SNOWPIERCER +

9 Mai

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Deux premières fois pour Bong Joon-Ho (Memories of Murder, Mother) avec ce Snowpiercer, où il jouit enfin des moyens d’un blockbuster et réalise un film en-dehors de la Corée, dont l’histoire récente était au cœur de ses quatre premiers long-métrages. Inspiré de la BD française Le Transperneige de Lob et Rochette (1983), Snowpiercer se déroule en 2031 pendant une ère glaciaire provoquée dix-sept ans plus tôt par une tentative de géo-ingénierie malheureuse.

 

Les seuls survivants sont enfermés dans un train forcé à rouler perpétuellement, tout le long de la Terre. Les occupants sont répartis dans les wagons et ce qui est devenu la société est rationalisé, avec des structures délimitées et une hiérarchie figée entre les individus. Dans la première demie-heure, les occupants du wagon arrière préparent la révolte. Face à une oppression impitoyable, leur lutte pour la liberté, le plus fondamental et naturel des droits, est bouleversante. On désire puis accompagne l’insurrection avec une rage complice.

 

Et puis on va aller plus loin. Une fois la liberté retrouvée, le pouvoir acquis, l’ascension opérée, que se passe-t-il ? L’émancipation doit avoir un prix : la responsabilité. Par conséquent, Bong Joon-Ho n’est du côté des pauvres qu’au début et dans l’intérêt dans la narration. Puis il étend sa vision satirique et elle emporte tous ses personnages. Des petits humains, plus ou moins idéalistes et concernés, plus ou moins choyés.

 

Le train est naturellement la métaphore d’une société à mener et garder sur les rails, tandis que les billets (1re et 2nde classe, puis resquilleurs) reflètent les structures de classe. Tout ceci est assumé avec une extrême rigueur. Snowpiercer est conceptuel à chaque instant, mais ce ne sera jamais un pensum. C’est un film où l’analyse opère sans cesse, tandis que le cinéaste se montre versatile dans la forme et systémique dans le point de vue.

 

La grande richesse de Snowpiercer est de mettre en relief l’idéalisme profond de l’holisme absolu, autrement dit d’une droite extrême. La vision est sincère donc, même si odieuse ou délirante au regard des critères libéraux et égalitaires. Ce qu’elle porte, l’auteur de The Host le méprise peut-être et le film apparaîtra alors comme une  »critique », comme il est convenu. Mais il est plus que cela car il montre une idéologie et son rapport au réel : le théorique et son expression vitale, qui l’a engendré et dialogue avec lui.

Dans le train, c’est donc une espèce de fascisme post-moderne sérieux qui règne (pas celui historique de Mussolini, ni celui simplement esthétique ou encore celui fantasmé par les gauchistes), avec au passage la technologie supérieure au service de l’emprise des dominants. C’est le mysticisme scientifique à bord et Mason/Tilda Swinton (enlaidie et meilleure que jamais) vient le traduire explicitement pour les ignares du fond – du train. Ici tous étaient prédestinés et chacun se retrouve à sa place, celle dévolue par les billets à l’époque qui est l’ordre tel que l’a voulu « la Machine Sacrée » de Wilford. Le récit et le concret sont nourris d’un sens propre, comme s’il y avait, in fine, un sens de l’Histoire.

 

Puis il y a la réalité sociale. Joon-Ho est fataliste. Quand les petits avancent vers les gros, ils se rapprochent du vide et du désespoir – la condition normale de celui qui surplombe (sauf à être un strict exploiteur ou un hédoniste), voyant ainsi la fin du monde, des ressources, du pouvoir ; et le gardant pour lui le plus possible, avec… le marginal, parfois le leader de foules. À ces deux pôles là, on a le mal de l’infini. Inclus et à la remorque des puissants, les considérations (sociales) sont moins visionnaires.

 

Tout le long de sa progression dans le train, Curtis (Chris Evans, leader populaire ombrageux, un peu trop emo dans l’esprit pour être tout à fait sympathique) découvre les secrets structurant le quotidien des passagers, leur ordre du monde ! Car il y en a un qu’il s’agit au moins de respecter. C’est là qu’apparaît clairement la morale de l’élite responsable, pas moins cruelle pour autant.

