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MINI CRITIQUES REVUS (1)

5 Fév

Tous les films que j’ai vu depuis que j’ai ce blog (donc un an et demi avant Sens Critique), notés en-dessous de 9, qui n’avaient pas eu les honneurs de critiques. Pour certains elle restera envisageable (des films marquants ou importants, de quelque manière), mais ils sont une petite portion.

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8 et demi *** (1963) : Auto-analyse de Fellini, projeté dans le réalisateur dépressif interprété par Marcello Maistroianni. Cet opus est très proche de La Dolce Vita (le tournant subjectiviste de sa carrière), avec le même type d’humanité : des membres de la haute société, celle du luxe et pas concernée par les responsabilités, jamais étouffée par le devoir ou la conscience.

Pendant deux heures en noir et blanc Marcello/Fellini déambule entre sa réalité et ses fantasmes. Ses rêveries ont une orientation nostalgique et souvent érotique. Sa femme (à lunettes) n’a que des interventions pesantes, elle lui ressemble peut-être trop et n’apporte ni plaisir ni réconfort – c’est un repère désuet. Elle forme un contraste avec le harem largement imaginaire (parce que peu vécu et à tout juste articulé mentalement comme tel) de son mari.

Fellini démontre un art du clip et de la fantasmagorie ‘adulte’ notamment au début, avec la scène d’ouverture et celle en musique autour de la réception d’aristos. Le film contient quelques moments de génie très ‘publicitaires’. Son visuel magnifique a sûrement été pris régulièrement comme modèle, dans les arts liés à la photographie. Les dialogues fourmillent de fulgurances sarcastiques ou spirituelles. Les amateurs de Barbare Steele la verront heureuse de prendre des coups de fouets – le cadre a changé mais son personnage a bien été importé. (64)

Vu le 6 août 2015 et revu sur Mubi le 30 septembre 2017.

Ça – Il est revenu ** (1990) : Téléfilm en deux parties ou ‘film’ de trois heures. J’en avais vu les premières minutes (ainsi que d’autres bouts), desservies par l’interprétation féminine. La mise en scène est lourde et efficace, expéditive et proche du grotesque dans les moments cruciaux. C’est loin d’être l’incurie sur le plan horrifique ou des idées photographiques (Tommy Lee Wallace était déjà la réalisateur d’Halloween III et Vampire vous avez dit vampire). En revanche le film manque d’épaisseur, de fluidité dans les relations. Il peut être une bonne expérience pour les enfants et notamment pour un premier film d’horreur. (54)

Vu des morceaux de la première moitié à la télévision vers 2008.

Les Anges gardiens ** (1995) : Comédie hystérique, avec Depardieu/Clavier dans un double-cabotinage ; plein d’ellipses au risque de l’absurde (une des fins les plus précipitées), du Poiré. Avec un bêtisier médiocre à la fin. J’aime même si c’est fait à l’arrache et sûrement prémédité au minimum possible. Si vous adhérez à un tel truc, essayez Les Gaous (qui pousse le bordel épileptique à un niveau ‘inédit’) ou La Vengeance d’une blonde (meilleur). (62)

Vu une fois enfant, revu en 2017.

Les délices de Tokyo * (2015) : Avec Les filles du Moyen Age, c’est un des deux films que j’ai vus dans l’année (fin décembre) mais pas critiqué (faisant de 2016 la première et seule année où je n’ai pas tenu le principe). Un troisième film entrait dans cette catégorie, mais je ne l’avais pas terminé : le coréen The Strangers.

Bien que le départ soit relativement encourageant, je confirme ma non-adhésion à ce film. Et la note si basse qui par rapport aux moyennes a l’air d’une provocation, ce qui me dépasse d’autant plus que, si je ressens du négatif envers ce film, je ressens surtout peu de choses. (32)

Vu en VOST le 26 décembre 2016, revu en VF en mai 2018.

L’empire des sens ** (Japon 1976) : Présenté dans une version restaurée en 2016. Aucunement excitant et plutôt répugnant dans ses scènes explicites (entre les micro-pénis et les touffes du passé). J’avais trouvé l’approche triviale malgré un côté pompeux, c’est confirmé. Depuis heureusement j’ai découvert Tabou (et Il est mort après la guerre).

La seule scène un peu satisfaisante et plaisante est celle où une fille, tenue par plusieurs autres, se fait enfiler un oiseau en bois (juste avant la danse de Gangnam Style version papy à l’EHPAD). Concernant la passion même charnelle et plus encore les sentiments, ce film manque d’authenticité et d’intensité, jusqu’à ce qu’il ait tout déblayé autour du couple (donc quasiment jusqu’à cette mise à mort interminable). L’espace est alors trop étroit pour que la psychologie soit encore intéressante, mais les acteurs paraissent crédibles et la volonté de madame l’est certainement.

C’est bien un porno chic, enrobé par un halo de subversion et des moyens inimaginables pour un film ‘bis/Z’ ou ‘d’exploitation’ normal. Évidemment c’est devenu ringard puisqu’il n’y a plus grand chose à subvertir depuis les années 1990-2000 (en tout cas au niveau de ces choses ‘naturelles’ et accessibles au moins en esprit et en théorie par chacun), il ne nous reste alors plus qu’à constater la mollesse de la séance, les béances du scénario, le manque de tenue – sauf sur les divers plans techniques. (56)

Vu une fois vers 2008, revu en juin 2018 sur MUBI.

Tenue de soirée *** (France 1986) : Changement d’avis, même si Buffet froid et Les valseuses planeront toujours au-dessus. Film imprévisible et grotesque, avec des omissions considérables et un dernier tiers rendu plus loin qu’en roue libre. La façon dont Michel Blanc est considéré doit être le plus drôle car le plus déroutant – quelque soit les goûts de l’observateur, son personnage n’est pas ‘beau’. L’évolution des individus est ridicule, leurs aventures invraisemblables, les deux sont jubilatoires. Dialogues et acteurs excellents. Un brillant nanar et une formidable comédie, un parfait film pour alcooliques, conçu manifestement à l’arrache ou avec une certaine négligence pour la charpente. Aussi un film remarquable sur le cocufiage et ses variétés. (72)

Vu (incomplet) une fois vers 2009, revu en août 2018.

Cendrillon **** (U 1950) : J’avais mis 7 à mon arrivée sur SC, partagé entre enthousiasme et scepticisme fondés sur des estimations lointaines. J’aime effectivement, suis probablement plus sensible aujourd’hui au mauvais chat, plus enclin à aimer les souris et les petits animaux, mais la grosse souris maladroite est toujours aussi répugnante – je souhaitais sa mort bien que ce ne soit pas dans l’esprit de Disney.

Le culte du prince charmant, l’éloge des petites filles sages et pures sont bien là et pratiqués à fond ; si le premier mérite effectivement révision, le second n’est pas si horrible – la morale de Cendrillon a ses vertus. Sauf sur cette rêverie de fille à marier, mais sur ce plan les ratés sont constants : dans La Valse dans l’ombre comme dans Blanche-Neige, les ‘princes charmants’ sont des êtres vides, sans charisme sinon celui d’une publicité pour l’hygiène. La prise en puissance de l’ex-petite fille, sa maturation sans compromissions, est aussi un motif récurrent mais ne me semble pas un problème – qu’il en soit un pour celles pétries de regrets de s’être trop ou trop vite souillées, pour celles qui n’auraient pu l’être comme elles le souhaitaient ou pour leurs complices masculins, c’est tout naturel.

Sinon le film est plein de détails charmants et marquants. Sa niaiserie est gracieuse. Les chants de souris en font les ancêtres des Chimpmunks. C’est le point le plus innocent du film, car sa morale effectivement n’est peut-être pas géniale pour les enfants (sans qu’elle soit déroutante comme celle de Peter Pan), car s’en remettant quasiment à la chance, le développement du charme personnel et la ‘magie’ pour sortir de la misère – en même temps, les enfants n’ont pas besoin d’être progressistes et de prendre du recul sur tous leurs fantasmes, pas en esprit du moins. (82)

Vu plusieurs fois enfant, revu en décembre 2018.

