UN ETRANGE VOYAGE +

18 Fév

Jean Rochefort interprète un père vivant seul, artiste-peintre à l’écart de sa femme et sa fille. Il est très lié à sa mère, qu’il s’apprête à recevoir pour un jour et une nuit : sur le chemin, elle vient à disparaître. Aucune trace ; les autorités habilitées sont un peu dépassées, les investigations tournent court. Sa fille, Amélie, une révoltée, réfractaire et pragmatique à la fois, resurgit dans sa vie. Ensemble ils partent à la recherche de la vieille disparue ; ce road-movie là sera l’occasion d’une mise au point, d’un tri : un cordon vivant meurt, un fantôme cesse de gâcher la vie d’une jeune fille ; et le manque change de camp.

C’est l’une des plus belles réussites du cinéma autarcique de Cavalier (Thérèse, Libera Me). Avec Le plein de super et Martin et Léa, l’auteur a creusé un sillon à l’écart des méthodes et des labels traditionnels. Il cherche à faire des films le plus proche de la perfection à sa propre façon. Pour lui il s’agit de capturer des instants présents et les maintenir vivants pour toujours : il faut forcer l’éternité, si elle ne peut s’auto-engendrer. Un étrange voyage marque un décollage car Cavalier injecte de lui-même, probablement de façon assez irrationnelle ou inconsciente, au lieu de guetter compulsivement (mais posément) dans ses acteurs ces ‘vérités’ et cette ‘vitalité’ si précieuses.

Comme dans Ce répondeur, mais avec une optique beaucoup plus large (ce film expérimental étant focalisé sur le deuil et ses effets) et avec cette fois une altérité, Cavalier puise dans l’expérience, le chaos personnel. Tout en s’inspirant officiellement d’un fait divers, le réalisateur dirige sa propre fille (Camille de Casabianca dans le rôle d’Amélie) et se projette dans le personnage joué par Rochefort (alors que l’acteur lui-même est concerné intimement par l’actualité de Pierre : lui aussi vient de perdre sa mère). Le plein de super était dans l’emphase volage, sans faculté de pénétration, peut-être aussi parce qu’il ne faisait que sonder des brutes ; ici, l’empathie ne pousse pas à se perdre, mais à se fondre.

Préférer un petit nombre à une bande paie également. Ce groupe avait pour effet de maintenir ses membres à la surface : tous les vices du confort les rabaissaient, comme ils anéantissaient l’intérêt du film. Au contraire, Amélie est sur les rails pour reprendre le contrôle et retrouver tout ce qui lui a échappé : elle vient donner son mot et conclure. Pierre, lui, poursuit une défense qui est devenue chimère. Cet Étrange voyage amène ses protagonistes à se confronter à leurs angoisses temporelles, à leur responsabilité devant l’autre, enfin à leur solitude. À mi-parcours, Pierre/Rochefort réalise « c’est formidable d’être le présent » ; il croit pouvoir n’investir qu’en lui, or ce temps où le présent lui appartient est compté.

Parce qu’il vit ses dernières heures « calé » entre sa mère et sa fille, il vit ses dernières heures d’homme insouciant, persuadé (ou en mesure de se leurrer) d’avoir toute la marge nécessaire pour construire, sûr de n’avoir rien à léguer, aucune conclusion à tirer ; sûr d’échapper au définitif et à sa propre fin. Cet Étrange voyage est celui des procrastinateurs sommés, par les circonstances, de s’arrêter et s’engager. C’est le moment aussi de prendre du recul sur sa propre existence, envisager son absurdité (l’accepter sera pour une prochaine fois) sans aller dans les parodies de sérieux alentours, mais en entrant tout de même dans sa propre vie ; pour Amélie, dégoûtée par son histoire, avaler et recracher ce monde n’a soudain plus tellement de sens.

Le dispositif a ses défauts et ses pesanteurs, surtout lorsqu’en dépit de son aspiration profonde, Cavalier tend à vouloir démontrer. Il souligne trop fort même si dans l’air flotte encore ce parfum de spontanéité, cette illusion de mouvement sincère, indompté. Notamment, ces longues minutes s’achevant sur une pleurniche face caméra, pendant lesquelles la gamine s’empiffre piteusement, affalée devant son frigo (car se construire et se remplir seul est une bonne école, mais les pics de fatigue et de désespoir sont intenses). De plus, certains acteurs secondaires sont plutôt mauvais (en particulier Besnehard, pas aidé et pas crédible) : heureusement, hors de Pierre et d’Amélie, il n’y a que les figurants de leurs vies.

Note globale 76

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions… Loulou/Pialat 

Scénario & Écriture (4), Casting/Personnages (4), Dialogues (4), Son/Musique-BO (3), Esthétique/Mise en scène (4), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (4), Ambition (-), Audace (-), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (4), Pertinence/Cohérence (4)

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