 

Son regard est à la fois organique et tenant les hommes comme de strictes ressources. Elle ne les emmène pas vers un destin supérieur, car ils sont piégés ici bas. Il s’agit d’assurer la maintenance de l’Humanité, mais aussi à l’occasion, le divertissement du peuple, pour le contrôler et le soulager. Cette élite est incarnée par un seul homme, ce Dieu vivant qu’est Wilford (Ed Harris), fondateur du train. Les autres, comme Mason, peuvent être aussi spirituels et puissants qu’ils le veulent, ils restent ses seconds.

 

Et Curtis va devoir assimiler cette responsabilité de matrice et découvre cette combinaison de résignation et d’exigence nécessaire pour un leader ou une matrice. Snowpiercer nous montre là un univers où les valeurs et les devoirs sont dispensés à tous et non simplement aux fractions dominées, mais les personnalités les plus avancées n’en sont pas moins soumises à un sort de bouffons comme les autres. Celui qui sort de la caverne ne peux que contempler ses limites et se trouve soudain forcé de contenir les esprits puérils, pas forcément agités pour de mauvaises raisons et parfois subissant de franches injustices, mais dont l’urgence et l’émotion menace de détruire l’équilibre délicat tenant l’Humanité debout sans qu’elle transgresse une Nature qui la domine éternellement.

Note globale 71

 

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Suggestions… Mad Max + La Route + 1984

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11 Réponses to “SNOWPIERCER +”

  1. Kapalsky Mai 9, 2014 à 09:14 #

    En effet, la notion de fascisme est claire, et le voyage perpétuel du train à travers les étendues glaciales représente le cycle du pouvoir, qui ne peut être stoppé que par la démolition de ce régime, ou maintenu par la prise de pouvoir d’un prétendant (en l’occurrence Curtis)… De ce coté le final était moins ambigu

    • zogarok Mai 12, 2014 à 13:36 #

      Oui et Bong John-Ho (le réal) semble s’identifier au personnage de Song Kang-Ho, ou au moins en rejoindre le point de vue. Il se tient à l’écart de ces mouvements de foule comme des exactions des autorités et trouve tout cela ridicule et insoluble. Il préfère mener.. ses propres affaires. Sans espoir d’amélioration pour cette situation et surtout, sans croire que la société puisse apporter quelque chose.

  2. Voracinéphile Mai 9, 2014 à 10:08 #

    Un bon film dans le registre des idées et des symboles, je suis d’accord. Le problème, c’est qu’il n’est jamais fonctionnel, pas une seule fois. Pour une énorme partie de son développement, on se base sur l’action, tout en s’appuyant sur des incohérences (d’où sort la viande ? Où dorment les riches ? C’est quoi cette cérémonie du nouvel an ? Pourquoi ils gâchent un poisson alors qu’ils crèvent de faim ? Où sont les poules qui pondent les œufs ?). Bizarrement, le Transperceneige est aussi fort qu’il est faible, incapable de retranscrire dans le visuel ce qu’il évoque dans ses dialogues. Ca et l’agacement provoqué par certaines séquences (l’insupportable passage à l’école où tout le monde surjoue le culte de la personnalité et de la machine). Cruelle ironie, la séquence sombre du film évoquant le cannibalisme… en devient ridicule quand on dit que tout le monde s’échangeait des bras et des jambes dans l’allégresse pour ne pas mourir de faim… Mais c’est trop cynique de trouver cette image de générosité ridicule. Puis l’arrivée dans la locomotive et le passionnant dialogue trouble de ce bon Ed Harris… immédiatement montré du doigt par le détail colossal du gamin remplaçant le rouage (une pécadille, nous dit ce bon vieux Willford !). Sur le plan des idées, c’est passionnant, et effectivement, cette société contrôlée et gérée à chaque niveau par des pourcentages et des quotas offre de belles pistes de réflexions, et de la SF pure. Dommage qu’elle soit aussi laborieuse techniquement, car elle se ridiculise, montre combien elle est inadaptable et fragilise du même coup considérablement l’intérêt du film (quel intérêt offrent les rouages d’une machine hors service ?).

    • zogarok Mai 12, 2014 à 13:39 #

      Je dirais plutôt qu’on ne voit pas tout, il y a vraisemblablement quelques ellipses. Le train est immense – la scène de fusillade en atteste.
      La petite séquence des rouages tombait pas-du-tout à point nommé, faut reconnaître.