Peter Pan **** (U 1953) : Vu une fois enfant, j’avais moins aimé le début dans la réalité et n’en conservais aucun souvenir clair. De nombreux détails me sont parus familiers (la fée enfermée, la capture via les sapins). Représentation remarquable et amorale de l’évasion et de l’imagination, capable de parler aux enfants sans les tenir enfoncés dans la niaiserie habituelle (même si la gamine ‘responsable’ et aimante conserve un peu d’ancrage et de repères). Les enfants méritent de voir un tel Disney plutôt que la majorité de ses alter-egos (trop restrictifs) et de ses descendants (trop criards et débiles). (8)

Vu une fois enfant, vers huit ans, (re)découvert en décembre 2018.

Les Aristochats **** (U 1970) : Un excellent Disney, où le cadre est souvent plus intéressant que le sujet (les chats). Le Paris des années 1890-1910, les virées burlesques, les rencontres (avec les oies) rendent l’ambiance charmante. Beaucoup de scènes burlesques remarquables, principalement autour des deux chiens et d’Edgar. Dialogues relativement bien écrits, même si peu sont mémorables (contrairement à Blanche-Neige, Le Roi Lion ou au Livre de la Jungle, mais à l’instar de Robin des Bois ou même Cendrillon). Toujours peu fan du passage sous les toits de Paris et peu sensible à ces chats bohémiens. (8)

Vu peut-être plusieurs fois enfant, revu en décembre.

Independance Day ** (USA 1996) : J’y avais jeté un œil plus que véritablement ou intégralement regardé. Les effets spéciaux sont d’un niveau maximal pour l’époque, comme les meilleurs de Star Wars Phantom sorti trois ans après et également produit par la 20th Century Fox. Les aspects mélo sont ni brillants ni affligeants. Mais combiné au patriotisme et aux échauffements de la dernière riposte, ils multiplient les longueurs. Le véritable problème de ce film me semble donc être cette dernière partie et tout l’ennui précédant la grande attaque. Elle-même en sort gâchée, tandis que le quota de bêtises ‘l’air de rien’ et des autres défauts sont exacerbés – le président devient grotesque, heureusement le mec avec la VF de South Park a le bon goût de bien torpiller l’emphase du délire. Des trucs un peu niaiseux ou invraisemblables, comme prévu, pas dans des proportions atypiques ni trop choquantes. Les péquenauds sont plus cools et musclés que dans Mars Attacks où ils sont transformés en beaufs à la Deschiens. Le président est un tocard pendant les deux tiers au moins – son administration en sait voire en peut davantage. Ceux qui dénoncent sa sanctification supposée ne sont pas au clair – il n’y a que sa virée finale pour véritablement le flatter, pour le reste c’est un membre de la team America comme un autre – c’est bien cette normalisation du personnage qui devrait plutôt être questionnée. (54)

Vu une fois partiellement il y a une quinzaine d’années, revu en avril 2019.

Violette Nozière ** (France 1978) : Une ado de 18 ans jouée par une actrice de 26 comme dans les fictions au campus dans les années 1990. N’étais plus sûr de l’avoir vu et sûr de l’avoir vu superficiellement, confusion possible avec Une affaire de femmes. Pas étonnant tant le point de vue est attentiste, la séance presque contemplative : Chabrol ne sait pas couper ni hiérarchiser. Le père semble mal relié à sa fille, le choix de Carmet et Huppert après Dupont Lajoie où il violait ne saurait être innocent ; mais même dans les relations tout reste bien flou, on en connaît la nature qu’aux deux tiers au maximum, pour certains cas (l’amant), pas même la moitié pour les parents. Comme d’habitude Chabrol donne dans la sous-satire sans beaucoup d’humour contre les bourgeois, l’ordre établi (les féministes peuvent inscrire cet opus sur leur liste des ‘récupérables’) – et comme d’habitude il en fait sûrement trop partie pour attaquer ou même considérer sérieusement la chose. Un film pour ceux qui aiment les ambiances d’époque, à condition qu’ils n’aient pas des espérances de spécialistes ; sinon, pour les acteurs. (56)

Vu une fois superficiellement, [re]vu en juin 2019.

Walkyrie *** (USA 2009) : Sur la tentative d’assassinat d’Hitler par des haut-gradés allemands en juillet 1944 (la dernière des quinze connues de la résistance allemande d’après le carton final), quand la guerre tournait en défaveur du camp de l’Axe. Mise en scène classique et technique plutôt luxueuse. Perd de sa force et de son intérêt avec le lancement de la mission. Focus un peu neuf sur une page de la ‘grande guerre’ mais c’est encore de l’Histoire proprette et héroïque – sans tomber dans la pure figuration de service public. Finalement un film à suspense éventé foncièrement manichéen (une main de la lumière et du Bien tendue vers l’Allemagne), sans à-côtés baveux et sans trajectoires intimes très étoffées. Un épilogue plus humain et moins grave aurait été préférable – Carice Van Houten (deux ans après Black Book) n’est même pas reconnaissable car, comme l’ensemble des personnages secondaires, elle ne sert qu’à refléter une ou deux émotions. (64)

Vu une fois dans de mauvaises conditions en 2009, revu en juillet 2019.

Comment j’ai fêté la fin du monde ** (Roumanie 2006) : J’en avais aucun souvenir et c’est parti pour se répéter. Un doute subsistait : était-je passé à côté d’un tableau profond, car quelques détails relevaient la sauce !? Je me les suis effectivement rappelé (cette prof blonde typique, le vieux tout enthousiaste à la chute du dictateur et immédiatement cassé par la mise à feu tout aussi joyeuse de sa voiture – les ‘copains’ l’ont pris trop vite au sérieux) mais ils ne valaient pas de se pencher spécialement sur ce film. Le film ne présente que des anecdotes et son centrage officiel sur le garçon est curieux, puisque sa grande sœur a un joli caractère et qu’elle meuble bien mieux que tous ses camarades. (52)

Découvert en février 2016 et revu en juillet 2019, toujours sur Mubi.

Bruce tout-puissant * (USA 2003) : Vulgaire et néanmoins bizarre, furieusement débile et niais (dépasse Ace Ventura et ses parties philosophiques ne font que l’enfoncer). Les projections semblent celles d’un petit garçon proche de la mort cérébrale, abruti par ses fantasmes de super-héros. J’avais détesté et décroché après le gag du singe, en était sorti avec un a-priori déplorable [déjà induit par ses pitreries télé] concernant le clown Carrey (corrigé peu après grâce à Truman Show, puis avec Philip Morris) ; finalement ce film n’est pas une des pires choses tournées mais reste probablement la pire avec Jim Carrey. Elle a un pied dans le sentimental et la prêche émotionnelle qui rendent Carrey décalé dans un nouveau et regrettable sens (les flonflons familiaux gâchaient à peine Menteur menteur, passait pour un obstacle allègrement surmonté). Le lien avec Aniston est peu crédible également, même si son personnage est parfaitement vraisemblable. Bien sûr le film oscille entre légèrement et odieusement moche. Les séquences avec ‘Dieu’ Freeman sont trop consternantes pour rester simplement embarrassantes. Pas grand-chose à retenir, le bizutage de Steve Carell surnage à peine, quelques séquences liées aux pouvoirs sont relativement marquantes (la lune, le passage en musique dans la rue). C’était une vilaine expérience avec un arrière-goût sordide. Elle annonce la dérive ‘chamallow’ accompagnant la chute de la carrière de Carrey malgré quelques éclats (comme Eternal sunshine). (28)

Vu partiellement vers 2005, revu en juillet 2019.

L’opération Corned Beef *** (France 1991) : Une comédie grasse et flamboyante signée Poiré avec Clavier, deux ans avant Les Visiteurs et quatre avant Les anges gardiens. On y retrouve les ressorts typiques du cinéma de Poiré, avec ces gags destroy mais aussi des caricatures vaguement mesquines : la grosse avec des scènes assassines et des plans gratuits soulignant sa démarche puis sa tardive prise de conscience (deux costaudes auront un rôle-éclair similaire dans Les visiteurs 2), le dictateur latino. Le couple ‘vieille France’ est moins écorné, on sent davantage de sympathie pour les personnages certes bouffons de Clavier et Lemercier. Jean Reno n’est pas brillant et plombe presque certaines scènes, heureusement l’outrance et la vitesse de la mise en scène l’en empêchent. Tout oscille entre la beauferie adulte et les délires enfantins, la voix de Mitterrand relève du second. On pourrait croire que l’opération fait écho à l’affaire des écoutes de 1982-86, or elles n’ont été révélées qu’en 1992 : dans un autre registre les critiques en feraient des tonnes sur le flair du scénariste ou du réalisateur. (64)ou+

Vu certainement en 2016 ou 2017, revu en août 2019. Peut-être vu plus jeune.

