigeant. Et Bronson par Nicolas Winding Refn c’est l’extase dans la clarté, c’est éprouver toutes les émotions positives tout en restant complètement alerte.

Note globale 100

Page Allocine & IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…  Tueurs Nés + Reservoir Dogs 

Note ajustée de 100 à 98 suite aux modifications de la grille de notation.

 

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Nicolas Winding Refn sur Zogarok >> Only God Forgives (2013) + Drive + Valhalla Rising, le Guerrier Silencieux + Bronson + Pusher 3 + Pusher 2 + Pusher + Inside Job/Fear X + Bleeder

 Voir l’index cinéma de Zogarok

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Une Réponse to “BRONSON ++”

  1. Moonrise janvier 10, 2015 à 20:30 #

    Pas un film qui m’aurait inspirée a priori, pourtant je l’ai trouvé marquant, avec un thème qui me touche.
    Comme tu l’exprimes, c’est le portrait d’un artiste atypique, totalement accompli et intègre en tant que tel, qui a fait de sa vie une oeuvre, un happening à grande échelle.
    Contrairement à toi je n’aurais pas dit qu’il faut être blasé ou frivole pour affirmer que « la vie est un théâtre ». J’ai toujours considéré cette phrase de façon plus profonde, plus représentative de ce que tu notes sur Bronson, avec l’idée qu’un tel postulat donne du sens à l’existence, plus qu’il ne la falsifie.

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