  3. Van Mai 9, 2014 à 18:50 #

    Pour ajouter à tout ce que j’ai lu, l’évolution montre que la collaboration des classes est impossible si on ne passe pas par la force et des sacrifices, que ce soit pour les pauvres ou pour les mieux placés. Ca rejoint l’idée de « holisme absolu. »

    • zogarok Mai 12, 2014 à 13:37 #

      Oui et alors que ce dépassement et ces sacrifices amènent plutôt des limitations et la frustration pour tous. En tout cas suivant le point de vue du film.

  4. Van Mai 9, 2014 à 18:57 #

    Kapalsky mes souvenirs du final sont confus mais je me rappelle avoir été déçu que le film ne trouve pas de solution.
    Voracinephile j’ai pas vu les imperfections techniques. On voit la machine à la fin mais c’est dans la logique de l’histoire. Je n’ai pas été sensible aux scènes dont tu parle mais elles montraient bien le propos sans en faire des tonnes et je crois que comme dit zogarok il y a une part de « bouffon » dans tout ça.

    • zogarok Mai 12, 2014 à 13:42 #

      Je n’ai pas nécessairement été attentif à ces éventuelles imperfections, mais plutôt à certaines zones de flou dans le scénario – toujours compensées cependant, mais dans la dernière partie, Joon-Ho est vraiment versatile, accordant du sens à ce qu’il montre mais traitant surtout ce petit monde avec mépris et humour.

  5. Voracinéphile Mai 11, 2014 à 11:44 #

    Van, j’ai un peu du mal à croire que tu trouves The snowpiercer cohérent. Je ne vais pas dire réaliste parce que ce n’était pas vraiment le but à l’origine, mais dans l’univers et les règles qu’il se crée, il met régulièrement des détails stupides qui agressent tout ce qu’il avait bâti (pas de wagon ferme, en revanche, wagon bordel et wagon boîte de nuit, puis on vient t’apprendre que l’espace est strictement exploité, foutez vous de notre gueule, ils dorment tous par terre ?). Et si les idées sombres du scénario plantent un monde intéressant, il y a toujours ce retour stupide à la moralité pro-pauvre qui l’empêche de cultiver la profondeur dont on parle ici. Le coup des insectes, par exemple… Franchement, ils arrivent encore à s’en offusquer ? Quant à la sélection des gamins (avec le manque de dignité, l’agression véritable que subissent les passagers de queue), quand on voit la raison qui nous est sortie pour leur enlèvement… Quel prétexte grossier ! Il aurait été plus cohérent de les exécuter sur place en justifiant la logique de limitation de population. Mais nooon ! Il fallait bien montrer que le manichéisme accompagne la vision des passagers de queue, et cela jusqu’au bout du film (toujours l’action est vécue de leur point de vue, et quand enfin on arrive en zone trouble… c’est trop compliqué, alors un gros coup de fourbasse de la part de Willford ou de ses hommes de mains, histoire qu’on se rappelle bien qui sont les méchants). La fin du film s’engage vraiment en revanche : la fin de l’espèce humaine plutôt que la dictature de la survie.
    Quand Zogarok dit que tout le monde est soumis à un sort de bouffon, c’est que les classes sociales jouent toutes entre elles des rôles caricaturaux, qui les détournent du fonctionnement de cette société pour diaboliser les autres classes et leur faire croire à une vision simple et manichéenne de la vie ici bas. En cela, les riches sont les bouffons des pauvres (qui les méprisent constamment) et les riches en ont peur car ils les voient comme des pilleurs potentiels (ou une source de distraction : le musicien).
    Et la maitresse agit comme une institutrice de maternelle donnant des cours à des CM1 sans avoir changé d’une ligne son programme d’enseignement. Pitié, on peut montrer l’endoctrinement autrement que par une caricature inoffensive…

  6. Allan Mai 11, 2014 à 19:17 #

    Un futur classique ! Le meilleur de la SF de ces dernières années !

  7. dasola Mai 14, 2014 à 10:00 #

    Bonjour Zogarok, merci pour ce billet sur un film qui en vaut la peine. Je ne fais pas d’analyse aussi poussée. J’ai apprécié l’histoire et l’univers visuel. Un film qui m’a vraiment beaucoup plu. Bonne journée.

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