99 francs ** (France 2007) : On y croit un temps et il y a bien des passages potentiellement succulents (la réunion tout particulièrement), mais ça tient difficilement sur plus de 70 minutes. À terme c’est toujours les mêmes problèmes et la même complaisance pseudo-masochiste, vraiment exhibitionniste. On sent cette quête du petit supplément d’âme et de conscience critique pour ces gens-là, les admirateurs de leur milieu, leurs contempteurs hypocrites ou médiocres – puis bien sûr pour tous les autres qui le voudront bien, mais on sort du cœur de cible/noyau dur qui fera la force et l’aura du film. Je reconnaît qu’il y a de la ressource dans cette bête-là mais c’est encore trop ensorcelé par ce que ça prétend dénoncer et à l’image du tour de la fin, c’est superficiel et complètement penaud dès qu’il s’agit de dépasser la provoc ou la posture. (62)

Vu partiellement peu de temps après sa sortie. Revu l’été 2019.

Astérix & Obélix mission Cléopâtre ** (France 2002) : Même si ses atouts au niveau du casting et des décors gardent de leur efficacité, Mission Cléopâtre n’est pas à l’abri d’une réévaluation générale à la baisse. Une grande partie de l’humour repose sur des références anachroniques ; sans surprise celles portées par Itinéris ont mal vieilli. Jamel apparaît comme une sorte de sous-Eric Judor pas drôle. Il n’est pas exaspérant comme il le sera plus tard à cause de la faiblesse des univers autour de lui – quoiqu’il arrive son ‘génie’ n’est pas responsable du succès ou non d’une entreprise ; mais je suppose qu’il peut amuser certains enfants coutumiers de ses réflexes.

Je craignais que placer La surprise de César à peu près au même niveau soit une sorte de snobisme ou une volonté d’originalité opérant à mon insu ; je dois vérifier l’objet lui-même, mais en revenant sur son concurrent, les placer au moins à égalité ne me semble pas tricher. Mission Cléopâtre démarre fort, recycle habilement des éléments secondaires (les pirates), puis à mesure qu’il a posé les enjeux s’épuise. Il connaît une lourde chute après la sortie de pyramide en format bande-dessinée, avec des moments longuets voire assez nuls comme les batailles impliquant Darmon. Le final est assez pauvre et trop centré sur les petites personnes des participants ou du moins leurs personnages sociaux. (58)

Vu en salles à sa sortie et plusieurs fois depuis. Revu pendant le dernier trimestre 2019.

Topaz / L’étau ** (USA 1969) : De jolies scènes (la fille s’évanouissant dans sa robe violette, les grosses manifestations soviétiques), mais des interprétations douteuses, un scénario et un rythme flottants. On peut y voir la contradiction de James Bond mais l’agent principal est un OSS 117 insipide. On assiste à des scènes lentes et laborieuses plutôt que de démonstrations hautement ‘réalistes’. Politiquement le niveau ne dépasse pas la mesquinerie (envers des représentants français) mais il faudrait être un anti-américain susceptible ou un sympathisant socialo-communiste pour en être remué – même s’il est facile de se sentir plus concerné que ces guerilleros mollassons. La partie romance est encore plus fadasse et inepte. Probablement le moins bon de la carrière d’Hitchcock qui approchait de son terme – heureusement les ultimes opus bénéficient de leur relative extravagance – ou vulgarité (Frenzy particulièrement). (44)

Vu une fois en 2014 ou avant, revu en novembre 2019.

Ravenous / Vorace *** (USA 1999) : Malin et bizarre. Palabre sur la transgression et l’égoïsme viscéral, avec quelques sorties brûlantes comme « La normalité, le dernier bastion des lâches ». Une certaine légèreté et ses façons de ‘huis-clos’ interdisent d’aller au bout des ses raisonnements odieux et encourage le flou artistique dans le scénario. (64) 

Vu une fois il y a dix-onze ans.

Inland Empire ** (USA 2006) : C’était le moins bon et le moins stimulant à mes yeux à l’époque, en-dessous d’opus plus classiques ou renommés qui ne m’ont que modérément touché. C’est probablement normal que son réalisateur ait pris des distances avec le cinéma par la suite, tant il semble avoir fait le tour du medium ou de ce qu’il pouvait en triturer (à moins bien sûr de régresser vers du Godard ou du Cavalier). Le style Lynch semble sacrifié au profit de quelque chose de plus ‘cosy’, jusqu’au générique de fin annihilant toute magie du cinéma. Même si aujourd’hui le film se suit relativement facilement, probablement car il rejoint un genre de bidouillages presque courant, il contient trop de redites par rapport aux œuvres ultérieures et seul son mystère trompe l’ennui. (62)

Vu partiellement sinon totalement, pas plus de quatre ans après sa sortie. Revu sur Mubi en décembre 2019.

PARIS VU PAR **

20 Jan

3sur5 La capitale en six épisodes – les grosses têtes de la ‘Nouvelle vague’ prennent chacun un arrondissement. Il faut se coltiner des débuts décourageants. Jean du premier film (‘Saint-Germain des Prés‘ par Douchet) se parle ‘à lui-même’ : voilà toute cette fausseté et cette balourdise de cinéma français ‘jeune et dynamique’ de l’époque. L’introduction architecturale pour touristes est bien aimable mais ce Paris est repoussant (il le sera encore un peu dans les suivants).

Gare du Nord‘ de Jean Rouch, avec Gilles Quéant en tombeur et « roi de la jungle » déprimé, est une bonne petite leçon existentielle – agaçant à bon escient avec ses deux idiots du départ (le mari est un ‘trop bon trop con’ surnaturel en théorie et courant en réalité), elle étant la pire (une hypocrite mesquine et une geignarde) et ça se confirmera. Le troisième, ‘Rue Saint-Denis‘ de Pollet, fait se rencontrer Melki dans son rôle de timide (quasiment le même que pour L’amour c’est gai) et Micheline Dax en prostituée présentable mais au langage sans ambiguïté – une Froide Primaire exemplaire dans la Caractérologie de Le Senne (Amorphe bien entendu, face à un Sentimental timoré). Une bonne comédie.

Place de l’étoile‘ de Rohmer est très bavard et en fait des tonnes en toutes circonstances, mais tout en penauderie – avec une once de burlesque pour relever la sauce. La mise en scène y est plus propre et ambitieuse. Godard à ‘Montparnasse et Levalois‘ joue des petits tours insensés avec sa bande-son (introduire des silences, baisser discrètement le volume des discussions) – ses bidouillages cryptiques et déliés sont aussi plats que cette première séquence pourrie à la forgerie. Le sursaut la concluant et le passage chez le second mécano rendent la chose caustique. Tout ça reste balourd dans l’élocution comme dans l’organisation, franchement bête et trivial une fois qu’on a franchi les barrières du bordel.

‘La muette’ nommé ailleurs ‘Pharmacie La Muette‘ clôt la séance sur une crise familiale bien banale et grotesque. Comme celui de Pollet il se passe en intérieur – bourgeois évidemment, Chabrol trouve encore l’occasion de les moquer, pas en province cette fois et en se mouillant personnellement. La future Femme infidèle est clairement la malheureuse du lot – son cas est même triste car on l’imagine difficilement pouvoir se relever, elle n’a ni l’avenir ni les moyens de son côté, seulement le confort et les médicaments pour s’engluer. À l’arrivée cette anthologie est réussie, grâce à son unité presque garantie et bien que les styles des réalisateurs ne se ressemblent pas.

Notes spécifiques : St-Germain 4, Gare 7, St-Denis 6, Place 5, Montparnasse 4, Muette 6.

Note globale 58

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (5), Casting/Personnages (6), Dialogues (6), Son/Musique-BO (6), Esthétique/Mise en scène (-), Visuel/Photo-technique (7), Originalité (4), Ambition (7), Audace (-), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (6), Pertinence/Cohérence (6)

Voir l’index cinéma de Zogarok

L’ENFER (Chabrol) **

30 Mar

2sur5  Juste avant sa Cérémonie, Chabrol reprend le projet abandonné par Clouzot, L’enfer – auquel un documentaire de Bromberg (2009) sera consacré. Il y infuse un minimum d’idées en propre et choisit de dégonfler le scénario, ou de le laisser à plat. Au lieu de soigner le drame et les caractères il valorise la maladie et les symptômes, mais repousse assez longtemps l’abandon à cette paranoïa masculine.

La première moitié présente une histoire de couple des plus triviales, centrée sur l’anxiété du mari potentiellement trompé. L’aspect est proche du téléfilm (dont la Provence est également une zone privilégiée) sans qu’il y ait de contrepartie. Ce n’est pas rare chez cet auteur, mais Rien ne va plus sera autrement amusant et Au cœur du mensonge aura une plus grande consistance dramatique. La femme jouée par Beart semble d’abord dans la rouerie permanente, même prise sur le fait, ce qui met a-priori le spectateur du côté de son conjoint. Lui est à cran, se défend mal et favorise ainsi la duplicité de ‘la belle’.

Au milieu du film ses fantasmes prennent le dessus sur la vérité. À partir de là cohabitent la parano, où l’image est plus colorée et l’homme semble effectivement cocu, avec des périodes où il apparaît inquiétant et décalé. Le focus sur la psychose de Paul (Cluzet) se fait au prix de la lumière sur cette affaire, car si les doutes ont pris des proportions fantaisistes (où l’ensemble des autres hommes deviennent des concurrents), l’accusation initiale (impliquant le personnage de Marc Lavoine) est encore largement défendable. Cette dérobade conduit logiquement à une non-fin fière d’elle-même, après que cet Enfer ait flirté avec Hitchcock et le clip giallo.

Note globale 48

Page IMDB  + Zoga sur SC

Suggestions…

Scénario/Écriture (2), Casting/Personnages (2), Dialogues (2), Son/Musique-BO (2), Esthétique/Mise en scène (2), Visuel/Photo-technique (3), Originalité (2), Ambition (3), Audace (2), Discours/Morale (-), Intensité/Implication (2), Pertinence/Cohérence (2)

Voir l’index cinéma de Zogarok

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MINI – CRITIQUES : MUBI (2)

4 Oct

Le révélateur *** (France 1968) : Second film (suivant Marie pour mémoire) de Philippe Garrel, à seulement vingt ans ! Tourné en Allemagne immédiatement après les événements de mai 68, avec Laurent Terzieff, ce Révélateur est un opus notable aux rayons ‘expérimental’ et ‘arts & essais’. Il présente un onirisme plus ou moins terrien, domestique et existentialiste ; est probablement bercé de psychanalyse, ou ouvert à la chose.

Autour d’un enfant d’abord secoué voire effrayé par ses parents, traîné par eux dans leurs escapades, les libérant parfois. Leur relation, leurs gesticulations sont un spectacle et une source d’éveil ou de distraction pour lui. Il est au chevet de parents vivant dans la peur, que lui ne comprend pas ; comme eux fuient le monde, lui se détachera bientôt de ces malheurs et ces menaces supposées dont il ne voit que les effets.

Triomphe de l’enfant, de son élan vital et de son optimisme ; sur des parents déboussolés, parfois l’utilisant, à d’autres moments tentés de l’abandonner et se retrouver. (64) 

Les hommes qui marchent sur la queue du tigre * (Japon 1945) : Quatrième film de Kurosawa, entre suspense (besogneux) et comédie (ultra-pudique sauf pour les mimiques). Tout est ultra-appuyé (farces, faciès, symboles), les longueurs s’accumulent, parfois sans raison. Tiré d’une pièce de théâtre, en garde l’esprit et les raideurs obligées, la lourdeur du mouvement. Faible intérêt pour l’espace, sauf au début et via la micro-exception finale.

Resté censuré par le gouvernement d’occupation américain jusqu’en 1952. Clairement le moins bon de Kurosawa vu à ce jour. ‘Tora no o wo fumu otokotachi’ en VO, ‘The men who tread on the tiger tails’ en anglais et ‘Qui marche sur la queue du tigre…’ sur MUBI. (38)

Le lit de la vierge * (France 1969) : Errances froides à rallonge, débouchant sur beuglages de Pierre Clémenti – appelant « mon père » à son secours, car il voit bien qu’il n’arrive à rien. Sinon, divers échecs assortis de cris de terreur, pour illustrer le désarroi du Christ de retour aujourd’hui. Pas de confrontations, pas de séquences avec ou sans moralité, prise de conscience – mais des successions de monologues décalés et de saynètes allégoriques obscures.

Bref, c’est en plein dans ‘l’expérimental’ complaisant avec substrat intello ‘mystique’ – ça en emploie toutes les recettes, jette peut-être plus de mots que la moyenne. Ce qui en distingue plus nettement est le niveau technique – confirmation d’une photo de qualité propre aux travaux de Garrel, après Le révélateur (Michel Fournier déjà à la tâche) et avant Les hautes solitudes.

La recomposition familiale est fidèle : le père est Dieu, le fils et ‘l’homme’ (conscient, émotif, probablement) sont en Jésus. Même actrice pour la (mère) vierge Marie et pour Marie-Madeleine : ohlolo la psychologie des profondeurs est de sortie !

Tourné en Bretagne au début puis à Marrakech. Un peu de musique locale, ou de hippie avec Nico pour le vocal. Au même moment, Bunuel livrait une autre version athée d’un tel phénomène, parmi les sketches et hérésies distanciées de La voie lactée. (28)

Un conte de Noël ** (France 2008) : Premier contact avec le cinéma de Desplechin. Reste aimable malgré la longueur et les remous. Deuxième de la trilogie Dédalus, autour d’une famille bourgeoise parisienne, genrée artiste – à ses heures catho dissipée (se reposant sur les vieilles traditions pour digérer leurs soirées). Ambitionne Bergman (dernière période) ; un Fanny & Alexandre au présent.

Amalric tient le rôle d’un canard boiteux et fier de lui. Il laisse quelques-unes des meilleures répliques à sa ‘mère’ Deneuve, en besoin de greffe. L’ado, Paul, présumé ‘fou’ apparaît surtout à terme comme un égaré mou. Anne Consigny joue une connasse, de type chouineur, haineux et pseudo-moral. Emmanuelle Devos ressemblerait à Angela Basset : what the fuck ? Divisé en trois, ce conte aurait donné un soap sans suspense. (48)

Chien enragé ** (Japon 1949) : Kurosawa tourne avec sa star Mifune et son camarade Shimura. Mifune joue un détective moralement embarrassé par l’arme d’un crime. Kurosawa l’a dirigé juste avant pour L‘Ange Ivre, ils sont aux débuts de leur riche collaboration (16 films).

Malheurs, menaces sur la vie, tentation du laisser-aller ; l’irruption du ‘Mal’ et de la corruption dans la vie (professionnelle) ; traversée de la misère ; période de canicule, sensations d’écrasement, fatigue générale et irritation.

Assimilable aux ‘films noirs’ anglo-saxons, ce qui valide le préjugé du Kurosawa cinéaste nippon américanisé. (62)

Signes de vie ** (Allemagne de l’Ouest 1968) : Premier long-métrage d’Herzog, en noir et blanc comme son court Herakles. Un soldat allemand bloqué sur une île refuse l’inaction. De quoi devenir un symbole des ‘ratés’, égarés, mis à pied, s’obstinant à gesticuler.

Le documentaire amorphe l’emporte sur le portrait ou l’introspection. Herzog se place et nous embarque en témoins inclus dans la torpeur, tranquillement hagards et extérieurs. Sa signature est bien présente : cette approche ‘brute’ montre son style à l’état mal dégrossi, l’intérêt se porte déjà sur les élans grandiloquents et stériles d’un inadapté.

La révolution absurde à la fin, quand il est arrivé en état de se faire interner, relève du beau geste. Cette tentative spectaculaire de quelques secondes affirme un peu le goût de la grandeur travaillant le soldat. Par son inanité c’est la démonstration de son impuissance. (52)

Après la nuit * (Suisse 2013) : Dans les bidonvilles créoles, action à Lisbonne, essentiellement nocturne. Embrouilles, (semi-)ghettos, gangs et trafics, misère modérée, etc. Une certaine routine. Un dealer à machette défile au milieu en posant régulièrement une trogne mélancolique. Pour les gens qui ont aimé le côté Cité de Dieu dans Madame Sata. Techniquement correct, mais inaccompli en tant que documentaire et raté (bâclé ?) en tant que fiction. (26) 

Tropical Malady *** (Thaïlande 2004) : Découverte d’Apichatpong Weerasethakul. Première partie sentimentale, seconde glissant dans le fantastique, le tout sensoriel à plein régime, avec dream-pop en bande-son. Film ‘d’esprits’ mystiques – et film de fantômes atypique.

Un des deux gays/protagonistes évoque son oncle qui ‘verrait’ ses vies antérieures – c’est l’annonce d’Oncle Boonmee, Palme d’or 2010. « Monsieur a l’air très heureux aujourd’hui » / « c’est normal c’est jour de solde » : universalité des clichés ? (66) 

Nuits d’ivresse printanière ** (Chine 2009) : Film chinois (de Lou Ye) rempli de trucs occidentaux typiques (la femme qui le fait suivre, les photos sur le portable, gnangnanteries) ou almodovariens (l’un des types se déguise dans des bars). Histoires qui se croisent et se confondent un peu, accumulations, dans un style aérien et sensuel. Plutôt random, mais généreux pour les scènes de ‘craquages’ et frontal (autant que possible) pour les scènes actives et nues.

+1 pour la claque lors de la grosse crise, mais annulé par le +1 pour le pétage de plomb de la fille au bureau. (48)

Gosford Park ** (UK 2001) : Chez les aristos anglais dans les années 1930. Mon premier vu d’Altman. Sur les deux heures, ne fait que présenter des personnages (très nombreux – s’agit-il du pilote d’une grande série ?) ; l’enquête s’ajoute sur les derniers trois quart d’heure. Gros casting, caméra ‘aérienne’, compositions et technique de haut niveau. Sorte de cinéma de chambre étendu à toute la grande propriété, avec toute la vaste faune des variétés de nobles ou riches et de servants – et de la dissidence là-dedans. (48)

La forteresse cachée *** (Japon 1958) : Un des Kurosawa les plus accrocheurs (probablement même plus que Vivre !, mais derrière Le garde du corps), plus compatible avec un public jeune et/ou occidental et/ou actuel. En contrepartie, La forteresse est moins intense et mystérieux que son Château de l’araignée. Mifune y devient sérieusement badass. Film d’aventure incluant la comédie (les deux acolytes pleutres, ouvrant la séance sur un échange d’injures). (68)

Les nains aussi ont commencé petits *** (Allemagne de l’Ouest 1971) : Un an avant son voyage au Pays du silence et de l’obscurité, Herzog dégote déjà des individualités anormales, prises en groupe. Il nous présente une communauté de nabots fêlés, limite déments, en rébellion contre le directeur du pensionnaire (frappé de la même infirmité). Gueules de vieux, propos d’ados sous substance et attitudes d’enfants fous. Cynisme, ricanements et pétages de plombs à foison (avec un soupçon de cruauté envers les animaux). En noir et blanc, comme Herakles et Signes de vie, premiers films du réalisateur d’Aguirre. Digne des Midnight Movies de la même décennie, mais redondant et finalement bien lent. Tournage à Lanzarote (îles Canaries). Musique pénible. (68)

L’enfer de la corruption / Force of Evil *** (USA 1948) : Tourné par un cinéaste inquiété pendant la phase maccarthyste, ce film perçu comme anticapitaliste est une des références fondatrices déclarée de Scorsese. En plus d’être très court il a un style rapide, droit au but, qui le rend très dense sans sacrifier la lisibilité.

En contrepartie il est schématique. Sa rigidité l’amène à s’affadir continuellement sans s’autoriser de relances (pas ou peu de nouveaux éléments), en suivant la déchéance des frères – il paraît alors surchargé et insensible à ses personnages/prétextes. Les dialogues sont excellents et les vingt premières minutes pleines de durs, qui se fâchent vite.

C’est un bon film sur la paranoïa à échelle individuelle, de l’individu dans la société (pas de la parano ‘psychique’ ou proprement psychologique) – celle d’un type abîmé dans les méandres de la corruption, des trafics, des abysses au cœur de la ville-lumière – pas un tourmenté par des penchants naturels, mais bien par la réalité.

Avec cet accent sur le capitalisme ‘parallèle’ (beaucoup de cette sorte d’euphémismes et de déclarations indirectes), Force of Evil rejoint la mouvance de film noir sans être représentatif et anticipe effectivement les films d’argent de Scorsese. Il est peu comparable aussi en tant que films de gangster, à cause de sa façon surtout discursive de montrer l’entrepreneuriat et sa culture de la prise de risque pervertis. (69)

Fata Morgana * (Allemagne de l’Ouest 1971) : L’intro le garanti, ce sera répétitif – mais c’est normal et ce n’est que faux-semblant, ça c’est le titre qui l’indique. Herzog s’est embarqué dans un délire proche des mondo movie, dont résulte une espèce de doc hippie dark (la musique est de leur milieu, pas d’Afrique traditionnelle).

Des blancs manifestement stones (on en trouve plus dans la partie III-L’âge d’or), des autochtones blasés/indifférents et trois pauvres animaux : un fennec/renard des sables attaché par un enfant, un varan (interminable), une tortue barbotant. Tout ce brave monde s’encroûte dans les déserts africains, élu pour l’occasion théâtres des illusions humains et mensonges religieux. Le retour ‘chez nous’ (en fait, à Lanzarote – où Herzog a également tourné Les nains aussi) se résume à un passage pseudo-festif (en plusieurs temps, naturellement).

Symbolisme lourd à l’appui : dans la partie I-La création, alors qu’une vieille radote en voix-off sur la création des animaux, la caméra balaie une zone jonchée de cadavres de bovins, desséchés, vidés, atomisés. Les textes appartiennent à la mythologie maya, chapitre invention du monde. (42)

Le beau Serge *** (France 1958) : Premier film de Chabrol, à 28 ans. Brialy est de retour dans le village (de la Creuse) où il a grandi. Devenu un citadin, il a été malade récemment et doit « vivre au ralenti ». Son ancien ami (par Gérard Blain), un alcoolique et père d’un trisomique vite avorté, a honte de ce qu’il est (devenu) : un raté.

On voit le film aux côtés de François/Brialy, dont les voisins seraient « comme des animaux (…) on a l’impression que vous n’avez aucune raison de vivre ». Il y a du vrai mais c’est négliger la frustration à refouler, pourtant manifeste chez les aigris du bar comme chez d’autres petites gens (pas tous). Son ami est plus clairement affecté car il a eu le tort d’espérer. Le ‘bon sens’ voudrait qu’il parte : mais ‘à quoi bon’. L’impuissance, le ressentiment et le dégoût s’opposent plus souvent que la peur à un grand départ, à une tentative d’épanouissement.

Le film se dilue un peu autour de la bagarre. L’orientation finale est un peu improbable, avec ses parallèles christiques. Détail regrettable : si on ne nous disait pas à plusieurs reprises au début qu’Yvonne est moche, on ne s’en rendrait pas compte (elle est jouée par Michele Meritz). (72)

Les Cousins ** (France 1959) : Reprend le duo du Beau Serge (et quelques acteurs secondaires). Cette fois c’est Blain qui s’invite et Brialy le receveur – le campagnard vient à Paris. Chez les jouisseurs-branleurs, avec un exemplaire vivant comme un prince, mais aussi un beau bal de mondains hédonistes et à la marge des variétés de jeunes pédants – et aussi de vieux !

L’histoire d’une inadaptation, de sentiments et scrupules débiles, d’une grande perte de temps. La photo et la mise en scène sont typiques d’une certaine qualité d’époque, un peu plus raffinées que l’ensemble du cinéma de Chabrol à venir. Blain apporte un contraste sans lequel l’ennui l’emporterait. (58)

Entre le ciel et l’enfer *** (Japon 1963) : Un des rares Kurosawa post-Sept Samouraïs se situant un des rares dans le présent (comme auparavant Vivre et L’ange ivre). Fait partie des polars (comme Les salauds dorment en paix), versant un peu moins célébré de son œuvre.

Quasi huis-clos (dans la grande maison) pendant la première heure. Tourne alors autour du refus de payer de Gondo et de sa position (sociale et de dominant au sens large) à tenir ; il a peu de considération à côté, indifférent en dernière instance – et la raison comme ses besoins familiaux l’y autorisent, seuls des ‘grands principes’ pourraient s’opposer. La deuxième heure est centrée sur l’enquête et la capture du criminel, qui aura la parole au dernier acte, dans un face-à-face éclair avec le riche désargenté devant le rebelle damné.

Les enjeux moraux et sociétaux dominent sans trop vouloir se déclarer, laissant l’action voire l’intrigue flotter. Ces enjeux s’expriment principalement via des discussions matérialistes et relatives à la hiérarchie. Fait beaucoup de démonstrations et de mystères pour retarder l’inéluctable et l’antagonisme convenu. L’autorité tergiverse seulement pour des raisons pratiques, à cause de la pression ; le reste suit ; finalement l’édifice pesant sera effectivement ébranlé, au détail voire peut-être dans quelques consciences, mais trop vaguement pour secouer les nôtres et plus encore celles des acteurs de cette société.

D’où un aspect Hugo light, plus posé et emprunt de recul, mais sans gains en pertinence pour autant. Ce film pourrait se décliner ‘facilement’ au théâtre, mais donnerait a-priori un résultat très rigide : dialogues abondants, directs, chargés, quasiment tout passe par eux (pour l’essentiel du reste, par les acteurs). Sans musique, informatif et ‘réaliste’. Côté ravisseurs et victimes, personnages compliqués et ombrageux, lourdement ‘typés’ ou intense. Une scène en train assez audacieuse pour l’époque. (66)

Cœur de verre *** (Allemagne de l’Ouest 1976) : Herzog nous présente des pseudo exaltés de Bavière au XVIIIe, sur la pente de la religiosité délirante après que le souffleur de verre, maître de la seule activité apportant une ‘valeur ajoutée’ au village, soit mort avec son secret.

Approche en deux hémisphères : dans le village, avec la folie et l’exaltation collective ; une approche ‘cosmique’ en marge. Ce second versant vient finalement nourrir le second, en étant infiltré par un élan scientifique et en voyant le chemin pour la reprise de l’espoir et ‘la foi’ de cette petite région.

Ce film a simultanément l’apparence d’un documentaire et d’une digression mystique. Les lieux sont magnifiques mais pas spécifiquement allemands (tournage dans la forêt de Bavière, aux USA, en Irlande, en Suisse).

Les acteurs tourneraient sous hypnose, à l’exception du vacher aux prophéties apocalyptiques. Bonne bande-son, plus typique. (68)

Un baquet de sang *** (USA 1959) : Film d’horreur léger, grotesque, doucement sarcastique et satirique, signé Roger Corman. Un type falot (quoique l’acteur soit inapproprié – hiatus en tout cas sur les premiers plans), qui a tout du larbin mais avec des rêves, aspire à la reconnaissance de ses pairs (beatniks) et du monde (rempli de femmes). Dès sa première ‘réussite’ il se voit en ‘artiste’ et enfin les autres sont là pour valider, au lieu de le rabaisser.

Malgré ce protagoniste on rit mais sans grands éclats. Ce film est d’abord une curiosité où l’art du recyclage domine à tous les degrés. Il est clairement sous influence de Poe, auquel Corman s’apprête à consacrer une série de libre adaptations où défilera Vincent Price.

Nous sommes trois ans avant le carnage gore Blood Feast ; ce film-là est assez cheap et régressif, y compris dans son rapport à la violence. Les premières morts (du chat et du flic) sont stupides : le chat, déjà empaillé, le flic, vite abattu (et planqué au plafond par un avorton en panique). Le ton est à la fois ironique et enfantin à l’égard des émotions ou aspirations des personnages, y compris par rapport au milieu des laudateurs d’ ‘artistes’ et ‘créatifs’ (des jeunes, souvent toxicos ou avec du temps à perdre, qui ne conçoivent pas d’autre expression du génie). (68) 

La petite boutique des horreurs ** (USA 1960) : Assez connu grâce à la présence, pourtant mineure, de Jack Nicholson (client du dentiste ‘alternatif’) dans un de ses tous premiers rôles (sept ans avant de contribuer à The Trip comme scénariste). Mauvais goût, délurés et ‘drogués’ ; c’est un parent innocent de John Waters, encore en plein dans l’optimisme généralisé. Comédie hystérique : les appels de la plante (« feed me » de petit animal de cartoon) ; les tronches d’ahuris ; le dentiste fou. Le gore est surtout verbal et lorsqu’il est physique, c’est très pudique et artificiel (la fin avec les têtes à fleurs). Le remake est plus trivialement et ‘pulpeusement’ ‘haut-en-couleur’. (52)

Alexandra *** (Russie 2007) : Traitement indirect de la guerre par Sokourov. Centré sur une vieille de passage dans un camp militaire (en Tchétchénie) où se officie son petit-fils. Elle déambule, s’interroge sur l’état du monde présent et fait son examen de conscience. Chez les soldats et le peuple occupé, elle constate la frustration ou l’accablement de tous – il reste encore la foi ou l’habitude. (72)

Barberousse *** (Japon 1965) : Un des plus fameux Kurosawa, particulièrement respecté sur Sens Critique (influence de Torpenn, le ponte originel ?). Durée-fleuve (trois heures).

Toshiro Mifune est dans le rôle-titre du médecin « humaniste » parfait, montrant à l’occasion une forte aptitude à coller des gnons. Le film accepte l’idée d’extraire du bien dans le mal – valide les sombres raisons poussant à l’altruisme.

Deuxième partie (après l’entracte) consacrée au ré-établissement de l’ex-domestique. Quelques moments avec ‘le souffle de la mort’ rapprochent ce film de La gueule ouverte de Pialat. (72)

Dernière femme sur Terre ** (USA 1960) : Sorte de vaudeville post-apocalyptique (d’une apocalypse instantanée, 100% bis de foire). The last woman est ravissante, le style aidant. Le reste ne vaut pas grand chose : trop lent, ménageant une petite tension qui ne s’épanouit pas. Une certaine ambition anime les dialogues mais au mieux elle pousse à conclure : décidément les Hommes manquent de savoir-vivre. C’est donc un petit Corman, agréable quand même, représentant typique du ‘tout ça pour ça..’. (44)

La Créature de la mer hantée * (USA 1961) : Rempli de détails loufoques, change plusieurs fois de direction. Des incongruités vaguement relevées, des pics d’humour (avec Betsy Jones-Moreland, déjà présente dans Dernière femme sur Terre, opus de Corman sorti en 1960).

Monstre rare (une apparition éclair avant sa parade des dernières minutes) et digne d’une poupée moisie de marché aux puces. À la limite de l’amateurisme avec des tendances chaotiques – part totalement en vrille sur l’île. Pourtant c’est à la même période qu’était produit The Pit and Pendulum.

Mon premier 3/10 depuis un mois avec Chez nous et Le missionnaire. (32)

Toni ** (France 1935) : Avec des abrutis du midi (Toni est un immigré italien qui travaille auprès des autochtones) et une pauvre Marie. Tiré des notes d’un projet de roman (de Jacques Levert) et produit par Marcel Pagnol. Confirmation de mon ‘incompatibilité’ avec l’œuvre de Jean Renoir. Néanmoins j’ai eu de la sympathie pour les décors, les trois ou quatre protagonistes – et de façon générale, c’est relativement divertissant (ça se veut aimable en premier lieu puis tragique) et la grossièreté des personnages finit par les rendre intéressants. (48)

The Terror/L’Halluciné ** (USA 1963) : Anciennement traduit en ‘Le château de la terreur’. Assez malmené dans les avis/notes spectateurs, probablement car fauché et décousu. Ré-utilise les décors de films précédents de Corman (Le Corbeau et peut-être aussi La Malédiction d’Arkham) ; une pratique courante chez lui, l’hyperactivité étant à ce prix.

Typique du style Corman et d’une certaine esthétique gothique et un peu ‘folklorique’ vendue sous format ‘train fantôme’. Dégage un charme enfantin dès son excellent générique d’ouverture. Histoire alambiquée et traitement superficiel, alourdi par son programme et sa naïveté au fur et à mesure. Une sorte de film ‘de série’ à la fois exquis et régressif.

Premier film où Nicholson est en tête d’affiche ; également sa troisième apparition chez Corman (il a un petit rôle dans La boutique des horreurs de 1960) et la seconde collaboration entre Corman et Francis Ford Coppola. (62) 

Cashback ** (Royaume-Uni 2007) : Prolongement du court-métrage (2004) éponyme réalisé également par Sean Ellis. Esthétique éclectique, d’une originalité marquée par l’air du temps ; entre le romantisme post-ado deux ans après Eternal Sunshine et l’ironie tendre, à base de lourds archétypes, d’excentricités très marquées et d’une once de potache mise à distance du cœur – la poésie du protagoniste et ses grands élans restent épargnés. (54)

Les ailes du désir ** (Allemagne de l’Ouest 1987) : J’en avais vu le remake, La cité des anges, dans des conditions qui ne me permettent pas de m’en rappeler. Je n’avais pas aimé mais il pourrait fournir une expérience plus agréable que cette séance-là. Ce film, que je souhaitais voir depuis les débuts de ma cinéphilie (à cause du titre, de l’affiche et de l’étrange notoriété) – mais qui ne m’intéressait pourtant pas, ne décolle jamais. On comprend le désarroi et la blasitude de l’ange. Il y a donc un concept original et ses illustrations bout-à-bout. Le film est froid mais s’il prenait la visite de l’ange totalement ‘à chaud’ ce serait aussi stérile et non-attractif. Ambitieux et somptueux (en principe) mais aussi pompeux et assommant (dialogues, narration, propos et postures). (48) 

Du rififi chez les hommes ** (France 1955) : Adaptation d’un polar d’Auguste Le Breton, suivie de trois autres dérivés pour le grand écran et deux autres en romans. Festival de l’argot et intrusion dans les ‘bas-fonds’ et les mafias de Paris. Si ça vous plaît mais qu’à raison ça vous semble tiède, voyez plutôt Port du désir avec Gabin sorti quasiment le même jour.

Froid, poseur, besogneux, langoureux. Exilé, Jules Dassin (Démons de la liberté, Forbans de la nuit) reste un metteur en scène américain. Le fond, le scénario, sont banals, à la limite d’en devenir odieux (les personnages ‘boulets’ ou ‘faibles’ – dénigrement pas compensé par la présence de pointures en face), si tout ce manège n’était pas carrément rasant. Forcément les tentatives ‘mélo’ prennent pas. Rappelle un peu Asphalt Jungle. (46)

L’Île au trésor ** (France 1985) : De Raul Ruiz je n’avais déjà vu que L’hypothèse d’un tableau volé, au principe casse-gueule et au résultat convaincant sans être attractif pour moi. Ce film est une adaptation ouvertement autonome de L’Île au trésor de Stevenson. Le roman est cité directement une fois, le cadre et les relations ne sont plus les mêmes, l’aventure est esthétique et narrative. Atypique et audacieux, joli mais lent, trop autiste et peut-être décousu pour être pleinement intéressant. Flottant à la limite du rêve personnalisé. Farces intellectuelles ou érudites en guise de dialogues, parfois à la limite du stérile. (56)

Woyzeck ** (Allemagne de l’Ouest 1979) : Herzog se base sur la pièce inachevée de Georg Buchner (1837). Kinski s’inscrit dans un rôle plus introverti que d’habitude, plus égaré et pathétique aussi (en proie à la confusion, menacé de chuter dans la bestialité). Son personnage est un inadapté même sur les choses primaires (justifiant son cucofiage). Il se répand en laïus délirants, débuts de divagations poétiques ou énoncés ‘bon sens cryptique’.

La mise en scène tient à distance les personnages et situations. Le style est d’un théâtral atténué ou compartimenté. L’exercice tombe dans le surplace passé un certain stade, tendu genre paralysé en filant vers un dérapage final – bête et tragique, une conclusion parfaitement assortie à cette destinée.

La réduction à à peine 80 minutes paraît judicieuse – il ne semble pas y avoir énormément à proclamer ou afficher. Déjà les hauts moments dramatiques s’éternisent sans autre raison que la pose. C’est un film d’intuitions qui ne se permet, ou ne peut se permettre, de ‘grands sauts’. Pour la musique, on a pioché dans le meilleur – l’usage peut sembler décalé, car il renforce le côté aberrant du personnage, sans davantage affecter le concernant ; le lyrisme pourrait opérer en isolant la scène mais est ‘inaudible’ sinon. (62) 

La Leon * (Argentine 2007) : En noir et blanc avec quelques très beaux plans. Assez plaisant mais paresseux voire un peu crétin dans ses représentations. Le scénario est celui d’un court contemplatif de quinze minutes. Autant revoir Tropical Malady ou s’amuser avec L’inconnu du lac. (42)

Police ** (France 1985) : Le film de Pialat avec Depardieu (cinq ans après Loulou). Marceau y a moins de 19 ans, on lui ‘découvre’ un visage rond ! Plus crû et ‘bonhomme’ que le futur L.627 de Tavernier. En trois tiers : un premier d’aspect documentaire et très énergique, un dernier personnel avec la liaison entre les deux protagonistes, un intermédiaire(plus court) où l’intérêt se tasse, centré sur des situations plus récréatives ou secondaires. Pourtant quelques affaires s’y règlent ou s’accélèrent et Bonnaire gratifie Gérard et le public d’un passage nu (ses débuts, assimilée à une prostituée, peuvent déconcerter vu depuis aujourd’hui ou sans doute déjà depuis vingt ans).

Anconina avait déjà son jeu très singulier, probablement mauvais ou inapproprié ; tout ce qu’on sent face à lui, c’est qu’il dissimule avec acharnement – mais quoi ? C’est tout ce qui intrigue chez lui. Dans Itinéraire d’un enfant gâté ou La vérité si je mens, cette sorte de non-jeu ou de jeu de dupe flagrant sera plus approprié, tout en restant d’une anomalie et d’une inefficacité flagrantes. (52) 

La Cité des femmes *** (Italie 1980) : Issu du Fellini vulgaire et décadent accompli de la troisième partie de carrière. Après la première heure chez les féministes puis dans la brousse italienne, vire à la logorrhée d’images, d’aventures et de décors insolites. Maistroianni est devenu un gros bébé aliéné par les femmes (après avoir su les manipuler ou les mettre à distance dans Huit et demi).

Voyage toujours plus irréel dans les fantasmes personnels d’un homme, censés refléter des peurs et désirs propres à son genre, à la racine ou à un niveau plus actuel, face aux avancées sociales obtenues par les femmes. Quelques déviations s’y ajoutent comme lors du passage chez l’espèce de gnome avec une dégaine d’apprenti Phantom of Paradise.

Dans le même registre tentez China Blue de Russell, cinéaste dont Fellini se rapproche avec cet opus. (68)

Chronique d’une disparition * (Israël 1996) : Le premier film de Suleiman use de la caméra ‘intruse’, postée depuis la porte, la fenêtre ou l’angle opportuniste au coin de la rue, pour montrer des gens chez eux ou devant leurs petits commerces le plus souvent. Ce sont des palestiniens modestes, dans un train-train aliéné, parfois statique. Comme en marge de ce dont ils sont censés être des membres. Mais et alors ? Voilà des résidus de la civilisation, comme partout ailleurs.

Ils se robotisent à cause de ce conflit finalement plus larvé qu’effectif (vu depuis ce film), jusqu’au dernier plan où le vieux couple est affalé et indifférent devant sa télé où passe l’hymne israélien. Suleiman allonge ses symboles au lieu de chercher à ‘ajouter’. Il laisse donc de côté les possibilités en germe, comme la piste du musée et des pauvres attrapes-touristes, qu’il relie seulement à sa création pour ce qu’elle contribue à ironiser.

Un peu après la moitié, le réalisateur écrit à la machine « La conscience latente serait la Palestine » juste avant sa conférence. À l’image elle se résume en une scène avec le micro défectueux (long gag crispant), suivie par celle avec les flics pissant contre un mur. Le reste se déroulera autour de ce mec à l’air groggy et de petites poussées lyriques rabrouant l’humour malheureux. (38) 

Gémeaux *** (Argentine 2005) : Film de non-jugement (moral ou éthique) à propos de l’inceste. Donne au spectateur de multiples occasions de se ‘rincer l’œil’ – en toute innocence pour lui, avec embarras pour eux. Le frère et la sœur semblent éprouver un amour sincère, spontané et profond, qui ajoute au malaise et à la circonspection.

La réalisatrice sait montrer les non-dits et les non-sus parfois à demi-consentis.Cet amour sordide se produit au quotidien, à l’insu des parents, parfois presque sous leurs yeux. Il ne manque qu’un réveil ou quelques éléments plus crus – ou même d’avoir bien vu ce qu’on a vu.

C’est d’ailleurs par étapes que la révélation a directement lieu – en montant l’escalier puis avant de passer la porte, prenant le temps de prendre le choc comme s’il devait descendre par paliers pour être vraiment réel et vraiment compréhensible – le long d’une séquence justifiant tout ce qui a précédé pour ceux qui se seraient impatientés.

La mère parle d’inceste qu’elle soupçonne de la part du père d’Olga sur ses filles, en estimant la chose récurrente « dans certaines classes sociales » ; d’autres micro-événements peuplant le quotidien ou la télévision renvoient à la chose. Sur ce plan le film est (passivement) ironique concernant les clichés dont sont parés les pauvres – en même temps l’inceste est aussi souvent attribué à certaines catégories de riches ; cette famille-là est bourgeoise mais pas d’ascendance aristocratique évidente. (66) 

Intervention divine * (Autorité nationale palestinienne 2002) : Elia Suleiman est un palestinien qui a vécu une décennie à New York avant de se lancer au cinéma avec des soutiens européens (sa première production personnelle est Chronique d’une disparition). L’ensemble de ses réalisations sont centrées sur le vécu des palestiniens.

Dans son film le plus connu (où il s’est promu acteur principal) il évoque à nouveau l’absurde réalité des gens sous emprise du conflit et de l’occupation en Palestine. Il tartine maintenant la chose de fantasmes, ramène des images similaires, voire les duplique carrément. Du cinéma engagé allégorique sous Prozac.

Le seul fait ‘hautement significatif’ et communicable à l’ensemble des spectateurs est le passage du ballon avec Arafat (et ceux avec la fille mais ils sont déjà plus fantaisistes dans leurs visées). La photo et l’ambition dans la démonstration ne relèvent pas du discount, mais à quoi bon ? C’est un petit théâtre d’absurdistes auto-déclarés lucides sur l’abrutissement dont ils sont l’objet. L’histoire d’amour à demi-surréaliste au milieu de la grisaille est à l’image de toute la dynamique : éculée, fatiguée, même quand elle se veut forte et insolente.

Enfin ce film a son joli ronron burlesque, son humour mordant et désabusé, puis assez de symboles pour frapper l’imagination et titiller le critique. Mais la scène finale dérivée de Matrix et de la liturgie achève d’enfoncer le film dans l’auto-complaisance et la divagation ironique.

Illustration de la fraude concernant ce film en un coup-d’œil : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=45261.html (42)

Passe ton bac d’abord *** (France 1978) : Du cinéma ‘vérité’, crû mais sans théâtre ni ‘décrets’ par l’écriture, à la limite du pseudo-documentaire, sur la jeunesse et sa reproduction des schémas. Enfermement dans les cycles – sans la violence (et le focus) du Family Life de Loach. On les voit devenir des adultes obtus et perplexes comme les précédents.

La direction d’acteur laisse à désirer au départ, mais en laissant-faire, Pialat obtient de bons résultats. Peut écœurer ou saouler au début et progressivement se laisse voir avec une attention froide. Pourrait être drôle ou accablant mais est trop précis et concis pour laisser ça prendre.

Ne laisse pas tout couler comme Loulou produit deux ans plus tard, qui semblera paradoxalement ‘surfait’ dans son intérêt pour les prolos et leurs aventures. (66)

ALICE OU LA DERNIÈRE FUGUE +

13 Août

Dédicacé en ouverture à la mémoire de Fritz Lang, ce film est le plus déroutant de Claude Chabrol. Avec Alice ou la dernière fugue, le cinéaste français se lance dans le fantastique et laisse de côté ses charges anti-bourgeoises. Il ne sacrifie rien de son style pour autant et l’associe à de nouvelles manières qui le subjugue, au point où on peut se demander si Chabrol n’a pas raté sa vocation esthétique !

Adaptation revendiquée, en fait totalement extravagante et inclassable de l’Alice de Lewis Carroll, le film semble surtout un remake à la française de Carnival of Souls, où une héroine se trouvait plongée dans un dédale onirique. Dans La dernière fugue, la jeune femme se retrouve piégée dans un espace-temps immobile et hermétique. Elle tente de fuir, de comprendre, mais y échoue.

Alors ce monde d’énigmes sans solution et de cul-de-sac improbables est pris à revers : Alice s’y résigne. Alice accepte cette nouvelle dimension et la place qu’elle y occupe. Le vertige devant le surnaturel et l’inconnu rejoint un autre plus réel, plus discret. En se soumettant à une volonté opaque, Alice devient une enfant adaptée dans un monde absurde, mais pourtant toujours une enfant sauvage avec ses propres normes, sa culture et ses réflexes.

Chabrol a toujours cogné sur la petite bourgeoisie provinciale, qu’il montrait aussi rigide et ingrate que foncièrement perverse. La cruauté et souvent l’unilatéralité de son regard lui a permis de faire de bons drames tapageurs mais aussi de verser dans la diabolisation minable d’un épouvantail soigneusement entretenu et éprouvé. Cette agressivité de Chabrol aura rarement été aussi payante que dans La dernière fugue ; en omettant ses bourgeois et sa morale, Chabrol laisse s’exprimer de façon optimale son talent pour croquer les Hommes et leurs angoisses.

Aussi, cette ambiance lente, mortifère et secrète, pourra être perçue comme une allégorie de l’univers des nantis bucoliques, afin de maintenir le lien avec l’éternelle rengaine. Mais elle a un sens bien plus profond car La dernière fugue nous raconte comment une jeune fille vit deux choses : d’abord, à « se soumettre aux circonstances », assumer sa part dans la vie. Autrement dit quand rien n’est choisi et qu’il n’y a aucune gratification, sinon les beaux décors : vivre dans sa prison à soi, l’habiter, poser ses conditions.

Devoir, sagesse, fatalisme : les vertus des individus pour qui le temps s’est arrêté car ils ont accédés à l’équilibre entre la vie et la mort. Voilà la deuxième chose qui nous est racontée, ce rapport au temps. Si particulière chez Chabrol mais aussi dans les milieux qu’il a toujours croqué, la notion du temps trouve une expression plus ouvertement abstraite et passe à un niveau conscient, donc délibéré. Avec ces niveaux de lectures et des encarts quasiment  »psychédéliques », Chabrol a dopé ses atouts traditionnels et gommées ses lourdeurs de toujours.

Son discours social s’en trouve à la fois compromis et amélioré. En ce sens, Alice est comme un lapsus de son auteur, qui réalise qu’il attribue des maux à une caste spécificique sans percevoir leur universalité ni leur caractère véritable, derrière l’idée malsaine qu’il s’en fait. Le rythme est encore plus lent que d’habitude chez Chabrol, virant carrément au contemplatif, renvoyant fidèlement à ce rapport au monde et aux contingences indicible que le film exprime, mais aussi à la nature très concrète de l’état de son héroine. Le final compromet le génie qui s’était exprimé jusque-là ; audacieux, il se replie sur des représentations peu élaborées.

Note globale 76

 

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